XXV<hi rend="superscript">e</hi> Discours. Jacques-Vincent Delacroix Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 02.10.2018 o:mws.7126 Delacroix, Jacques-Vincent: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, pour servir de suite à son Ouvrage intitulé : Des Constitutions des Principaux États de l’Europe. Paris: chez Buisson, an 3e de la République, 260-285 Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire 1 025 1794 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Politik Politica Politics Política Politique Política Wirtschaft Economia Economy Economía Économie Economia Familie Famiglia Family Familia Famille Família France Paris Paris 2.3488,48.85341 France Jouy Jouy 1.54501,48.51005 France 2.0,46.0

XXVe Discours. Sur les Moyens de rendre l’Agriculture et le Commerce florissans.

Depuis que la pensée n’est plus enchaînée, et qu’il est permis à tous les citoyens de concourir par leurs idées à l’harmonie et au bonheur de la société, je promène mes regards avec plus d’assurance sur le régime intérieur de la république ; j’y découvre plus d’espérance que de réalités ; on entrevoit la félicité, et son aspect éloigné en tient lieu. Nous ne sommes plus sous la tyrannie, mais nous ne sommes pas encore sous la liberté ; nous ressemblons à des captifs qu’on a mis hors de leurs prisons, et auxquels on a dit : vous pouvez marcher, mais si vous osiez courir vous retomberez dans le gouffre de misère d’où vous sortez. J’entends de tous côtés des gens s’écrier : nous sommes libres, nos oppresseurs sont abattus. Mais si je dis à un négociant : la fortune n’est plus un sujet d’épouvante, l’industrie va reprendre son cours ; quel emploi allez-vous faire de vos capitaux ? Il me répond : le temps n’est pas encore venu de se livrer aux spéculations du commerce ; avant d’acheter, il faut être le maître de disposer de ce que l’on a, et ne pas courir le risque de ne recueillir que la haine publique pour prix de ses peines et de ses avances.

Si j’interroge un homme de lettres sur l’objet de son travail ; il me rappèle que plus d’un écrivain n’existe plus parce qu’il s’est reposé avec trop de confiance sur le droit qu’il croyoit avoir de donner un libre essor à sa pensée, et que l’expérience lui prescrit le silence et le repos.

Si je questionne une mère de famille sur l’éducation qu’elle se propose de donner à ses enfans, elle me répond qu’elle attend le temps où elle pourra se dispenser de les confier à l’ignorance, et choisir un instituteur éclairé.

J’étois, il y a quelques jours, chez un propriétaire qui fait valoir un vaste domaine ; je le complimentois sur les principes favorables à l’agriculture que paroît avoir adopté la convention. Tout cela est beau, me dit-il ; mais tandis que je lis les feuilles où ces sages maximes sont exposées et accueillies, je suis assailli de réquisitions, et je ne sais auquel entendre. Je me croyois propriétaire, et je suis moins le maître de ce qui m’appartient que ne le seroit le fermier du public. Des ouvriers qu’on m’envoie, et que je n’ai pas le droit de refuser, viennent s’installer dans mes granges et me font payer le ravage qu’ils y font par leur mal-adresse et leur inexpérience. J’ai besoin de chevaux, et je n’ose en acheter, dans la crainte qu’on ne vienne encore les détacher de mes charrues ; j’avois deux fils laborieux qui m’aidoient dans mes travaux, ils languissent dans des hôpitaux, au lieu de pouvoir se rétablir dans la mai-son de leur père, dont ils soulageroient les soins.

J’espérois fournir à la république des laines, des bestiaux, des comestibles de toutes espèces, on me laisse à peine de quoi me nourrir ; comment pourrois-je former des élèves et engraisser des animaux ? Si on continue d’exagérer les rigueurs de la loi, au lieu de les adoucir, le découragement ruinera les campagnes et affamera les villes. Je n’avois rien à répondre aux observations de ce bon cultivateur, et je gémissois avec lui sur l’imprévoyance de nos anciens administrateurs, qui, en portant les premières atteintes aux propriétés, et à la liberté de l’agriculture, ont altéré la source de l’abondance, et auroient fini par la tarir.

En revenant à la ville que j’habite, je m’arrêtai dans une manufacture qui a vivifié un village entier qui n’offroit auparavant à l’œil qu’un vallon humide et mal sain, où erroient des animaux suivis de pauvres mercenaires.

J’admirois ce que savent opérer l’industrie, la bienfaisance et l’amour du travail, inspiré par une générosité attentive ; j’étois frappé de la perfection des ouvrages, de la grandeur des atteliers, de la distribution et de l’ordre qui y régnoient ; je remarquois l’aisance et la liberté sur tous les visages et dans tous les mouvemens ; chaque ouvrier, depuis l’enfant qui soutient à peine le burin ou le pinceau, jusqu’au chef de famille qui achève ce que sa postérité a commencé, me paroissoit autant de parties d’une belle machine assujettie à un mouvement régulier. Lorsque j’eus appris que ces individus si actifs, si intelligens, qui présentent l’image d’une république où l’âge et le talent assignent les rangs et varient les salaires ; où la reconnoissance et la générosité assurent à la vieillesse une fin paisible, au malade les moyens de rappeler ses forces et d’en attendre le retour, je me sentis plus disposé à honorer l’humanité dans le citoyen qui en exerçoit les vertus. Voilà, me disois-je, un homme bien précieux à la république ; il est le père de l’orphelin, l’appui du vieillard ; des mères, de jeunes filles qui languiroient dans la misère ou se flétriroient dans le vice, lui doivent leur aisance et leur honneur. Je crus m’appercevoir cependant que ce vénérable ci-toyen étoit triste et inquiet : il me semble, lui dis-je, qu’il ne devroit rien manquer au bonheur de celui qui recueille tant de bénédictions ; est-ce que l’homme qui ne fait que des heureux ne le seroit pas lui-même ? Je le serois, me répondit-il, si j’étois assuré de pouvoir toujours entretenir cette nombreuse famille dans l’activité où vous la voyez ; malheureusement ces toiles dont vous admirez la finesse, les dessins et les vives couleurs, n’arrivent à ce degré de beauté qu’avec dec <sic> matières qui deviennent plus rares de jour en jour ; celles que je me suis procurées à des prix exorbitans ne me parviennent qu’avec peine ; et si les mêmes entraves devoient subsister long-temps, une manufacture qui ma <sic> coûté tant de soins et d’avance, à laquelle j’ai consacré tant de veilles, qui est devenue une des branches productives de notre commerce tomberoit dans la langueur. Quel seroit alors le sort de toutes ces familles, dont l’existence tient à sa prospérité ! Ces frayeurs, qui s’échappoient du sein de l’humanité et d’un pur patriotisme, ajoutèrent à ma vénération pour celui qui les éprouvoit, et je le quittai avec l’inten-tion d’employer tous mes efforts à les dissiper (I(I) On reconnoîtra peut-être, à cette description, la manufacture de Jouy et son respectable propriétaire.).

Il est, je le sais, bien plus aisé de faire remarquer les vices des réglemens et leurs funestes conséquences, que d’en substituer de meilleurs ; mais c’est déjà beaucoup que de reconnoître qu’on s’est trompé de ses vues politiques. Le sentiment de l’erreur place les hommes dans la voie de la vérité ; essayons d’avancer vers elle en nous appuyant sur le raisonnement.

Il est incontestable qu’en triplant la représentation de la valeur des denrées, cette valeur a dû augmenter ; il est certain qu’en substituant à nn <sic> signe inaltérable recherché de toutes les nations agricoles ou commerçantes, un papier que la contrefaçon multiplie, que la défiance dégrade, que l’étranger repousse, il a fallu, pour en soutenir la concurrence avec le numéraire et en entretenir la circulation, des moyens rigoureux ; mais quelque sèvères qu’ils fussent, comme ils n’avoient d’ac-tion que sur les individus qui y étoient soumis, ils n’ont pu arrêter la hausse du numéraire, la difficulté des échanges, prévenir la rareté des subsistances et l’accroissement des salaires.

L’attachement à un gouvernement peut faire supporter aux individus qui l’ont adopté bien des privations ; mais il est un terme à cet attachement. Si la prudence des législateurs ne permet pas de le mettre à de trop rudes épreuves, l’amour du bien public impose à tous les bons citoyens le devoir d’indiquer les moyens qu’ils jugent les plus propres à prévenir ce refroidissement, avant-coureur de l’infidélité et du parjure.

Les assignats sont la monnoie de la république ; elle les donne en paiement à ses créanciers, à ses fournisseurs ; ils doivent donc être remboursés sous peine d’un deshonneur ineffaçable ; mais pour qu’ils le soient et n’éprouvent pas une dégradation dans le commerce et la confiance publique, il faut qu’ils aient un gage assuré uniquement consacré à leur extinction ; ce gage peut être de trois natures, le prix des biens nationaux, l’acquittement des impôts, et le montant des condamnations pécuniaires ; la première est limitée, les deux autres peuvent se prolonger autant que le gouvernement.

Un décret qui porteroit que tout débiteur de la républqiue pourra, dans tous les temps, se libérer vis-à-vis d’elle avec des assignats, suffiroit donc pour en soutenir la valeur et la circulation ; mais si, au lieu d’user sagement de ce supplément à un signe d’une valeur plus générale, on en abuse par des émissions illimitées, il en résultera que le numéraire acquérera un nouvel ascendant sur lui, et les moyens qu’on emploiera pour comprimer le premier ne feront qu’accroître son énergie et sa prépondérance, en le rendant plus rare et par cette raison plus précieux.

Pour parer à cet inconvénient, il faudroit donc avoir le courage de décréter solemnellement, 1o. qu’il ne pourra plus être fabriqué et mis en circulation qu’une somme déterminée en assignats ; 2o. que tous ceux qui rentreront dans la caisse nationale pour l’acquittement des biens nationaux continueront d’être supprimés ; 3o. qu’un an après la paix, la république s’oblige à n’en plus remettre en circulation, quoiqu’elle s’engage à recevoir en paiement tous ceux qui lui seront présentés, jusqu’à leur extinction totale ; 4o. qu’il sera dès-à-présent libre à tous les contractans de stipuler leurs ventes ou leurs achats payables en argent ou en assignats, pourvu que le montant du marché excède mille francs et soit sujet à l’enregistrement.

Ce réglement fortifiera la confiance, fera reparoître le numéraire, et rendra à la république un crédit extérieur, dont les plus puissans Empires ne peuvent se passer.

Après avoir proposé ce réglement relatif aux assignats, j’en indiquerai un autre qui ne seroit pas moins favorable au commerce.

Le commerce est l’image de la providence ; la liberté lui donne des aîles pour voler d’une extrêmité du monde à l’autre, et répartir les dons de la nature sur toutes les sociétés, en raison de leurs besoins et de leurs facultés : sans cette liberté il se traîne avec peine, et loin d’accroître les subsistances, il les absorbe et les détériore. Ne calculez jamais avec le commerce, c’est à lui seul qu’il appartient de calculer avec vous ; si vous voulez le tromper, vous vous tromperez vous-mêmes. Vous avez vu ce qu’ont produit ces déclarations, ces visites domiciliaires, ce maximum ? Oubliez ces mesures nuisibles à la société ; bientôt le desir de vendre surpassera le besoin d’acheter, et l’abondance naîtra de l’intérêt du marchand. Laissez-le s’agiter pour découvrir, pour multiplier les subsistances ; fiez-vous-en à son industrie, elle vous amènera plus d’objets de consommation que toutes vos réquisitions ne pourront vous en conserver. Si vous avez une barrière à mettre, placez-là aux extrêmités de vos frontières pour arrêter l’exportation des denrées d’une nécessité absolue et des matières premières : si vous avez des encouragemens à donner, réservez-les pour l’importation de ces mêmes denrées et de tous les alimens de vos manufactures : au lieu d’absorber vos fonds dans des fêtes qui ne produisent qu’un stérile spectacle, qu’une surprise passagère, ou dans des sociétés tumultueuses, consacrez-les à l’entretien des routes, à l’ouverture des canaux navigables, et bientôt la république sera comme un corps vigoureux et bien constitué qui sent circuler dans ses veines la force et la santé.

Le commerce pour vivifier toujours un Etat et l’enrichir sans jamais l’exténuer, doit se reposer sur l’agriculture nationale et s’unir à elle : mais par la raison que l’homme libre ne peut assujettir sa marche à celle d’un esclave chargé d’entraves, il faut que la liberté de l’agriculture soit égale à celle du commerce. Eclairons le laboureur et ne le tyrannisons jamais ; prouvons lui par l’exemple qu’il peut gagner davantage, et nous le verrons se rendre à l’évidence des fait <sic>, quoiqu’il résiste à la clarté des préceptes : ne commençons pas par mettre un impôt sur son industrie, parce qu’il veut travailler pour lui ; et en travaillant pour lui il travaille nécessairement pour nous ; qu’il ne s’apperçoive pas qu’en encourageant les défrichemens on a aussi pour objet d’accroître le revenu public. Lorsque les terres seront une fois en valeur, il aimera mieux payer un sixième de sa récolte que de les abandonner à la stérilité ; peu nous importe l’étendue de sa propriété ; s’il la rend bien pro-ductive, elle n’est pas trop étendue ; il n’y a que le mauvais agriculteur qui a trop de terres, quelque peu qu’il en ait. Conserve-t-il son grain ? tant mieux ; c’est un magasin de plus que vous avez ; il faudra bien qu’il le vuide, sous peine d’attirer sur lui sa ruine et la malédiction publique ; garantissez-le des taxes arbitraires et du pillage, il vous préservera de la famine.

Avec ces réglemens, me dira-t-on, que deviendra le gouvernement révolutionnaire ? Vous voulez donc le détruire ? non certainement, puisqu’un décret le prolonge ; mais je desire qu’il subsiste pour agir en sens contraire de sa conduite passée : il a amené sur nous des malheurs et des persécutions dont nous avons tous gémi ; il a commis des forfaits, exercé des cruautés qui inspirent de l’horreur aux hommes les moins sensibles ; il a paralysé le commerce, éteint l’industrie, découragé l’agriculture, multiplié les agitateurs, enhardi la calomnie, humilié les vertus ; il faut qu’il foudroie ses agens pervers, qu’il dirige son énergie contre les ennemis publics qui se sont revêtus des couleurs du patriotisme, pour immoler une patrie qui n’est pas la leur ; il faut qu’en expulsant des administrations l’arrogance et la cupidité, il y ramène la probité et les lumières.

La convention, dégagée de tous ses ennemis, éclairée par l’expérience, animée d’un bon esprit, soutenue des vrais citoyens qui ont placé leur espoir en elle, n’a plus aujourd’hui qu’à prescrire le bien pour qu’il s’effectue. Les rébelles qui la défioient n’osent plus soutenir ses regards ; qu’elle use de son pouvoir, et ils rentreront dans la poussière ; ils ont voulu le règne de la terreur, eh bien, qu’ils subsiste pour eux seuls. Il ne s’agit que de bien appliquer les mots aux choses, et tous les gens honnêtes s’entendront. Les vrais contre-révolutionnaires ne sont-ils pas ceux qui ont fait haïr la révolution et regretter l’ancien gouvernement ; qui ont attiré sur la république des calamités que le despotisme le plus cruel auroit eu honte d’y répandre ; qui ont dépeuplé nos cités, renversé nos édifices, englouti des familles entières, refusé la justice aux accusés, miséricorde au repentir en violant leurs promesses, et enveloppé dans les mêmes exécutions les coupables et les innocens ? C’est donc contre ces ennemis avérés que le gouvernement révolutionnaire doit tourner son glaive vengeur. Par quelle fatalité a-t-il jusqu’à présent épargné les tigres pour n’immoler que de paisibles agneaux ? Comment avons-nous pu souffrir si long-temps qu’on transformât la modération en crime, et la violence la plus brutale en vertu ?

Ces idées monstrueuses sont heureusement dissipées ; on n’en imposera plus avec des mots, et on sera jugé sur les choses.

Lettre d’un Jacobin qui se propose de se démettre de son titre.

Je me félicitois, il y a quelques jours, de m’être maintenu dans une société puissante et redoutée, malgré la vicissitude de ses affections, la mobilité de ses opinions, et la déroute de ses chefs. Je m’applaudissois de l’esprit de conduite qui m’avoit toujours rangé sous la protection du plus fort, et préservé de ses radiations humiliantes qui détachoient tout-à-coup un citoyen de la souveraineté que nous exercions, et ne lui présentoient plus pour perspective que la prison ou la mort. J’observois avec soin le sentiment du parti dominant pour m’y livrer sans examen ; jamais je n’avois manqué d’appuyer ses propositions et de concourir à ses arrêtés, quelque contraires qu’ils fussent aux loix et même à ma pensée : voilà, disoient, en parlant de moi, nos chefs de files, un vrai patriote ; on peut toujours compter sur lui. Aussi je ne me refusois à aucune mission ; mon zèle étoit à toute épreuve ; ami, parent, intérêt personnel, tout étoit sacrifié, lorsqu’il s’agissoit de faire exécuter un de nos réglemens. J’étois quelquefois étonné que les plus implacables ennemis des moines en eussent pris exactement l’esprit, les statuts et l’une de leur dénomination. Je remarquois que nos affections étoient concentrées dans notre association ; que tout ce qui ne lui étoit pas affilié, qui n’adoptoit pas notre costume, qui ne marchoit pas sur la ligne qu’il nous plaisoit de tracer, nous sembloit plus funeste qu’utile au monde ; et quand l’univers se seroit trouvé réduit à notre société, il n’en eût été à nos yeux que plus parfait. D’après cet isolement religieux, peu nous importoit que tout ce qui nous étoit étranger manquât de denrées, de vêtemens : pourvu que les vrais jacobins fussent dans l’abondance et dans la sécurité, tout alloit au mieux. C’étoit pour nous seuls que devoient travailler le cultivateur, le manufacturier ; et comme nous savions nous passer de toutes les superfluités du luxe, nous ne voulions pas que d’autres s’y complussent.

Les députés qui siégeoient au milieu de nous étoient à nos yeux les seuls législateurs, les seuls représentans de la nation. S’ils venoient à flotter entre nous et la convention, ils ne tardoient pas à être regardés comme des traîtres qu’il falloit éconduire et diriger vers l’échafaud. Plus d’un a éprouvé les effets de notre vengeance : ce petit Camille Desmoulins n’eut pas plus tôt l’imprudence de tourner à la modération, et de vouloir montrer son esprit au lieu du nôtre, que nous oubliâmes qu’il avoit le premier sonné le tocsin contre le despotisme, et rallié les patriotes autour de lui. De quoi s’avisoit-il aussi de demander grace pour les foibles, et justice pour les riches ; il avoit choisi un beau moment pour s’appitoyer sur le sort de ces captifs qui ne s’étoient pas signalés dans nos célèbres journées ! il a vu ce qu’on gagne à parler d’humanité dans un temps où la terreur et l’insensibilité sont à l’ordre du jour.

Pourquoi ce Danton, qni <sic> de sa voix tonnante calmoit nos orages ou les excitoit à son gré, voulut-il adoucir son organe, et arrêter notre marche au lieu de la devancer ? Il s’est trouvé en arrière ; séparé de sa troupe, la haine de son rival a fondu sur lui, et a terrassé sa présomption.

Plus nous perdions d’associés prudens et calculateurs, plus nous nous applaudissions de notre audace ; il sembloit que nous avions allégé notre marche de bagages lourds et embarrassans : à mesure que notre chef exigeoit de sacrifices, nous étions plus déterminés à lui obéir ; jamais général d’ordre n’a trouvé plus de soumission, plus de dévouement dans ses humbles religieux : nous lui sommes restés fidèles jusqu’à sa mort. Quelle vuide affreux elle a laissé parmi nous !  Quelle calamité pour notre société ! Nous ne savons plus à qui nous rallier : pas un de ses lieutenans n’a le courage de prendre le commandement ; il leur a laissé ses plans, mais il a emportés ses ressources et son génie. Depuis qu’il n’est plus à notre tête, nous n’essuyons que des échecs, nous ne commettons que des imprudences. Ce Tallien, ce Fréron que nous avons irrités, en refusant de les entendre, comme ils se vengent de l’affront que nous leur avons fait ! Leur talens nous auroient été si nécassaires ! Les mêmes mains, qui nous offroient des fleurs, nous lancent des pierres et de la boue ; nos affiliés se refroidissent au point que nous supportons seuls tout le poids de notre correspondance ; nous faisons les lettres et les réponses ; et au lieu de nous savoir gré de notre activité, ces fils ingrats nous humilient par leurs désaveux. Pour surcroît de malheur, un décret nous sépare de tous nos membres, et ne nous laisse qu’une tête pâle et défigurée qui forme une image hideuse ; en vain cette tête s’efforce-t-elle d’articuler encore quelques sons, ils sont étouffés par la haine publique. Je vous l’avoue, autant je me glorifiois de mon titre, autant j’en rougis aujourd’hui. Comme si on avoit le projet de nous faire honte de notre existence, de nos lumières, et de la fraîcheur de notre patriotisme, on exige que nous donnions nos noms, que nous indiquions notre ancienne profession, et le temps de notre admission. La plupart d’entre nous, il ne faut pas nous le dissimuler, ne portent que des noms obscurs dans les arts, n’ont exercé que des professions qu’on appeloit viles, ne datent pour leur entrée dans la société que depuis 93 : déjà plusieurs, pour se soustraire à la censure de la malignité, ont déserté notre société, et ont déclaré qu’ils n’entendoient pas être inscrits sur une liste qui les exposeroit au mépris et au danger. Pour peu que cela continue, nous serons réduits à un si petit nombre que notre tableau remplira à peine une feuille de papier à lettre. Jugez de quelle conséquence il sera de paroître si isolés et si foibles ! Ceux qui ont provoqué l’emprisonnement d’un quart de la France, seroient exposés à être renfermés un beau jour dans le même cachot. . . . Je crois qu’il est de ma prudence de prévenir cette opprobre. Dussé-je passer pour un lâche, je vais écrire à la société qu’un emploi important me force de m’éloigner de Paris, et que je la prie de recevoir ma démission ; je veux cependant la motiver de manière à pouvoir être replacé à mon rang si des temps plus heureux pour nous revenoient, ainsi que quelques-uns de mes collègues s’efforcent de nous le persuader : car il seroit bien piquant de perdre en un jour le fruit d’une conduite adroite, et d’être rejeté comme un inconstant, après avoir donné tant de preuves de fidélité.

Il est essentiel de vous observer que chez nous, ainsi que dans les anciens monastères, on fait plus de cas d’un novice ardent que d’un profès refroidi ; et que si l’on pardonne souvent les erreurs d’un adepte, on est inexorable pour les fautes d’un initié. Une réflexion me fortifie ; c’est qu’il y aura tant de coupables avec moi, qu’il faudra bien que nous trouvions grace tous ensemble, ou que la société se résolve à demeurer dans un tel état de foiblesse, que nous n’en aurons rien à craindre ni à espérer, et cela me suffira toujours pour me consoler de ne plus lui appartenir.

Réponse.

Je suis très-étonné de votre confiance ; je n’ai aucun titre auprès de vous pour la mériter. Vous vous reprochez vos imprudences ; il me semble que vous devriez plutôt vous repentir de vos crimes. Jamais ce peuple que vous avez si indignement trompé ne vous rendra les maux dont vous l’avez accablé. Malheureux ! quel abus vous avez fait de sa confiance ! A-t-elle été assez aveugle à votre égard ! comme il a été dupe de vos grossières impostures ! Vous lui parliez de bonheur, et vous attiriez sur sa têtes toutes les calamités ; de liberté, et vous enchaîniez jusqu’à sa pensée ; d’abondance, et vous le meniez à la famine ; de vertu, et vous le précipitiez dans toutes les injustices ; d’humanité, et vous ne l’abreuviez que de sang ! Vous avez été tout à la fois ses tyrans et ses bourreaux. Vous vous plaignez de son mépris ; ce n’est pas du mépris qu’il vous doit, c’est de l’exécration et de l’horreur. Il étoit si aimable dans sa joie, si touchant dans sa douleur ! Vous avez dénaturé toutes ses affections, tous ses sentimens : avant qu’il revienne à sa bonté première, il est juste que vous éprouviez toute l’énergie de sa haine. Ah ! si ceux qui ont quelqu’ascendant sur lui vous ressembloient, vous n’existeriez déjà plus, et un sang pur auroit été vengé !

Lettre d’une Mère de famille, dont le Mari et le Fils ont été mis en liberté.

Témoin de ma douleur, soyez-le aussi de ma joie ; vous m’avez vue dans les larmes et le désespoir, venez me voir dans mon ravissement. Hélas ! j’ai eu assez de force pour supporter le malheur, en aurai-je assez pour soutenir la félicité !

Je vais, comme une insensée, de mon fils à mon mari ; je les couvre de mes baisers, je les inonde de mes larmes : objets si chers à mon cœur, qu’inventerai-je pour vous faire oublier vos longs tourmens ? Qu’aviez-vous donc fait à cette république qui nous promettoit le bonheur, pour qu’elle vous rendît si malheureux ? Jamais vous n’avez été rebelle à la loi ; ce qu’elle exigeoit de vous vous l’avez offert ; vous ne demandiez, pour prix de vos sacrifices et de votre soumission, que paix et sécurité ; on vous a traités comme des révoltés. Nuit horrible où je vous ai vu arrachés de mes bras ; où mes cris ont été étouffés ; où mes supplications, mes offres ont été rejettés ; où des hommes impitoyables me repoussè-rent avec brutalité ; où d’autres plus féroces vous entraînèrent loin de moi ! nuit affreuse, ne te présente plus à ma pensée, un jour fortuné t’a succédé. Je pardonne tout à mes ennemis ; les misérables, qu’ils m’ont fait de mal ! Ah ! qu’ils vivent heureux s’ils le peuvent avec leurs crimes et leurs remords ; je ne veux pas troubler mon bonheur par le sentiment de la vengeance. O mon époux ! ils ont voulu nous désunir, et nous n’avons jamais été séparés ; ta fidelle compagne étoit près de toi, elle te voyoit à travers les barreaux et les murs les plus épais ; elle recueilloit tes soupirs : si elle te quittoit un instant, c’étoit pour se rapprocher de ton fils, de ce fils qui dépérissoit dans la douleur. Aimable jeune homme ! je n’étois pas la seule qui formoit le vœu d’adoucir ton sort, et de ramener la sécurité sur ton front ; une autre main auroit voulu essuyer tes larmes. Tu la verras bientôt celle qui a été cacher son désespoir dans un hameau solitaire ; déjà peut-être en ce moment tient-elle la lettre qui lui annonce la liberté de celui qui a son cœur. Ah ! elle ne tardera pas à venir mêler sa joie à celle d’une famille qui est la sienne : lors-que ces nœuds seront formés, je ne vivrai plus qu’en vous, mes enfans ; je ne demanderai au ciel qu’assez de jours pour voir votre bonheur sans nuage, et être bien sûre que vous n’éprouverez jamais les peines que j’ai ressenties et comme épouse, et comme mère. Il n’est point d’ennemis au monde auxquels j’en puisse desirer de semblables. Que d’infortunées j’ai cependant rencontrées dans le cours de mes sollicitations et de mes importunités, qui reclamoient la même justice que moi ! Que je les plains si elles ne l’ont pas encore obtenue ! Dépositaires d’une autorité qui ne doit plus être que bienfaisante, honorez votre puissance : il n’en est pas un de vous qui n’ait eu une mère, qui n’en ait reçu les plus doux soins ; rappelez-vous sa tendresse ; songez aux sollicitudes, aux déchiremens qu’elle eût éprouvés si elle vous eût sentis gémissans dans une prison, placés entre la terreur et la mort ; faites pour celles qui ont le même titre, ce que vous auriez desiré qu’on eût fait pour elle ; ne repoussez pas leurs prières ; songez que si une dénonciation dictée par l’envie, en provoquant un ordre cruel, a porté la désolation dans une famille, un mot, un seul mot de votre main peut y ramener l’ivresse et les transports ; que votre nom y sera béni ; que vous y trouverez peut-être un asyle contre les vengeances ; qu’il viendra peut-être un moment où, poursuivis par l’aveugle haine, vous serez préservés par des enfans qui s’écrieront : épargnez celui-là, il a sauvé notre père, ne frappez pas notre bienfaiteur.

Dans mon délire j’adresse la parole à tout ce qui environne mon imagination ; je suis si heureuse que je voudrois ne voir que des êtres satisfaits comme moi. Si mes vœux étoient exaucés, dans ce moment les prisons s’ouvriroient devant toutes les victimes de la calomnie ou d’une eurreur expiée par de longues souffrances. Toutes les épouses, toutes les mères presseroient contre leur sein leurs époux et leurs fils ; un concert de reconnoissance et d’amour se feroit entendre de toutes les parties de la république, et viendroit frapper de ses sons expressifs l’ame de nos législateurs.

XXVe Discours. 1794 XXVe Discours. Sur les Moyens de rendre l’Agriculture et le Commerce florissans. Depuis que la pensée n’est plus enchaînée, et qu’il est permis à tous les citoyens de concourir par leurs idées à l’harmonie et au bonheur de la société, je promène mes regards avec plus d’assurance sur le régime intérieur de la république ; j’y découvre plus d’espérance que de réalités ; on entrevoit la félicité, et son aspect éloigné en tient lieu. Nous ne sommes plus sous la tyrannie, mais nous ne sommes pas encore sous la liberté ; nous ressemblons à des captifs qu’on a mis hors de leurs prisons, et auxquels on a dit : vous pouvez marcher, mais si vous osiez courir vous retomberez dans le gouffre de misère d’où vous sortez. J’entends de tous côtés des gens s’écrier : nous sommes libres, nos oppresseurs sont abattus. Mais si je dis à un négociant : la fortune n’est plus un sujet d’épouvante, l’industrie va reprendre son cours ; quel emploi allez-vous faire de vos capitaux ? Il me répond : le temps n’est pas encore venu de se livrer aux spéculations du commerce ; avant d’acheter, il faut être le maître de disposer de ce que l’on a, et ne pas courir le risque de ne recueillir que la haine publique pour prix de ses peines et de ses avances. Si j’interroge un homme de lettres sur l’objet de son travail ; il me rappèle que plus d’un écrivain n’existe plus parce qu’il s’est reposé avec trop de confiance sur le droit qu’il croyoit avoir de donner un libre essor à sa pensée, et que l’expérience lui prescrit le silence et le repos. Si je questionne une mère de famille sur l’éducation qu’elle se propose de donner à ses enfans, elle me répond qu’elle attend le temps où elle pourra se dispenser de les confier à l’ignorance, et choisir un instituteur éclairé. J’étois, il y a quelques jours, chez un propriétaire qui fait valoir un vaste domaine ; je le complimentois sur les principes favorables à l’agriculture que paroît avoir adopté la convention. Tout cela est beau, me dit-il ; mais tandis que je lis les feuilles où ces sages maximes sont exposées et accueillies, je suis assailli de réquisitions, et je ne sais auquel entendre. Je me croyois propriétaire, et je suis moins le maître de ce qui m’appartient que ne le seroit le fermier du public. Des ouvriers qu’on m’envoie, et que je n’ai pas le droit de refuser, viennent s’installer dans mes granges et me font payer le ravage qu’ils y font par leur mal-adresse et leur inexpérience. J’ai besoin de chevaux, et je n’ose en acheter, dans la crainte qu’on ne vienne encore les détacher de mes charrues ; j’avois deux fils laborieux qui m’aidoient dans mes travaux, ils languissent dans des hôpitaux, au lieu de pouvoir se rétablir dans la mai-son de leur père, dont ils soulageroient les soins. J’espérois fournir à la république des laines, des bestiaux, des comestibles de toutes espèces, on me laisse à peine de quoi me nourrir ; comment pourrois-je former des élèves et engraisser des animaux ? Si on continue d’exagérer les rigueurs de la loi, au lieu de les adoucir, le découragement ruinera les campagnes et affamera les villes. Je n’avois rien à répondre aux observations de ce bon cultivateur, et je gémissois avec lui sur l’imprévoyance de nos anciens administrateurs, qui, en portant les premières atteintes aux propriétés, et à la liberté de l’agriculture, ont altéré la source de l’abondance, et auroient fini par la tarir. En revenant à la ville que j’habite, je m’arrêtai dans une manufacture qui a vivifié un village entier qui n’offroit auparavant à l’œil qu’un vallon humide et mal sain, où erroient des animaux suivis de pauvres mercenaires. J’admirois ce que savent opérer l’industrie, la bienfaisance et l’amour du travail, inspiré par une générosité attentive ; j’étois frappé de la perfection des ouvrages, de la grandeur des atteliers, de la distribution et de l’ordre qui y régnoient ; je remarquois l’aisance et la liberté sur tous les visages et dans tous les mouvemens ; chaque ouvrier, depuis l’enfant qui soutient à peine le burin ou le pinceau, jusqu’au chef de famille qui achève ce que sa postérité a commencé, me paroissoit autant de parties d’une belle machine assujettie à un mouvement régulier. Lorsque j’eus appris que ces individus si actifs, si intelligens, qui présentent l’image d’une république où l’âge et le talent assignent les rangs et varient les salaires ; où la reconnoissance et la générosité assurent à la vieillesse une fin paisible, au malade les moyens de rappeler ses forces et d’en attendre le retour, je me sentis plus disposé à honorer l’humanité dans le citoyen qui en exerçoit les vertus. Voilà, me disois-je, un homme bien précieux à la république ; il est le père de l’orphelin, l’appui du vieillard ; des mères, de jeunes filles qui languiroient dans la misère ou se flétriroient dans le vice, lui doivent leur aisance et leur honneur. Je crus m’appercevoir cependant que ce vénérable ci-toyen étoit triste et inquiet : il me semble, lui dis-je, qu’il ne devroit rien manquer au bonheur de celui qui recueille tant de bénédictions ; est-ce que l’homme qui ne fait que des heureux ne le seroit pas lui-même ? Je le serois, me répondit-il, si j’étois assuré de pouvoir toujours entretenir cette nombreuse famille dans l’activité où vous la voyez ; malheureusement ces toiles dont vous admirez la finesse, les dessins et les vives couleurs, n’arrivent à ce degré de beauté qu’avec dec <sic> matières qui deviennent plus rares de jour en jour ; celles que je me suis procurées à des prix exorbitans ne me parviennent qu’avec peine ; et si les mêmes entraves devoient subsister long-temps, une manufacture qui ma <sic> coûté tant de soins et d’avance, à laquelle j’ai consacré tant de veilles, qui est devenue une des branches productives de notre commerce tomberoit dans la langueur. Quel seroit alors le sort de toutes ces familles, dont l’existence tient à sa prospérité ! Ces frayeurs, qui s’échappoient du sein de l’humanité et d’un pur patriotisme, ajoutèrent à ma vénération pour celui qui les éprouvoit, et je le quittai avec l’inten-tion d’employer tous mes efforts à les dissiper (I(I) On reconnoîtra peut-être, à cette description, la manufacture de Jouy et son respectable propriétaire.). Il est, je le sais, bien plus aisé de faire remarquer les vices des réglemens et leurs funestes conséquences, que d’en substituer de meilleurs ; mais c’est déjà beaucoup que de reconnoître qu’on s’est trompé de ses vues politiques. Le sentiment de l’erreur place les hommes dans la voie de la vérité ; essayons d’avancer vers elle en nous appuyant sur le raisonnement. Il est incontestable qu’en triplant la représentation de la valeur des denrées, cette valeur a dû augmenter ; il est certain qu’en substituant à nn <sic> signe inaltérable recherché de toutes les nations agricoles ou commerçantes, un papier que la contrefaçon multiplie, que la défiance dégrade, que l’étranger repousse, il a fallu, pour en soutenir la concurrence avec le numéraire et en entretenir la circulation, des moyens rigoureux ; mais quelque sèvères qu’ils fussent, comme ils n’avoient d’ac-tion que sur les individus qui y étoient soumis, ils n’ont pu arrêter la hausse du numéraire, la difficulté des échanges, prévenir la rareté des subsistances et l’accroissement des salaires. L’attachement à un gouvernement peut faire supporter aux individus qui l’ont adopté bien des privations ; mais il est un terme à cet attachement. Si la prudence des législateurs ne permet pas de le mettre à de trop rudes épreuves, l’amour du bien public impose à tous les bons citoyens le devoir d’indiquer les moyens qu’ils jugent les plus propres à prévenir ce refroidissement, avant-coureur de l’infidélité et du parjure. Les assignats sont la monnoie de la république ; elle les donne en paiement à ses créanciers, à ses fournisseurs ; ils doivent donc être remboursés sous peine d’un deshonneur ineffaçable ; mais pour qu’ils le soient et n’éprouvent pas une dégradation dans le commerce et la confiance publique, il faut qu’ils aient un gage assuré uniquement consacré à leur extinction ; ce gage peut être de trois natures, le prix des biens nationaux, l’acquittement des impôts, et le montant des condamnations pécuniaires ; la première est limitée, les deux autres peuvent se prolonger autant que le gouvernement. Un décret qui porteroit que tout débiteur de la républqiue pourra, dans tous les temps, se libérer vis-à-vis d’elle avec des assignats, suffiroit donc pour en soutenir la valeur et la circulation ; mais si, au lieu d’user sagement de ce supplément à un signe d’une valeur plus générale, on en abuse par des émissions illimitées, il en résultera que le numéraire acquérera un nouvel ascendant sur lui, et les moyens qu’on emploiera pour comprimer le premier ne feront qu’accroître son énergie et sa prépondérance, en le rendant plus rare et par cette raison plus précieux. Pour parer à cet inconvénient, il faudroit donc avoir le courage de décréter solemnellement, 1o. qu’il ne pourra plus être fabriqué et mis en circulation qu’une somme déterminée en assignats ; 2o. que tous ceux qui rentreront dans la caisse nationale pour l’acquittement des biens nationaux continueront d’être supprimés ; 3o. qu’un an après la paix, la république s’oblige à n’en plus remettre en circulation, quoiqu’elle s’engage à recevoir en paiement tous ceux qui lui seront présentés, jusqu’à leur extinction totale ; 4o. qu’il sera dès-à-présent libre à tous les contractans de stipuler leurs ventes ou leurs achats payables en argent ou en assignats, pourvu que le montant du marché excède mille francs et soit sujet à l’enregistrement. Ce réglement fortifiera la confiance, fera reparoître le numéraire, et rendra à la république un crédit extérieur, dont les plus puissans Empires ne peuvent se passer. Après avoir proposé ce réglement relatif aux assignats, j’en indiquerai un autre qui ne seroit pas moins favorable au commerce. Le commerce est l’image de la providence ; la liberté lui donne des aîles pour voler d’une extrêmité du monde à l’autre, et répartir les dons de la nature sur toutes les sociétés, en raison de leurs besoins et de leurs facultés : sans cette liberté il se traîne avec peine, et loin d’accroître les subsistances, il les absorbe et les détériore. Ne calculez jamais avec le commerce, c’est à lui seul qu’il appartient de calculer avec vous ; si vous voulez le tromper, vous vous tromperez vous-mêmes. Vous avez vu ce qu’ont produit ces déclarations, ces visites domiciliaires, ce maximum ? Oubliez ces mesures nuisibles à la société ; bientôt le desir de vendre surpassera le besoin d’acheter, et l’abondance naîtra de l’intérêt du marchand. Laissez-le s’agiter pour découvrir, pour multiplier les subsistances ; fiez-vous-en à son industrie, elle vous amènera plus d’objets de consommation que toutes vos réquisitions ne pourront vous en conserver. Si vous avez une barrière à mettre, placez-là aux extrêmités de vos frontières pour arrêter l’exportation des denrées d’une nécessité absolue et des matières premières : si vous avez des encouragemens à donner, réservez-les pour l’importation de ces mêmes denrées et de tous les alimens de vos manufactures : au lieu d’absorber vos fonds dans des fêtes qui ne produisent qu’un stérile spectacle, qu’une surprise passagère, ou dans des sociétés tumultueuses, consacrez-les à l’entretien des routes, à l’ouverture des canaux navigables, et bientôt la république sera comme un corps vigoureux et bien constitué qui sent circuler dans ses veines la force et la santé. Le commerce pour vivifier toujours un Etat et l’enrichir sans jamais l’exténuer, doit se reposer sur l’agriculture nationale et s’unir à elle : mais par la raison que l’homme libre ne peut assujettir sa marche à celle d’un esclave chargé d’entraves, il faut que la liberté de l’agriculture soit égale à celle du commerce. Eclairons le laboureur et ne le tyrannisons jamais ; prouvons lui par l’exemple qu’il peut gagner davantage, et nous le verrons se rendre à l’évidence des fait <sic>, quoiqu’il résiste à la clarté des préceptes : ne commençons pas par mettre un impôt sur son industrie, parce qu’il veut travailler pour lui ; et en travaillant pour lui il travaille nécessairement pour nous ; qu’il ne s’apperçoive pas qu’en encourageant les défrichemens on a aussi pour objet d’accroître le revenu public. Lorsque les terres seront une fois en valeur, il aimera mieux payer un sixième de sa récolte que de les abandonner à la stérilité ; peu nous importe l’étendue de sa propriété ; s’il la rend bien pro-ductive, elle n’est pas trop étendue ; il n’y a que le mauvais agriculteur qui a trop de terres, quelque peu qu’il en ait. Conserve-t-il son grain ? tant mieux ; c’est un magasin de plus que vous avez ; il faudra bien qu’il le vuide, sous peine d’attirer sur lui sa ruine et la malédiction publique ; garantissez-le des taxes arbitraires et du pillage, il vous préservera de la famine. Avec ces réglemens, me dira-t-on, que deviendra le gouvernement révolutionnaire ? Vous voulez donc le détruire ? non certainement, puisqu’un décret le prolonge ; mais je desire qu’il subsiste pour agir en sens contraire de sa conduite passée : il a amené sur nous des malheurs et des persécutions dont nous avons tous gémi ; il a commis des forfaits, exercé des cruautés qui inspirent de l’horreur aux hommes les moins sensibles ; il a paralysé le commerce, éteint l’industrie, découragé l’agriculture, multiplié les agitateurs, enhardi la calomnie, humilié les vertus ; il faut qu’il foudroie ses agens pervers, qu’il dirige son énergie contre les ennemis publics qui se sont revêtus des couleurs du patriotisme, pour immoler une patrie qui n’est pas la leur ; il faut qu’en expulsant des administrations l’arrogance et la cupidité, il y ramène la probité et les lumières. La convention, dégagée de tous ses ennemis, éclairée par l’expérience, animée d’un bon esprit, soutenue des vrais citoyens qui ont placé leur espoir en elle, n’a plus aujourd’hui qu’à prescrire le bien pour qu’il s’effectue. Les rébelles qui la défioient n’osent plus soutenir ses regards ; qu’elle use de son pouvoir, et ils rentreront dans la poussière ; ils ont voulu le règne de la terreur, eh bien, qu’ils subsiste pour eux seuls. Il ne s’agit que de bien appliquer les mots aux choses, et tous les gens honnêtes s’entendront. Les vrais contre-révolutionnaires ne sont-ils pas ceux qui ont fait haïr la révolution et regretter l’ancien gouvernement ; qui ont attiré sur la république des calamités que le despotisme le plus cruel auroit eu honte d’y répandre ; qui ont dépeuplé nos cités, renversé nos édifices, englouti des familles entières, refusé la justice aux accusés, miséricorde au repentir en violant leurs promesses, et enveloppé dans les mêmes exécutions les coupables et les innocens ? C’est donc contre ces ennemis avérés que le gouvernement révolutionnaire doit tourner son glaive vengeur. Par quelle fatalité a-t-il jusqu’à présent épargné les tigres pour n’immoler que de paisibles agneaux ? Comment avons-nous pu souffrir si long-temps qu’on transformât la modération en crime, et la violence la plus brutale en vertu ? Ces idées monstrueuses sont heureusement dissipées ; on n’en imposera plus avec des mots, et on sera jugé sur les choses. Lettre d’un Jacobin qui se propose de se démettre de son titre. Je me félicitois, il y a quelques jours, de m’être maintenu dans une société puissante et redoutée, malgré la vicissitude de ses affections, la mobilité de ses opinions, et la déroute de ses chefs. Je m’applaudissois de l’esprit de conduite qui m’avoit toujours rangé sous la protection du plus fort, et préservé de ses radiations humiliantes qui détachoient tout-à-coup un citoyen de la souveraineté que nous exercions, et ne lui présentoient plus pour perspective que la prison ou la mort. J’observois avec soin le sentiment du parti dominant pour m’y livrer sans examen ; jamais je n’avois manqué d’appuyer ses propositions et de concourir à ses arrêtés, quelque contraires qu’ils fussent aux loix et même à ma pensée : voilà, disoient, en parlant de moi, nos chefs de files, un vrai patriote ; on peut toujours compter sur lui. Aussi je ne me refusois à aucune mission ; mon zèle étoit à toute épreuve ; ami, parent, intérêt personnel, tout étoit sacrifié, lorsqu’il s’agissoit de faire exécuter un de nos réglemens. J’étois quelquefois étonné que les plus implacables ennemis des moines en eussent pris exactement l’esprit, les statuts et l’une de leur dénomination. Je remarquois que nos affections étoient concentrées dans notre association ; que tout ce qui ne lui étoit pas affilié, qui n’adoptoit pas notre costume, qui ne marchoit pas sur la ligne qu’il nous plaisoit de tracer, nous sembloit plus funeste qu’utile au monde ; et quand l’univers se seroit trouvé réduit à notre société, il n’en eût été à nos yeux que plus parfait. D’après cet isolement religieux, peu nous importoit que tout ce qui nous étoit étranger manquât de denrées, de vêtemens : pourvu que les vrais jacobins fussent dans l’abondance et dans la sécurité, tout alloit au mieux. C’étoit pour nous seuls que devoient travailler le cultivateur, le manufacturier ; et comme nous savions nous passer de toutes les superfluités du luxe, nous ne voulions pas que d’autres s’y complussent. Les députés qui siégeoient au milieu de nous étoient à nos yeux les seuls législateurs, les seuls représentans de la nation. S’ils venoient à flotter entre nous et la convention, ils ne tardoient pas à être regardés comme des traîtres qu’il falloit éconduire et diriger vers l’échafaud. Plus d’un a éprouvé les effets de notre vengeance : ce petit Camille Desmoulins n’eut pas plus tôt l’imprudence de tourner à la modération, et de vouloir montrer son esprit au lieu du nôtre, que nous oubliâmes qu’il avoit le premier sonné le tocsin contre le despotisme, et rallié les patriotes autour de lui. De quoi s’avisoit-il aussi de demander grace pour les foibles, et justice pour les riches ; il avoit choisi un beau moment pour s’appitoyer sur le sort de ces captifs qui ne s’étoient pas signalés dans nos célèbres journées ! il a vu ce qu’on gagne à parler d’humanité dans un temps où la terreur et l’insensibilité sont à l’ordre du jour. Pourquoi ce Danton, qni <sic> de sa voix tonnante calmoit nos orages ou les excitoit à son gré, voulut-il adoucir son organe, et arrêter notre marche au lieu de la devancer ? Il s’est trouvé en arrière ; séparé de sa troupe, la haine de son rival a fondu sur lui, et a terrassé sa présomption. Plus nous perdions d’associés prudens et calculateurs, plus nous nous applaudissions de notre audace ; il sembloit que nous avions allégé notre marche de bagages lourds et embarrassans : à mesure que notre chef exigeoit de sacrifices, nous étions plus déterminés à lui obéir ; jamais général d’ordre n’a trouvé plus de soumission, plus de dévouement dans ses humbles religieux : nous lui sommes restés fidèles jusqu’à sa mort. Quelle vuide affreux elle a laissé parmi nous !  Quelle calamité pour notre société ! Nous ne savons plus à qui nous rallier : pas un de ses lieutenans n’a le courage de prendre le commandement ; il leur a laissé ses plans, mais il a emportés ses ressources et son génie. Depuis qu’il n’est plus à notre tête, nous n’essuyons que des échecs, nous ne commettons que des imprudences. Ce Tallien, ce Fréron que nous avons irrités, en refusant de les entendre, comme ils se vengent de l’affront que nous leur avons fait ! Leur talens nous auroient été si nécassaires ! Les mêmes mains, qui nous offroient des fleurs, nous lancent des pierres et de la boue ; nos affiliés se refroidissent au point que nous supportons seuls tout le poids de notre correspondance ; nous faisons les lettres et les réponses ; et au lieu de nous savoir gré de notre activité, ces fils ingrats nous humilient par leurs désaveux. Pour surcroît de malheur, un décret nous sépare de tous nos membres, et ne nous laisse qu’une tête pâle et défigurée qui forme une image hideuse ; en vain cette tête s’efforce-t-elle d’articuler encore quelques sons, ils sont étouffés par la haine publique. Je vous l’avoue, autant je me glorifiois de mon titre, autant j’en rougis aujourd’hui. Comme si on avoit le projet de nous faire honte de notre existence, de nos lumières, et de la fraîcheur de notre patriotisme, on exige que nous donnions nos noms, que nous indiquions notre ancienne profession, et le temps de notre admission. La plupart d’entre nous, il ne faut pas nous le dissimuler, ne portent que des noms obscurs dans les arts, n’ont exercé que des professions qu’on appeloit viles, ne datent pour leur entrée dans la société que depuis 93 : déjà plusieurs, pour se soustraire à la censure de la malignité, ont déserté notre société, et ont déclaré qu’ils n’entendoient pas être inscrits sur une liste qui les exposeroit au mépris et au danger. Pour peu que cela continue, nous serons réduits à un si petit nombre que notre tableau remplira à peine une feuille de papier à lettre. Jugez de quelle conséquence il sera de paroître si isolés et si foibles ! Ceux qui ont provoqué l’emprisonnement d’un quart de la France, seroient exposés à être renfermés un beau jour dans le même cachot. . . . Je crois qu’il est de ma prudence de prévenir cette opprobre. Dussé-je passer pour un lâche, je vais écrire à la société qu’un emploi important me force de m’éloigner de Paris, et que je la prie de recevoir ma démission ; je veux cependant la motiver de manière à pouvoir être replacé à mon rang si des temps plus heureux pour nous revenoient, ainsi que quelques-uns de mes collègues s’efforcent de nous le persuader : car il seroit bien piquant de perdre en un jour le fruit d’une conduite adroite, et d’être rejeté comme un inconstant, après avoir donné tant de preuves de fidélité. Il est essentiel de vous observer que chez nous, ainsi que dans les anciens monastères, on fait plus de cas d’un novice ardent que d’un profès refroidi ; et que si l’on pardonne souvent les erreurs d’un adepte, on est inexorable pour les fautes d’un initié. Une réflexion me fortifie ; c’est qu’il y aura tant de coupables avec moi, qu’il faudra bien que nous trouvions grace tous ensemble, ou que la société se résolve à demeurer dans un tel état de foiblesse, que nous n’en aurons rien à craindre ni à espérer, et cela me suffira toujours pour me consoler de ne plus lui appartenir. Réponse. Je suis très-étonné de votre confiance ; je n’ai aucun titre auprès de vous pour la mériter. Vous vous reprochez vos imprudences ; il me semble que vous devriez plutôt vous repentir de vos crimes. Jamais ce peuple que vous avez si indignement trompé ne vous rendra les maux dont vous l’avez accablé. Malheureux ! quel abus vous avez fait de sa confiance ! A-t-elle été assez aveugle à votre égard ! comme il a été dupe de vos grossières impostures ! Vous lui parliez de bonheur, et vous attiriez sur sa têtes toutes les calamités ; de liberté, et vous enchaîniez jusqu’à sa pensée ; d’abondance, et vous le meniez à la famine ; de vertu, et vous le précipitiez dans toutes les injustices ; d’humanité, et vous ne l’abreuviez que de sang ! Vous avez été tout à la fois ses tyrans et ses bourreaux. Vous vous plaignez de son mépris ; ce n’est pas du mépris qu’il vous doit, c’est de l’exécration et de l’horreur. Il étoit si aimable dans sa joie, si touchant dans sa douleur ! Vous avez dénaturé toutes ses affections, tous ses sentimens : avant qu’il revienne à sa bonté première, il est juste que vous éprouviez toute l’énergie de sa haine. Ah ! si ceux qui ont quelqu’ascendant sur lui vous ressembloient, vous n’existeriez déjà plus, et un sang pur auroit été vengé ! Lettre d’une Mère de famille, dont le Mari et le Fils ont été mis en liberté. Témoin de ma douleur, soyez-le aussi de ma joie ; vous m’avez vue dans les larmes et le désespoir, venez me voir dans mon ravissement. Hélas ! j’ai eu assez de force pour supporter le malheur, en aurai-je assez pour soutenir la félicité ! Je vais, comme une insensée, de mon fils à mon mari ; je les couvre de mes baisers, je les inonde de mes larmes : objets si chers à mon cœur, qu’inventerai-je pour vous faire oublier vos longs tourmens ? Qu’aviez-vous donc fait à cette république qui nous promettoit le bonheur, pour qu’elle vous rendît si malheureux ? Jamais vous n’avez été rebelle à la loi ; ce qu’elle exigeoit de vous vous l’avez offert ; vous ne demandiez, pour prix de vos sacrifices et de votre soumission, que paix et sécurité ; on vous a traités comme des révoltés. Nuit horrible où je vous ai vu arrachés de mes bras ; où mes cris ont été étouffés ; où mes supplications, mes offres ont été rejettés ; où des hommes impitoyables me repoussè-rent avec brutalité ; où d’autres plus féroces vous entraînèrent loin de moi ! nuit affreuse, ne te présente plus à ma pensée, un jour fortuné t’a succédé. Je pardonne tout à mes ennemis ; les misérables, qu’ils m’ont fait de mal ! Ah ! qu’ils vivent heureux s’ils le peuvent avec leurs crimes et leurs remords ; je ne veux pas troubler mon bonheur par le sentiment de la vengeance. O mon époux ! ils ont voulu nous désunir, et nous n’avons jamais été séparés ; ta fidelle compagne étoit près de toi, elle te voyoit à travers les barreaux et les murs les plus épais ; elle recueilloit tes soupirs : si elle te quittoit un instant, c’étoit pour se rapprocher de ton fils, de ce fils qui dépérissoit dans la douleur. Aimable jeune homme ! je n’étois pas la seule qui formoit le vœu d’adoucir ton sort, et de ramener la sécurité sur ton front ; une autre main auroit voulu essuyer tes larmes. Tu la verras bientôt celle qui a été cacher son désespoir dans un hameau solitaire ; déjà peut-être en ce moment tient-elle la lettre qui lui annonce la liberté de celui qui a son cœur. Ah ! elle ne tardera pas à venir mêler sa joie à celle d’une famille qui est la sienne : lors-que ces nœuds seront formés, je ne vivrai plus qu’en vous, mes enfans ; je ne demanderai au ciel qu’assez de jours pour voir votre bonheur sans nuage, et être bien sûre que vous n’éprouverez jamais les peines que j’ai ressenties et comme épouse, et comme mère. Il n’est point d’ennemis au monde auxquels j’en puisse desirer de semblables. Que d’infortunées j’ai cependant rencontrées dans le cours de mes sollicitations et de mes importunités, qui reclamoient la même justice que moi ! Que je les plains si elles ne l’ont pas encore obtenue ! Dépositaires d’une autorité qui ne doit plus être que bienfaisante, honorez votre puissance : il n’en est pas un de vous qui n’ait eu une mère, qui n’en ait reçu les plus doux soins ; rappelez-vous sa tendresse ; songez aux sollicitudes, aux déchiremens qu’elle eût éprouvés si elle vous eût sentis gémissans dans une prison, placés entre la terreur et la mort ; faites pour celles qui ont le même titre, ce que vous auriez desiré qu’on eût fait pour elle ; ne repoussez pas leurs prières ; songez que si une dénonciation dictée par l’envie, en provoquant un ordre cruel, a porté la désolation dans une famille, un mot, un seul mot de votre main peut y ramener l’ivresse et les transports ; que votre nom y sera béni ; que vous y trouverez peut-être un asyle contre les vengeances ; qu’il viendra peut-être un moment où, poursuivis par l’aveugle haine, vous serez préservés par des enfans qui s’écrieront : épargnez celui-là, il a sauvé notre père, ne frappez pas notre bienfaiteur. Dans mon délire j’adresse la parole à tout ce qui environne mon imagination ; je suis si heureuse que je voudrois ne voir que des êtres satisfaits comme moi. Si mes vœux étoient exaucés, dans ce moment les prisons s’ouvriroient devant toutes les victimes de la calomnie ou d’une eurreur expiée par de longues souffrances. Toutes les épouses, toutes les mères presseroient contre leur sein leurs époux et leurs fils ; un concert de reconnoissance et d’amour se feroit entendre de toutes les parties de la république, et viendroit frapper de ses sons expressifs l’ame de nos législateurs.