Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Des Femmes.", in: La Spectatrice danoise, Vol.2\023 (1750), S. 198-202, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4449 [aufgerufen am: ].


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Des Femmes.

Ebene 2► Ebene 3► Il est presque aussi difficile de parler des Femmes avec impartialité, qu’il l’est de les voir avec indifférence. On en fait la Satyre ou l’éloge parce qu’on les hait ou qu’on les aime ; c’est bien là que le cœur est de moitié des jugemens de l’esprit.

On a des raisons légitimes de se plaindre d’une Femme. Ses torts frappent, piquent, agrissent ; on veut remonter à la source ; on en trouve la cause dans les vices d’un cœur, trop connu parce qu’il a été trop chérï. On conclut du particulier au général : on prononce contre toutes les Femmes, comme si la Nature n’avoit qu’un seul moule.

Il est aisé de satyriser les Femmes, parcequ’il est aisé de passer de l’amour au mépris, & que le mépris est très caustique.

Il est difficile de les satyriser avec succés, parcequ’on a deux goûts à réunir, celui des irrités & celui des indifférens ; les traits du tableau sont toujours ou trop ou trop peu chargés.

Loüer le <sic> Femmes, c’est hazarder d’ennuïer son monde ; & la raison en est toute simple ; on ne doit les loüer qu’à l’oreille, & l’on s’imagine que qui les loüe tout haut ne sait guère les loüer tout bas. Dailleurs, quelle fadeur de loüer un séxe, qui, ne conserve pas, à la vérité, tous les suffrages quelle gagne, mais qui, du moins, les réunit tous ? car quel est l’homme qui n’a pas aimé ?

Les Femmes ne sont piquées des saryres <sic> qu’on lâche contre elles, que dans les Païs, où elles n’ont pas assés d’esprit pour s’épargner les désagrémens de l’application personnelle. Par tout ailleurs, elle <sic> en sont les premieres apologistes ; & à ce procédé il y a un manége bien entendu ; en déclamant en géné-[199]ral, elles s’exceptent en particulier ; plus elles appuîent sur les vices & les défauts de leur séxe, plus elles persuadent (& une bouche aimable persuade aisement) qu’elles en sont éxemtes ; en avoüant qu’elles pensent sur l’article comme nous, elles entrent en partage de nos sentimens ; & combien nos sentimens nous inspirent-ils d’horreur pour le caractere dominant des Femmes ? En un mot, elles avoüent la dette & sont si bien, qu’on ne peut se résoudrè à tirer sur elles.

Boileau attaqua la vertu, ou pour mieux dire, le tempérament des Femmes ; il fut sifflé : Crébillon s’égaîe, tous les jours, de leurs ridicules, de leurs travers, de leurs foiblesses, est adoré d’elles & applaudi du Public. Boileau étoit bilieux, Crebillon est badin ; Boileau étoit Poete, Crébillon est homme du monde : Boileau étoit peu propre à plaire aux Dames & n’y tâchoit pas. Crébillon est très galant & très aimable ; Boileau mordoit, Crébillon rit.

Il est peut-ètre plus aisé de connoitre les Femmes & de les mésestimer que de les haïr. Cependant, on peut les étudier lon-tems sans les connoitre ; & l’amour, quoiqu’on en dise, n’est qu’une forte estime qui se change en la plus douce & la plus affreuse des passions.

Un homme de beaucoup d’esprit & de monde, me disoit ; Ebene 4► « j’ai aimé bien des femmes en ma vie ; j’en ai trouvé de tendres, de à sentimens Gnidiens ; j’en ai trouvé de délicates à l’excès, j’en ai trouvé de vraies ; j’en ai trouvé de fidèles, de vertueuses ; je n’en ai pas trouvé, qui méritassent de fixer un galant homme. Celles que j’ai le plus estimé son celles que j’ai le plus aimé, & précisément celles que j’ai ensuite le plus meprisé & le plus hàï. La superficie du caractère des Fem-[200]mes peut plaire, charmer ; croiés m’en, le fonds n’en vaut rien ; presque toutes leurs vertus ont un principe vicieux : presque tous leurs sentimens, toutes leurs vuës, toutes leurs actions partent d’une source impure : enfin, je dirais volontiers avec M. de Turenne ; la Dame du monde la plus aimable ne mérite pas qu’un honnète homme lui rende des soins au de là d’un mois. » ◀Ebene 4

Je n’eus garde de contredire mon homme ; & quoi bon ? Il étoit vraisemblablement dans un dépit amoureux ; & ce n’est point là le moment de la raison ; mais je conclus de son discours, que les Femmes devoient avoir sur nous un bien grand empire puisqu’elles faisoient déraisonner un homme si sage.

Je ne blàme point en elles l’inconstance ; elle leur est commune avec nous, & souvent elle vient plus de la finesse progressive du goût, que d’une humeur réellement volage & d’un tempérament dégouté de l’actuel & avide du nouveau.

Je ne leur reproche point leur penchant à la volupté ; c’est notre faute : pourquoi attachions nous leur honneur & le notre à une vertu, que nous ne pouvons, malgré l’infériorité de nos désirs, pratiquer nous mèmes ?

Je ne leur fais point un crime de leur infidélité : la fidélité depend du cœur ; la promesse en sera toujours conditionelle, jusqu’à ce que nous aïons trouvé le secret de commander à nos sentimens, ou celui de nous soustraire à l’obéissance que nous leur devons.

Je leur pardonne mème la perfidie ; nous leur en donnons l’éxemple : notre jalousie les y porte, notre sévérité les y oblige, notre partiale indépendance l’approuve en nous, la condamme <sic> en elles.

[201] J’excuse leur esprit minutieux ; nous ne leur permettons pas de l’élever au dessus de la bagatelle. Nous nous sommes emparés des trésors du monde intellectuel, & nous ne leur avons laissé qne <sic> le domaine des riens.

Je leur sçais mème bon gré de l’envie déterminée qu’elles ont de plaire, puisquelles parviennent à leur but, & que leurs attraits leur donnent sur nous un empire, dont nous partageons tous les agrémens.

Après ces traits d’indulgence, on sera surpris, que je ne leur pardonne pas de recourir à l’artifice, & de se laisser gouverner par l’intérèt ; l’un & l’autre est également odieux ; l’un fait foi de la fausseté de leur esprit ; l’autre prouve la bassesse de leur cœur. Tout est suspect de la part d’un esprit artificieux & d’une ame intéressée. Si j’avois le malheur d’aimer, rien ne me dégouteroit plus.

J’appelle Femme aimable & vertueuse celle, qui fait son plaisir de son devoir, qui, par l’égalité de son humeur, répand la sérénité sur le jour qui suit comme sur celui qui précède, celle qui joint à un cœur vrai, droit, accessible à un seul, un esprit cultivé, celle qui scait ètre malheureuse avec fermeté & heureuse sans orgueil, belle sans vanité, vieille sans regrets, amusante sans folie.

Nous disons, qu’une Femme a des mœurs quand elle n’a pas des vices ; nous la croïons sage quand elle n’est pas libertine ; nous l’estimons quand elle n’est pas souverainement méprisable : Une Femme qui fait son devoir est un <sic> Femme qui fait son devoir ; la corruption & l’inconséquence du S’iecle <sic> font de cette femme là une Héroïne.

La coquette peut ètre aimable : la prude est absolument ridicule. La vertueuse est celle qui est tentée par un amant chéri, [202] tendre, entreprenant, & qui résiste à la tentation. Aimés, soiés aimée, ne faites pas de folie ; & puis, je vous permettrai de me parler de votre Sagesse. Votre éloge aura bonne grace mème dans votre bouche.

Rien n’est plus rare, qu’une femme qui aime son Mari ; rien n’est plus dangereux qu’une femme qui aime peu son amant, & qui sçait lui persuader qu’elle l’aime beaucoup.

Il est un Païs, où les Femmes sont extremement vertueuses, à prendre ce mot dans le sens reçu : Cependant, dans ce Païs là, quelques Femmes font exception à la régle : on y lit des Romans, on en fournit des sujets ; les avantures sont publiques, les Bons Mots le sont moins. Là, une femme sage est un animal farouche ; une femme folle est cent fois plus folle qu’ailleurs. On n’y connoit point ces milieux délicats & peut-ètre absurdes de femmes coquettes, de femmes à la mode, de femmes galantes : l’on donne où dans une ridicule vertu ou dans un vice criant : tout bon ou tout mauvais : tout Laïs ou tout Lucréce.

Fasse le Ciel, que dans ce Païs-là, il ne prenne point envie aux Prudes de s’apprivoiser, ni aux vicieuses de se masquer !

P. D. de la Cotterie des Vaporeux. ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1