II<hi rend="superscript">e</hi> Discours. Jacques-Vincent Delacroix Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 25.09.2018 o:mws.7103 Delacroix, Jacques-Vincent: Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire, pour servir de suite à son Ouvrage intitulé : Des Constitutions des Principaux États de l’Europe. Paris: chez Buisson, an 3e de la République, 10-19 Le Spectateur françois pendant le gouvernement révolutionnaire 1 002 1794 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Recht Diritto Law Derecho Droit Direito Frankreich Francia France Francia France França Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme Imagem feminina France 2.0,46.0

IIe Discours. Entretien avec une fausse Patriote.

Il y a déjà long-temps que je me défiois de plusieurs de nos héroïnes en patriotisme. Je m’étonnois que tant de femmes, qui avoient montré un dédain si prolongé pour la médiocrité ; qui se complaisoient dans les hommages qu’elles recevoient journellement, se fussent tout à-coup familiarisées avec les dehors les plus modestes, eussent pris un intérêt si vif pour l’indigent, et ne voulussent plus voir que des égaux dans ceux qu’elles avoient traités avec une sévérité si fière.

Un entretien que j’ai eu il y a quelques jours avec une de ces républicaines m’a confirmé dans mon opinion. Je la rencontrai par hasard sur une terrasse qu’elle suivoit d’un pas précipité. Sa figure, autrefois noble et riante, étoit sombre et pensive : permettez-moi, lui dis-je, belle citoyenne, de suspendre un moment votre marche rapide pour vous demander si vous courez après une nouvelle révolution. Je voudrois, me répondit elle, me garantir de celle où nous sommes, je n’en chercherois pas une autre. – Cet aveu, lui repliquai-je, n’est pas trop patriotique, et il faut que vous ayez bien de la confiance en ma discrétion pour me révéler ainsi le fond de votre pensée ; heureusement je me ressouviens de ce que vous avez fait pour la république, et je vous pardonne vos paroles en faveur de vos actions. – Si cela est, je ne mérite pas votre indulgence, car je pense ce que je dis, et je désavoue ce que j’ai fait. – Eh ! qu’est donc devenu ce cœur si ferme dans les orages, si audacieux dans les dangers ? Je ne reconnois plus cette brave républicaine qui ne voyoit de bien suprême que dans l’égalité ; qui plaçoit sa gloire dans celle de sa patrie ; qui ne vouloit plus entendre parler d’autres conquêtes que de celles du courage. Que faut il de plus à votre bonheur que le désespoir de nos ennemis, que la constance de nos guerriers, que la dispersion des hordes de rebelles, que le supplice des intrigans ? – Vous me faites beaucoup trop d’honneur si vous croyez que je trouve dans tous ces événemens le dédommagement de ce que j’ai perdu. Lorsque j’ai paru desirer l’égalité, je voulois seulement qu’il n’y eût personne au dessus de moi ; j’avois l’ambition de César. J’étois indignée qu’une longue file d’aïeux donnât à une femme des privilèges que je n’avois pas ; qu’il y eût des cercles où je dusse me placer au dessous d’une douairière titrée ; d’autres où je ne fusse pas même admise, parce que je n’étois pas du nombre de celles qu’on nommoit des femmes présentées, quoique plusieurs d’entr’elles ne fussent pas, à beaucoup près, aussi présentables que moi.

J’imaginai qu’en plaidant de toutes mes forces la cause des modestes citadines, elles me céderoient un jour par reconnoissance ce que je croyois mériter par une supériorité évidente, et que tôt ou tard l’opulence et quelques agrémens me feroient justice de toutes celles que je consentois à rapprocher de moi pour un instant. J’ai été bien trompée dans mon attente ; toutes les grandes dames qui me dominoient autrefois sont effacées, mais tant de femmes dont je me croyois séparée par une distance immense m’ont enveloppée si rapidement, et m’oppressent tellement de leur égalité que je ne sais plus où me mettre : il semble qu’il n’y ait plus de place pour moi dans ce monde. S’il m’étoit permis de me servir d’une comparaison qui n’est pas très-noble, je dirois que je ressemble à une chandelle qui auroit été jalouse de l’éclat de quelques bougies, et qui se trouve éclipsée par une multitude de lampions à qui elle a eu l’imprudence de communiquer sa lumière.

Noblesse à part, m’écriai-je en riant, votre comparaison me paroît aussi juste que plaisante. Avouez du moins que vous avez la ressource de jouir du coup-d’œil. Vous ne voyez donc pas, reprit-elle avec vivacité, que ces lampions mettent le feu à ma maison, et qu’il ne me restera bientôt plus que des cendres ? – Permettez-moi de vous observer que dans une belle cité une maison de plus ou de moins n’est pas une affaire, et qu’il faut savoir la sacrifier lorsqu’il en doit résulter plus d’ensemble, plus de régularité dans les édifices. – Eh ! que m’importe cette régularité, si je suis condamnée à la contempler d’un grenier qui sera ma chambre ? – Je découvre avec peine que vous ne voulez plus voir que vous dans la révolution. Ah ! que vous êtes loin à mes yeux de ces anciennes républicaines qui comptoient leurs époux, leurs enfans, leur fortune pour rien devant la patrie ; qui n’étoient humiliées que de ses revers, et se croyoient toujours assez riches, toujours assez honorées avec la liberté ! A ces mots la triste citoyenne jetta sur moi un regard inquiet. Vous me faites repentir, me dit-elle, de vous avoir parlé avec sincérité ; je n’ai plus qu’un malheur à essuyer, c’est celui d’être dénoncée par un homme que j’ai cru digne de ma franchise.

Rassurez-vous, lui répondis-je ; comme vous ne m’avez révélé que vos regrets qui ne peuvent nuire à la république, je les conserverai au fond de mon cœur, et je me contenterai de faire des vœux pour vous voir revenir à des sentimens moins personnels. Je ne vous présenterai plus, en vous quittant, qu’une réflexion : « une femme n’est jamais plus vertueuse que lorsqu’elle place toutes ses affections dans la multitude, et qu’elle ne permet pas qu’on s’occupe de son bonheur particulier. »

Lettre d’un Financier.

Quelle est donc cette puissance qui vient de nous entraîner dans un séjour de tristesse et de privations ? Quoi ! mon père et moi nous aurions travaillé toute notre vie à grossir une masse d’opulence qui sembloit devoir résister à tous les goûts, à tous les caprices, pour la voir se fondre en un instant, et aller se perdre dans un trésor national ! Ma terre, cette terre que j’avois agrandie sur les ruines de tant de chaumières ne seroit plus à moi ! Ma maison que j’aurois voulu appeller un hôtel, et qui les surpassoit en magnificence ne seroit plus ma demeure ! Mes rentes qui se grossissoient d’année malgré celles que je faisois à tant d’objets de mes plaisirs s’évanouiroient à mes yeux ! Il seroit possible que je sortisse de ma prison plus pauvre qu’un commis sans emploi ! En vérité, mon esprit se refuse à admettre un pareil avenir, quoique la plupart de mes collègues paroissent s’en désoler d’avance.

J’avois déjà passé par de rudes épreuves, mais je ne m’attendois pas à une semblable catastrophe. Ma section ne s’étoit-elle pas amusée à me faire monter la garde à l’une de ces barrières qui étoient pour moi une source de richesses. Que de voitures j’ai vu passer sans s’arrêter, et insulter, par leur marche continue, à la justice impuissante !

Aujourd’hui je ne monte plus de gardes, je suis gardé moi-même ; il semble que j’aie été transformé en un coffre-fort qu’on vuide, et auquel on ne laissera plus qu’une inutile serrure.

Les feuilles qu’on nous permet de lire ne nous apprennent rien qui nous donne la moindre espérance ; cette convention qui nous tient dans les chaînes acquiert tous les jours de nouvelles forces ; elle terrasse tous ses ennemis ; elle frappe et les faux patriotes, et ceux qui, comme nous, ont tant de raisons pour regretter l’ancien ordre de choses. Les rois dans lesquels nous avions placé notre espoir nous abandonnent à notre triste sort. Ah ! s’ils étoient venus à notre secours, comme nous aurions payé leur généreuse assistance ! Deux ans de notre ancien travail les auroient amplement défrayés de leurs avances : le peuple eût recommencé à gémir ; mais puisque sa joie tue la nôtre, ne vaut-il pas mieux qu’il pleure ?

On croit pouvoir se passer de nous ; voyez comme les choses vont depuis que notre milice est dispersée. On prétendoit que nos secours étoient trop chers ; calcule-t-on avec le médecin qui nous fait vivre ? Tous ces malheureux spéculateurs qui ne spéculoient que sur notre misère, qu’ont-ils gagné à la porter à son comble ? Notre opulence étoit, dit-on, honteuse ; dès que nous avions le courage d’en supporter la honte, pourquoi ne pas nous la laisser ? Nos grands faiseurs ont adressé pétitions sur pétitions à la convention ; il n’y en a pas une dont j’aie approuvé la forme et le fond. J’aurois voulu dire tout simplement : vous avez décrété la liberté, et vous nous ôtez la nôtre : vous avez imprimé le mépris sur les richesses excessives ; mais si vous nous réduisez à l’indigence, nous cesserons d’être méprisables. Si vous voulez pénétrer dans nos recettes, entrez donc dans nos dépenses. Quelle idée l’étranger auroit-il eue de l’Etat que nous faisions valoir, s’il nous eût vus sous l’extérieur de la pauvreté ? N’étoit-il pas de notre devoir de faire honneur à la France, et de relever son crédit par un grand luxe ? Plusieurs d’entre nous se sont ruinés d’après cet esprit patriotique que vous louez tant. Loin donc de leur enlever ce qui leur reste, peut-être seroit-il de votre générosité de leur restituer ce qu’ils ont donné à la représentation nationale ? Enfin, si la république ne veut plus de nos services, qu’elle ne nous ravisse pas le prix de ceux que nous avons rendus à la monarchie.

J’avois tracé un long mémoire sur ce canevas d’idées justes, on l’a dédaigné ; mes collègues verront à quoi les conduiront leurs froids calculs. Je serai toujours satisfait qu’on sache un jour que je n’étois pas de leur avis, et que ce n’est pas ma faute si nous n’avons pas obtenu la justice que nous avions droit d’attendre (I(I) Lorsque j’ai reçu cette lettre, son auteur étoit encore dans la ferme persuasion que ce qui pouvoit lui arriver de plus affreux, ainsi qu’à ses collègues, c’étoit de perdre ses richesses, et j’avoue que je n’avois pas une opinion différente ; il me sembloit que le malheur du peuple n’exigeoit pas une justice plus sévère. Je suis convaincu que devant tout autre tribunal que celui qui avoit pour accusateur public un tigre altéré de sang, et pour chef un monstre étranger à l’espèce humaine, ces accusés n’eussent été condamnés qu’à une ample restitution, et que la capitale n’auroit pas été émue d’un spectacle horrible, celui de la destruction de plusieurs pères de famille, qui n’avoient à se reprocher que trop d’insouciance sur les sources de leurs revenus, et réparoient souvent, par des vertus privées, les délits publics qui se commettoient en leur nom, et à leur insu.).

IIe Discours. Entretien avec une fausse Patriote. Il y a déjà long-temps que je me défiois de plusieurs de nos héroïnes en patriotisme. Je m’étonnois que tant de femmes, qui avoient montré un dédain si prolongé pour la médiocrité ; qui se complaisoient dans les hommages qu’elles recevoient journellement, se fussent tout à-coup familiarisées avec les dehors les plus modestes, eussent pris un intérêt si vif pour l’indigent, et ne voulussent plus voir que des égaux dans ceux qu’elles avoient traités avec une sévérité si fière. Un entretien que j’ai eu il y a quelques jours avec une de ces républicaines m’a confirmé dans mon opinion. Je la rencontrai par hasard sur une terrasse qu’elle suivoit d’un pas précipité. Sa figure, autrefois noble et riante, étoit sombre et pensive : permettez-moi, lui dis-je, belle citoyenne, de suspendre un moment votre marche rapide pour vous demander si vous courez après une nouvelle révolution. Je voudrois, me répondit elle, me garantir de celle où nous sommes, je n’en chercherois pas une autre. – Cet aveu, lui repliquai-je, n’est pas trop patriotique, et il faut que vous ayez bien de la confiance en ma discrétion pour me révéler ainsi le fond de votre pensée ; heureusement je me ressouviens de ce que vous avez fait pour la république, et je vous pardonne vos paroles en faveur de vos actions. – Si cela est, je ne mérite pas votre indulgence, car je pense ce que je dis, et je désavoue ce que j’ai fait. – Eh ! qu’est donc devenu ce cœur si ferme dans les orages, si audacieux dans les dangers ? Je ne reconnois plus cette brave républicaine qui ne voyoit de bien suprême que dans l’égalité ; qui plaçoit sa gloire dans celle de sa patrie ; qui ne vouloit plus entendre parler d’autres conquêtes que de celles du courage. Que faut il de plus à votre bonheur que le désespoir de nos ennemis, que la constance de nos guerriers, que la dispersion des hordes de rebelles, que le supplice des intrigans ? – Vous me faites beaucoup trop d’honneur si vous croyez que je trouve dans tous ces événemens le dédommagement de ce que j’ai perdu. Lorsque j’ai paru desirer l’égalité, je voulois seulement qu’il n’y eût personne au dessus de moi ; j’avois l’ambition de César. J’étois indignée qu’une longue file d’aïeux donnât à une femme des privilèges que je n’avois pas ; qu’il y eût des cercles où je dusse me placer au dessous d’une douairière titrée ; d’autres où je ne fusse pas même admise, parce que je n’étois pas du nombre de celles qu’on nommoit des femmes présentées, quoique plusieurs d’entr’elles ne fussent pas, à beaucoup près, aussi présentables que moi. J’imaginai qu’en plaidant de toutes mes forces la cause des modestes citadines, elles me céderoient un jour par reconnoissance ce que je croyois mériter par une supériorité évidente, et que tôt ou tard l’opulence et quelques agrémens me feroient justice de toutes celles que je consentois à rapprocher de moi pour un instant. J’ai été bien trompée dans mon attente ; toutes les grandes dames qui me dominoient autrefois sont effacées, mais tant de femmes dont je me croyois séparée par une distance immense m’ont enveloppée si rapidement, et m’oppressent tellement de leur égalité que je ne sais plus où me mettre : il semble qu’il n’y ait plus de place pour moi dans ce monde. S’il m’étoit permis de me servir d’une comparaison qui n’est pas très-noble, je dirois que je ressemble à une chandelle qui auroit été jalouse de l’éclat de quelques bougies, et qui se trouve éclipsée par une multitude de lampions à qui elle a eu l’imprudence de communiquer sa lumière. Noblesse à part, m’écriai-je en riant, votre comparaison me paroît aussi juste que plaisante. Avouez du moins que vous avez la ressource de jouir du coup-d’œil. Vous ne voyez donc pas, reprit-elle avec vivacité, que ces lampions mettent le feu à ma maison, et qu’il ne me restera bientôt plus que des cendres ? – Permettez-moi de vous observer que dans une belle cité une maison de plus ou de moins n’est pas une affaire, et qu’il faut savoir la sacrifier lorsqu’il en doit résulter plus d’ensemble, plus de régularité dans les édifices. – Eh ! que m’importe cette régularité, si je suis condamnée à la contempler d’un grenier qui sera ma chambre ? – Je découvre avec peine que vous ne voulez plus voir que vous dans la révolution. Ah ! que vous êtes loin à mes yeux de ces anciennes républicaines qui comptoient leurs époux, leurs enfans, leur fortune pour rien devant la patrie ; qui n’étoient humiliées que de ses revers, et se croyoient toujours assez riches, toujours assez honorées avec la liberté ! A ces mots la triste citoyenne jetta sur moi un regard inquiet. Vous me faites repentir, me dit-elle, de vous avoir parlé avec sincérité ; je n’ai plus qu’un malheur à essuyer, c’est celui d’être dénoncée par un homme que j’ai cru digne de ma franchise. Rassurez-vous, lui répondis-je ; comme vous ne m’avez révélé que vos regrets qui ne peuvent nuire à la république, je les conserverai au fond de mon cœur, et je me contenterai de faire des vœux pour vous voir revenir à des sentimens moins personnels. Je ne vous présenterai plus, en vous quittant, qu’une réflexion : « une femme n’est jamais plus vertueuse que lorsqu’elle place toutes ses affections dans la multitude, et qu’elle ne permet pas qu’on s’occupe de son bonheur particulier. » Lettre d’un Financier. Quelle est donc cette puissance qui vient de nous entraîner dans un séjour de tristesse et de privations ? Quoi ! mon père et moi nous aurions travaillé toute notre vie à grossir une masse d’opulence qui sembloit devoir résister à tous les goûts, à tous les caprices, pour la voir se fondre en un instant, et aller se perdre dans un trésor national ! Ma terre, cette terre que j’avois agrandie sur les ruines de tant de chaumières ne seroit plus à moi ! Ma maison que j’aurois voulu appeller un hôtel, et qui les surpassoit en magnificence ne seroit plus ma demeure ! Mes rentes qui se grossissoient d’année malgré celles que je faisois à tant d’objets de mes plaisirs s’évanouiroient à mes yeux ! Il seroit possible que je sortisse de ma prison plus pauvre qu’un commis sans emploi ! En vérité, mon esprit se refuse à admettre un pareil avenir, quoique la plupart de mes collègues paroissent s’en désoler d’avance. J’avois déjà passé par de rudes épreuves, mais je ne m’attendois pas à une semblable catastrophe. Ma section ne s’étoit-elle pas amusée à me faire monter la garde à l’une de ces barrières qui étoient pour moi une source de richesses. Que de voitures j’ai vu passer sans s’arrêter, et insulter, par leur marche continue, à la justice impuissante ! Aujourd’hui je ne monte plus de gardes, je suis gardé moi-même ; il semble que j’aie été transformé en un coffre-fort qu’on vuide, et auquel on ne laissera plus qu’une inutile serrure. Les feuilles qu’on nous permet de lire ne nous apprennent rien qui nous donne la moindre espérance ; cette convention qui nous tient dans les chaînes acquiert tous les jours de nouvelles forces ; elle terrasse tous ses ennemis ; elle frappe et les faux patriotes, et ceux qui, comme nous, ont tant de raisons pour regretter l’ancien ordre de choses. Les rois dans lesquels nous avions placé notre espoir nous abandonnent à notre triste sort. Ah ! s’ils étoient venus à notre secours, comme nous aurions payé leur généreuse assistance ! Deux ans de notre ancien travail les auroient amplement défrayés de leurs avances : le peuple eût recommencé à gémir ; mais puisque sa joie tue la nôtre, ne vaut-il pas mieux qu’il pleure ? On croit pouvoir se passer de nous ; voyez comme les choses vont depuis que notre milice est dispersée. On prétendoit que nos secours étoient trop chers ; calcule-t-on avec le médecin qui nous fait vivre ? Tous ces malheureux spéculateurs qui ne spéculoient que sur notre misère, qu’ont-ils gagné à la porter à son comble ? Notre opulence étoit, dit-on, honteuse ; dès que nous avions le courage d’en supporter la honte, pourquoi ne pas nous la laisser ? Nos grands faiseurs ont adressé pétitions sur pétitions à la convention ; il n’y en a pas une dont j’aie approuvé la forme et le fond. J’aurois voulu dire tout simplement : vous avez décrété la liberté, et vous nous ôtez la nôtre : vous avez imprimé le mépris sur les richesses excessives ; mais si vous nous réduisez à l’indigence, nous cesserons d’être méprisables. Si vous voulez pénétrer dans nos recettes, entrez donc dans nos dépenses. Quelle idée l’étranger auroit-il eue de l’Etat que nous faisions valoir, s’il nous eût vus sous l’extérieur de la pauvreté ? N’étoit-il pas de notre devoir de faire honneur à la France, et de relever son crédit par un grand luxe ? Plusieurs d’entre nous se sont ruinés d’après cet esprit patriotique que vous louez tant. Loin donc de leur enlever ce qui leur reste, peut-être seroit-il de votre générosité de leur restituer ce qu’ils ont donné à la représentation nationale ? Enfin, si la république ne veut plus de nos services, qu’elle ne nous ravisse pas le prix de ceux que nous avons rendus à la monarchie. J’avois tracé un long mémoire sur ce canevas d’idées justes, on l’a dédaigné ; mes collègues verront à quoi les conduiront leurs froids calculs. Je serai toujours satisfait qu’on sache un jour que je n’étois pas de leur avis, et que ce n’est pas ma faute si nous n’avons pas obtenu la justice que nous avions droit d’attendre (I(I) Lorsque j’ai reçu cette lettre, son auteur étoit encore dans la ferme persuasion que ce qui pouvoit lui arriver de plus affreux, ainsi qu’à ses collègues, c’étoit de perdre ses richesses, et j’avoue que je n’avois pas une opinion différente ; il me sembloit que le malheur du peuple n’exigeoit pas une justice plus sévère. Je suis convaincu que devant tout autre tribunal que celui qui avoit pour accusateur public un tigre altéré de sang, et pour chef un monstre étranger à l’espèce humaine, ces accusés n’eussent été condamnés qu’à une ample restitution, et que la capitale n’auroit pas été émue d’un spectacle horrible, celui de la destruction de plusieurs pères de famille, qui n’avoient à se reprocher que trop d’insouciance sur les sources de leurs revenus, et réparoient souvent, par des vertus privées, les délits publics qui se commettoient en leur nom, et à leur insu.).