Colorque privus.
Chacun a son tour d’esprit, son air particulier.
On a remarqué que nos Compatriotes de quelque rang, condition, ou profession qu’ils puissent être surpassent en bon-sens, les Sujets de tout autre Etat, qui sont du même rang, de la même condition, & de la
C’est dans cette Nation, & dans cette Nation seule, qu’on voit le même degré de génie, les mêmes vertus, & les mêmes défauts se montrer chez différens individus humains sous des faces entiérement differentes. De là vient, qu’il est aussi difficile aux Etrangers de Goût du terroir dans les Vins ; Phrase par laquelle ils expriment ce goût distinctif, que les Vins contractent de la differente nature des terres, quand même le raisin seroit cueilli sur des rejettons d’une même Vigne. Ce Caractere National se fait sentir chez nous, dans tous les rangs, depuis les personnes de la premiére qualité & de la plus grande politesse, jusqu’au petit Peuple le plus ignorant, & le plus grossier. A peine y a-t-il un Artisan parmi nous, qui par un tour d’esprit singulier, & par quelque humeur, qui lui est absolument propre ne se distingue des gens de son métier, & de toute la multitude, que la Fortune a placée au niveau de lui. Nous avons un revendeur de Charbon qui de deux Notes, qui sont son cri ordinaire est monté à une connoissance Chiens à grand collier, & qui exercent une espece d’empire sur les gens de leur sorte, un fond inépuisable de traits railleurs, & de pensées originales. Les Mendians même ont ici leurs bisarreries d’imagination particulieres ; il y a quelque tems qu’un de ces éloquens Personnages tout en guenilles me suivit le long d’une grande ruë, en faisant tous ses efforts pour me toucher par la Rhetorique ; entre autres traits, qu’il décocha contre ma bourse, il me dit du ton le plus plaisant ; Un demi-sol seulement Monsieur, un Liard seulement, mon très cher Monsieur, & tout pauvre que je suis je prendrai la liberté de prier le bon pour vous.
Quoi que ce goût singulier, qui caracterise ici presque chaque personne, nous fasse considerer par les autres Peuples, comme des gens fantasques, il est certain qu’il fournit une grande varieté à nos divertissemens, & qu’il diversifie nos conversations par des agrémens, qu’on chercheroit en vain dans tout
gens originaux, qui osent paroître à découvert ce qu’ils sont. Nous avons plus de caracteres differens que les autres Nations, parce que chacun suit ici librement ses penchans, & ses caprices, & qu’il s’en fait un plaisir, & même une gloire. Dans d’autres Païs où les Habitans sont généralement pauvres, esclaves, & forcez à un travail rude, leurs manieres, & leur conduite sont, pour ainsi dire, tout d’une piéce ; le Peuple, & la Noblesse ; mais alors tout ce que j’ai avancé de la Nation en général est du moins exactement vrai à l’égard de chacun de ces deux ordres. Il régne encore une autre sorte de varieté chez nous, qui vient du Climat, & des dispositions, qui en sont les effets naturels. Non seulement nous differons plus les uns des autres, qu’aucun Peuple, nous avons encore une varieté prodigieuse bornée dans chaque individu. Nous ressemblons fort peu à nous-mêmes, ce que nous devons à l’inconstance de
Je ne puis que souscrire à l’opinion de ce grand Homme ; il est sûr, qu’il n’y a point de Païs dans l’Univers, ou, comme dans le notre, chaque homme, riche ou pauvre, ose avoir un caractere à part, & le découvrir en toute occasion. Je ne doute pas que ce ne soit cette liberté, & cette maniere de vivre affranchie de tout ce qui peut gêner les hommes, qui contribuent le plus à produire ce grand nombre de Genies distinguez, qui brillent parmi nous dans les Arts, & dans les Sciences utiles & agréables. On en doit attendre encore naturellement un autre avantage, qui n’est pas moins considerable. Cette disposition noble & genereuse dans un Peuple ne peut que nourrir chez lui une aversion invincible pour la servitude, & entourer sa liberté d’un rempart imprenable. Tant que l’esprit empruntera chez nous mille goûts differens, de mille humeurs differentes ; tant que chacun se piquera d’avoir sa maniere propre de penser, de parler, & d’agir, il ne faut pas craindre que la Nation se