Discours CXL. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 02.05.2018 o:mws.6885 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome III, 328-335 Le Mentor moderne 3 140 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme Greece 22.0,39.0 United Kingdom England England -0.70312,52.16045 France 2.0,46.0 Italy Rome Rome 12.51133,41.89193

Discours CXL.

Rara avis in terris !

Oiseau rare, s’il en fut jamais.

Lettre.

Monsieur,

Plusieurs de vos derniers Discours tendent à nous donner l’idée d’une Femme accomplie ; mais jusques ici il ne vous est pas venu dans l’esprit de nous donner le Tableau achevé d’une Mere de Famille. Permettez-moi d’en dédommager ici le Public en lui remettant devant les yeux celui qu’en a fait le plus éclairé de tous les Rois ; je le trouve si beau, lors même que je le considere comme la simple production d’un homme, qui n’est point illuminé de l’esprit de Dieu, que je ne croi pas qu’il y ait un Caractere dans Theophraste qui soit mieux pensé & exprimé d’une maniere plus élegante.

Qui est-ce qui trouvera une Femme de merite ? son prix est au dessus de celui des pierres précieuses.

Le cœur de son Mari s’assure sur elle ; il ne craint point qu’on le dérobbe.

Elle lui fait du bien tous les jours de sa vie, & jamais du mal.

Elle cherche de la laine & du lin, & elle fait de ses mains tout ce qu’elle veut.

Semblable au Navire d’un Marchand elle sait faire venir des Vivres de loin.

Elle se leve quand il est encore nuit, pour distribuer des Portions à ses Domestiques, & des taches à ses Servantes.

Elle considere un champ, elle l’achete, & elle y plante des Vignes du fruit de ses mains.

Elle ceint ses reins de force, & elle fortifie ses mains.

Elle éprouve que son Commerce est bon ; sa lampe ne s’éteint point dans la nuit.

Elle met ses mains au fuseau, & ses doigts tiennent la quenouille.

Elle ouvre sa main à l’Affligé, & l’étend vers ceux qui souffrent.

Elle ne craint point pour ses Enfans les rigueurs de l’Hyver, car toute sa Famille est habillée de vêtemens doubles.

Elle fait des couvertes de fin lin ; ses habits sont de soye & de pourpre.

Son Epoux est distingué dans les Portes, quand il est assis parmi les Anciens du Païs.

Elle fait de la toile fine, & la vend, elle delivre des ceintures aux Marchands.

Elle est vêtuë de force & d’honneur, & elle se prépare de la joye pour l’avenir.

Elle ouvre sa bouche avec sagesse, & la Loi de la Charité réside sur sa langue.

Elle examine la conduite de tout son Domestique, & ne mange point le pain de paresse.

Ses Enfants se levent pour lui faire honneur, & la benissent ; son Epoux en fait de même, & il la louë.

Plusieurs Femmes, dit-il, se sont conduites vertueusement, mais tu les surpasse toutes.

La grace est trompeuse, & la beauté passagere, mais la Femme qui craint l’Eternel mérite seule des éloges.

Qu’elle jouïsse du fruit de ses mains, & que ses propres ouvrages la louënt dans les Portes.

Je suis &c.

Autre lettre.

Monsieur,

J’ose hazarder la Traduction suivante dans la gueule de votre Lion, persuadé, que si vous ne la trouvez pas une bonne nouriture pour lui, vous lui permettrez du moins de la mettre en piéce.

Portrait d’une Belle. Ode traduite d’Anacreon. Savant Peintre prens ton Pinceau, Et fai de ma belle MaîtresseUn Portrait si correct, si beau,Qu’il enchante toute la Grece.Que si tu ne te souviens pasDes attraits qui brillent en elle,J’en vai faire un recit fidelleAprès lequel tu le peindras ;D’abord il faut que tu commencesPar nous étaler ses cheveux ;Represente les, si tu peuxParfumez de douces essencesFai que mollement sur son dosIls voltigent à longue suite,Et pour les exprimer, imiteLa vague ondoyante des flots.Sous ses cheveux de couleur noirePein son front plus blanc que l’ivoire.Ainsi que deux Freres JumeauxQu’en tout ses sourcils soient égaux :Laisse entre eux un petit espace,Et fai que de brun colorezTous deux se courbent avec grace,Ni trop joints, ni trop séparez. Tels que dans Pallas on les vanteRepresente nous ses yeux bleus ;Que pleins d’une flamme touchanteIls soient vifs autant qu’amoureux.Donne à son teint l’éclat des Roses,Sous un brillant Soleil écloses,Et pour rendre son nez parfaitQu’il soit fin, & d’un blanc de lait ;Sur sa levre persuasiveRépan une couleur si vive.Que chacun se sente embraserD’un promt desir de la baiser.Pein son menton, dont naît sans cesseLa grace & la délicatesse,Et sa gorge dont l’agrémentRedouble à chaque mouvement ;Que de Pourpre elle soit vêtuëMais laisse à nû certains appas,Et fai qu’on juge par la vûëDes beautez, que l’on ne voit pas.C’est assez ma joye est extrême ;Rien ne peut mieux lui ressembler ;Mais, que dis-je ? C’est elle-même,Ecoutons ; elle va parler :

Un des plus dignes Prélats de notre Eglise remarque, que traduire des Livres dans une Langue, est le moyen le plus propre à l’enrichir & à la rendre plus belle & plus élégante, pourvû que le Traducteur entende la Langue de son Auteur, & qu’il posséde parfaitement la sienne.

Lors qu’un homme exprime ses propres pensées, la chaleur de son imagination, & une espece de verve, que la composition excite l’entraînent si fort, qu’il n’est pas en état de juger de la proprieté de ses termes, & de la justesse de ses figures ; outré ou trop foible sans s’en apercevoir lui-même ; mais lors qu’un homme traduit il peut se posséder ; il suit tranquillement son original, & son esprit n’est pas distrait par plusieurs operations differentes, qui l’occupent tout à la fois. Les François par conséquent ont parfaitement bien raisonné, quand ils ont cru rendre leur Langue polie & exacte, en y faisant passer les Ouvrages des meilleurs Auteurs de la Grece, & de Rome. Voila les sentimens de cet illustre Ecclesiastique sur ce sujet. Un autre Auteur mort depuis peu est à peu près de la même opinion ; il nous dit que les traductions, qui négligent les termes d’un Auteur, pour ne s’attacher qu’à son sens, & à son genie, ont été inconnuës en Angleterre avant ce Siécle.

Mylord Roscommon parle fort juste, ce me semble, lors qu’il dit :

Plaçons au premier rang la composition, Rendons pourtant justice à la Traduction ;Il est vrai, sans produire, elle sait les pensées,Mais elle nous les offre agréables, sensées,Si le feu, le Genie, y sont mis à l’écart.On y voit triompher le Jugement, & l’Art.

Notre Dryden remarque d’une maniere judicieuse que le devoir d’un Traducteur est de faire paroître un Auteur aussi admirable, qu’il est possible, pourvû qu’il conserve le caractere de son original, & qu’il ne le fasse pas changer de genie ; l’imitation servile, que ce Poëte appelle l’art de marcher sur les talens d’un autre, est encore agréablement tournée en ridicule par le Chevalier Denham ; Je crois, dit-il, que d’affecter le titre de fidelle Interprete, sur tout en matiére de Poësie, c’est se faire une gloire de sa honte ; qu’on ait cette fidélité exacte, quand il s’agit de Faits historiques, ou d’Articles de Foi ; mais quiconque s’en pique, quand il est question de traduire un Poëte, fait une entreprise aussi inutile, qu’il est impossible de l’executer ; il ne faut pas seulement remplacer des Phrases par des Phrases, mais de la Poësie par de la Poësie, & l’esprit Poëtique est si subtil, qu’il s’évapore en passant d’une Langue dans une autre ; si dans la transfusion on n’a pas soin d’ajouter à la matiére, un esprit nouveau, on ne conservera rien, que ce que les Chymistes appellent Caput Mortum ; chaque Langue a ses graces, & ses tours heureux, qui donnent de la vie & de la force aux expressions, & un Ouvrage, qui subit une traduction literale, a le sort d’un certain jeune Voyageur, qui avoit oublié sa propre Langue, sans en apprendre aucune autre. L’Anglois, qui devient Latin exactement literal perd tout son agrément, & le Latin servilement traduit en Anglois n’est plus qu’un corps sans ame.

Discours CXL. Rara avis in terris ! Oiseau rare, s’il en fut jamais. Lettre. Monsieur, Plusieurs de vos derniers Discours tendent à nous donner l’idée d’une Femme accomplie ; mais jusques ici il ne vous est pas venu dans l’esprit de nous donner le Tableau achevé d’une Mere de Famille. Permettez-moi d’en dédommager ici le Public en lui remettant devant les yeux celui qu’en a fait le plus éclairé de tous les Rois ; je le trouve si beau, lors même que je le considere comme la simple production d’un homme, qui n’est point illuminé de l’esprit de Dieu, que je ne croi pas qu’il y ait un Caractere dans Theophraste qui soit mieux pensé & exprimé d’une maniere plus élegante. Qui est-ce qui trouvera une Femme de merite ? son prix est au dessus de celui des pierres précieuses. Le cœur de son Mari s’assure sur elle ; il ne craint point qu’on le dérobbe. Elle lui fait du bien tous les jours de sa vie, & jamais du mal. Elle cherche de la laine & du lin, & elle fait de ses mains tout ce qu’elle veut. Semblable au Navire d’un Marchand elle sait faire venir des Vivres de loin. Elle se leve quand il est encore nuit, pour distribuer des Portions à ses Domestiques, & des taches à ses Servantes. Elle considere un champ, elle l’achete, & elle y plante des Vignes du fruit de ses mains. Elle ceint ses reins de force, & elle fortifie ses mains. Elle éprouve que son Commerce est bon ; sa lampe ne s’éteint point dans la nuit. Elle met ses mains au fuseau, & ses doigts tiennent la quenouille. Elle ouvre sa main à l’Affligé, & l’étend vers ceux qui souffrent. Elle ne craint point pour ses Enfans les rigueurs de l’Hyver, car toute sa Famille est habillée de vêtemens doubles. Elle fait des couvertes de fin lin ; ses habits sont de soye & de pourpre. Son Epoux est distingué dans les Portes, quand il est assis parmi les Anciens du Païs. Elle fait de la toile fine, & la vend, elle delivre des ceintures aux Marchands. Elle est vêtuë de force & d’honneur, & elle se prépare de la joye pour l’avenir. Elle ouvre sa bouche avec sagesse, & la Loi de la Charité réside sur sa langue. Elle examine la conduite de tout son Domestique, & ne mange point le pain de paresse. Ses Enfants se levent pour lui faire honneur, & la benissent ; son Epoux en fait de même, & il la louë. Plusieurs Femmes, dit-il, se sont conduites vertueusement, mais tu les surpasse toutes. La grace est trompeuse, & la beauté passagere, mais la Femme qui craint l’Eternel mérite seule des éloges. Qu’elle jouïsse du fruit de ses mains, & que ses propres ouvrages la louënt dans les Portes. Je suis &c. Autre lettre. Monsieur, J’ose hazarder la Traduction suivante dans la gueule de votre Lion, persuadé, que si vous ne la trouvez pas une bonne nouriture pour lui, vous lui permettrez du moins de la mettre en piéce. Portrait d’une Belle. Ode traduite d’Anacreon. Savant Peintre prens ton Pinceau, Et fai de ma belle MaîtresseUn Portrait si correct, si beau,Qu’il enchante toute la Grece.Que si tu ne te souviens pasDes attraits qui brillent en elle,J’en vai faire un recit fidelleAprès lequel tu le peindras ;D’abord il faut que tu commencesPar nous étaler ses cheveux ;Represente les, si tu peuxParfumez de douces essencesFai que mollement sur son dosIls voltigent à longue suite,Et pour les exprimer, imiteLa vague ondoyante des flots.Sous ses cheveux de couleur noirePein son front plus blanc que l’ivoire.Ainsi que deux Freres JumeauxQu’en tout ses sourcils soient égaux :Laisse entre eux un petit espace,Et fai que de brun colorezTous deux se courbent avec grace,Ni trop joints, ni trop séparez. Tels que dans Pallas on les vanteRepresente nous ses yeux bleus ;Que pleins d’une flamme touchanteIls soient vifs autant qu’amoureux.Donne à son teint l’éclat des Roses,Sous un brillant Soleil écloses,Et pour rendre son nez parfaitQu’il soit fin, & d’un blanc de lait ;Sur sa levre persuasiveRépan une couleur si vive.Que chacun se sente embraserD’un promt desir de la baiser.Pein son menton, dont naît sans cesseLa grace & la délicatesse,Et sa gorge dont l’agrémentRedouble à chaque mouvement ;Que de Pourpre elle soit vêtuëMais laisse à nû certains appas,Et fai qu’on juge par la vûëDes beautez, que l’on ne voit pas.C’est assez ma joye est extrême ;Rien ne peut mieux lui ressembler ;Mais, que dis-je ? C’est elle-même,Ecoutons ; elle va parler : Un des plus dignes Prélats de notre Eglise remarque, que traduire des Livres dans une Langue, est le moyen le plus propre à l’enrichir & à la rendre plus belle & plus élégante, pourvû que le Traducteur entende la Langue de son Auteur, & qu’il posséde parfaitement la sienne. Lors qu’un homme exprime ses propres pensées, la chaleur de son imagination, & une espece de verve, que la composition excite l’entraînent si fort, qu’il n’est pas en état de juger de la proprieté de ses termes, & de la justesse de ses figures ; outré ou trop foible sans s’en apercevoir lui-même ; mais lors qu’un homme traduit il peut se posséder ; il suit tranquillement son original, & son esprit n’est pas distrait par plusieurs operations differentes, qui l’occupent tout à la fois. Les François par conséquent ont parfaitement bien raisonné, quand ils ont cru rendre leur Langue polie & exacte, en y faisant passer les Ouvrages des meilleurs Auteurs de la Grece, & de Rome. Voila les sentimens de cet illustre Ecclesiastique sur ce sujet. Un autre Auteur mort depuis peu est à peu près de la même opinion ; il nous dit que les traductions, qui négligent les termes d’un Auteur, pour ne s’attacher qu’à son sens, & à son genie, ont été inconnuës en Angleterre avant ce Siécle. Mylord Roscommon parle fort juste, ce me semble, lors qu’il dit : Plaçons au premier rang la composition, Rendons pourtant justice à la Traduction ;Il est vrai, sans produire, elle sait les pensées,Mais elle nous les offre agréables, sensées,Si le feu, le Genie, y sont mis à l’écart.On y voit triompher le Jugement, & l’Art. Notre Dryden remarque d’une maniere judicieuse que le devoir d’un Traducteur est de faire paroître un Auteur aussi admirable, qu’il est possible, pourvû qu’il conserve le caractere de son original, & qu’il ne le fasse pas changer de genie ; l’imitation servile, que ce Poëte appelle l’art de marcher sur les talens d’un autre, est encore agréablement tournée en ridicule par le Chevalier Denham ; Je crois, dit-il, que d’affecter le titre de fidelle Interprete, sur tout en matiére de Poësie, c’est se faire une gloire de sa honte ; qu’on ait cette fidélité exacte, quand il s’agit de Faits historiques, ou d’Articles de Foi ; mais quiconque s’en pique, quand il est question de traduire un Poëte, fait une entreprise aussi inutile, qu’il est impossible de l’executer ; il ne faut pas seulement remplacer des Phrases par des Phrases, mais de la Poësie par de la Poësie, & l’esprit Poëtique est si subtil, qu’il s’évapore en passant d’une Langue dans une autre ; si dans la transfusion on n’a pas soin d’ajouter à la matiére, un esprit nouveau, on ne conservera rien, que ce que les Chymistes appellent Caput Mortum ; chaque Langue a ses graces, & ses tours heureux, qui donnent de la vie & de la force aux expressions, & un Ouvrage, qui subit une traduction literale, a le sort d’un certain jeune Voyageur, qui avoit oublié sa propre Langue, sans en apprendre aucune autre. L’Anglois, qui devient Latin exactement literal perd tout son agrément, & le Latin servilement traduit en Anglois n’est plus qu’un corps sans ame.