Discours LXXXXVI. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Veronika Mussner Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 27.04.2018 o:mws.6728 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome II, 370-377 Le Mentor moderne 2 096 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art France 2.0,46.0 Tiber River 12.23371,41.74032 Italy Rome Rome 12.51133,41.89193

Discours LXXXXVI.

Ingenium par Materiæ. Juven.

Un genie égal à la grandeur du sujet.

Lorsqu’il me tombe entre les mains un ouvrage critique, qui pretend nous donner des regles pour bien écrire, je m’informe d’abord, si l’Auteur n’a pas travaillé sur d’autres sujets ; un coup d’œuil jetté sur ses autres productions me met d’abord au fait de son gout, me découvre les idées qu’il a du beau, en matiere d’esprit, & me fait sentir ce qu’il doit approuver le plus dans les livres qui sont les objets de sa critique. Il est certain que tout homme qui écrit tache d’attraper ce qui lui paroit bon dans les autres, ou bien qu’il trouve bon dans les autres, ce qu’il tache d’attraper. Si je vois que sa maniere d’écrire est insipide & pesante, je ne daigne pas seulement parcourir ses regles de critique, & je jette là le livre indigné, de ce qu’un homme sans gout & sans génie se donne les airs de décider sur des matieres, qui ne sont pas à sa portée.

Si le Critique en question n’a rien donné au public, sinon ses regles & ses observations, je me hazarde a en lire quelques pages ; j’examine s’il y a de la proprieté dans ses expressions, du choix dans ses phrases, une tour agreable dans ses pensées, de la clarté, & de la finesse dans ses remarques, de l’imagination & de la politesse dans ses raileries ; mais si au lieu de tous les effets de l’art & du genie, je n’y trouve qu’une stupidité dogmatique, je suis son serviteur, & je ne lui crois point de vocation, pour faire le Dictateur de la republique des lettres, dont il ne mérite pas d’être sujet.

Tel Lysippe & Damon redoutables Critiques Expliquent l’art des vers, en vers plats, prosaiques. Par cet heureux arrangement Ils nous instruisent doublement. Leurs leçons nous font voir quels vers sont admirables, Leurs exemples, quels sont les vers abominables.

C’est la un trait de raillerie, qu’un de nos meilleurs Poetes Anglois a lancé contre des gens pareils a ceux que j’ai ici en vue. J’approuve fort ces vers, excepté celui qui attribue à leurs leçons la qualité de faire voir quels doivent être ces bons vers. Je sai bien du moins, que les Critiques les plus estimez parmi les anciens ont été des gens qui avoient brillé dans plusieurs genres d’écrire, & qu’ils ont fait voir dans leur preceptes mêmes, qu’ils avoient un beau genie, & qu’ils possedoient l’art, qu’ils vouloient enseigner aux autres.

Il en est de même des Critiques Modernes ; ceux qui se sont attiré de la réputation, & du respect ont été des personnes, qui par la pratique ont prouvé, qu’il possedoient la Theorie dans un degré eminent. J’ai devant moi ouvert sur mon pulpitre un de ces Auteurs, qui, après avoir donné en vers, & en prose, des preuves éclatantes de son esprit & de son habileté, a merité les applaudissemens du public par plusieurs ouvrages critiques très excellents. C’est le célébre Strada ; une fable de sa façon, où il imite le stile de tous les Poetes Epiques de l’ancienne Rome est à mon avis non seulement la piece du monde la plus amusante ; mais c’est en-core la critique la plus judicieuse, qu’il est possible de lire. Je croi faire plaisir à mes Lecteurs de leur en donner le plan.

On fait que Leon dix étoit un grand protecteur des Sciences, & qu’il se plaisoit à être present aux conferences & aux disputes des plus beaux esprits de son tems. C’est là la Baze sur laquelle Strada fonde sa fiction Poetique, dont on va voir le precis.

Lorsque Leon faisoit son séjour dans une maison de campagne située sur le bord du Tibre, les Poetes de Rome voulant le divertir par quelque chose d’extraordinaire, & de conforme a son Gout inventerent la Machine suivante. C’étoit une grande montagne, dont le sommet étoit partagé en deux, afin de representer le double coupeau du Parnasse. On voyoit à plusieurs marques qu’elle étoit destinée à faire le sejour des Poetes Historiques. Elle étoit toute couverte de petits bocages de Lauriers, & la seule Muse, qu’on y voyoit paroitre étoit Calliope. A côté d’elle Pégaze, prenant son essor touchoit encor de ses pieds de derriere un rocher, dont il faisoit sortir le ruisseau qui est si celebre dans les fables. Au son de plusieurs trompettes, qui jouoient des airs graves & Majestueux, on voyoit ce Parnasse descendre la riviere comme en flottant. Il étoit poussé par quatre grandes roues, deux de chaque côté, qu’on tournoit sous l’eau d’une maniere invisible aux Spectateurs, pour le conduire jusques devant le Palais du Pape.

Ceux, qui devoient representer les anciens Poetes étoient placez sur cette montagne dans des attitudes convenables à leurs caracteres. Stace étoit posté au plus haut d’un des sommets qui sembloit avoir au dessous de lui un précipice, & qui s’avançoit au delà de la montagne d’une maniere affreuse, en sorte que le Poete s’attiroit la curiosité du peuple, comme un hardi danseur de corde, qu’on croit à chaque moment sur le point de tomber.

Claudien étoit tranquillement assis sur l’autre coupeau, qui étoit plus bas, & en même tems plus uni que l’autre ; mais on remarquoit que le terroir en étoit plus sterile, & qu’il ne produisoit dans certains endroits que des plantes Etrangeres.

On voyoit Lucrece fort occupé au bas de la Montagne ; il paroissoit attentif aux mouvemens de la Machine, dont il avoit la direction, parce qu’il en étoit l’inventeur ; il étoit quelquefois si engagé parmi les ressorts, que la moitié du Poëte étoit derobé aux yeux des Spectateurs. Il est vrai que dans d’autres momens il étoit élevé par ces ressorts mêmes, & placé aussi avantageusement que ses compagnons les plus distinguez.

Ovide n’avoit aucune demeure fixe ; il parcouroit continuellement le Parnasse d’un bout à l’autre, avec toute l’adresse & toute la rapidité possible ; mais comme il ne daignoit pas se donner la peine de grimper jusqu’au haut de la Montagne, on ne le voyoit que cabrioler d’un air aisé & badin sur les parties inferieures du double mont.

Personne n’étoit dans un poste plus eminent que Lucain, & ne découvroit autour de lui de vues plus vastes. Il s’étoit jetté sur Pegaze avec toute la chaleur & toute l’intrepidité d’un jeune ambitieux, il sembloit vouloir porter son vol au delà des nues. Mais comme le cheval aislé appuié legerement de ses pieds de derriere sur un rocher inégal sembloit se cabrer en prenant son essor. Le Poete avoit besoin de toute sa force pour s’y soutenir, & le peuple le voyant dans une situation si dangereuse s’écrioit de tems en tems, que c’étoit fait de lui, & que sa chute étoit inévitable.

Virgile, la modestie peinte dans les yeux étoit assis a côté de Calliope au milieu d’un bosquet de Lauriers, qui l’environnoient d’un feuillage si épais, qu’il étoit presque caché par leur ombre. Il sembloit vouloir dans cette retraite se derobber aux yeux des hommes ; Mais il n’étoit pas possible de jetter les yeux sur Calliope ; qu’on ne découvrit Virgile en même temps.

Dès que cette Mascarade poetique fut arrivée devant le Palais du Pape, on l’invita de mettre pied a terre, ce qui fut fait. La salle preparée pour ces Poetes répresentatifs étoit pleine de tout ce qu’il y avoit parmi la plus grande noblesse d’Italie, de distingué par l’Erudition, & par l’Esprit. Chaque Poete prit la place, qui lui étoit destinée, & ils se mirent l’un après l’autre, à reciter un Poeme dans le gout, & dans le stile des Autheurs immortels qu’ils devoient representer. Les sujets de ces differentes pieces, & le jugement, qu’en donna cette belle & savante assemblée peuvent fournir une agrea-ble matiere à quelques autres de mes feuilles volantes.

Discours LXXXXVI. Ingenium par Materiæ. Juven. Un genie égal à la grandeur du sujet. Lorsqu’il me tombe entre les mains un ouvrage critique, qui pretend nous donner des regles pour bien écrire, je m’informe d’abord, si l’Auteur n’a pas travaillé sur d’autres sujets ; un coup d’œuil jetté sur ses autres productions me met d’abord au fait de son gout, me découvre les idées qu’il a du beau, en matiere d’esprit, & me fait sentir ce qu’il doit approuver le plus dans les livres qui sont les objets de sa critique. Il est certain que tout homme qui écrit tache d’attraper ce qui lui paroit bon dans les autres, ou bien qu’il trouve bon dans les autres, ce qu’il tache d’attraper. Si je vois que sa maniere d’écrire est insipide & pesante, je ne daigne pas seulement parcourir ses regles de critique, & je jette là le livre indigné, de ce qu’un homme sans gout & sans génie se donne les airs de décider sur des matieres, qui ne sont pas à sa portée. Si le Critique en question n’a rien donné au public, sinon ses regles & ses observations, je me hazarde a en lire quelques pages ; j’examine s’il y a de la proprieté dans ses expressions, du choix dans ses phrases, une tour agreable dans ses pensées, de la clarté, & de la finesse dans ses remarques, de l’imagination & de la politesse dans ses raileries ; mais si au lieu de tous les effets de l’art & du genie, je n’y trouve qu’une stupidité dogmatique, je suis son serviteur, & je ne lui crois point de vocation, pour faire le Dictateur de la republique des lettres, dont il ne mérite pas d’être sujet. Tel Lysippe & Damon redoutables Critiques Expliquent l’art des vers, en vers plats, prosaiques. Par cet heureux arrangement Ils nous instruisent doublement. Leurs leçons nous font voir quels vers sont admirables, Leurs exemples, quels sont les vers abominables. C’est la un trait de raillerie, qu’un de nos meilleurs Poetes Anglois a lancé contre des gens pareils a ceux que j’ai ici en vue. J’approuve fort ces vers, excepté celui qui attribue à leurs leçons la qualité de faire voir quels doivent être ces bons vers. Je sai bien du moins, que les Critiques les plus estimez parmi les anciens ont été des gens qui avoient brillé dans plusieurs genres d’écrire, & qu’ils ont fait voir dans leur preceptes mêmes, qu’ils avoient un beau genie, & qu’ils possedoient l’art, qu’ils vouloient enseigner aux autres. Il en est de même des Critiques Modernes ; ceux qui se sont attiré de la réputation, & du respect ont été des personnes, qui par la pratique ont prouvé, qu’il possedoient la Theorie dans un degré eminent. J’ai devant moi ouvert sur mon pulpitre un de ces Auteurs, qui, après avoir donné en vers, & en prose, des preuves éclatantes de son esprit & de son habileté, a merité les applaudissemens du public par plusieurs ouvrages critiques très excellents. C’est le célébre Strada ; une fable de sa façon, où il imite le stile de tous les Poetes Epiques de l’ancienne Rome est à mon avis non seulement la piece du monde la plus amusante ; mais c’est en-core la critique la plus judicieuse, qu’il est possible de lire. Je croi faire plaisir à mes Lecteurs de leur en donner le plan. On fait que Leon dix étoit un grand protecteur des Sciences, & qu’il se plaisoit à être present aux conferences & aux disputes des plus beaux esprits de son tems. C’est là la Baze sur laquelle Strada fonde sa fiction Poetique, dont on va voir le precis. Lorsque Leon faisoit son séjour dans une maison de campagne située sur le bord du Tibre, les Poetes de Rome voulant le divertir par quelque chose d’extraordinaire, & de conforme a son Gout inventerent la Machine suivante. C’étoit une grande montagne, dont le sommet étoit partagé en deux, afin de representer le double coupeau du Parnasse. On voyoit à plusieurs marques qu’elle étoit destinée à faire le sejour des Poetes Historiques. Elle étoit toute couverte de petits bocages de Lauriers, & la seule Muse, qu’on y voyoit paroitre étoit Calliope. A côté d’elle Pégaze, prenant son essor touchoit encor de ses pieds de derriere un rocher, dont il faisoit sortir le ruisseau qui est si celebre dans les fables. Au son de plusieurs trompettes, qui jouoient des airs graves & Majestueux, on voyoit ce Parnasse descendre la riviere comme en flottant. Il étoit poussé par quatre grandes roues, deux de chaque côté, qu’on tournoit sous l’eau d’une maniere invisible aux Spectateurs, pour le conduire jusques devant le Palais du Pape. Ceux, qui devoient representer les anciens Poetes étoient placez sur cette montagne dans des attitudes convenables à leurs caracteres. Stace étoit posté au plus haut d’un des sommets qui sembloit avoir au dessous de lui un précipice, & qui s’avançoit au delà de la montagne d’une maniere affreuse, en sorte que le Poete s’attiroit la curiosité du peuple, comme un hardi danseur de corde, qu’on croit à chaque moment sur le point de tomber. Claudien étoit tranquillement assis sur l’autre coupeau, qui étoit plus bas, & en même tems plus uni que l’autre ; mais on remarquoit que le terroir en étoit plus sterile, & qu’il ne produisoit dans certains endroits que des plantes Etrangeres. On voyoit Lucrece fort occupé au bas de la Montagne ; il paroissoit attentif aux mouvemens de la Machine, dont il avoit la direction, parce qu’il en étoit l’inventeur ; il étoit quelquefois si engagé parmi les ressorts, que la moitié du Poëte étoit derobé aux yeux des Spectateurs. Il est vrai que dans d’autres momens il étoit élevé par ces ressorts mêmes, & placé aussi avantageusement que ses compagnons les plus distinguez. Ovide n’avoit aucune demeure fixe ; il parcouroit continuellement le Parnasse d’un bout à l’autre, avec toute l’adresse & toute la rapidité possible ; mais comme il ne daignoit pas se donner la peine de grimper jusqu’au haut de la Montagne, on ne le voyoit que cabrioler d’un air aisé & badin sur les parties inferieures du double mont. Personne n’étoit dans un poste plus eminent que Lucain, & ne découvroit autour de lui de vues plus vastes. Il s’étoit jetté sur Pegaze avec toute la chaleur & toute l’intrepidité d’un jeune ambitieux, il sembloit vouloir porter son vol au delà des nues. Mais comme le cheval aislé appuié legerement de ses pieds de derriere sur un rocher inégal sembloit se cabrer en prenant son essor. Le Poete avoit besoin de toute sa force pour s’y soutenir, & le peuple le voyant dans une situation si dangereuse s’écrioit de tems en tems, que c’étoit fait de lui, & que sa chute étoit inévitable. Virgile, la modestie peinte dans les yeux étoit assis a côté de Calliope au milieu d’un bosquet de Lauriers, qui l’environnoient d’un feuillage si épais, qu’il étoit presque caché par leur ombre. Il sembloit vouloir dans cette retraite se derobber aux yeux des hommes ; Mais il n’étoit pas possible de jetter les yeux sur Calliope ; qu’on ne découvrit Virgile en même temps. Dès que cette Mascarade poetique fut arrivée devant le Palais du Pape, on l’invita de mettre pied a terre, ce qui fut fait. La salle preparée pour ces Poetes répresentatifs étoit pleine de tout ce qu’il y avoit parmi la plus grande noblesse d’Italie, de distingué par l’Erudition, & par l’Esprit. Chaque Poete prit la place, qui lui étoit destinée, & ils se mirent l’un après l’autre, à reciter un Poeme dans le gout, & dans le stile des Autheurs immortels qu’ils devoient representer. Les sujets de ces differentes pieces, & le jugement, qu’en donna cette belle & savante assemblée peuvent fournir une agrea-ble matiere à quelques autres de mes feuilles volantes.