Oiseau rare, s’il en fut jamais.
Plusieurs de vos derniers Discours tendent à nous donner l’idée d’une Femme accomplie ; mais jusques ici il ne vous est pas venu dans l’esprit de nous donner le Tableau achevé d’une Mere de Famille. Permettez-moi d’en dédommager ici le Public en lui remettant devant les yeux celui qu’en a fait le plus éclairé de tous les Rois ; je le trouve si beau, lors même que je le considere comme la simple production d’un homme, qui n’est point illuminé de l’esprit de
merite ? son prix est au dessus de celui des pierres précieuses.
Le cœur de son Mari s’assure sur elle ; il ne craint point qu’on le dérobbe.
Elle lui fait du bien tous les jours de sa vie, & jamais du mal.
Elle cherche de la laine & du lin, & elle fait de ses mains tout ce qu’elle veut.
Semblable au Navire d’un Marchand elle sait faire venir des Vivres de loin.
Elle se leve quand il est encore nuit, pour distribuer des Portions à ses Domestiques, & des taches à ses Servantes.
Elle considere un champ, elle l’achete, & elle y plante des Vignes du fruit de ses mains.
Elle ceint ses reins de force, & elle fortifie ses mains.
Elle éprouve que son Commerce est bon ; sa lampe ne s’éteint point dans la nuit.
Elle met ses mains au fuseau, & ses doigts tiennent la quenouille.
Elle ouvre sa main à l’Affligé, & l’étend vers ceux qui souffrent.
Elle ne craint point pour ses Enfans les rigueurs de l’Hyver, car toute sa Famille est habillée de vêtemens doubles.
Elle fait des couvertes de fin lin ; ses habits sont de soye & de pourpre.
Son Epoux est distingué dans les Portes, quand il est assis parmi les Anciens du Païs.
Elle fait de la toile fine, & la vend, elle delivre des ceintures aux Marchands.
Elle est vêtuë de force & d’honneur, & elle se prépare de la joye pour l’avenir.
Elle ouvre sa bouche avec sagesse, & la Loi de la Charité réside sur sa langue.
Elle examine la conduite de tout son Domestique, & ne mange point le pain de paresse.
Ses Enfants se levent pour lui faire honneur, & la benissent ; son Epoux en fait de même, & il la louë.
Plusieurs Femmes, dit-il, se sont conduites vertueusement, mais tu les surpasse toutes.
La grace est trompeuse, & la beauté passagere, mais la Femme qui craint l’Eternel mérite seule des éloges.
Qu’elle jouïsse du fruit de ses mains, & que ses propres ouvrages la louënt dans les Portes.
Je suis &c.
J’ose hazarder la Traduction suivante
Un des plus dignes Prélats de notre Eglise remarque, que traduire des Livres dans une Langue, est le moyen le plus propre à l’enrichir & à la rendre plus belle & plus élégante, pourvû que le Traducteur entende la Langue de son Auteur, & qu’il posséde parfaitement la sienne.
outré ou trop foible sans s’en apercevoir lui-même ; mais lors qu’un homme traduit il peut se posséder ; il suit tranquillement son original, & son esprit n’est pas distrait par plusieurs operations differentes, qui l’occupent tout à la fois. Les François par conséquent ont parfaitement bien raisonné, quand ils ont cru rendre leur Langue polie & exacte, en y faisant passer les Ouvrages des meilleurs Auteurs de la
Mylord
Notre l’art de marcher sur les talens d’un autre, est encore agréablement tournée en ridicule par le Chevalier Je crois, dit-il, que d’affecter le titre de fidelle Interprete, sur tout en matiére de Poësie, c’est se faire une gloire de sa honte ; qu’on ait cette fidélité exacte, quand il s’agit de Faits historiques, ou d’Articles de Foi ; mais quiconque s’en pique, quand il est question de traduire un Poëte, fait une entreprise aussi inutile, qu’il est impossible de l’executer ; il ne faut pas seulement remplacer des Phrases par des Phrases, mais de la Poësie par de la Poësie, & l’esprit Poëtique est si subtil, qu’il s’évapore en passant d’une Langue dans une autre ; si dans la transfusion on n’a pas soin d’ajouter à la matiére, un esprit nouveau, on ne conservera rien, que ce que les Chymistes appellent Caput Mortum ; chaque Langue a ses graces, & ses tours heureux, qui donnent de la vie & de la force aux expressions, & un Ouvrage, qui subit une traduction literale, a le sort d’un certain jeune Voyageur, qui avoit oublié sa propre Langue, sans en apprendre aucune autre. L’Anglois, qui devient Latin exactement literal perd tout son agrément, & le Latin servilement traduit en Anglois n’est plus qu’un corps sans ame.