Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Le Grönlandois. Second fragment.", in: La Spectatrice danoise, Vol.2\010 (1750), S. 73-77, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4436 [aufgerufen am: ].


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Le Grönlandois.

Second Fragment.

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à 4. heures après midi.

Allgemeine Erzählung► Ce matin, notre Prètre est entré tout essoufflé dans notre appartement. Habillés vous, nous a t’il dit, vous aurés l’honneur d’ètre présentés au Roi. (*1 )

[74] Est ce un honneur à un homme, lui ai je répondu, d’étre vu par un autre homme ? Pour moi, je ne suis pas pressé.

Pakalamisfoldth ! m’a t’il dit en grondant, vous vous oubliés : ne sçavés vous pas que cet homme est le Roi ? & qu’un Roi est autant au dessus du reste des hommes, que les hommes sont au dessus des bètes brutes ?

C’est à dire, lui ai je répondu, que les hommes sont fort peu de chose en Europe. Là, dites moi ingénûment ce que c’est qu’un Roi ; là, au juste.

Après s’ètre recueilli un moment, un Roi, a t’il dit, est ordinairement un homme, qui peut tout, mais qui agit comme s’il pouvoit très peu ; un homme pour qui sont faits des millions d’hommes, mais qui veut bien leur faire la grace de se conduire comme s’il étoit fait pour eux ; un homme, qui souverain maitre de nos vies, de nos biens & de nos enfans, gouverne comme s’il ne l’étoit pas. Danois ! me suis je écrié, que vous etes eureux !

Ce qui affermit notre bonheur, c’est l’étroite liaison que la nature des choses établit entre la félicité du Prince & la félicité du Peuple : c’est là le noeud qui forme l’union du Monarque & du Sujet ; c’est ce cercle continuel de besoins & de services, qui fait aimer l’obéissance & qui tempere le pouvoir. Le Sujet est un homme dont la grandeur consiste dans l’obéissance, & la gloire dans l’excès de l’obéissance : le Roi est un homme qui tire sa grandeur de son pouvoir & sa gloire de sa modération. Mais brisons là ; il ne m’appartient pas de parler des princes. Obéissons leur comme à des maitres, aimons les comme des pères, adorons les comme des Dieux.

Préparés, a t’il ajouté, votre compliment ; il est d’usage, quand on harangue les Rois, de leur donner de l’encens, c’est [75] à dire d’éxagérer leurs vertus, leur puissance, leurs actions : comme le Prince est ami du vrai seul, vous serés fort bien de vous écarter de cet usage & de vous livrer aux sentimens de votre coeur.

Quoi ? lui ai je dit vivement, il y a parmi vous des gens, qui osent dire en face à votre Prince, qu’il est ce qu’il n’est pas ? Et pourquoi le loueroit on ? a t’il repris froidement ; pour lui dire ce qu’il est ? Ne le sçait il pas ? Il y a un art de loüer sans se donner un ridicule & sans allarmer la modestie de celui qu’on loüe, de loüer sans fadeur comme sans bassesse, de loüer sans ouvrir la bouche. Cet art, inventé par le besoin, cultivé par la politesse fille du besoin, a été perfectionné par les courtisans.

Et qu’est ce que les courtisans ? . . . . Les courtisans ? Les courtisans sont, ici, des gens admirables, caractérisés par la grandeur d’ame, l’affabilité, la candeur, la bénéficence, la probité ; c’est la fleur des hommes de ce paîs, qui assurément est fertile en grands hommes.

Mais, ailleurs, ce sont des gens, qui naissent avec plus de besoins & plus d’orgueil que le reste des hommes ; qui vivent avec sensualité ; qui meurent sans avoir vécu . . . . . Oui ; car ils passent leur vie à tromper le tems, à voler de plaisirs en plaisirs, à chercher société, à se fuir eux mèmes, à courir après un bonheur jamais hors de leur vuë, toujours hors de leur portée, à dépendre d’autrui, à se taire, à se nuire, & à suivre le Prince pas à pas. Vous etes frappé de ce tableau ; cependant, tel qu’il est, il est ressemblant. Voici les seconds traits, qui graces à Dieu, ne conviennent pas mieux que les premiers à nos courtisans, dont le caractere est l’antiopode de ceux que je décris. Les Grands des autres cours sont respectés sans ètre respectables, dé-[76]cident de tout sans savoir juger de rien, portent le luxe & le faste au plus haut point sans avoir de quoi le soutenir ; sont orgueilleux & vains sans avoir seulement bonne opinion d’eux mèmes, remplissent les premiers emplois sans ètre capables des subalternes, s’élevent sans mérite, se soutiennent sans talens & tombent souvent sans cause. Enfin la plupart des courtisans sont des gens, qu’un usage général autorise à faire valoir tel nombre d’années d’importunités pour tel nombre d’années de services.

A midi, nous avons été conduits dans un grand bâtiment, dont les richesses & la magnificence nous ont annoncé la grandeur & l’opulence du propriétaire.

Oüi, ma foi, a dit quelqu’un, ils ont deux îeux : voilà vos dix ducats ; vous avés gagné ; c’est singulier ! ils ont deux îeux.

Le Prince a paru. Toutes les tètes, là présentes, se sont courbées à la fois. Le mème ressort feroit il joüer toutes ces tètes-là ?

Tous les îeux se sont tournés vers le Prince. Il a souri ; toutes les bouches ont répété en chorus ce souris gracieux. Il a pris de je ne sçai quelle poudre enfermée dans une boëte d’or ; à l’instant mille boetes se sont ouvertes, mille nés ont été barbouillés de cette poudre. Je n’ai pas encore vu de singes ; ceux là ne seroient ils pas les plus parfaits ? en voiant les courtisans, je me les suis remis.

Nous avons percé la foule : le Roi nous a très gracieusement accueillis : j’en ai été fort étonné ; je ne croiois pas qu’on put étre tout ensemble & si puissant & si humain. Il faut, que cet homme là ait le cœur bien bon & la tète bien forte pour ètre affable & vertueux dans un rang, où il est aussi naturel de ne l’etre pas, qu’il est nécessaire de l’etre !

[77] Plein de cette idée, j’ai pris la parole, & j’ai dit : Grand & bon Roi ! Nous sommes venus du bout du monde pour nous instruire des moeurs & des coutumes de Ton pais. Nous voilà satisfaits. Nous voions en Toi ce que nous avions cherché partout envain, un homme puissant & bon. Un plus long séjour nous seroit inutile. Permets nous d’aller dans notre patrie publier ce prodige.

Peu après, est entrée une grande Femme ; elle étoit suivie de quelques Dames ; à la richesse de leur parure j’eusse pris chacune d’elles pour la Reine, si certain air de majesté n’eut fixé mon indécision & ne m’eut dit : c’est celle là qui l’est. Le Roi m’avoit paru un grand homme : Dès-que j’ai vu celle que son coeur a couronnée, j’ai dit ; voilà un homme heureux.

Les courtisans m’avoient semblé des pantins : les Dames m’ont paru des poupées. Ah ! ma chére ! a dit une de ces poupées ; ils n’ont point de hauts de chausses ! voiés ! ◀Allgemeine Erzählung ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1