Je suis homme, & je m’intéresse à tout ce qui regarde ceux qui sont hommes comme moi.
Quand nous considérons avec une attention philosophique le Systême de toutes les Créatures, qui sont à la portée de nos connoissances, tant dans le
La contemplation de l’arrangement, Cohésion, & du mouvement de la matiére unit dans nos jours les plus grands Philosophes dans l’opinion, qu’il y a une attraction mutuelle dans tous les corps, du moins dans ceux qui se trouvent dans nôtre Systême Solaire. Tous les corps, qui font leurs révolutions autour du Soleil sont attirez vers cet Astre, & les uns vers les autres par un principe secret, constant & uniforme ; c'est par là que la Terre & les autres Planetes, au lieu de s'échaper par une ligne tangente, roulent autour du Soleil ; c'est par là que la Lune fait un mouvement pareil autour de nôtre Globe, dont elle est compagne fidéle depuis tant de Siécles. Ce même principe, qui entretient l’ordre dans ce vaste Systême Planétaire, régle aussi les moindres parties de la matiére.
Si nous détournons nos pensées du monde corporel vers le monde moral, nous trouvons dans les ames humaines un semblable principe d’attraction, qui forme parmi les hommes, les Peuples, les Sociétez, les Familles, les Cotteries, & les relations d’amitié ; comme dans les corps égaux en quantité, l’attraction est la plus efficace entre ceux qui sont le moins éloignez les uns des autres, l’at-spirituelle est aussi la plus forte, toutes choses égales, entre les Hommes qui ont ensemble les Relations les plus étroites, & le plus de proximité. Ces corps séparez par un espace de plusieurs millions de lieuës ne laissant pas d’operer les uns sur les autres par une attraction constante, quoique l’effet n’en soit pas remarquable ; ils s’approcheroient certainement, s’ils n’étoient pas retenus par les forces contraires d’autres corps, qui les attirent de differens côtez. Il en est de même de l’attraction, qui a lieu dans nos cœurs ; nôtre pente naturelle vers les individus de nôtre espece, avec qui nous n’avons qu’une Relation éloignée, ne fait point un effet sensible, à cause d’une attraction plus efficace, qui nous unit avec les Hommes, qui ont avec nous une Relation plus prochaine. Mais ôtez cet obstacle ; l’effet de ce Penchant, qui nous porte vers tous les Hommes se développera par degrez & deviendra bien-tôt très sensible.
Un homme qui n’a point de Parens entrera bien-tôt dans d’étroites liaisons avec des Voisins ou avec des Amis. S’il est éloigné de ceux-là ils <sic> s’accroche à des Concitoyens, ou bien à des Compatriotes, qui se trouvent avec lui dans Jupiter, ou dans Saturne, & si nous y rencontrions un Chinois, où quelque Habitant de la partie de notre Globe la plus éloignée de la
Tous les grands corps, qui composent notre Systême solaire seroient bien-tôt unis par l’attraction au centre de gravité qui leur est commun. Mais l’Auteur de la Nature pour empêcher cette union a donné à chacun de ces corps un mouvement en ligne directe, qui concourant avec le principe d’attraction les retient dans les mêmes orbites autour gravitation seule ne trouvant plus une force qui la contrebalançât ramasseroit bien-tôt tous ces vastes corps dans une une <sic> même masse. C’est d’une maniére parfaitement parallele, que dans la societé, les mouvemens de l’ame produits par l’amour-propre traversent l’operation de ce principe de bienveuillance & d’union, qui est essentiel à notre nature, & qui continuë pourtant d’agir & de balancer ces mouvemens qui tendent à nous concentrer en nous-mêmes. Qu’on nous ôte les vuës d’un intérêt grossier & le desorde des passions, bien-tôt l’attraction spirituelle ne sera qu’une seule masse de tout le genre-humain.
Le principe de la gravitation des corps ne sauroit être expliqué que d’une seule maniére ; c’est en l’attribuant à la volonté directe, & à l’operation immediate de Monde corporel. Notre Parallele est encore ici parfaitement éxact ; nous ne saurions indiquer d’autre cause de l’attraction qui dirige nos ames, que la
Si dans l’attraction corporelle on trouve un principe général, qui produit un nombre infini d'effets, & qui est la clef de presque tous les Phenomenes de la Nature, le Penchant vers la Societé, qui est essentiel au cœur humain, est un autre principe général, dont découlent presque toutes nos actions morales, qui se rapportent à ce Penchant comme à leur source, & à leur regle. C’est ce Principe qui porte chaque homme a s’unir avec toute son espece, & qui lui inspire la conduite la plus convenable au bien du Genre-Humain ; de là cette Sympathie, qui nous fait participer à la joye & à la douleur de nos prochains ; de là cet amour si vif, & si impetueux, qui nous entraine vers nos Enfans, & qui n’est point fondé sur notre intérêt, ni sur le merite de ceux qui sont les objets d'une si violente passion. C’est ce principe, qui nous donne de la curiosité pour les affaires des Nations les plus éloignées, avec lesquelles nous n’avons
devoir & l’intérêt de chaque individu humain de le nourir & de l’augmenter dans son cœur. C’est nôtre devoir, parce que nous repondons par là au but l’être suprême, qui a jetté dans nos ames ces semences d’un amour mutuel, pour nous faire sentir, qu’il a à cœur le bonheur général du Genre-Humain. C’est nôtre intérêt, par-
Aimez vôtre Prochain comme vous-même ; par ceci l’on verra que vous êtes mes Disciples, si vous vous aimez les uns les autres.
Je sai <sic> fort bien, que ce qui fait la plus belle preuve de la Divinité de la Religion Chrétienne est en même tems un accablant reproche, pour ceux, qui osent se faire honneur du nom de Chrétiens ; mais cette preuve n'en est pas moins évidente. Si nous considerons l’Analogie de la Nature, dans l’attraction mutuelle des corps, & dans le Penchant qu’a naturellement l’ame humaine, pour l’union ; si nous comparons ensem- monde visible & dans le monde intellectuel, nous ne saurions douter que le precepte, qui est le caractére de nôtre Religion, ne derive de l’Auteur de la Nature. L’Univers n’est qu’union, le Christianisme n’est qu’union ; ce sont deux plans paralleles, qui ont le même but, & qui viennent d’une même origine.
Il est vrai que nos Esprits-forts modernes taxent la Morale Chrétienne d'être défectueuse en ce que l’Evangile ne fait pas la moindre mention de l’Amitié, vertu si agréable & si utile. S’il m’est permis de me servir d’une phrase proverbiale, je dirai que ces grands Hommes ne voyent pas le bois à cause des arbres, & que les maisons les empêchent de découvrir la Ville. Quoi ! une Religion dont le grand but est d’inspirer aux Hommes la Charité la plus noble, la bienveuillance, la plus désinteressée pour tout le Genre-Humain ; une Religion qui veut que nous regardions tous les Hommes comme nos Freres ; une Religion enfin qui nous prêche la plus tendre Amitié pour chaque individu humain ; une telle Religion est accusée de rayer l’Amitié de la