Un auteur qui fait de sa maison un bureau de correspondance littéraire, doit recevoir tous les plis qu’on lui envoie pour les faire passer à leur adresse. Je vais donc donner aujourd’hui à mes lecteurs celui que je reçus ces jours passés, tel qu’il m’a été expédié, sans rien ajouter ni diminuer. C’est un entretien aux
L’auteur, après avoir donné la description des
Ah ! vous voilà enfin arrivé dans le royaume des morts !
Hélas oui ! m’y voilà, dont je suis bien fâché ; car j’avois encore beaucoup d’affaires à terminer là-haut avant de descendre ici. Par exemple, j’avois planté vingt mille pieds d’arbres dans mes terres dont je ne verrai jamais les feuilles. Mais qui êtes-vous pour vouloir vous entretenir avec moi ? car je veux toujours savoir à qui je parle.
Je suis l’ombre de
Ah, sire ! pardonnez-moi ; je n’ai pas connu votre majesté ; car d’un roi de
N’employez l’épithete ni de sire, ni de majesté, ni de monarque. Aux
Vous gageriez bien : je l’ai été aussi, puisque me voici. Nul ne peut éviter son sort. J’ai été étranglé jusqu’à ce que mort s’en est suivie.
On vous a rendu justice, car il faut convenir que vous l’avez bien mérité. Je ne vous eus pas plutôt fait l’intendant de mes armées, que j’appris par mes généraux que vous mangiez les rations des chevaux de ma cavalerie, qui, à cause de cela étoit devenue fort
Je ne vous le dirai pas. Je sus seulement une minute avant ma mort que j’allois mourir. Tout ce dont je me souviens, c’est qu’en Au nom du père et du fils, qu’il m’étrangla au nom du Saint-Esprit.
Je crois que votre exécution dut attirer beaucoup de monde en
Oui, le
Ce fut sans doute un spectacle pour
Bien grand : il n’y avoit pas moins de cinq cents bourreaux pour me pendre : jamais tant de bras ne s’étoient réunis pour étrangler un homme.
Mais qui est-ce qui a instruit votre procès ?
Personne. On a trouvé que les formalités au criminel sont trop longues ; on pend, et ensuite on instruit le procès. Pour éviter les lenteurs ordinaires de la justice, on a réformé les huissiers, les greffiers, les procureurs, les avocats et les rapporteurs.
Il n’y a donc plus de palais à
Le palais y est, mais la justice n’y est lezé-nation, elle l’accroche.
Que veut dire cette expression ?
Ma foi, je n’en sais rien : autrefois le mot de nation étoit collectif, à présent il est direct : on dit l’armée de la nation, le gouvernement de la nation, la puissance de la nation, l’autorité de la nation, les ministres de la nation, les richesses de la nation, les biens de la nation, les comédiens de la nation, etc. etc. etc.
Et que reste-t-il donc au roi ?
Vous voulez sans doute que je vous le dise au juste ?
Oui.
Rien.
Il n’y a donc plus de roi en
Je vous demande pardon. Il y en a un ; mais il a changé de nom.
Comme l’appelle-t-on donc ?
Le roi des François.
C’est la même chose.
Non pas tout-à-fait ; car il y a une grande différence d’être le maître d’un domaine, ou seulement suzerain de ceux qui l’ont en propriété. Cela s’apelle en termes de droits féodaux : Séparer la terre du fief, c’est-à-dire, perdre tout pour n’acquérir rien.
Et qu’a dit mon petit-fils à cela ?
Pas un mot. Depuis la fondation de la monarchie, on n’avoit jamais vu un roi aussi silencieux. Il a perdu le plus grand attribut de
Je vois ce que c’est. Mon petit-fils est chasseur ; il passe sans doute sa vie à la chasse.
Point du tout : ses bons et fideles sujets l’aiment tant, qu’ils ne voudroient jamais le perdre de vue.
Oh ! je suis maintenant au fait.
Oh ! il n’y a plus de
Comment le roi a-t-il pu se résoudre à abandonner un séjour si délicieux ?
Il ne l’a pas abandonné : on l’a prié seulement de déloger. Vingt mille hommes se chargerent de cette priere ; et afin qu’elle fût plus efficace, on mit plusieurs batteries de gros canons à leur tête, pour le supplier très-respectueusement de venir habiter sa capitale. La cérémonie ne fut pas longue : on coupa les têtes à ses gardes-du-corps le matin, et on le conduisit le soir en triomphe à Vive le Roi ! Les cris de ces vive le roi furent si grands, qu’il y eut tout plein de parisiens qui furent enrhumés pendant plus de huit jours, tant ils avoient de la joie de voir leur roi.
Et où l’a-t-on logé ?
Aux
L’horreur ! ce n’est qu’un jardin.
Il est vrai ; mais apparemment que l’on croit qu’il aime la culture des fleurs. On sait que tous les rois qui ont abandonné le soin de l’empire sont devenus fleuristes.
Mais d’où vient que mon petit-fils n’a pas fait mettre à la bastille tous ceux qui s’opposoient à sa volonté, et qui par-là changeoient l’ordre des choses ?
A la bastille ! je vois bien que vous n’avez aucune connoissance des affaires de l’autre monde ; elle a été rasée jusqu’à ses fondemens.
Quoi ! il n’y a plus de bastille en
Ce sont encore nosseigneurs du
Dites-moi, je vous prie, qu’est devenu mon petit bon homme le comte
Ces deux vices lui ont passé. Il a pris du goût pour les voyages.
Et d’où lui est venu ce goût-là ? car les enfans de
Il lui est venu du mauvais air qui s’est formé tout d’un coup à dans les affaires politiques, il ne faut toucher les princes qu’à la tête.
Où est-il allé ?
Faire une visite à son beau-père à
Mauvais séjour, sur-tout pour lui qui n’a jamais été à la messe les jours ouvrables, ni à vêpres le dimanche, et qui ne s’est jamais couché à dix heures du soir ; car voilà comme mons <sic> de
Il est devenu habitant du petit
Il n’a donc point de goût pour les voyages.
Non, d’autant mieux qu’il n’est point sujet
Mais d’où est venue cette révolution générale ? dites-le moi.
Je vais vous le dire, autant qu’il est possible de le croire.
Lorsque vous sortîtes du monde, les finances, s’il vous en souvient, étoient en mauvais état ; ceux qu’on choisit pour les rétablir après vous, firent ce qu’on a toujours fait en
Lorsque tout fut perdu, ou à peu-près, on appella un étranger pour réparer le mal. C’étoit un autre
Et tout le monde se trompa. Lorsque je montai sur le trône, mon bisayeul m’ayant laissé trois milliards de dettes à payer, on me conseilla d’avoir recours au même spécifique pour rétablir les finances. Je me fis apporter les annales de la monarchie, pour savoir si je devois faire ce qu’on me conseilloit. L’histoire est le miroir du monde politique. Un roi doit toujours la consulter lorsqu’il se sert d’un grand secours, ou qu’il forme un établissement considérable ; et je tronvai <sic> que ces assemblées, depuis la fondation de la monarchie, lui avoient causé plus de maux qu’elles ne lui avoient fait de bien.
Par une fatalité attachée à la nature humaine, les grandes assemblées ne réussissent jamais ; on diroit que les têtes se rétrécissent dans la proportion de leur nombre, et que plus il y a de sages dans une assemblée, et moins il y a de sagesse. Les grands corps s’attachent si souvent aux minuties, que l’essentiel ne va jamais qu’après.
Il faut que cela soit comme vous le dites ; car à peine les derniers états-généraux furent réunis à
On a dit mal. Il n’y a aucun vice dans un royaume qui demande un pareil remede.
Mais en supposant la nécessité des états-généraux, qu’auriez-vous fait, si, au lieu d’être au nombre des morts, vous eussiez été encore sur votre trône ?
Je vais vous dire. Avant que la députation générale fût constituée en assemblée nationale ; avant qu’elle fût revêtue de l’autorité suprême, j’eusse appellé ses membres dans la grande gallerie de
Je ne vous dissimulerai pas que j’ai longtems été abusé par mes ministres qui m’ont
Mais il n’est plus question, Messieurs, de rappeller le passé ; il s’agit du présent. Les finances sont dans un désordre affreux. Les revenus de l’état ne suffisent pas pour payer les charges ; son déficit est immense. C’est ce même déficit qui m’a engagé à vous rassembler à côté de mon trône : sans ce déficit il n’eût jamais été question d’états-généraux ; comme c’est le premier objet de votre mission, il doit être aussi le premier objet de vos soins : en tout il faut commencer par le commencement.
Le premier fondement de l’empire est l’aisance publique. Les richesses portent avec elles une je ne sais quelle satisfaction qui prévient toutes les difficultés qui naissent dans un état.
Rétablissez les finances, et vous verrez aussi-tôt l’ordre s’établir par-tout : on est bientôt d’accord sur les plus garandes <sic> difficultés quand le numéraire abonde.
S’ils m’eussent désobéi, je les eus renvoyé dans leur province, j’en avois le droit ; car tout roi qui crée peut détruire.