Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours CXXIV.", in: Le Mentor moderne, Vol.3\124 (1723), S. 181-188, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4383 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Discours CXXIV.

Zitat/Motto► Bonum est fugienda aspicere alieno in malo.

Publ. Syr.

Il est utile de voir dans les malheurs d’autrui les maux qu’il faut éviter. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Dans un de mes discoûrs precedents, j’ai fait sentir le ridicule, qu’il y a dans la coûtume de s’ajuster plus que d’ordinaire, dans les premiers mois qui suivent le mariage. Il ne sera pas inutile à mes Eleves de l’un & de l’autre Sexe, que je donne un peu plus d’étenduë à mes réfléxions sur la conduite des jeunes Mariez, & que je fasse voir l’extravagance, dont ils se rendent coupables, en donnant tête baissée dans une magnificence excessive. ◀Metatextualität

[182] Aussi-tôt que deux personnes de quelque rang se sont unis par les nœuds de l’Hymenée, on les voit au Cours & dans toutes les Places publiques avec un équipage si brillant & si gai, qu’on prendroit chacune de leurs Sorties pour une Entrée publique. Dans l’esprit des gens qui ont du bon sens, & de l’expérience, rien n’est plus mal imaginé, que toute cette pompe. Ces Carosses à six chevaux, ces Livrées magnifiques, ce grand nombre de Domestiques inutiles, cette Maison superbe, cette Table somptueuse, cette riche Vaisselle, ces habits brodez, ces Jupes de brocard, cette profusion de Joyaux ; toutes les parties de ce pompeux fatras en un mot passent chez les personnes judicieuses pour autant de symptomes de folie dans les jeunes Mariez, & pour autant de prognosties infaillibles de leur misere future.

Exemplum► Je me souviens d’un Gentilhomme, dont la maison étoit voisine des Terres de Mylady Lizard ; il jouissoit d’un revenu clair & net de cinq cens livres sterling, & par sa vie frugale, il avoit sû amasser une bonne somme d’argent content. Pour son malheur il devint amoureux d’une Demoiselle, qui étoit [183] la Beauté par excellence de tout le quartier ; il lui fit la cour, il l’épousa, & il crut que sa possession le rendoit le plus fortuné de tous les hommes. Pour faire voir à la Dame, jusqu’à quel point il l’aimoit, il voulut bien consentir à la rendre miserable aussi bien que lui, & il donna dans toute l’extravagance, que la mode rend en quelque sorte nécessaire aux jeunes Mariez. Il a voulu soûtenir les grands airs par lesquels il avoit debuté, & dans l’espace de cinq ans il a été réduit à mourir de misere dans la prison, où il avoit été mis par ses Créanciers ; pour comble <sic> de malheur il a laissé une Femme & quatre Enfans, qui sont devenus les fardeaux de la Paroisse. ◀Exemplum

Exemplum► Mon ami le Chevalier de Clair-œil, s’est conduit d’une maniere tout opposée ; & il s’en trouve parfaitement bien. Tandis qu’il a vécu dans le Celibat il a fréquenté les meilleures Compagnies, & il n’a rien épargné pour s’y distinguer par sa dépense ; il avoit quatre Laquais, & une Caleche avec quatre beaux chevaux, outre six chevaux de main. Son revenu fournissoit à cette maniere de vivre aussi juste, qu’il étoit possible, mais il étoit trop sage pour [184] aller au-delà ; & pour charger ses Biens. A peine eut-il épousé la belle Clarinde, qui étoit une riche Héritiere, qu’il songea à réformer son train ; il congedia d’abord deux de ses Laquais, son Carosse, & quatre de ses chevaux de main, content de donner à sa Femme une Chaise à Porteur. Avant le Mariage même, il se défit de ses habits brodez & de ses magnifiques dentelles. Il poussa la hardiesse jusqu’à se marier en habit uni, & depuis ce tems il n’a ambitionné dans ses habits & dans toute sa maniere de vivre qu’une simplicité propre & commode.

Quand quelqu’un de ses Connoissances lui demande la raison d’un changement si diametralement opposé à la mode, voici à peu près ce qu’il répond : Lors que je vivois dans le Celibat rien ne m’étoit plus aisé que de faire bien mon compte, & de me précautionner contre ma ruine. Mais la maniere de vivre, où je me trouve engagé à present, est sujette à une infinité de cas imprévûs, & elle ouvre devant mes yeux une perspective d’occasions, de dépenses éloignées, mais inévitables. La félicité, ou la misere de ma posterité future dépend vrai-semblablement de ma bonne ou de ma mauvaise œconomie, [185] & je ne croirai jamais m’être acquitté des devoirs d’un sage Pere de Famille, à moins que d’avoir ramassé pour trois ou quatre Enfans les moyens de vivre d’une maniere aisée & honorable. Parbleu, Monsieur, lui répondit un jour un Petit-Maître, vous avez là une belle prudence de songer à faire la fortune de vos Enfans avant que de*. . . . . . Quand je n’en aurois jamais, repliqua mon ami en l’interrompant, il n’importe guéres, un homme de bien ne manque jamais d’Héritiers tant qu’il reste quelques gens de merite au monde.

Une maniere si circonspecte de raisonner, & d’agir, a été pour mon ami & pour son Epouse une source inépuisable de félicité. Le Mariage n’est pas un fardeau, qui les accable ; ils se voyent deux Fils & une Fille, qui dans un grand nombre d’années d’ici sentiront les heureux effets de la prudence d’un Pere si sage, & si tendre. ◀Exemplum

Je me souviens avoir lû quelque part, que dans certains Quartiers de Hollande les Loix ordonnent à tous les Sujets, de planter avant leur Mariage un certain nombre d’Arbres, chacun selon ses moyens, afin que ces Vergers & ces Bois soient entre les mains de la Répu-[186]blique des gages qui l’assurent, que leurs Enfans auront de quoi vivre, sans lui être à charge. Tout honnête homme, tout homme sage devroit pratiquer quelque chose d’équivalent, en retranchant à ses nôces tous les frais excessifs, & en se roidissant contre l’impertinente coûtume de sacrifier à une vanité ridicule son propre bonheur, & celui de sa race future ; j’ignore quelle satisfaction des nôces somptueuses peuvent procurer à ceux, qui font le grand nombre dans ce qu’on appelle le beau-monde, mais pour moi je n’y assiste jamais sans la plus vive affliction ; peu s’en faut que je ne répande des larmes ameres, quand je vois une Mariée toute glorieuse de sa honte se perdre dans ses ajustemens ; & se deshonorer par l’éclat de ces joyaux, qui éblouïssent les yeux de l’Assemblée, aux dépens de sa malheureuse posterité. Exemplum► Dans un siécle où cette extravagance est si généralement suivie, on ne sauroit qu’admirer la singularité noble, qui brille dans la conduite de la jeune Sophie, dont les sentimens charment tous ceux, qui ont quelque goût pour le vrai mérite. Peu de jours avant son Mariage son Amant lui dit, qu’il avoit résolu d’employer [187] un millier de livres sterling à lui acheter ses Joyaux, & qu’il la prioit de lui indiquer comment elle les souhaitoit : Je vous suis bien obligée, Monsieur, de vos généreuses intentions, lui repliqua la Demoiselle ; mais j’ose vous supplier de vouloir bien les diriger d’une autre maniere. Ayez la bonté de me donner cette somme, & je tâcherai de la placer d’une maniere plus avantageuse. Je ne suis pas fort entêtée de ces précieux Colifichets ; leur possession ne me rendroit pas plus heureuse, & je ne croi pas que leur absence soit capable de rien ôter à ma felicité. D’ailleurs j’aurois honte de m’étaler pendant quelques jours aux yeux des hommes avec des ornemens, dont il faudroit peut-être me passer dans la suite. Je vois même par la simplicité de vos propres habits, que le grand ajustement ne doit pas vous toucher beaucoup dans une Femme. Je serai bien-tôt vôtre Epouse, & je ne veux m’habiller que pour vous, sans songer jamais à consulter le goût des autres ; vous aimez une simplicité propre, & je me ferai une étude de me procurer toûjours un agrément si naturel. Le Cavalier transporté de trouver à sa Mariée un tour d’esprit si excellent & si rare, lui presenta quelques jours après la somme en question [188] en especes neuves, & il n’eut pas lieu de se repentir de sa complaisance. Elle acheta de cet argent une Annuité, du revenu de laquelle elle fait un joli present à son Epoux à chaque anniversaire du jour de leurs nôces, pour lui marquer, par cette espece d’hommage annuel, la satisfaction qu’elle trouve dans leur heureuse union. Elle en distribuë encore une bonne partie parmi ses voisins les plus necessiteux, & les plus gens de bien ; & du peu qu’il lui en reste elle fait de petits dons à ses chers Enfans. ◀Exemplum ◀Ebene 2 ◀Ebene 1