Chapitre XIII. Jean-François de Bastide Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Michaela Fischer Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Sabine Sperr Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 03.07.2018 o:mws.6960 Bastide, Jean-François de: Le Monde publié par M. de Bastide. Tome Troisieme. Amsterdam et Paris: Bauche, Duchesne et Cellot 1761, 287-291 Le Monde 3 013 1760-1761 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Autopoetische Reflexion Riflessione Autopoetica Autopoetical Reflection Reflexión Autopoética Réflexion autopoétique France 2.0,46.0

Chapitre XIII. Lettre à l’Abeille.

Madame,

Quoique vous ayez commencé par me gronder lorsque j’ai eu l’honneur de vous écrire, j’ose vous écrire encore, & vous êtes obligée de me lire un peu patiemment. Vous faites déjà des mécontens, Madame ; on m’a dit, pourquoi ce mystere ? gardez vos énigmes pour les gens sans goût & sans vivacité ; nommez-nous-la, ou nous ne la lirons plus, cela fatigue l’imagination. Hélas ! on m’accuse, & je me plains de vous ; on veut sçavoir ce que je ne sçais pas, on envie le bonheur qu’on me suppose ; & pendant que la jalousie s’exerce à me déspesperer, je vous reproche vos rigueurs qui me sont encore plus sensibles que la tyran-nie des envieux : de grace, Madame, faites cesser mes dangers & ma peine : des esprits fougueux ne veulent plus vous lire si vous ne vous nommez ; voulez-vous me faire plus de mal après m’avoir enrichi, qu’un ennemi ne pourroit m’en faire en m’enlevant mes richesses ! Perdre un bien qu’on aime n’est pas un si grand mal, que de le posseder sans en pouvoir offrir l’Auteur à l’admiration qui l’appelle. Mais, que dis-je, posseder ? ah ! je ne possede plus rien ; j’ai vainement attendu de vos nouvelles depuis quinze jours, vous ne paroissez pas disposée à continuer votre vol aimable dans mon parterre. De quoi me plaignois-je tout-à-l’heure ? hélas ! je déraisonne, je gémis d’un mal qui n’existe pas, je crains pour vous des outrages quand vous êtes disparue, & pour moi des pertes quand je ne possede plus rien : ce délire prouve que je souffre beaucoup. J’avois, malgré moi, conçu des espé-rances ; une illusion charmante avoit triomphé de ma prudence ordinaire. Vous m’aviez pourtant menacé ; mais se souvient-on des menaces au milieu des bienfaits ? s’il est des cœurs qui sçavent craindre & se défier au moment qu’ils jouissent, le mien ne sçait que jouir. Condamnez-le, Madame, exercez votre raison sur les suites que peut avoir sa foiblesse, vous avez beau jeu ; mais daignez croire qu’il seroit plus digne de vous de m’enrichir encore que de m’éclairer. Pour vous y engager, je vous ferai part d’une présomption qui commence à courir, & dont votre gloire souffre. Lorsque quelqu’un demande qui est l’Abeille ? on répond, vous ne le devinez pas ? vous ne la reconnoissez point ? non, dit-on, comment distinguer une Abeille en France il y en a tant de spirituelles : Bon, poursuit-on, cette Abeille est étrangere, ou du moins a voulu le paroître : Oui, répond une autre personne, je lui trouve de la ressemblance avec certaine Insulaire qui m’a plû beaucoup.

Je suis souvent présent à ces beaux discours, & je ne les écoute point sans humeur. Je vous défends & je m’emporte ; je prétends, j’assure & je confirme que vous êtes une Abeille toute nouvelle, que c’est pour la premiere fois que vous faites part aux mortels du suc des fleurs qui ont amusé vos desirs ; mais on ne me croit pas, on se répand en propos de toute espece : vous sçavez comme le Public souvent ingrant raisonne sur les inconnus les plus aimables ! Enfin, Madame, détruisez la calomnie, faites voir qui vous êtes ; & après nous avoir charmé comme aimable, enchantez-nous comme nouvelle : sur-tout continuez à nous donner les lettres de Madame de Sancerre : quelle femme que cette Madame de Sancerre ! il n’y a que vous que je puisse me figurer aussi spirituelle & aussi intéressante : Le Public pense comme moi à cet égard, j’ai vu ses transports, & je garantirois bien qu’en lisant ceci, il vous adresse tout bas des vœux aussi ardens que les miens.

J’ai l’honneur d’être, Madame, avec des sentimens formés d’inquietude, de plaisir, d’impatience & d’admiration :

Votre très-humble & très-obéissant serviteur, de Bastide.

Chapitre XIII. Lettre à l’Abeille. Madame, Quoique vous ayez commencé par me gronder lorsque j’ai eu l’honneur de vous écrire, j’ose vous écrire encore, & vous êtes obligée de me lire un peu patiemment. Vous faites déjà des mécontens, Madame ; on m’a dit, pourquoi ce mystere ? gardez vos énigmes pour les gens sans goût & sans vivacité ; nommez-nous-la, ou nous ne la lirons plus, cela fatigue l’imagination. Hélas ! on m’accuse, & je me plains de vous ; on veut sçavoir ce que je ne sçais pas, on envie le bonheur qu’on me suppose ; & pendant que la jalousie s’exerce à me déspesperer, je vous reproche vos rigueurs qui me sont encore plus sensibles que la tyran-nie des envieux : de grace, Madame, faites cesser mes dangers & ma peine : des esprits fougueux ne veulent plus vous lire si vous ne vous nommez ; voulez-vous me faire plus de mal après m’avoir enrichi, qu’un ennemi ne pourroit m’en faire en m’enlevant mes richesses ! Perdre un bien qu’on aime n’est pas un si grand mal, que de le posseder sans en pouvoir offrir l’Auteur à l’admiration qui l’appelle. Mais, que dis-je, posseder ? ah ! je ne possede plus rien ; j’ai vainement attendu de vos nouvelles depuis quinze jours, vous ne paroissez pas disposée à continuer votre vol aimable dans mon parterre. De quoi me plaignois-je tout-à-l’heure ? hélas ! je déraisonne, je gémis d’un mal qui n’existe pas, je crains pour vous des outrages quand vous êtes disparue, & pour moi des pertes quand je ne possede plus rien : ce délire prouve que je souffre beaucoup. J’avois, malgré moi, conçu des espé-rances ; une illusion charmante avoit triomphé de ma prudence ordinaire. Vous m’aviez pourtant menacé ; mais se souvient-on des menaces au milieu des bienfaits ? s’il est des cœurs qui sçavent craindre & se défier au moment qu’ils jouissent, le mien ne sçait que jouir. Condamnez-le, Madame, exercez votre raison sur les suites que peut avoir sa foiblesse, vous avez beau jeu ; mais daignez croire qu’il seroit plus digne de vous de m’enrichir encore que de m’éclairer. Pour vous y engager, je vous ferai part d’une présomption qui commence à courir, & dont votre gloire souffre. Lorsque quelqu’un demande qui est l’Abeille ? on répond, vous ne le devinez pas ? vous ne la reconnoissez point ? non, dit-on, comment distinguer une Abeille en France il y en a tant de spirituelles : Bon, poursuit-on, cette Abeille est étrangere, ou du moins a voulu le paroître : Oui, répond une autre personne, je lui trouve de la ressemblance avec certaine Insulaire qui m’a plû beaucoup. Je suis souvent présent à ces beaux discours, & je ne les écoute point sans humeur. Je vous défends & je m’emporte ; je prétends, j’assure & je confirme que vous êtes une Abeille toute nouvelle, que c’est pour la premiere fois que vous faites part aux mortels du suc des fleurs qui ont amusé vos desirs ; mais on ne me croit pas, on se répand en propos de toute espece : vous sçavez comme le Public souvent ingrant raisonne sur les inconnus les plus aimables ! Enfin, Madame, détruisez la calomnie, faites voir qui vous êtes ; & après nous avoir charmé comme aimable, enchantez-nous comme nouvelle : sur-tout continuez à nous donner les lettres de Madame de Sancerre : quelle femme que cette Madame de Sancerre ! il n’y a que vous que je puisse me figurer aussi spirituelle & aussi intéressante : Le Public pense comme moi à cet égard, j’ai vu ses transports, & je garantirois bien qu’en lisant ceci, il vous adresse tout bas des vœux aussi ardens que les miens. J’ai l’honneur d’être, Madame, avec des sentimens formés d’inquietude, de plaisir, d’impatience & d’admiration : Votre très-humble & très-obéissant serviteur, de Bastide.