Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "De la Noblesse.", in: La Spectatrice danoise, Vol.2\001 (1750), S. 1-21, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4427 [aufgerufen am: ].


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Essais sur divers sujets.

De La Noblesse.

Ebene 2►

I.

La noblesse n’est point une chimère, puisqu’elle n’est autres chose que la vertu, c’est à dire l’objet le plus réel : tout le monde en convient, moins parceque c’est une vérité sensible, que tout le monde se flatte d’être Noble en ce sens.

Mais ce qui donne de l’humeur à un philosophe, c’est qu’en rendant la Noblesse héréditaire, on ait établie une odieuses distinction parmi les hommes. Un épicurien y trouve à redire, en ce que cet usage général a contribué à altérer les sentimens que la nature nous inspire pour le plaisir. Un ami de l’humanité se dépite de ce que quelques particuliers ont eu l’adresse de faire accroire aux hommes, qu’il étoit beau de ses sacrifier à ce qu’il leur plaisoit d’appelier le bien public. Un politique trouve, que cet établissement est le chef d’œuvre de son art.

Ebene 3► En effet, il faut avoüer, que le premier homme qui accredita cette chimère étoit un grand génie. Dans cet âge heureux, [2] où, soumis aux seules lois de la nature, le genre humain étoit au dessus des bienséances & de l’opinion, la noblesse étoit inconnuë : tous les hommes étoient égaux, parcequ’ils étoient tous & faibles & vertueux. Cet âge fut court : le vice parut & le crime à sa suite ; les sociétés se formérent ; les lois civiles appuiérent les naturelles.

L’égalité entre les associés ne subsista pas lon-tems : le partage inégal des talens introduisit le partage inégal des terres ; l’inégalité du pouvoir établit la distinction des états. On commence à évaluer les hommes ; & l’on ne les évaluë pas sur leur vertu, mais uniquement sur leur puissance. Le pauvre envie le riche ; le riche foule le pauvre. Tous les deux s’occupent, l’un de ses besoins, l’autre de ses plaisirs. L’ambition, soutenuë de l’adresse & de l’habilité, profite du moment, s’élève au dessus d’eux, établit la roïauté. Jusque là point de Nobles ; attendés ; ils vont bientôt paroitre.

Le premier trône fut un trône chancellant. Le prince ne savoit point l’art de commander à des hommes qui n’obéissoient que par nécessité. Il se fit des créatures par des caresses & par l’oppression ; Ceux qui, malheureux dans l’anarchie, trouvérent leur bonheur dans la servitude, se vendirent au prince, furent les appuis du sceptre naissant, & servirent à opprimer les rébelles. Tout plia sous l’autorité suprème. Le Monarque, ennivré du succès, crut avoir sur le coeur de ses sujets le même empire qu’il avoit acquis sur leurs genoux, & leur ordonna du respect pour les instrumens de leurs malheurs : le peuple obéit en apparence à ce décrèt : il rendit toutes sortes d’honneurs à ses oppresseurs, qui furent ainsi paiés de leurs services. Les premiers Nobles furent donc des lâches, qui n’eurent pas le courage d’être libres. L’Egipte, le berçeau de la roïaute, fut le berçeau de la Noblesse.

[3] Les rois apprirent à régner & les peuples à obéir. Le trône ne porta plus que sur lui même. Mais, comme l’ambition l’avoit élevé, l’ambition voulut l’élever encore plus haut : on médita des conquètes. Comment les entreprendre ? comment engager des millions d’hommes à sacrifier leur vie à la vanité d’un seul homme ? comment les rendre intrépides pour autrui, après les avoir vus lâches pour eux mèmes ? comment les arracher à cette indolence naturelle qui les éloigne de tout danger ?

Toutes ces difficultés s’applanirent : on monta les hommes sur le ton du merveilleux. On attacha de l’honneur aux grandes entreprises & des honneurs aux grands succès : on donna le titre imposant de vertu à l’amour de la patrie, la quelle, dans le fonds, ne résidoit que dans le prince. Pour élever l’homme au grand, on raffina sur l’amour propre même qu’on sacrifioit ; on lui persuada, qu’il étoit plus beau de perdre la vie que de perdre sa gloire ; &, pour en faire un héros, on détruisit l’homme.

La nature frémît de ces tristes maximes de rudesse & d’insensibilité : mais ce fut envain qu’elle réclama ses droits : l’héroïsme prévalut, & la patience, la soumission, l’intrépidité, formerent cet héroïsme.

Dès que ce brillant fanatisme eut pris racine dans les cœurs, les conquètes furent aisées : ceux qui se distinguèrent dans cette nouvelle carrière furent regardés comme des hommes divins, & unirent au suffrage du prince politique le suffrage du peuple imbécille. Les Nobles de la seconde création, furent donc des esprits bornés, qui eurent assés de coeur pour immoler leur tranquillité à l’erreur & au préjugé, & assés de folie pour croire, qu’une vaine fumée étoit la seule récompense digne de leurs services.

La Noblesse n’étoit pas encore héréditaire : l’imagination n’avoit pas encore pris le dessus sur la raison. Pour ètre noble, [4] on étoit obligé d’acquérir le mérite à la mode : l’indolence & l’oisiveté n’étoient permises qu’aux fils des princes.

Dans la suite, la fureur de l’héroïsme se rallentit. On crut remedier à cet inconvénient en faisant passer aux enfans les distinctions accordées aux péres : on crut que dès que la Noblesse seroit héréditaire, la grandeur d’ame le seroit aussi : on déclara donc les illustres de ces tems là Nobles à perpétuité. Rien de plus flatteur pour une imagination vive que de pouvoir se dire : Je vivrai après ma mort par mon nom transmis à des descendans qui se feront gloire de le porter. Cette éxistence imaginaire échauffa tous les cerveaux : on vit des peuples entiers esclaves. Les princes eurent un nombre infini de sujets fidèles en des sujets qui n’étoient pas encore nés : ils laissérent à leurs successeurs une pépiniere de héros ; héritage dont ils scûrent bien profiter. ◀Ebene 3

II.

Voilà l’origine politique de la Noblesse héréditaire. Outre cette raison morale, qu’il est naturel de récompenser un citoien vertueux, & qu’on ne peut mieux le récompenser qu’en accordant à ce qu’il a de plus cher, à ses enfans, une partie de la considération qui lui est duë, pour les engager à la mériter tout entière, une raison phisique justifie les législateurs.

En établissant cette distinction, ils raisonnérent fort simplement. Quelques observations sur les animaux leur montrérent, que, parmi ceux de la même espèce, les bons en produisoient de bons. Des bètes, ils conclurent aux hommes, dont ils distinguérent les races à peu près comme ils distinguoient les races des chiens.

Nous rions de la simplicité de nos pères. Cependant cette simplicité étoit puisée dans la source du bon sens. Prouvons le.

[5] Toutes les ames sont égales. Parfaites en sortant des mains de l’Etre qui les fait à son image, elles ont les mêmes facultés & le même dégré de perfection. Cependant les hommes différent & doivent nécessairement différer. Le Créateur, en leur donnant cet invincible penchant qui en fait des ètres nés pour la Société a du répandre parmi eux la diversité des talens & des qualités, pour établir & pour maintenir la subordination.

Mais cette diversité ne vient point de l’ame. Exemplum► L’ame de Turenne & celle de Cartouche se ressembloient parfaitement : elles ne différoient que dans le différent éxercice des mèmes facultés ; & cet éxercice différent des mèmes facultés ne venoit que de la différence des corps, que ces deux ames habitoient. ◀Exemplum

Les traits du visage sont susceptibles d’une infinie diversité. N’est il pas plus que vraisemblable, que nos organes internes le sont aussi ? & s’ils le sont, pourquoi ne pas leur attribuer cette diversité d’effets que quelques uns veulent attribuer à la différence des ames, différence qu’on en peut supposer sans porter atteinte aux perfections de Dieu ?

N’en doutons point : c’est la différence des organes qui constituë essentielleemnt la différence qu’on remarque parmi les hommes. Notre ame est si intimement unie à notre corps, que l’usage de ses facultés en dépend. La différence des tempéramens fait la différence des ames, & la différence des organes & du sang fait la différence des tempéramens. Notre ame, dans le sistème contraire, devroit réfléchir aussi sainement âgée d’un an qu’âgée de trente.

Cela posé, il me paroit évident, que, de même que les tempéramens peuvent se communiquer aux enfans par leurs peres sinon en entier, du moins en grande partie, les caractères le peuvent aussi, puisque les uns dépendent des autres.

[6] Un homme tient de sa naissance, non ses vertus & ses vices, mais les principes, les semences, les germes de ses vertus & de ses vices. Ses parens, en lui transmettant leur sang, lui ont transmis leurs inclinations. Tel, dont le caractère est un énigme indéchiffrable & un bizare assemblage de bonnes & de mauvaises qualités, de grandeur & de foiblesse, de résolution & d’inconstance réunit les caractères opposés des deux ètres à qui il doit le jour.

Les hommes ne sont que ce qu’ils naissent ; & ils ne naissent que ce que leurs pères ont été. Les circonstances peuvent bien changer les dehors ; mais l’intérieur est le même. On peut bien former l’esprit d’un enfant ; on ne sauroit former son coeur : on ne sauroit lui donner des vertus ni des sentimens ; la meilleure éducation n’y fait presque rien. Vous concevés les plus flatteuses espérances de tel enfant, qui, dès qu’il sera délivré de son ennuieux & sage pédant, & que ses organes fortifiés par l’âge pourront subjuguer son ame, ne vous offrira que les faiblesses de son père & les vices de sa mère.

Vous voiés des familles, en qui les qualités de l’Esprit sont héréditaires : pourquoi les qualités du coeur ne le seroient elles pas ?

Partés de ce sistème, & vous m’avoûrés, que l’usage de rendre la Noblesse héréditaire dut s’établir sans contradiction. La patrie étoit en droit de se promettre, que d’un citoien vertueux naitroit un citoien doüé d’inclinations vertueuses ; & pour qu’un sang roturier ne vitiât pas un sang Noble, les Nobles dûrent se piquer de ne s’allier qu’à des filles dans les veines des quelles la vertu circulât.

Il étoit peut etre aussi naturel de rendre la Noblesse héréditaire dans ces siécles de chasteté, qu’il seroit ridicule de faire une pareille loi, dans ce siècle, où les Nobles sont les citoiens les moins certains de leur paternité, & ont enlevé aux roturiers la même certitude.

[7] Les enfans ne ressemblent point à leur père : comment leur ressembleroient ils ? ils ne leur appartiennet pas.

III.

Plus les hommes ont été éclairés, moins ils ont respecté la Noblesse d’extraction. Sang illustre, Noblesse ancienne, services de mes ancètres, sont aujourd’hui des mots qui ne signifient plus rien. La porte des honneurs & des récompenses est indifféremment ouverte à tous ceux qui servent bien leur maitre. Les Nobles sont heureusement obligés d’avoir du mérite ; & les roturiers qui en ont ne trouvent plus sur leurs pas de petits hommes, qui puissent se prévaloir du chetif bonhenr <sic> d’etre fils de grands hommes.

IV.

Je me représente la Noblesse comme un fleuve qui grossit à mesure qu’il s’éloigne de sa source mais dont les ondes orgueilleuses perdent de leur beauté à mesure qu’elles se partagent en plus de ruisseaux. Ces ruisseaux deviennent quelque fois des torrens, emportent tout & disparoissent ; quelquefois ils se cachent sous terre, jusqu’à ce que leurs eaux filtrées reparoissent pour arroser des campagnes fécondes.

V.

Dans la Monarchie, la nécessité de la subordination établit la nécessité de la Noblesse : l’égalité la bannit de la Démocratie.

Dans la Monarchie, abaisser la Noblesse, c’est ruiner l’état dont elle est le plus ferme soutien ; l’élever dans une République, c’est tendre à l’Aristocratie.

Il est inutile, que la Noblesse soit héréditaire dans un état despotique ; elle enfle trop les sentimens. Par tout où le prince élève & abaisse à son gré les hommes, la Noblesse doit ètre précaire, comme elle l’est en Perse & en Turquie.

[8] Le Dannemarc est une exception à cette régle : la puissance de ses rois est illimitée de droit ; mais elle est limitée de fait. Le prince n’use point de tout son pouvoir ; quoique l’également au dessus de la loi, il se soumet à la loi ; de sorte que son Gouvernement, loin d’étre despotique, est simplement paternel. Ce qui le prouve bien, c’est que la Noblesse y joüit de ses privileges comme dans les Monarchies les plus moderées.

Heureux l’Etat, dont la constitution éxige qu’on soutienne la Noblesse & qu’on favorise la roture, & où le peuple & les grands trouvent une récompense digne de leurs travaux !

VI.

A la Chine, la science est annoblie, en Europe les valeurs : partout les richesses.

Vendre la Noblesse, c’est vendre à un citoien la considération de ses concitoiens, c’est à dire la chose du monde la moins vénale.

Obtenir des lettres de Noblesse, c’est contracter une dette immense envers sa patrie, dette qu’on laisse à sa postérité. Que les gentils hommes sont aujourd’hui mauvais paîeurs !

Soiés honnete homme, & vous ètes Noble, & si vous l’étes, qu’est il besoin que le prince vous déclare tel ? Ah ! je pénètre vomotifs & vos vuës. Le commerce vous a enrichi ; & vous voulés obtenir une défense bien positive de travailler désormais au bien public, & une permission d’ètre oisif, prodigue, fainéant & de mépriser le commerce qui vous enrichit & vous annoblit. Que vous étes peu philosophe !

VII.

On a établi des recherches contre les faux Nobles : ne vaudroit il pas mieux en établir contre les gentilshommes qui dégénèrent ? oui sans doute ; mais l’éxécution d’une pareille loi seroit impracticable : nous sommes trop corrompus : trouvés moi des Catons.

[9] Un prince offrit des lettres de Noblesse à un officier : celui ci ne les accepta, que sous cette condition expresse ; que le premier de ses descendans qui seroit fainéant, lâche ou vicieux, rentreroit dans la roture. Heureux les gentilshommes, de ce que leurs aieux ne se sont point avisés de cette condition, seule capable d’arréter les abus & les inconvéniens de la Noblesse héréditaire !

VIII.

Agir avec bassesse & parler avec hauteur ; caractère distinctif de la plupart des Nobles.

Rien de plus rampant & de plus insolent tout à la fois, que la haute Noblesse. Ces fiers patriciens, qui traitoient les rois comme les derniers des mortels, adorerent des affranchis.

Ebene 3► La Noblesse n’a pas partout le même caractère ; c’est qu’elle n’est pas soumise à la même forme de gouvernement. Le gouvernement dépend du climat ; Mr. de Montesquieu l’a (*1 ) prouvé. Le caractère de la Noblesse dépend de la constitution de l’Etat ; c’est la loi publique à laquelle les moeurs se conforment : un coup d’oeuil jetté sur les differens Etats de l’Europe suffit pour le démontrer. En Angleterre, où la liberté seule est sur le trône, & où la Noblesse a part à la législation, mais seulement par sa faculté d’empècher, elle est orgueilleuse & populaire tout ensemble ; elle s’affranchit du joug des bienséances & du préjugé comme elle s’est affranchie de toute autorité arbitraire ; elle a dans le suprème degrè toutes les qualités & toutes les foiblesses qu’on peut avoir, quand on aime autant dépendre du peuple, qu’on hait de dépendre du roi. En France, où régne l’honneur, & où le prince se décharge sur la Noblesse d’une partie de son immense pouvoir, elle est vaine, courageuse, esclave des lois de l’honneur, ambitieuse, & rassemble toutes les qualités & tous les [10] sentimens qu’on peut avoir, lorsqu’on regarde comme la souveraine infamie d’ètre confondu avec le peuple, & comme le bonheur suprème d’obeir au roi & de le servir. En Pologne, où le gentilhomme est si puissant, qu’il n’a qu’a lâcher un liberum veto pour arréter les déliberations des Diétes, la Noblesse est fiere, magnifique, impétueuse, & a tous les défauts qu’on peut avoir, quand on joüit, dans le sein de la pauvreté, d’une liberté sans bornes, & qu’on peut se racheter du meurtre d’un homme pour cinquante écus. En Russie, la Noblesse est (+2 ) esclave & remuante ; esclave parcequ’elle est soumise au pouvoir despotique : remuante, parceque la succession au trône n’est pas encore bien établie ; elle a tous les sentimens que peuvent avoir des cœurs que la force du climat, dit Mr. le Président de Montesquieu, entraine vers la liberté, mais que les circonstances retiennent dans l’esclavage. En Dannemarc, où le prince, quoique independant, se soumet aux lois avec autant de sagesse que de générosité, & pouvant faire tout ce qu’il veut ne fait que ce qu’il doit ; en Dannemarc, où heureusement on ignore ce que c’est que coups d’état ; où la douceur, la justice, la prudence occupent un trône inébranlable ; où la puisance souveraine ne s’est éxercée que pour corriger les abus nés de l’aristocratie, & que pour affranchir le peuple du joug des Nobles, les Nobles sont . . . . . . . . ◀Ebene 3 Qu’allois-je faire ? Est ce à un étranger à peindre un corps si respectable ? J’ai donné le principe ; tirés la conséquence, elle est infaillible ; je me tais, l’on m’accuseroit, ou d’ètre satirique ou d’ètre flatteur.

[11] IX.

J’ai dit, qu’il seroit ridicule d’instituer aujourd’hui la Noblesse héréditaire ; je me retracte. Notre siécle est très éclairé : mais c’est le siécle de l’opinion. Les Princes sont moins en état que jamais de récompenser réellement ; ainsi, supposé que la Noblesse ne fut pas encore héréditaire, il seroit très naturel, qu’ils paiassent les services de leurs sujets en monnoie idéale.

Presqu’en tout païs, les gentilshommes font du métier de la guerre leur unique occupation. Une épée est souvent tout le patrimoine des ainés comme des cadets. Roturiers ! n’enviés point la considération que cette utile chimère leur attire : ils l’achetent de leur sang.

Le gentilhomme nait pour vivre & mourir au service d’autrui : il est pourtant bien doux & bien naturel, disoit un de mes amis, de vivre & de mourir à son propre service.

La Noblesse est une chaine, trop délicate pour lier nos passions, assés forte pour les mettre & les retenir dans les fers de l’honneur.

X.

Le gentilhomme sans mérite méprise souverainement le financier sans mérite. Le premier est pourtant plus méprisable. Le financier n’est obligé à la vertu, que parcequ’il est homme ; le Noble a un motif de plus ; il y est obligé par devoir & par état, parcequ’il est homme & parcequ’il est Noble,

Suivant les idées reçües, un roturier n’est méprisable que quand il a le cœur bas ; un gentilhomme n’est estimable que lorsqu’il a le coeur élevé.

Mieux récompensés, les Nobles devroient, ce semble, ètre plus sévérement punis. Si, dans la sanction des lois, on les a quelquefois distingués du reste des sujets, c’est par une conséquence [12] naturelle du principe politique qui a établi la Noblesse. Les princes, ne récompensant certaines vertus que par les honneurs, il étoit dans l’ordre qu’ils ne châtiassent certains crimes que par des notes d’infamie. Imaginés des hommes, dont le cerveau est uniquement frappé de je ne sai quel fantôme, appellé la belle gloire, vous le punirés autant, en leur ótant ce fantôme, qu’en leur ôtant la vie. Attachés à une peine une idée d’infamie & à une idée d’infamie l’idée de l’équivalent du dernier supplice ; tous les grands cœurs se plieront à cette façon de penser, parceque presque tous les grands coeurs sont des esprits faux. Il falloit donc, pour entretenir le principe d’honneur qu’on établissoit, que le Noble fut puni par la honte de la dégradation ; il falloit que, pour les grands crimes, le roturier fut pendu & le gentilhomme décapité ; différence qui n’a rien de réèl.

Ce que je viens de dire se sentira mieux par cette réfléxion : combien y a t’il de Nobles, qui aimeroient mieux mourir que survivre à leur Noblesse ?

XI.

On ne se donne point son père : réfléxion bien propre à humilier le Noble orgueilleux & à encourager le roturier modeste.

Que je plains un gentilhomme, qui ne peut me parler que des vertus de ses ancètres ! j’aimerois autant qu’il me dît : j’ai été.

Quand je vois un Noble se retrancher sur sa qualité, il me semble voir un grand arbre, qui tombe, si on ne l’étaîe. Je cherche du fruit dans les branches, & les branches me renvoient à la racine.

XII.

Ebene 3► Dialog► Veux tu, disoit un Allemand à son fils, deshonorer ta famille en t’alliant à une petite bourgeoise ? que diroient nos aieux, [13] s’ils voioient le seul rejetton d’une tige féconde en héros introduire dans leur maison un sang roturier ?

Mon père, répondit le fils, ils diroient tout ce qu’ils voudroient ; je leur soutiendrois, qu’une beauté parfaite est le chef d’œuvre de la nature, & qu’un chef d’œuvre qu’on peut posséder, une femme dont on se doit la conquète, vaut mieux que les lettres vermouluës d’une Noblesse, dont la gloire, transmise par héritage, est duë au hazard. Je leur dirois, que je cherche la Noblesse à la tète de mon régiment, & que je ne cherche que mon plaisir dans le mariage. Si je leur montrois ma maitresse, mes vénérables aieux seroient mes rivaux. ◀Dialog ◀Ebene 3

XIII.

Ebene 3► Fremdportrait► Du côté du mérite & de l’âge, disoit un gentilhomme, je suis reculé de dix années ; le bonheur d’ètre né Comte me donne une avance de vingt ans sur mes ainés. Là dessus, il s’endort dans les bras de la mollesse & de l’oisiveté ; il abandonne à sa Noblesse le soin de son avancement. Ses cadets profitent de sa létargie, méritent les premiers emplois, & le laissent dans les subalternes.

Vous vous plaignés, de ce que l’on donne à des enfans, à qui une haute Noblesse tient lieu d’expérience & de capacite, des récompenses que vous avés achetées au prix de votre liberté, de votre jeunesse, de ce que vous avés de plus cher. Attendés la fortune. Dès qu’elle vous aura porté à un certain période de grandeur, vos enfans, à leur tour, auront dispense d’âge & de mérite, en vertu de l’illustration & de l’éclat que vous aurés donné à votre nom. On ne demande point au Duc de Villars le mérite de son père. ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

XIV.

Ebene 3► Non, disoit un bourgeois de Londres, je ne changerois [14] pas de condition avec certains princes, s’il falloit en même tems changer de sentimens & de génie avec eux. Le bourgeois étoit vertueux ; & les princes, dont les procedés allumoient sa bile, n’etoient que princes. ◀Ebene 3

XV.

Plus vous vantés votre naissance, plus vous vous avilissés. Vous servés fort maladroitement votre amour propre ; prenés y garde ; vous le sacrifiés à vos aieux. Plus on vous rendra de respects, moins vous serés certain, si c’est à vous qu’on les rend, ou bien au nom illustre que vous portés : vous vous mettés de niveau avec votre laquais, qui, avec toute la bassesse de ses sentimens, seroit en droit d’éxiger les mèmes honneurs, si le hazard en avoit fait un gentilhomme.

A voir l’orgueil & les vices de quelques Nobles, on diroit, qu’ils sont chargés de faire les honneurs des noms, qu’ils deshonoreroient, si des sillabes pouvoient ètre deshonorées.

Les crimes de nos pères ne nous rendent pas coupables : leurs vertus nous rendroient elles estimables ? vieille réfléxion, toujours emploiée envain contre un travers, plus vieux encore, mais si bien imprimé dans la tète de la plupart des Nobles, qu’on le croiroit à la fleur de son âge.

Cent quartiers annoblissent moins qu’une belle action. Un gentilhomme Danois a offert & accordé la liberté aux païsans serfs de sa terre, & par là, de meubles, a fait des hommes. Que les bons éxemples ne sont ils contagieux ? ce trait, aux ïeux d’un ami de l’humanité, rend ce seigneur plus respectable que toutes les vertus de ses ancètres. La gloire de porter les premiers coups au gouvernement féodal étoit réservée à la même famille, qui a si fort contribué à rendre le gouvernement de l’Etat héréditaire.

[15] XVI.

Si chaque famille avoit son arbre généalogique depuis deux mille ans, les roturiers auroient peut ètre plus de sujets de vanité que les Nobles ; on verroit un empereur, descendre en droite ligne d’un valet de pié, & un valet descendre d’un César. Quand un Noble nous vanteroit ses aïeux, on lui rappelleroit, que le premièr de sa race n’étoit qu’un artisan ou un paisan ; on le renveroit à son arbre ; on trouveroit toujours de quoi rabattre son orgueil dans le nombre infini des changemens, que la fortune a fait dans les familles, qui, ne sont jamais semblables à elles mè mes <sic>, deux siécles de suite.

Rien ne pique plus l’ancienne Noblesse, que les annoblissemens, comme si un homme nouveau ne valoit pas souvent un demi Dieu du bon vieux tems, où l’on étoit si peu délicat sur le mérite.

Le prince ne peut annoblir mes ancètres : & il peut annoblir mes enfans ?

Le plébéien s’élève, dit le Catilina de Crébillon. Un gentilhomme de la vieille roche, enchanté de ces mots, les appliqua à notre siécle. Il faut bien, lui dit quelquun <sic>, que le plébéien s’élève, dès que le patricien baisse.

XVII.

De grandes richesses ne sont elles pas préférables à la Noblesse la plus ancienne ? Si j’avois à choisir, j’aimerois mieux, je l’avoüe franchement, ètre un obscur & riche actioniste, qu’un célèbre & pauvre préadamite.

Que vous pensiés autrement, je n’en suis pas surpris. Vous avés l’imagination vive ; les fumées de la vanité, en passant à travers, prennent de la consistence & de la réalité ; mais moi qui l’ai foible, qui ne suis touché que des biens actuels, qui me soucie [16] fort peu d’éxister dans le cerveau d’autrui, qui ne trouve de vrai bonheur que hors des chimères, moi qui sais que la pauvreté rend les hommes ridicules, je me déclare pour les richesses.

La Noblesse est du gout des esprits faux, des cerveaux romanesques. Les richesses sont un bien réèl, & d’un gout géneral. Suis je voluptueux ? les quatre parties du monde paient tribut à ma sensualité. Suis je bienfaisant ? je me livre au plaisir de faire des heureux. Suis je avare ? je m’occupe de mon trésor, je le vois grossir tous les jours. Suis je ambitieux ? mes biens me mettent au niveau des grands. Ai je l’ame tendre ? une clé d’or m’ouvre tous les coeurs. La Noblesse ne me donne ni le nécessaire ni le superflu. Riche, on me porte envie : pauvre gentilhomme, je fais pitié ; & encore, faut il que je sois fort humble.

Je suis gentilhomme : dites donc ; j’ai le malheur d’ètre gentilhomme : fils de Noble, vous mourés de faim ; fils de marchand, vous vivriés à votre aise. Corrigés ce malheur de votre illustre naissance ; entrés dans le commerce. Un homme de ma qualité ! si ! &, parbleu ! vous n’ètes pas de meilleure maison que tant de princes. Mais que diroit on ? Voulés vous ètre le martir d’une chimère ? Suivant le sistème politique d’aujourd’hui, un négociant est plus utile à l’Etat qu’un gentilhomme ; donc, un gentilhomme est moins grand qu’un négociant, & s’il est moins grand, je vous laisse à décider, s’il est plus Noble.

Guérisses vous de l’injuste mépris, que vous avés pour la profession la plus nécessaire à un Etat bien policé. Ce commerce, que vous dédaignés, est la source de ces ruisseaux d’or & d’argent qui circulent dans tous les membres du corps civil ; c’est le marchand qui fait valoir les terres par l’exportation des denrées ; c’est le marchand qui donne le ton aux affaires de l’Europe par l’etroite liaison de ses affaires avec les affaires d’Etat ; c’est le marchand [17] qui pourvoit à la subsistance de tant de milliers d’hommes qui ne vivent que de leur industrie ; c’est le marchand, qui met le prince en état de païer l’oisif gentilhomme & les serviles importunités de l’inutile courtisan.

Jadis le commerce avoit quelque chose de méchanique. Avec les quatre régles d’arithmétique, un esprit borné, l’habitude des détails, & des usures, on faisoit une fortune rapide. Le Noble portoit les armes, le peuple cultivoit la terre, le bourgeois éxerçoit les arts ; le Juif seul s’attachoit constamment au commerce : Voilà la source du mépris de nos pères. Aujourd’hui le commerce a changé de face : il demande des vuës, des calculs, de la résolution, de la prudence, du courage & beaucoup de cette bonne foi infiniment plus rare que le courage. Si le commerce n’est pas noble, annoblissés le par la manière avec laquelle vous l’éxercerés.

Les riches se plaignent des hauteurs des Nobles ; & ce sont les riches qui les gâtent. Dans l’indigence ils les adorent, dans l’opulence ils les imitent. Il leur sied bien de vilipender un corps, dont ils voudroient ètre membres ! Qu’ils osent les traiter d’égaux ; ils n’en auront plus de mépris à essuier.

XVIII.

La fierté dans les manières est le vice des Nobles qui ont l’ame roturiere ; la fierté dans les sentimens est la vertu des roturiers qui ont l’ame Noble. Cicéron m’en fournit un bel exemple. Ebene 3► « On m’a rapporté (*3 ) écrit il à Appius son ami, que [18] vous aviés dit en propres termes : quoi ? Appius est allé au devant de Lentulus, Lentulus au devant d’Appius, & Cicéron n’a pas daigné le faire ? Dites moi, je vous prie, etes vous aussi de ceux qui donnent dans ces pauvretés ; vous que je regarde comme un homme sage, vous qui savés votre monde, vous que les livres ont instruit, vous, dis je, qui vous distingués par une urbanité, que les Stoiciens mettent au nombre des vertus ? pensés vous, que les beaux noms d’Appius & de Lentulus m’en imposent plus que leur mérite personnel ? Lorsque je n’avois pas encore acquis ces titres, auxquels l’opinion attache la vraie grandeur, je vous avoüe, que je n’admirai jamais ces magnifiques noms ; je croiois seulement, que ceux, qui vous les avoient laissés, étoient de grands hommes. Mais, depuis que je suis entré dans les affaires d’état, & que la part que j’ai eue au gouvernement ne m’a rien laissé à desirer ni pour l’honneur ui <sic> pour la gloire, je n’ai jamais, à la vérité, prétendu aucune [19] supériorité sur vous, mais j’ai bien compté d’étre devenu votre égal ; & je n’ai jamais vu, que Pompée que je préfère à tout ce qu’il y a eu de grand, ni Lentulus, que je tiens fort au dessus de moi, pensassent autrement. Si vous avés des idées différentes, vous ne ferés point mal de consulter Athénodore, il vous mettra au fait des vrais principes sur la Noblesse d’extraction. » ◀Ebene 3

Metatextualität► Je préfère ce lambeau de lettre à la plus belle oraison de Cicéron ; les traits de génie les plus brillans sont ils comparables aux simples sentimens d’un cœur élevé ? Vous voiés ici cette candeur, cette modestie, cette grandeur, sans lesquelles il n’est point de véritable Noblesse. Cet homme, qui parloit si simplement, étoit un sénateur ; & ce sénateur étoit un roturier, auquel le premier des Romains eirivoit <sic> ; Ebene 3► « Quant à Marcus Furius que vous m’avés recommandé, je le ferai roi des Gaules ; si vous avés quelquun, à qui vous veüilliés que je donne une couronne, envoiés le moi. » ◀Ebene 3 ◀Metatextualität

Si les Romains revenoient au monde, que penseroient ils, que diroient ils de l’orguëil, que les hommes tirent aujourd’hui de leur naissance ? Pourroient ils concevoir, eux qui étoient, malgré leur puissance, si modestes & si unis, eux qui, même après avoir subjugué l’univers, conservérent la simplicité des moeurs, concevroient ils, dis je, que nos gentilshommes pussent s’ennorgueillir des vertus de leurs pères ? Nos plus grands hommes leur paroitroient des nains, & peut ètre parmi nos nains trouveroint ils de grands hommes. Nos héros auroieut <sic> beau se guinder sur des échasses, parler en termes ampoullés, prendre un ton imposant, se donner un air de dignité ; plus ils emprunteroient de majesté, plus ils essuieroient de piquantes railleries. Nos colosses seroient des pigmées, qui n’affecteroient ces géants [20] qu’en burlesque ; & nos emphatiques discours formeroient pour eux les scènes les plus comiques. Ils prendroient plaisir à mettre nos gentilshommes sur le chapitre de leur Noblesse, & riroient autant de leur superbe enthousiasme, que nous rions d’un gascon qui nous parle de sa valeur, ou d’un petit maitre qui nous entretient de ses bonnes fortunes. Nos plus belles actions, nos plus héroiques exploits, envisagés sous un certain point de vuë, ne leur offriroient qu’une parodie du Noble & du grand. Que six mois de commerce avec les Romains nous rendroient philosophes sur les vrais principes de la Noblesse !

Régle générale. L’orgueil des hommes est toujours en raison proportionnelle de leur mérite.

Autre régle. Un corps de Nobles, déchu de ses privilèges, a toujours plus d’orgueil, qu’un autre corps qui en joüit. Rien de plus haut qu’un grand d’Espagne, parcequ’autrefois, rien de plus grand en Europe. Point de Noblesse plus fière que la Noblesse Allemande, parcequ’elle ne ressemble en rien a la Noblesse Romaine à qui elle pretend avoir succedé. Telle est la force de l’illusion, que nous croions réparer nos pertes en nous donnant les sentimens, que nous nous imaginons que nous inspireroient les avantages & les prerogatives que nous avons perdu.

XIX.

Presque tous les grands génies sont nés dans le sein de la roture. Les Ximenès, les Greiffenfelds, les Colberts, les Volseys, les Fleuris n’étoient point gentilshommes ? quel est le Noble, qui oseroit se comparer à ces illustres personnages ? cette folie ne pourroit entrer que dans la tète d’un homme, qui ne seroit jamais sorti de son château.

Parcourés avec attention l’histoire ancienne & moderne ; vous verrés, que le genre humain est redevable aux roturiers [21] des plus vertueuses actions, des plus utiles découvertes, des plus beaux établissemens. Les Nobles ont bien rendu de grands services aux princes ; mais ils en ont rendu fort peu aux hommes. Quelle gloire, quels titres de Noblesse pour un roturier, qui fait une découverte utile à la societé, d’avoir pour créancier tout l’univers !

Ebene 3► Exemplum► Que les Nobles parlent de mésalliance, on n’a, pour leur fermer la bouche, qu’à leur citer l’éxemple du plus grand homme, qui ait peut ètre encore paru, de Pierre I. Ce prince, en associant à son lit & à son trône une femme de rien, fit voir à l’Europe étonné, qu’il naît des impératrices dans les conditions les plus viles. Dans quelle princesse Pierre le grand auroit il trouvé cette fermeté, ce vaste génie, cette majesté, cette grandeur d’ame qu’il rencontra dans une villageoise ? C’est la nature seule, qui forme les ames supérieures, qu’elle destine aux fortunes brillantes. Au sortir de ses mains Catherine étoit parfaite. ◀Exemplum ◀Ebene 3

XX.

Metatextualität► Si j’avois fait ici un pompeux éloge de la Noblesse, j’aurois fait ma cour, je le sai, à la plupart de mes lecteurs : je sens bien, qu’un début, tel que celui ci, grossira le nombre des personnes, qui ne peuvent souffrir, qu’on ose attaquer leurs préjugés. N’importe :Je ne suis qu’aux gages de la vérité ; & il ne dépend pas plus de moi de penser autrement, que d’écrire ce que je ne pense pas. Que la Noblesse en soit piquée, j’en serai peut ètre fâché ; mais assurément je n’en serai pas surpris. Quel crime y a t’il de dire aux Nobles ? dégagés votre ame d’une ridicule prévention ; la plus haute naissance ne sauroit justifier le plus léger mépris d’un homme à l’égard d’un homme. Quel crime de dire aux roturiers ? ne murmurés point de l’obscurité où la Providence vous a placé. Quel crime de dire aux uns & aux autres ?

Vos rangs sont dans le Ciel marqués par Vos vertus. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1(*) Voiés l’Esprit des Loix.

2(+) Esclave & despotique sont pris ici dans le sens Anglois. Les Russiens sont aujourd’hui gouvernés avec douceur. L’Impèratrice n’use point de son pouvoir illimité. Loin de se joüer de l’humanité, elle fait aimer ses lois & admirer sa clémence.

3(*) Illud idem Pausania dicebat te dixisse: Quidui? Appius Lentulo, Lentulus Appio processit obviam, Cicero Appio noluit ? Quæso, etiam ne tu bas ineptias? Homo, mea sententia, summa prudentia, multa etiam doctrina, plurimo [18] rerum usu, addo urbanitatem, quæ est virtus, ut Stoici rectissime putant, ullam Appietatem aut Lentulitatem valere apud me plus quam ornamenta virtutis existimas? Quum ea consecutus nondum eram quæ sunt hominum opinionibus amplissima ; tamen ista vestra nomina nunquam sum admiratus : viros eos, qui ea vobis reliquissent, magnos arbitrabar. Postea vero quam ita & cœpi & gessi maxima imperia, ut mihi nihil neque ad honorem neque ad gloriam acquirendam deesse putarem, superiorem quidem nunquam, sed parem vobis speravi me esse factum : nec mehercule aliter vidi existimare vel Cn. Pompeium, quem omnibus qui unquam fuerunt, vel P. Lentulum, quem mihi ipsi antepono. Tu si aliter existimas, nihil errabis, si paulo diligentius, ut, quid sit ԑvyԑvԑiα, quid nobilitas, intelligas, quid Athenodorus de his dicat attenderis. Ep. L. 3. Ep. 7.