Discours CXXI. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 02.05.2018 o:mws.6866 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome III, 162-169 Le Mentor moderne 3 121 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French England Inghilterra England Inglaterra Angleterre Gesellschaftsstruktur Struttura della Società Structure of Society Estructura de la Sociedad Structure de la société France 2.0,46.0

Discours CXXI.

Sua cuique est animi cogitatio,Colorque privus.

Phædre

Chacun a son tour d’esprit, son air particulier.

On a remarqué que nos Compatriotes de quelque rang, condition, ou profession qu’ils puissent être surpassent en bon-sens, les Sujets de tout autre Etat, qui sont du même rang, de la même condition, & de la même profession ; je croi que cette observation paroîtra aussi juste que naturelle, à ceux qui sans prévention voudront bien nous mettre en parallele avec les autres Peuples. Cependant, quoique notre Nation soit en général si sensée il est très certain, qu’à peine voit-on parmi nous un seul homme doué de quelque genie, qui n’ait un tour d’esprit particulier, des manieres qui lui soient propres, & une humeur originale ; de là vient que nos Comedies sont enrichies d’une plus grande varieté de caracteres, que celles qui dépeignent les mœurs de tout autre Peuple. Il est certain même que dans les Masquarades, qu’on a vû depuis peu dans cette Ville, quoi que ce fussent des nouveautez pour nous, on a remarqué que l’invention a été poussée plus loin, qu’on ne la porte d’ordinaire dans les Païs, où l’on est accoûtumé à ces sortes de plaisirs, dès l’Enfance.

C’est dans cette Nation, & dans cette Nation seule, qu’on voit le même degré de génie, les mêmes vertus, & les mêmes défauts se montrer chez différens individus humains sous des faces entiérement differentes. De là vient, qu’il est aussi difficile aux Etrangers de parvenir à une exacte connoissance du naturel des Anglois, qu’il l’est à tous les Peuples de la Terre d’apprendre parfaitement la Langue Chinoise, où chaque mot s’écrit dans un Caractere qui lui est particulier. Je ne saurois mieux donner une idée de cette varieté, qui est remarquable dans l’humeur de mes Compatriotes, qu’en la comparant à ce que les François appellent le Goût du terroir dans les Vins ; Phrase par laquelle ils expriment ce goût distinctif, que les Vins contractent de la differente nature des terres, quand même le raisin seroit cueilli sur des rejettons d’une même Vigne. Ce Caractere National se fait sentir chez nous, dans tous les rangs, depuis les personnes de la premiére qualité & de la plus grande politesse, jusqu’au petit Peuple le plus ignorant, & le plus grossier. A peine y a-t-il un Artisan parmi nous, qui par un tour d’esprit singulier, & par quelque humeur, qui lui est absolument propre ne se distingue des gens de son métier, & de toute la multitude, que la Fortune a placée au niveau de lui. Nous avons un revendeur de Charbon qui de deux Notes, qui sont son cri ordinaire est monté à une connoissance parfaite de la Musique, & qui donne souvent des Concerts chez lui, pour divertir ses amis & ses voisins. On découvre chez certaines personnes de la plus basse populace, que nous appellons les Chiens à grand collier, & qui exercent une espece d’empire sur les gens de leur sorte, un fond inépuisable de traits railleurs, & de pensées originales. Les Mendians même ont ici leurs bisarreries d’imagination particulieres ; il y a quelque tems qu’un de ces éloquens Personnages tout en guenilles me suivit le long d’une grande ruë, en faisant tous ses efforts pour me toucher par la Rhetorique ; entre autres traits, qu’il décocha contre ma bourse, il me dit du ton le plus plaisant ; Un demi-sol seulement Monsieur, un Liard seulement, mon très cher Monsieur, & tout pauvre que je suis je prendrai la liberté de prier le bon Dieu pour vous.

Quoi que ce goût singulier, qui caracterise ici presque chaque personne, nous fasse considerer par les autres Peuples, comme des gens fantasques, il est certain qu’il fournit une grande varieté à nos divertissemens, & qu’il diversifie nos conversations par des agrémens, qu’on chercheroit en vain dans tout autre Païs. M. le Chevalier Temple dans son Essai sur la Poësie tâche de développer les causes de cette varieté d’humeurs qu’on remarque chez les Anglois, & voici comme il s’y prend.

« Elle peut avoir sa source dans la fertilité du Païs, dans l’inégalité du Climat, & dans la douceur du Gouvernement, qui permet à chacun d’adopter les opinions qu’il veut, & de se déclarer pour la Faction, qui convient le plus avec ses maximes, ou avec son intérêt. Je crois bien que d’autres Peuples naissent avec les mêmes dispositions ; mais ils les détruisent à la fin, par la necessité, où ils sont de les déguiser ; de toutes ces causes réunies, nous vient ce nombre prodigieux de gens originaux, qui osent paroître à découvert ce qu’ils sont. Nous avons plus de caracteres differens que les autres Nations, parce que chacun suit ici librement ses penchans, & ses caprices, & qu’il s’en fait un plaisir, & même une gloire. Dans d’autres Païs où les Habitans sont généralement pauvres, esclaves, & forcez à un travail rude, leurs manieres, & leur conduite sont, pour ainsi dire, tout d’une piéce ; ils suivent les exemples de leurs Maîtres, aussi-bien que leurs ordres, ils les imitent dans les manieres avec la même exactitude, dont ils leur obéïssent par rapport aux Actions. C’est par là qu’il y a de vastes Etats, dont tous les Sujets paroissent avoir été jettez dans un même moule, ou coupez après le même Patron ; ils paroissent tous régler leur conduite sur les mêmes maximes ; ils se ressemblent tous en habits, en coûtumes, en tour d’esprit, en expressions ; s’il y a un moyen de les ranger en deux classes differentes, ce ne sauroit qu’être en ces deux générales, le Peuple, & la Noblesse ; mais alors tout ce que j’ai avancé de la Nation en général est du moins exactement vrai à l’égard de chacun de ces deux ordres. Il régne encore une autre sorte de varieté chez nous, qui vient du Climat, & des dispositions, qui en sont les effets naturels. Non seulement nous differons plus les uns des autres, qu’aucun Peuple, nous avons encore une varieté prodigieuse bornée dans chaque individu. Nous ressemblons fort peu à nous-mêmes, ce que nous devons à l’inconstance de l’air que nous respirons, & de laquelle seule il faut dériver plusieurs de nos autres qualitez, bonnes & mauvaises. »

Je ne puis que souscrire à l’opinion de ce grand Homme ; il est sûr, qu’il n’y a point de Païs dans l’Univers, ou, comme dans le notre, chaque homme, riche ou pauvre, ose avoir un caractere à part, & le découvrir en toute occasion. Je ne doute pas que ce ne soit cette liberté, & cette maniere de vivre affranchie de tout ce qui peut gêner les hommes, qui contribuent le plus à produire ce grand nombre de Genies distinguez, qui brillent parmi nous dans les Arts, & dans les Sciences utiles & agréables. On en doit attendre encore naturellement un autre avantage, qui n’est pas moins considerable. Cette disposition noble & genereuse dans un Peuple ne peut que nourrir chez lui une aversion invincible pour la servitude, & entourer sa liberté d’un rempart imprenable. Tant que l’esprit empruntera chez nous mille goûts differens, de mille humeurs differentes ; tant que chacun se piquera d’avoir sa maniere propre de penser, de parler, & d’agir, il ne faut pas craindre que la Nation se soûmette à un Prince élevé dans les principes du Despotisme, & beaucoup moins, qu’Elle <sic> prenne en échange d’une Religion raisonnable les absurditez ridicules du Papisme.

Discours CXXI. Sua cuique est animi cogitatio,Colorque privus. Phædre Chacun a son tour d’esprit, son air particulier. On a remarqué que nos Compatriotes de quelque rang, condition, ou profession qu’ils puissent être surpassent en bon-sens, les Sujets de tout autre Etat, qui sont du même rang, de la même condition, & de la même profession ; je croi que cette observation paroîtra aussi juste que naturelle, à ceux qui sans prévention voudront bien nous mettre en parallele avec les autres Peuples. Cependant, quoique notre Nation soit en général si sensée il est très certain, qu’à peine voit-on parmi nous un seul homme doué de quelque genie, qui n’ait un tour d’esprit particulier, des manieres qui lui soient propres, & une humeur originale ; de là vient que nos Comedies sont enrichies d’une plus grande varieté de caracteres, que celles qui dépeignent les mœurs de tout autre Peuple. Il est certain même que dans les Masquarades, qu’on a vû depuis peu dans cette Ville, quoi que ce fussent des nouveautez pour nous, on a remarqué que l’invention a été poussée plus loin, qu’on ne la porte d’ordinaire dans les Païs, où l’on est accoûtumé à ces sortes de plaisirs, dès l’Enfance. C’est dans cette Nation, & dans cette Nation seule, qu’on voit le même degré de génie, les mêmes vertus, & les mêmes défauts se montrer chez différens individus humains sous des faces entiérement differentes. De là vient, qu’il est aussi difficile aux Etrangers de parvenir à une exacte connoissance du naturel des Anglois, qu’il l’est à tous les Peuples de la Terre d’apprendre parfaitement la Langue Chinoise, où chaque mot s’écrit dans un Caractere qui lui est particulier. Je ne saurois mieux donner une idée de cette varieté, qui est remarquable dans l’humeur de mes Compatriotes, qu’en la comparant à ce que les François appellent le Goût du terroir dans les Vins ; Phrase par laquelle ils expriment ce goût distinctif, que les Vins contractent de la differente nature des terres, quand même le raisin seroit cueilli sur des rejettons d’une même Vigne. Ce Caractere National se fait sentir chez nous, dans tous les rangs, depuis les personnes de la premiére qualité & de la plus grande politesse, jusqu’au petit Peuple le plus ignorant, & le plus grossier. A peine y a-t-il un Artisan parmi nous, qui par un tour d’esprit singulier, & par quelque humeur, qui lui est absolument propre ne se distingue des gens de son métier, & de toute la multitude, que la Fortune a placée au niveau de lui. Nous avons un revendeur de Charbon qui de deux Notes, qui sont son cri ordinaire est monté à une connoissance parfaite de la Musique, & qui donne souvent des Concerts chez lui, pour divertir ses amis & ses voisins. On découvre chez certaines personnes de la plus basse populace, que nous appellons les Chiens à grand collier, & qui exercent une espece d’empire sur les gens de leur sorte, un fond inépuisable de traits railleurs, & de pensées originales. Les Mendians même ont ici leurs bisarreries d’imagination particulieres ; il y a quelque tems qu’un de ces éloquens Personnages tout en guenilles me suivit le long d’une grande ruë, en faisant tous ses efforts pour me toucher par la Rhetorique ; entre autres traits, qu’il décocha contre ma bourse, il me dit du ton le plus plaisant ; Un demi-sol seulement Monsieur, un Liard seulement, mon très cher Monsieur, & tout pauvre que je suis je prendrai la liberté de prier le bon Dieu pour vous. Quoi que ce goût singulier, qui caracterise ici presque chaque personne, nous fasse considerer par les autres Peuples, comme des gens fantasques, il est certain qu’il fournit une grande varieté à nos divertissemens, & qu’il diversifie nos conversations par des agrémens, qu’on chercheroit en vain dans tout autre Païs. M. le Chevalier Temple dans son Essai sur la Poësie tâche de développer les causes de cette varieté d’humeurs qu’on remarque chez les Anglois, & voici comme il s’y prend. « Elle peut avoir sa source dans la fertilité du Païs, dans l’inégalité du Climat, & dans la douceur du Gouvernement, qui permet à chacun d’adopter les opinions qu’il veut, & de se déclarer pour la Faction, qui convient le plus avec ses maximes, ou avec son intérêt. Je crois bien que d’autres Peuples naissent avec les mêmes dispositions ; mais ils les détruisent à la fin, par la necessité, où ils sont de les déguiser ; de toutes ces causes réunies, nous vient ce nombre prodigieux de gens originaux, qui osent paroître à découvert ce qu’ils sont. Nous avons plus de caracteres differens que les autres Nations, parce que chacun suit ici librement ses penchans, & ses caprices, & qu’il s’en fait un plaisir, & même une gloire. Dans d’autres Païs où les Habitans sont généralement pauvres, esclaves, & forcez à un travail rude, leurs manieres, & leur conduite sont, pour ainsi dire, tout d’une piéce ; ils suivent les exemples de leurs Maîtres, aussi-bien que leurs ordres, ils les imitent dans les manieres avec la même exactitude, dont ils leur obéïssent par rapport aux Actions. C’est par là qu’il y a de vastes Etats, dont tous les Sujets paroissent avoir été jettez dans un même moule, ou coupez après le même Patron ; ils paroissent tous régler leur conduite sur les mêmes maximes ; ils se ressemblent tous en habits, en coûtumes, en tour d’esprit, en expressions ; s’il y a un moyen de les ranger en deux classes differentes, ce ne sauroit qu’être en ces deux générales, le Peuple, & la Noblesse ; mais alors tout ce que j’ai avancé de la Nation en général est du moins exactement vrai à l’égard de chacun de ces deux ordres. Il régne encore une autre sorte de varieté chez nous, qui vient du Climat, & des dispositions, qui en sont les effets naturels. Non seulement nous differons plus les uns des autres, qu’aucun Peuple, nous avons encore une varieté prodigieuse bornée dans chaque individu. Nous ressemblons fort peu à nous-mêmes, ce que nous devons à l’inconstance de l’air que nous respirons, & de laquelle seule il faut dériver plusieurs de nos autres qualitez, bonnes & mauvaises. » Je ne puis que souscrire à l’opinion de ce grand Homme ; il est sûr, qu’il n’y a point de Païs dans l’Univers, ou, comme dans le notre, chaque homme, riche ou pauvre, ose avoir un caractere à part, & le découvrir en toute occasion. Je ne doute pas que ce ne soit cette liberté, & cette maniere de vivre affranchie de tout ce qui peut gêner les hommes, qui contribuent le plus à produire ce grand nombre de Genies distinguez, qui brillent parmi nous dans les Arts, & dans les Sciences utiles & agréables. On en doit attendre encore naturellement un autre avantage, qui n’est pas moins considerable. Cette disposition noble & genereuse dans un Peuple ne peut que nourrir chez lui une aversion invincible pour la servitude, & entourer sa liberté d’un rempart imprenable. Tant que l’esprit empruntera chez nous mille goûts differens, de mille humeurs differentes ; tant que chacun se piquera d’avoir sa maniere propre de penser, de parler, & d’agir, il ne faut pas craindre que la Nation se soûmette à un Prince élevé dans les principes du Despotisme, & beaucoup moins, qu’Elle <sic> prenne en échange d’une Religion raisonnable les absurditez ridicules du Papisme.