Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Journal d’une femme du bel air.", in: La Spectatrice danoise, Vol.2\006 (1750), S. 48-59, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4432 [aufgerufen am: ].


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Journal
D’une femme du bel air.

Ebene 2► Ebene 3► Fremdportrait► Midi sonnant, Madame se réveille

Ou mème un peu plus tard, & ce n’est pas merveille :

Ce n’est que ce matin qu’elle s’est mise au lit ;

Quand on est à joüer la veille,

Il faut bien, malgré soi, qu’on y passe la nuit ;

A moitié cependant la Belle encor sommeille,

Elle bâille, & se tourne en tout sens dans ses draps,

Elle frotte ses ïeux, allonge & tord ses bras ;

D’une voix rauque & languissante,

Elle demande à sa Babet,

Soubrette toujours complaisante :

[49] « Ma mie, il est donc tems de quitter le chevet

Mon sang est échauffé : ma tète est si pesante ! »

Dans son deshabillé la Belle enfin se mèt :

Que sa parure est élégante !

Muse ! ne molli point ; ne porte pas les ïeux

Sur ces objets charmans qui s’offrent à ta vuë :

Il en coute souvent d’ètre trop curieux,

Qu’est ce enfin qu’une gorge nuë ?

Elle prend un miroir : « Babet ! regarde un peu ;

« N’ai-je pas, ce matin, une mine effroiable ?

Je joüai, hier au soir, d’un guignon incroiable :

Ah ! bien fin pour le coup qui me rattrappe au jeu.

Quoi ? quatre matadors ! & perdre encore codille !

Mais à propos, Babet ! Va t’en dire au laquais

Qu’il coure, sur le champ, à l’endroit que tu sais,

Avertir, que, ce soir, c’est chés moi le Quadrille. »

« Ouvrés : bon jour, Monsieur Dargent !

Madame ! voulés vous dégager votre éguière ?

Oui . . . . . Mon maitre disoit pourtant

Qu’il prendroit bien la caffetière,

Si vous lui donniés vingt pour cent. »

Le Thé vient. Madame va boire ;

Mais sa tasse en ses mains toujours se refroidit.

Pendant qu’elle vous fait la longue & triste histoire

De tous les coups qu’elle perdit.

Vous apprenés, que la Baronne

Sait escamotter les as noirs :

Qu’elle, & sa fille, autre friponne,

S’entendent depuis quatre soirs.

[50] Pas un coup qu’en détail Madame ne repasse :

Tel à peu près, mais trinquant mieux,

L’officier fanfaron à table se délasse,

Et fait de ses exploits un récit ennuïeux.

Autre scène : voici le tailleur, la coiffeuse ;

Voilà le clinquailler, le juif, la revendeuse,

La foire aux merciers ambulans ;

L’un montre son étoffe, un autre ses dentelles,

L’un de riches bijoux, l’autre des bagatelles :

Tous mentent & font des sermens.

Madame cependant caquette,

Se fait à bon marché quelque mauvaise emplette,

Et, libre enfin de ces soins importans,

S’en va contente à sa toilette.

Le potage est servi : c’est d’un petit laquais

A l’heure du diner la phrase journaliere ;

Et Madame, à son tour, dans son stile ordinaire,

Dit : « on est bien pressé : je n’aurai donc jamais

Pour m’habiller le loisir nécessaire ;

Tu sais, Babet ! quel tems j’y mèts ;

De cent femmes que je connais,

Pas une sur ce point n’est aussi raisonnable,

On me feroit donner tous les diners au diable. »

La voilà cependant qui vient prendre le sien,

Et jargonner aux gens ses beaux propos de table :

« En vérité, mon cher ! vous me surprenés bien ;

Je comptois, qu’aujourd’hui nous dinions en famille ;

Car si vous m’aviés dit - - - - - j’aurois pu dans ce cas - -

Messieurs, c’est sa métode ; il ne la change pas :

Sans jamais avertir sa femme ni sa fille,

[51] Mon mari tous les jours invite ses amis ;

En verité, mon Coeur, cela n’est pas permis. »

La table à peine est desservie,

Qu’elle à son tour reçoit la compagnie

De vingt buveuses de caffé ;

Au bruit de l’escadron coiffé

Le Dieu du silence s’esquive.

La modeste pudeur s’envole en rougissant,

Et la discrétion craintive

Comme elle peut, se sauve en gémissant.

A leur place, aussitôt une autre troupe arrive :

C’est la folle présomtion <sic>,

L’étourdie indiscrétion,

La médisance aux défauts attentive,

Et toujours prète à babiller,

La mauvaise plaisanterie,

Promte à mordre, promte à railler,

La sourcilleuse hypocrisie,

Et près d’elle la pâle envie,

Portant de tout un jugement malin,

La vanité, miroir de poche en main,

Et l’imposture avec son front d’airain :

Puis l’affectation dont tous les traits vous choquent,

Et dont les os avec art se disloquent ;

La superbe ignorance enfin,

Qui planant d’une aile pesante

Au dessus du Sénat en ce lieu rassemblé

Répand dans les cerveaux par le crane felé

Son influence malfaisante.

[52] Ma Muse ! je pourrois vous demander cent vois ;

Mais mille helas ! suffiroient elles

Pour redire les bagatelles,

Les soupçons effrontés, les rapports infidelles

Et les médisances cruelles

Dont m’étourdissent à la fois

Toutes ces langues criminelles.

C’est là qu’à l’ombre d’un on dit

Se débitent mille nouvelles,

Que jamais jusqu’alors personne n’entendit,

Et que pour en cacher la honteuse origine

A l’auditeur qui la dévine,

On ajoute d’un ton, d’un air pleins de candeur ;

Je n’ose nommer mon auteur ;

Du reste, en forme de rubrique,

La chose est à peu près publique.

Parlés, folles ; répondés moi :

Quel démon vous aveugle, & quel travers coupable

Guide votre œuil impitoiable

Sur les défauts d’autrui qu’en vous même je voi ?

La prude Iris met son étude

A décrier toute autre prude :

Cloris, dont le gousset empoisonne les gens,

Vous dira, que Cloé laisse pourrir ses dents ;

Et Cloé, dont cent fois on détesta l’haleine,

Parlera d’un air fin des parfums de Climène ;

Lycoris, dont la voix fait trembler le quartier,

Fait par un long babil l’éloge du silence ;

Et Lothe, qu’on connoit au ton de grénadier

[53] Moralise aux dépens d’Hortense.

Qui trop souvent, dit on, voit certain cavalier.

Toutes, la carte en main, débitent leur histoire ;

On m’a fourni certain mémoire,

Dit l’une, sur la vive Eglé :

Et que pensés vous d’Aglaé ?

Dit l’autre, elle fait déjà gloire

Des soupirs d’une jeune felé,

Dont je tiens sure la victoire :

Ah ! toute vertu fait faux bond,

Répond l’autre ; le croiroit on ?

Que la honte est aisée à boire !

Encor, si c’étoit un barbon,

Mais un étourdi ! - - - - - Crébillon,

Charmant auteur de l’Ecumoire, (*1 )

Qui pourrois même à Cupidon

Sur les articles du grimoire

En un besoin faire leçon,

Aux Bijoux de ces médisantes

Si tu pouvois donner la voix,

Que chés les Congeoises galantes

Les Bijoux (+2 ) eurent autrefois ;

Qu’en leur énergique patois

Ils nous raconteroient d’intrigues étonnantes,

[54] Et qu’ils nous apprendroient d’exploits !

Que leur stile naîf, leurs paroles ciniques

Peindroient bien les sourdes pratiques

D’Artémise & de Gaillarbois,

Et les plaisirs, dont tant de fois

En d’amourettes domestiques

S’ennivrérent les autres trois !

L’un diroit : « . . . . . . . . . . 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . »

. . . . . . . . . . . . . . . . . . 

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 

Au babil de la langue on ajoute un langage

Plus malicieux & plus fin ;

On lit dans les regards & dans l’air du visage

Plus couramment qu’un livre en main.

Je ne sai plus à quoi me prendre ;

Toutes veulent parler, nulle ne veut entendre :

On élève à l’envi les plus perçantes vois ;

A chaque instant nouveau vacarme ;

Les petits chiens prennent l’alarme ;

L’on jase & l’on jappe à la fois.

On mèle deux mots des spectacles

A ces propos bruians, sans suite & sans raison

Philaminte & Cathos, ces deux sçavans oracles

Sont de diverse opinion :

L’une tient pour la comédie,

Et l’autre traite sans façon

Ce gout, de gout de bourgeoisie.

[55] Vous coiffer de telle folie !

Ma chére ! y pensés vous ? si, donc !

Et puis, en égaîant son ton,

Vive, dit elle, l’Italie !

Un air Italien ne sçauroit qu’être bon.

Nouveau débats : grande querelle :

Le théâtre Danois, quoiqu’un peu poliçon,

Dit une troisiéme avec zèle,

L’emporte sur le Francillon.

Peut on les mettre en parallele,

Quand on aime sa nation ?

En avis différens la troupe se partage,

La Cour va t’elle à l’opéra ?

Non. Eh bien ! mesdames, je gage,

Qu’aujourd’hui personne n’ira.

En vérité, dit Cathos, c’est dommage.

Ce soir Bajazet chantera,

Et tel est de sa voix le brillant avantage,

Qu’á son bécarre, à son bémol,

On diroit, qu’il apprit en cage (*3 )

A copier le rossignol.

On part ; on va voir Mithridate

Madame étale ses appas :

Mais frivole espoir qui la flatte !

Les lorgneurs ne la fixent pas.

Il faut donc qu’elle se rabatte

Sur le tiers & le quart, sur le haut & le bas.

[56] Aux beaux sentimens elle bâille

Elle rit aux plaintifs hélas.

A trouver ennuieux les morçeaux délicats

Son esprit s’use & se travaille.

Bref, sans les sauts de Gorion

Madame tombe en pâmoison :

« Mais, quelle effroiable musique ?

Oüais !c’est un vrai carillon.

Voiés ces entrechats ; voiés comme s’explique

L’humeur galante & prolifique

A la cadence du violon. »

On baisse la toile. L’on gronde

Et laquais & cochers jureurs :

L’on arrive chés soi : mais quoi ? point de joùeurs !

La voilà seule, une Seconde ;

Mais aussi voilà les vapeurs.

« N’a t’on pas envoié ce fripon de Champagne ?

Est il, depuis le tems, à battre la camapgne ?

Huit heures : & personne encor ne s’est rendu !

Depuis que je languis, j’aurois fait une vole,

Et la Baronne auroit perdu,

Babet ! donne moi ma fiole :

Que je prenne ce cordial :

Je meurs ; tâte mon poux, je gage qu’il va mal :

Madame ! le sommeil peut-ètre - - - - - - - 

Non ; on vient : cours à la fenètre :

C’est mon monde : va donc ; fais les vite monter :

Ils souperont ici : mais songe qu’on t’ordonne

De ne nous point tarabuster,

Qu’une heure après minuit ne sonne, »

[57] Les cartes, les jettons, la table aux quatre coins,

Tout est prèt ; on se place, on commence ; Madame,

Qui désormais a d’autres soins,

Ne songe plus à rendre l’ame.

« Babet ! qui que ce soit qui nous vienne là bas,

Fais dire, que je n’y suis pas. »

Ma Muse ! où fuiés vous ? voilà mon ignorante,

Que des termes de l’art le seul son épouvante.

Eh ! comment donc pourrai je ajuster dans mes vers

De mes femmes au jeu les différens travers ?

Comment ranger les rats, dont leur tète fourmille ?

On prend carte après carte ; on languit, on petille ;

Et si les piés en l’air on releve un Valet,

On se pâme, on frissonne à ce funeste objet :

Dans tous les As qu’on tourne on voudroit voir Spadille,

On le voit . . . oüi . . . c’est lui . . . tout au moins c’est un As ;

Et quel malheur quand il est rouge ?

Faut il paier ? autre embarras :

D’auprès de ma perdeuse aucun jetton qui bouge :

Tout bonheur avec lui s’en iroit de ce pas.

Elle engage toujours ou bague ou tabatière,

Et, pour charmer le sort contre elle déclaré,

Trouve cent visions dans sa tète ratière.

« Ce matin, quand j’ai vu ce malheureux Curé,

J’ai dit que je perdrois, & j’en aurois juré.

J’étouffe dans ce corps . . . . Votre éventail, de grace . . .

Dans ce maudit fauteuil je ne gagne jamais ;

Et je ne sai pourquoi . . . . . Ma fille ! on m’embarasse,

Et je perds, quand on voit mes cartes de si près.

[58] Madame ! y pensés vous ! tenés. Encor Codille, »

Quand nous avions la vole en main ? . . . . . . .

« Friponne ! taisés vous : je vous ai vu Manille,

Et vous broüillés toujours les cartes à dessein . . . . . .

Vous comptés donc gagner, quand nous perdons ensemble ?

Suis je aveugle ? Que vous en semble ?

Et puis, pour prendre un trois, lâcher un Matador !

Allés, allés, Baronne ; excusés vous encor :

Fi, donc ! Vous auriés dû cent fois mourir de honte . . . . . .

Et vous ? N’est ce donc rien, Madame, à votre compte

De lorgner votre Roi, de laisser tomber Ponte,

Comme si c’étoit par hazard,

Et de nous étourdir de quelque mauvais conte,

Pour ne pas renoncer sans pudeur & sans art ? . . . . . .

Ah ! ah ! vraiment ! c’est moi qui triche !

Pour vous, vous renoncés sans toutes ces façons :

Bon ! pendant que je parle, il me manque une fiche,

Et hier, c’étoit quatre jettons :

Ma foi ! certaines gens ont les ongles bien longs. »

Mais que produira cet orage ?

Pas plus de mal qu’un simple badinage.

Chacune confesse en son cœur,

Qu’on lui dit vrai, qaand <sic> on dit qu’elle trompe ;

Ne craignés pas, que, pour le point d’honneur,

Jamais Quadrille s’interrompe.

A peine a t’on le tems d’avaler un morceau :

C’est pour la forme que l’on soupe :

Et vous voiés bientôt l’impatiente troupe

Revoler au combat avec un feu plus beau.

Même tapage encor, charivari nouveau ;

[59] Coupés donc . . . . donnés vite . . . . A vous . . . . & de plus belle

On petille, on caquette, on triche, on se querelle ;

On n’aura jamais fait ; à la fin cependant

Oh !oh ! dit on, la matinée est frâiche <sic> !

Mon équipage ! . . . . point . . . . Eh bien ! en attendant

Nous pourrons faire un tour ; allons, qu’on se dépèche !

Le tour est fait. Partons. Ma mantille . . . mes gans . . .

Ma coiffe . . . . mon fichu . . . . « mais à propos, Madame,

Où joûra t’on ce soir ? . . . . chés moi : je vous attends,

Bon soir . . . . Adieu . . . . bon jour . . . . » Et revoilá ma femme,

Qui maudissant le jeu, prète à recommencer,

Près de Monsieur qui ronfle au lit va se placer. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Cette piéce a été traduite de l’Anglois de Jonathan Swift. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1(*) Tanzaî & Néadarné, ou l’Ecumoire, Histoire Japonoise, livre de toilette.

2(+) V. les Bijoux indiscrèts, Histoire Congeoise, attribuée au même auteur ; livre de chevet.

3(*) Bajazet mourut dans une cage de fer, où il fut enfermé par Tamerlan.