Discours CVI. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 02.05.2018 o:mws.6851 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome III, 19-28 Le Mentor moderne 3 106 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Wissenschaft Scienza Science Ciencia Sience China 105.0,35.0 United Kingdom -2.69531,54.75844 France 2.0,46.0 Japan 139.75309,35.68536 Italy Rome Rome 12.51133,41.89193 Turkey Istanbul Istanbul 28.94966,41.01384

Discours CVI.

Homo sum, humani à me nihil alienum puto.

Terence.

Je suis homme, & je m’intéresse à tout ce qui regarde ceux qui sont hommes comme moi.

Quand nous considérons avec une attention philosophique le Systême de toutes les Créatures, qui sont à la portée de nos connoissances, tant dans le monde corporel, que dans le monde intellectuel, il n’est pas possible que nous n’y trouvions une certaine harmonie, une certaine liaison entre toutes les parties différentes ; nous ne saurions qu’y sentir une unité de dessein, & une conformité d’opérations, qui nous démontrent, que tout l’Univers est la production d’un seul Etre infiniment bon, & infiniment sage ; il faut de nécessité, que nous découvrions, que le monde raisonnable suit des Loix constantes dérivées de la même Puissance, qui a donné des Loix invariables au monde matériel.

La contemplation de l’arrangement, de la Cohésion, & du mouvement de la matiére unit dans nos jours les plus grands Philosophes dans l’opinion, qu’il y a une attraction mutuelle dans tous les corps, du moins dans ceux qui se trouvent dans nôtre Systême Solaire. Tous les corps, qui font leurs révolutions autour du Soleil sont attirez vers cet Astre, & les uns vers les autres par un principe secret, constant & uniforme ; c'est par là que la Terre & les autres Planetes, au lieu de s'échaper par une ligne tangente, roulent autour du Soleil ; c'est par là que la Lune fait un mouvement pareil autour de nôtre Globe, dont elle est compagne fidéle depuis tant de Siécles. Ce même principe, qui entretient l’ordre dans ce vaste Systême Planétaire, régle aussi les moindres parties de la matiére.

Si nous détournons nos pensées du monde corporel vers le monde moral, nous trouvons dans les ames humaines un semblable principe d’attraction, qui forme parmi les hommes, les Peuples, les Sociétez, les Familles, les Cotteries, & les relations d’amitié ; comme dans les corps égaux en quantité, l’attraction est la plus efficace entre ceux qui sont le moins éloignez les uns des autres, l’at-traction spirituelle est aussi la plus forte, toutes choses égales, entre les Hommes qui ont ensemble les Relations les plus étroites, & le plus de proximité. Ces corps séparez par un espace de plusieurs millions de lieuës ne laissant pas d’operer les uns sur les autres par une attraction constante, quoique l’effet n’en soit pas remarquable ; ils s’approcheroient certainement, s’ils n’étoient pas retenus par les forces contraires d’autres corps, qui les attirent de differens côtez. Il en est de même de l’attraction, qui a lieu dans nos cœurs ; nôtre pente naturelle vers les individus de nôtre espece, avec qui nous n’avons qu’une Relation éloignée, ne fait point un effet sensible, à cause d’une attraction plus efficace, qui nous unit avec les Hommes, qui ont avec nous une Relation plus prochaine. Mais ôtez cet obstacle ; l’effet de ce Penchant, qui nous porte vers tous les Hommes se développera par degrez & deviendra bien-tôt très sensible.

Un homme qui n’a point de Parens entrera bien-tôt dans d’étroites liaisons avec des Voisins ou avec des Amis. S’il est éloigné de ceux-là ils <sic> s’accroche à des Concitoyens, ou bien à des Compatriotes, qui se trouvent avec lui dans un même lieu. Deux Anglois, qui se rencontrent à Rome ou à Constantinople, trouvent des raisons suffisantes d'union, en ce qu'ils sont nez dans un même Royaume. Dans le Japon ou dans la Chine, c'est assez d'être Européen pour se lier par le Commerce le plus intime. Si nous étions transportez dans Jupiter, ou dans Saturne, & si nous y rencontrions un Chinois, où quelque Habitant de la partie de notre Globe la plus éloignée de la Grande-Bretagne, nous le considererions comme un proche Parent, & bien-tôt nous entrerions avec lui dans le Commerce le plus familier. Ce sont là des Réfléxions, dont la vérité est palpable, & qui nous sont sentir que nous sommes liez, comme par une chaine imperceptible, à tous les Individus de notre espece.

Tous les grands corps, qui composent notre Systême solaire seroient bien-tôt unis par l’attraction au centre de gravité qui leur est commun. Mais l’Auteur de la Nature pour empêcher cette union a donné à chacun de ces corps un mouvement en ligne directe, qui concourant avec le principe d’attraction les retient dans les mêmes orbites autour du Soleil. Si ce mouvement en ligne directe semblable à celui d’un boulet qui sort d’un piece de Canon, venoit une fois à cesser, la gravitation seule ne trouvant plus une force qui la contrebalançât ramasseroit bien-tôt tous ces vastes corps dans une une <sic> même masse. C’est d’une maniére parfaitement parallele, que dans la societé, les mouvemens de l’ame produits par l’amour-propre traversent l’operation de ce principe de bienveuillance & d’union, qui est essentiel à notre nature, & qui continuë pourtant d’agir & de balancer ces mouvemens qui tendent à nous concentrer en nous-mêmes. Qu’on nous ôte les vuës d’un intérêt grossier & le desorde des passions, bien-tôt l’attraction spirituelle ne sera qu’une seule masse de tout le genre-humain.

Le principe de la gravitation des corps ne sauroit être expliqué que d’une seule maniére ; c’est en l’attribuant à la volonté directe, & à l’operation immediate de Dieu, qui l’a trouvé le plus propre à maintenir l’ordre dans le Monde corporel. Notre Parallele est encore ici parfaitement éxact ; nous ne saurions indiquer d’autre cause de l’attraction qui dirige nos ames, que la volonté immediate de l’Auteur de la Nature. Elle n'est point l’effet de l’Education, des loix, de la coutume ; c’est un attribut <sic> essentiel de l’ame, qui l’a reçu de Dieu avec l’éxistance.

Si dans l’attraction corporelle on trouve un principe général, qui produit un nombre infini d'effets, & qui est la clef de presque tous les Phenomenes de la Nature, le Penchant vers la Societé, qui est essentiel au cœur humain, est un autre principe général, dont découlent presque toutes nos actions morales, qui se rapportent à ce Penchant comme à leur source, & à leur regle. C’est ce Principe qui porte chaque homme a s’unir avec toute son espece, & qui lui inspire la conduite la plus convenable au bien du Genre-Humain ; de là cette Sympathie, qui nous fait participer à la joye & à la douleur de nos prochains ; de là cet amour si vif, & si impetueux, qui nous entraine vers nos Enfans, & qui n’est point fondé sur notre intérêt, ni sur le merite de ceux qui sont les objets d'une si violente passion. C’est ce principe, qui nous donne de la curiosité pour les affaires des Nations les plus éloignées, avec lesquelles nous n’avons rien à démêler. C’est cet heureux Penchant, qui étend nos soins jusques aux générations futures, & qui nous rend les Bienfaiteurs de ceux, que nous ne verrons jamais, & dont par conséquent nous ne saurions attendre la moindre récompense. Enfin c'est ce noble principe qui est la source de cette humanité si étenduë, dont il est aussi difficile de donner une Idée à ceux, qui ont le malheur de ne la point sentir, que de communiquer à un aveugle l’idée de la vuë. Ces sortes d’ames dures sont bien à plaindre, il leur manque un attribut essentiel, ce sont des especes de monstres, & leur defectuosité les prive d’une source abondante de sensations délicieuses.

J’insére d’abord de ce que je viens d’avancer que puisque ce Penchant est absolument nécessaire au bien général de la societé, c’est le devoir & l’intérêt de chaque individu humain de le nourir & de l’augmenter dans son cœur. C’est nôtre devoir, parce que nous repondons par là au but l’être suprême, qui a jetté dans nos ames ces semences d’un amour mutuel, pour nous faire sentir, qu’il a à cœur le bonheur général du Genre-Humain. C’est nôtre intérêt, par-ce que le bonheur de chaque particulier est une suite nécessaire de la felicité de toute l’espece ; contribuer au bien de toute la societé, c'est travailler à nôtre propre bonheur.

Je tire une seconde conséquence des Réfléxions, qu’on vient de voir. Elles nous fournissent une forte preuve de la Divinité de la Religion Chrétienne, qui se caractérise en nous prêchant sur tout la Charité. Differentes maximes, differens preceptes ont été comme la livrée d’autres Religions ; mais le precepte particulier de l’Evangile, la Leçon dominante de notre Sauveur revient à ceci, Aimez vôtre Prochain comme vous-même ; par ceci l’on verra que vous êtes mes Disciples, si vous vous aimez les uns les autres.

Je sai <sic> fort bien, que ce qui fait la plus belle preuve de la Divinité de la Religion Chrétienne est en même tems un accablant reproche, pour ceux, qui osent se faire honneur du nom de Chrétiens ; mais cette preuve n'en est pas moins évidente. Si nous considerons l’Analogie de la Nature, dans l’attraction mutuelle des corps, & dans le Penchant qu’a naturellement l’ame humaine, pour l’union ; si nous comparons ensem-ble les vuës & les facultez, qui se trouvent & dans le monde visible & dans le monde intellectuel, nous ne saurions douter que le precepte, qui est le caractére de nôtre Religion, ne derive de l’Auteur de la Nature. L’Univers n’est qu’union, le Christianisme n’est qu’union ; ce sont deux plans paralleles, qui ont le même but, & qui viennent d’une même origine.

Il est vrai que nos Esprits-forts modernes taxent la Morale Chrétienne d'être défectueuse en ce que l’Evangile ne fait pas la moindre mention de l’Amitié, vertu si agréable & si utile. S’il m’est permis de me servir d’une phrase proverbiale, je dirai que ces grands Hommes ne voyent pas le bois à cause des arbres, & que les maisons les empêchent de découvrir la Ville. Quoi ! une Religion dont le grand but est d’inspirer aux Hommes la Charité la plus noble, la bienveuillance, la plus désinteressée pour tout le Genre-Humain ; une Religion qui veut que nous regardions tous les Hommes comme nos Freres ; une Religion enfin qui nous prêche la plus tendre Amitié pour chaque individu humain ; une telle Religion est accusée de rayer l’Amitié de la liste des vertus ? En verité, une objection de cette nature caracterise parfaitement bien l'aveuglement & la prévention de ceux qui ont le front de la proposer.

Discours CVI. Homo sum, humani à me nihil alienum puto. Terence. Je suis homme, & je m’intéresse à tout ce qui regarde ceux qui sont hommes comme moi. Quand nous considérons avec une attention philosophique le Systême de toutes les Créatures, qui sont à la portée de nos connoissances, tant dans le monde corporel, que dans le monde intellectuel, il n’est pas possible que nous n’y trouvions une certaine harmonie, une certaine liaison entre toutes les parties différentes ; nous ne saurions qu’y sentir une unité de dessein, & une conformité d’opérations, qui nous démontrent, que tout l’Univers est la production d’un seul Etre infiniment bon, & infiniment sage ; il faut de nécessité, que nous découvrions, que le monde raisonnable suit des Loix constantes dérivées de la même Puissance, qui a donné des Loix invariables au monde matériel. La contemplation de l’arrangement, de la Cohésion, & du mouvement de la matiére unit dans nos jours les plus grands Philosophes dans l’opinion, qu’il y a une attraction mutuelle dans tous les corps, du moins dans ceux qui se trouvent dans nôtre Systême Solaire. Tous les corps, qui font leurs révolutions autour du Soleil sont attirez vers cet Astre, & les uns vers les autres par un principe secret, constant & uniforme ; c'est par là que la Terre & les autres Planetes, au lieu de s'échaper par une ligne tangente, roulent autour du Soleil ; c'est par là que la Lune fait un mouvement pareil autour de nôtre Globe, dont elle est compagne fidéle depuis tant de Siécles. Ce même principe, qui entretient l’ordre dans ce vaste Systême Planétaire, régle aussi les moindres parties de la matiére. Si nous détournons nos pensées du monde corporel vers le monde moral, nous trouvons dans les ames humaines un semblable principe d’attraction, qui forme parmi les hommes, les Peuples, les Sociétez, les Familles, les Cotteries, & les relations d’amitié ; comme dans les corps égaux en quantité, l’attraction est la plus efficace entre ceux qui sont le moins éloignez les uns des autres, l’at-traction spirituelle est aussi la plus forte, toutes choses égales, entre les Hommes qui ont ensemble les Relations les plus étroites, & le plus de proximité. Ces corps séparez par un espace de plusieurs millions de lieuës ne laissant pas d’operer les uns sur les autres par une attraction constante, quoique l’effet n’en soit pas remarquable ; ils s’approcheroient certainement, s’ils n’étoient pas retenus par les forces contraires d’autres corps, qui les attirent de differens côtez. Il en est de même de l’attraction, qui a lieu dans nos cœurs ; nôtre pente naturelle vers les individus de nôtre espece, avec qui nous n’avons qu’une Relation éloignée, ne fait point un effet sensible, à cause d’une attraction plus efficace, qui nous unit avec les Hommes, qui ont avec nous une Relation plus prochaine. Mais ôtez cet obstacle ; l’effet de ce Penchant, qui nous porte vers tous les Hommes se développera par degrez & deviendra bien-tôt très sensible. Un homme qui n’a point de Parens entrera bien-tôt dans d’étroites liaisons avec des Voisins ou avec des Amis. S’il est éloigné de ceux-là ils <sic> s’accroche à des Concitoyens, ou bien à des Compatriotes, qui se trouvent avec lui dans un même lieu. Deux Anglois, qui se rencontrent à Rome ou à Constantinople, trouvent des raisons suffisantes d'union, en ce qu'ils sont nez dans un même Royaume. Dans le Japon ou dans la Chine, c'est assez d'être Européen pour se lier par le Commerce le plus intime. Si nous étions transportez dans Jupiter, ou dans Saturne, & si nous y rencontrions un Chinois, où quelque Habitant de la partie de notre Globe la plus éloignée de la Grande-Bretagne, nous le considererions comme un proche Parent, & bien-tôt nous entrerions avec lui dans le Commerce le plus familier. Ce sont là des Réfléxions, dont la vérité est palpable, & qui nous sont sentir que nous sommes liez, comme par une chaine imperceptible, à tous les Individus de notre espece. Tous les grands corps, qui composent notre Systême solaire seroient bien-tôt unis par l’attraction au centre de gravité qui leur est commun. Mais l’Auteur de la Nature pour empêcher cette union a donné à chacun de ces corps un mouvement en ligne directe, qui concourant avec le principe d’attraction les retient dans les mêmes orbites autour du Soleil. Si ce mouvement en ligne directe semblable à celui d’un boulet qui sort d’un piece de Canon, venoit une fois à cesser, la gravitation seule ne trouvant plus une force qui la contrebalançât ramasseroit bien-tôt tous ces vastes corps dans une une <sic> même masse. C’est d’une maniére parfaitement parallele, que dans la societé, les mouvemens de l’ame produits par l’amour-propre traversent l’operation de ce principe de bienveuillance & d’union, qui est essentiel à notre nature, & qui continuë pourtant d’agir & de balancer ces mouvemens qui tendent à nous concentrer en nous-mêmes. Qu’on nous ôte les vuës d’un intérêt grossier & le desorde des passions, bien-tôt l’attraction spirituelle ne sera qu’une seule masse de tout le genre-humain. Le principe de la gravitation des corps ne sauroit être expliqué que d’une seule maniére ; c’est en l’attribuant à la volonté directe, & à l’operation immediate de Dieu, qui l’a trouvé le plus propre à maintenir l’ordre dans le Monde corporel. Notre Parallele est encore ici parfaitement éxact ; nous ne saurions indiquer d’autre cause de l’attraction qui dirige nos ames, que la volonté immediate de l’Auteur de la Nature. Elle n'est point l’effet de l’Education, des loix, de la coutume ; c’est un attribut <sic> essentiel de l’ame, qui l’a reçu de Dieu avec l’éxistance. Si dans l’attraction corporelle on trouve un principe général, qui produit un nombre infini d'effets, & qui est la clef de presque tous les Phenomenes de la Nature, le Penchant vers la Societé, qui est essentiel au cœur humain, est un autre principe général, dont découlent presque toutes nos actions morales, qui se rapportent à ce Penchant comme à leur source, & à leur regle. C’est ce Principe qui porte chaque homme a s’unir avec toute son espece, & qui lui inspire la conduite la plus convenable au bien du Genre-Humain ; de là cette Sympathie, qui nous fait participer à la joye & à la douleur de nos prochains ; de là cet amour si vif, & si impetueux, qui nous entraine vers nos Enfans, & qui n’est point fondé sur notre intérêt, ni sur le merite de ceux qui sont les objets d'une si violente passion. C’est ce principe, qui nous donne de la curiosité pour les affaires des Nations les plus éloignées, avec lesquelles nous n’avons rien à démêler. C’est cet heureux Penchant, qui étend nos soins jusques aux générations futures, & qui nous rend les Bienfaiteurs de ceux, que nous ne verrons jamais, & dont par conséquent nous ne saurions attendre la moindre récompense. Enfin c'est ce noble principe qui est la source de cette humanité si étenduë, dont il est aussi difficile de donner une Idée à ceux, qui ont le malheur de ne la point sentir, que de communiquer à un aveugle l’idée de la vuë. Ces sortes d’ames dures sont bien à plaindre, il leur manque un attribut essentiel, ce sont des especes de monstres, & leur defectuosité les prive d’une source abondante de sensations délicieuses. J’insére d’abord de ce que je viens d’avancer que puisque ce Penchant est absolument nécessaire au bien général de la societé, c’est le devoir & l’intérêt de chaque individu humain de le nourir & de l’augmenter dans son cœur. C’est nôtre devoir, parce que nous repondons par là au but l’être suprême, qui a jetté dans nos ames ces semences d’un amour mutuel, pour nous faire sentir, qu’il a à cœur le bonheur général du Genre-Humain. C’est nôtre intérêt, par-ce que le bonheur de chaque particulier est une suite nécessaire de la felicité de toute l’espece ; contribuer au bien de toute la societé, c'est travailler à nôtre propre bonheur. Je tire une seconde conséquence des Réfléxions, qu’on vient de voir. Elles nous fournissent une forte preuve de la Divinité de la Religion Chrétienne, qui se caractérise en nous prêchant sur tout la Charité. Differentes maximes, differens preceptes ont été comme la livrée d’autres Religions ; mais le precepte particulier de l’Evangile, la Leçon dominante de notre Sauveur revient à ceci, Aimez vôtre Prochain comme vous-même ; par ceci l’on verra que vous êtes mes Disciples, si vous vous aimez les uns les autres. Je sai <sic> fort bien, que ce qui fait la plus belle preuve de la Divinité de la Religion Chrétienne est en même tems un accablant reproche, pour ceux, qui osent se faire honneur du nom de Chrétiens ; mais cette preuve n'en est pas moins évidente. Si nous considerons l’Analogie de la Nature, dans l’attraction mutuelle des corps, & dans le Penchant qu’a naturellement l’ame humaine, pour l’union ; si nous comparons ensem-ble les vuës & les facultez, qui se trouvent & dans le monde visible & dans le monde intellectuel, nous ne saurions douter que le precepte, qui est le caractére de nôtre Religion, ne derive de l’Auteur de la Nature. L’Univers n’est qu’union, le Christianisme n’est qu’union ; ce sont deux plans paralleles, qui ont le même but, & qui viennent d’une même origine. Il est vrai que nos Esprits-forts modernes taxent la Morale Chrétienne d'être défectueuse en ce que l’Evangile ne fait pas la moindre mention de l’Amitié, vertu si agréable & si utile. S’il m’est permis de me servir d’une phrase proverbiale, je dirai que ces grands Hommes ne voyent pas le bois à cause des arbres, & que les maisons les empêchent de découvrir la Ville. Quoi ! une Religion dont le grand but est d’inspirer aux Hommes la Charité la plus noble, la bienveuillance, la plus désinteressée pour tout le Genre-Humain ; une Religion qui veut que nous regardions tous les Hommes comme nos Freres ; une Religion enfin qui nous prêche la plus tendre Amitié pour chaque individu humain ; une telle Religion est accusée de rayer l’Amitié de la liste des vertus ? En verité, une objection de cette nature caracterise parfaitement bien l'aveuglement & la prévention de ceux qui ont le front de la proposer.