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Cet Art ingenieuxDe peindre la Parole, & de parler aux Yeux.
Monsieur,
Je m’étonne que parmi ce grand nombre de choses agréables & instructives, dont vous nous entretenez tous les jours, il ne vous est jamais venu dans l’esprit de nous communiquer quelques-unes de vos réfléxions sur la Parole, & sur les Lettres. Je crois qu’elles feroient bien autant de plaisir au Public, que tout ce qui est sorti jusqu’ici de la gueule de vôtre Lion. Voici un petit
Je suis &c.
Philogramme.
lettres, dont l’invention a quelque chose de si merveilleux, qu’on est tenté à ne le point attribuer à l’intelligence bornée & au pouvoir limité des hommes.
On est conduit à cette opinion par une difficulté presque insurmontable, qui devoit naturellement traverser dans leur source les succès de cette invention. Pour qu’elle pût réussir, il falloit de nécessité que tous les hommes s’accordassent à attacher les mêmes signes, aux mêmes sons, de ce qui étoit la chose du monde la plus arbitraire ; par conséquent il semble qu’ils doivent avoir été conduits à cette uniformité par une Autorité superieure qu’ils respectassent tous également. C’est l’unique solution qui me paroisse satisfaisante ; car dans le fond il y a aussi peu de liaison entre les lettres & les sons qu’elles indiquent, qu’il y en a entre ces sons mêmes, & les idées, dont ils sont devenus les signes. Cependant, malgré cette difficulté, qui est augmentée de beaucoup, par la variété des Langages, qui ont succedé à une seule Langue générale, les Lettres
De quelque maniere que cette invention puisse avoir réussi, il est toûjours incontestable, qu’elle est d’une utilité extraordinaire, & qu’elle laisse bien loin derriére elle, la méthode de nous communiquer nos pensées par des sons articulez, qui est renfermée dans le bornes étroites du tems & du lieu. Nous pouvons être pressez par un besoin extraordinaire de faire passer nos idées jusques à un Ami absent ; nous pouvons avoir un violent desir de profiter des lumieres d’un homme éclairé qui est mort depuis plusieurs Siécles ; mais ce n’est pas des sons que nous pouvons attendre un service si important ; il n’y a que la merveilleuse invention des lettres, qui puisse nous le rendre ; par ce moyen nous savons donner du corps à nos idées, & égaler leur durée à celle du papier & de l’encre qui en sont com-vehicules. Cette maniere de rendre nos pensées visibles, & de parler aux yeux, est en quelque sorte équivalente à un sixiéme sens, puisque en peignant la voix elle supplée au defaut de l’ouïe dans ceux, chez qui les organes de ce sens sont defectueuses.
Si quelques Peintres se sont acquis une réputation immortelle, en attrapant un air de visage, une perspective, une attitude, en un mot, en conservant sur la toile quelque imitation de la Nature, qui s’imite sans cesse elle-même ; quels applaudissemens ne faut-il pas donner à celui, qui a sû le premier assujettir ses idées à son Pinceau, & offrir à ses yeux le tableau de son esprit ?
La Peinture represente l’homme exterieur, l’écorce de l’homme ; elle ne penetre pas à l’homme réel, à l’Etre raisonnable ; elle n’atteint pas même à l’organe, qui peut découvrir l’homme interieur ; elle peut nous donner une bouche parlante, où la voix semble déja être sur les levres ; mais elle en reste là ; la voix ne suit point. Le fameux
Mais à quoi sert de comparer, avec d’autres Arts l’art decrire <sic> ; toute comparaison de cette nature lui est injurieuse ; il vaut mieux entrer dans l’examen des grands avantages quil <sic> nous procure. C’est par cet art qu’un Negotiant en s’épargnant & les frais & les fatigues d’un voyage peut lier commerce avec les Habitans des deux Indes ; que deux Astronomes separez par tout le diametre de nôtre Globe peuvent entrer au conferance, & que d’un pole à l’autre on se communique ses pensées & ses parolles, ses decouvertes, & ses lumieres. Cet Art rapproche les tems & les lieux & surpasse infiniment l’industrie des Egyptiens, qui savoient conserver les cadavres de leurs amis pendant un grand nombre de siecles ; les Lettres conservent l’Homme, mais ils en conservent la partie immortelle, & elles rendent les morts utiles aux vivants ; c’est par elles que
Je n’en dirai pas davantage ; mon unique but est de reveiller vos idées par les miennes, & de vous donner occasion d’enrichir le public de vos réfléxions sur un si fertile sujet.
Voici les vers en question.