XIV<hi rend="superscript">e</hi> Discours. Jacques-Vincent Delacroix Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 02.10.2018 o:mws.7115 Delacroix, Jacques-Vincent: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, pour servir de suite à son Ouvrage intitulé : Des Constitutions des Principaux États de l’Europe. Paris: chez Buisson, an 3e de la République, 126-132 Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire 1 014 1794 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Politik Politica Politics Política Politique Política Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Teatro Literatura Arte United Kingdom England England -0.70312,52.16045 France 2.0,46.0

XIVe Discours. De l’influence de la Révolution sur les Productions du génie et de l’esprit.

La révolution qui s’est opérée dans notre gouvernement en a produit une qui n’est pas moins étonnante dans notre littérature. Nos livres d’histoire, de morale, nos œuvres dramatiques semblent avoir été créés pour un autre peuple, et par des écrivains étrangers à nos mœurs, à nos pensées. L’œil d’un républicain daigne-t-il aujourd’hui s’arrêter sur l’Esprit des Loix, et parcourir un ouvrage qui donne au gouvernement monarchique la prééminence sur les autres ; qui élève à un si haut degré de sagesse la constitution d’Angleterre ? De quel prix est à nos yeux ce Télémaque si vanté, et qui n’a été inspiré que par l’intention de rendre un prince digne du trône ? La Henriade qui sembloit déjà froide à plus d’un lecteur, ne sera-t-elle pas de glace pour ceux qui ont renversé la statue du héro <sic> de ce poëme ? Les oraisons funèbres de Bossuet, de Fléchier, prononcées à la louange de ces illustres morts dont on a dispersé les cendres, paroissent-elles autre chose qu’un assemblage pompeux de vaines paroles sur des vertus imaginaires ? Ces épîtres de Boileau qui laissent trop souvent voir le courtisan sous l’austérité du censeur, ces jolis poëmes du Lutrin, de Vervet où l’imagination se joue si agréablement des vanités d’un chapitre, des scrupules d’un cloître, ne se sont-ils pas évanouis avec leurs sujets ? Que de tragédies qu’on disoit nationales, n’osent déjà plus reparoître devant nous ! Je ne parle pas de ces énormes collections en-fantées par la théologie, la jurisprudence, tout cela est tombé dans le néant, et il est à desirer qu’il n’en sorte plus. Mais j’avoue que je ne verrois pas sans regret les fruits du génie, les œuvres du goût, les productions de la sagesse subir le même sort. Je voudrois qu’on les contemplât au moins du même œil dont un antiquaire observe les fragmens précieux échappés à la destruction d’une ancienne cité ; qu’on ne fût pas à leur égard plus sévère qu’on ne l’étoit, sous le gouvernement monarchique, envers les ouvrages de Démosthène, de Cicero ; que par la raison qu’on admiroit sous le règne de nos rois les belles scènes où Corneille sembloit rendre à la vie les Horaces, Pompée, Sertorius ; celles où Voltaire fait apparoître la grande ame de Brutus, nous ne montrassions pas une insensibilité farouche pour d’autres qui ont l’empreinte de la royauté ; que l’aversion que l’on porte à nos anciens monarques ne s’étendît pas sur tout ce qui a brillé sous leur empire ; qu’on sût toujours gré à un écrivain moraliste ou politique de ses généreux efforts et de son zèle ; qu’on ne perdît pas de vue le temps où il tenoit la plume, les entraves où son génie étoit resserré ; qu’on lui pardonnât même ces légères adulations qui servoient de passe-ports à la vérité. Croit-on que si les Romains fussent revenus à la liberté, ils eussent dédaigné les poëmes de Virgile, les épîtres d’Horace, parce qu’Auguste avoit reçu de ces poëtes des éloges exagérés ? que Pline et Sénèque eussent été livrés au mépris pour avoir cherché à adoucir une autorité trop puissante ?

Les Grecs laissèrent-ils tomber dans l’oubli les ouvrages d’Aristote parce qu’il en avoit composé une partie à la cour de Philippe, et dirigé la jeunesse de ce conquérant devant lequel la liberté disparut ? Admirons tout ce qui est beau, estimons tout ce qui est honnête, et ne nous croyons pas supérieurs à ceux qui n’auroient été que téméraires s’ils eussent été plus hardis. Rappellons-nous que Fénélon, que Racine ont été disgraciés pour avoir fait entendre la voix du peuple à un maître qui ne voyoit rien au dessus de sa volonté, et croyoit, dans son orgueil, que c’étoit assez pour le bonheur des hommes que d’obéir à ses loix et d’exister sous son empire. Fallut-il moins que le génie de Montesquieu, soutenu d’une place éminente, pour tenir tête à ses ennemis et faire triompher son ouvrage de leur fureur ? A combien de ruses Voltaire ne fut-il pas forcé de recourir pour échapper aux persécutions des ministres et des magistrats ! un monarque étranger lui fit un rempart de son trône. Mably n’osa pas publier de son vivant ses meilleurs ouvrages, ce furent ses enfans posthumes qui firent sortir de son tombeau l’ombre glorieuse de leur père. Raynal n’a-t-il pas traîné ses vieux jours dans l’exil ? D’Alembert n’échappa à la censure que par la politique la plus adroite ; l’amitié préserva Helvétius de la ruine et du déshonneur ; Diderot ne sauva sa tête qu’en voilant de l’anonyme ses pensées audacieuses ; l’auteur d’Emile, poursuivi par le délire des prêtres et le fanatisme des parlemens, s’exila pour se soustraire à leurs atteintes et ne les désarma qu’en se condamnant au silence et à l’obscurité. Ecrivains, orateurs modernes qui avez pris depuis peu d’années un vol si hardi, ne parlez plus avec dédain de ceux qui planoient dans les hautes régions de la pensée, lorsque vous rampiez sous le despotisme et cherchiez obscurément votre pâture à ses pieds.

Si nous nous croyons arrivés au terme de la raison et des vertus humaines, devons-nous pour cela éteindre et rejetter tous les flambeaux qui ont éclairé notre route et nous ont montré les précipices qui nous environnoient ? Mais s’il nous reste encore bien du chemin à faire avant d’atteindre au but que nous nous proposons de toucher, c’est une raison de plus pour ne pas nous priver d’une clarté qui ne nous sera peut-être que trop nécessaire.

L’instruction se compose de la connoissance des erreurs et des vérités ; on s’attache plus fortement à celle-ci lorsqu’on a réfléchi sur les autres. Si nous parvenons un jour à nous fixer à un bon gouvernement, à celui qui sera le mieux adapté à nos mœurs, à la mobilité de notre caractère, quel inconvénient y aura-t-il à considérer ceux que l’imagination avoit embellis de ses prestiges ? Songeons que nous sommes presque toujours plus heureux par les illusions que par les réalités ; que si nous enlevions de notre littérature ce que le goût, les graces et l’esprit ont enfanté pour le charme de nos jours, ce seroit arracher les fleurs du sentier de la vie, et nous exposer à n’être jamais recréés par les oppositions et l’éclat de leurs couleurs.

XIVe Discours. 1794 XIVe Discours. De l’influence de la Révolution sur les Productions du génie et de l’esprit. La révolution qui s’est opérée dans notre gouvernement en a produit une qui n’est pas moins étonnante dans notre littérature. Nos livres d’histoire, de morale, nos œuvres dramatiques semblent avoir été créés pour un autre peuple, et par des écrivains étrangers à nos mœurs, à nos pensées. L’œil d’un républicain daigne-t-il aujourd’hui s’arrêter sur l’Esprit des Loix, et parcourir un ouvrage qui donne au gouvernement monarchique la prééminence sur les autres ; qui élève à un si haut degré de sagesse la constitution d’Angleterre ? De quel prix est à nos yeux ce Télémaque si vanté, et qui n’a été inspiré que par l’intention de rendre un prince digne du trône ? La Henriade qui sembloit déjà froide à plus d’un lecteur, ne sera-t-elle pas de glace pour ceux qui ont renversé la statue du héro <sic> de ce poëme ? Les oraisons funèbres de Bossuet, de Fléchier, prononcées à la louange de ces illustres morts dont on a dispersé les cendres, paroissent-elles autre chose qu’un assemblage pompeux de vaines paroles sur des vertus imaginaires ? Ces épîtres de Boileau qui laissent trop souvent voir le courtisan sous l’austérité du censeur, ces jolis poëmes du Lutrin, de Vervet où l’imagination se joue si agréablement des vanités d’un chapitre, des scrupules d’un cloître, ne se sont-ils pas évanouis avec leurs sujets ? Que de tragédies qu’on disoit nationales, n’osent déjà plus reparoître devant nous ! Je ne parle pas de ces énormes collections en-fantées par la théologie, la jurisprudence, tout cela est tombé dans le néant, et il est à desirer qu’il n’en sorte plus. Mais j’avoue que je ne verrois pas sans regret les fruits du génie, les œuvres du goût, les productions de la sagesse subir le même sort. Je voudrois qu’on les contemplât au moins du même œil dont un antiquaire observe les fragmens précieux échappés à la destruction d’une ancienne cité ; qu’on ne fût pas à leur égard plus sévère qu’on ne l’étoit, sous le gouvernement monarchique, envers les ouvrages de Démosthène, de Cicero ; que par la raison qu’on admiroit sous le règne de nos rois les belles scènes où Corneille sembloit rendre à la vie les Horaces, Pompée, Sertorius ; celles où Voltaire fait apparoître la grande ame de Brutus, nous ne montrassions pas une insensibilité farouche pour d’autres qui ont l’empreinte de la royauté ; que l’aversion que l’on porte à nos anciens monarques ne s’étendît pas sur tout ce qui a brillé sous leur empire ; qu’on sût toujours gré à un écrivain moraliste ou politique de ses généreux efforts et de son zèle ; qu’on ne perdît pas de vue le temps où il tenoit la plume, les entraves où son génie étoit resserré ; qu’on lui pardonnât même ces légères adulations qui servoient de passe-ports à la vérité. Croit-on que si les Romains fussent revenus à la liberté, ils eussent dédaigné les poëmes de Virgile, les épîtres d’Horace, parce qu’Auguste avoit reçu de ces poëtes des éloges exagérés ? que Pline et Sénèque eussent été livrés au mépris pour avoir cherché à adoucir une autorité trop puissante ? Les Grecs laissèrent-ils tomber dans l’oubli les ouvrages d’Aristote parce qu’il en avoit composé une partie à la cour de Philippe, et dirigé la jeunesse de ce conquérant devant lequel la liberté disparut ? Admirons tout ce qui est beau, estimons tout ce qui est honnête, et ne nous croyons pas supérieurs à ceux qui n’auroient été que téméraires s’ils eussent été plus hardis. Rappellons-nous que Fénélon, que Racine ont été disgraciés pour avoir fait entendre la voix du peuple à un maître qui ne voyoit rien au dessus de sa volonté, et croyoit, dans son orgueil, que c’étoit assez pour le bonheur des hommes que d’obéir à ses loix et d’exister sous son empire. Fallut-il moins que le génie de Montesquieu, soutenu d’une place éminente, pour tenir tête à ses ennemis et faire triompher son ouvrage de leur fureur ? A combien de ruses Voltaire ne fut-il pas forcé de recourir pour échapper aux persécutions des ministres et des magistrats ! un monarque étranger lui fit un rempart de son trône. Mably n’osa pas publier de son vivant ses meilleurs ouvrages, ce furent ses enfans posthumes qui firent sortir de son tombeau l’ombre glorieuse de leur père. Raynal n’a-t-il pas traîné ses vieux jours dans l’exil ? D’Alembert n’échappa à la censure que par la politique la plus adroite ; l’amitié préserva Helvétius de la ruine et du déshonneur ; Diderot ne sauva sa tête qu’en voilant de l’anonyme ses pensées audacieuses ; l’auteur d’Emile, poursuivi par le délire des prêtres et le fanatisme des parlemens, s’exila pour se soustraire à leurs atteintes et ne les désarma qu’en se condamnant au silence et à l’obscurité. Ecrivains, orateurs modernes qui avez pris depuis peu d’années un vol si hardi, ne parlez plus avec dédain de ceux qui planoient dans les hautes régions de la pensée, lorsque vous rampiez sous le despotisme et cherchiez obscurément votre pâture à ses pieds. Si nous nous croyons arrivés au terme de la raison et des vertus humaines, devons-nous pour cela éteindre et rejetter tous les flambeaux qui ont éclairé notre route et nous ont montré les précipices qui nous environnoient ? Mais s’il nous reste encore bien du chemin à faire avant d’atteindre au but que nous nous proposons de toucher, c’est une raison de plus pour ne pas nous priver d’une clarté qui ne nous sera peut-être que trop nécessaire. L’instruction se compose de la connoissance des erreurs et des vérités ; on s’attache plus fortement à celle-ci lorsqu’on a réfléchi sur les autres. Si nous parvenons un jour à nous fixer à un bon gouvernement, à celui qui sera le mieux adapté à nos mœurs, à la mobilité de notre caractère, quel inconvénient y aura-t-il à considérer ceux que l’imagination avoit embellis de ses prestiges ? Songeons que nous sommes presque toujours plus heureux par les illusions que par les réalités ; que si nous enlevions de notre littérature ce que le goût, les graces et l’esprit ont enfanté pour le charme de nos jours, ce seroit arracher les fleurs du sentier de la vie, et nous exposer à n’être jamais recréés par les oppositions et l’éclat de leurs couleurs.