Pourquoi faut-il qu’un si beau Commencement ait une si triste suite.
J’ai receu hier une Lettre d’un honnête bourgeois marié depuis peu. Elle est écrite, par un homme fort uni, sur un sujet très simple, mais il y a un certain bon sens accompagné d’un air de probité, qui me fait un plaisir sensible, & qui pourroit bien ne pas déplaire a mes Lecteurs. Je ne me ferai donc pas la moindre difficulté de lui donner une place dans mon ouvrage, que j’ai destiné a l’utilité publique, & ou j’ai pour but d’obliger les gens du Commun aussi bien que les personnes de qualité.
Vous saurez que je me suis marié depuis peu ; a une assez jolie petite personne ; comme elle est plus jeune faire le faut, & je fus assez heureux pour gagner par la le cœur de ma maitresse. Le jour des noces je fus obligé de mettre un autre habit tout fin neuf, où l’on m’avoit forcé de faire mettre des boutons d’argent ; vous ne sauriez croire, mon cher Monsieur, jusqu’à quel point j’étois decontenancé en me voyant si brave ; je m’imaginois que tous nos voisins se moquoient de moi, & je souhaitois de tout mon cœur que ce bel habit fut déja usé, afin de paroitre parmi les honnêtes-gens dans mon équipage ordinaire. Ce n’est pas tout encore ; on m’a fait faire une robe de chambre de soye, avec je ne sai quel bonnet d’Arlequin de toutes sortes de couleurs, & l’on veut que de tems en tems je me mette avec tout cela à la fenetre pour me faire voir. Je suis tout honteux de me laisser gouverner comme cela par un tas de parens qui sont devenus foux, je croi, & jamais je ne me regarde dans un miroir, que je ne Lord Maire, qu’on ne servoit les confitures, que lorsque les gens étoient déja remplis de bœuf & de mouton, & qu’ils n’avoient plus gueres d’appetit ; cette methode là me paroit belle & bonne ; mais nous autres nouveaux mariez nous donnons des friandises à nos
PS. J’ai oublié de vous parler de mes gands blancs, qu’on veut aussi que je porte pendant un mois entier.
Les rémarques de mon correspondant, quoique exprimées bourgeoisement sont fort justes, & méritent l’attention des gens du Commun. Je croi meme en pouvoir tirer quelques réflexions avantageuses pour les personnes du premier rang, en faisant voir un parellele assez exact entre l’habit de dimanche de notre bourgeois, & la conduite des personnes distinguées, quand elles font l’amour. Par ma grande experience dans le monde, & par mes réflexions
Peu a peu elle remarque, qu’il a une volonté en propre, qu’il se donne les airs de mépriser ce qu’elle estime, & qu’au lieu d’agir avec elle comme avec une Déesse, il la traitte comme une
Cette revolution dans les manieres d’un mari doit naturellement effaroucher une femme, & exciter chez elle la bile, & les vapeurs, qui excitant a leur tour la mauvaise humeur de l’époux doivent naturellement causer un ménage passablement triste.
J’ai toujours extremement approuvé la methode de faire l’amour, dont s’est servi mon ami M. Vous voyez, Mademoisel-le, lui disoit-il quelquefois, quelle espece d’homme je suis, je vous developpe mon humeur telle quelle est ; si vous voulez bien me prendre avec tous mes defauts, je vous promets de devenir meilleur, plutôt que d’empirer ; je me souviens, qu’un jour il fit sentir a sa maitresse un peu vivement, qu’il ne goutoit pas quelque bagatelle qu’elle avoit dite ; elle lui demanda la dessus d’un air assez fier, de quel ton il lui parleroit quand il seroit son mari, puisqu’il osoit lui dire des choses de cette nature, lorsqu’il n’étoit encore que son amant. Ecoutez, Mademoiselle, lui repondit cet honnêt-homme, je vous parle a present de cette maniere, precisement par ce que vous êtes encore votre propre maitresse ; si vous étiez a moy, je serois trop genereux pour me donner des airs de maitre avec vous. Peu à peu mon ami eut le bonheur de faire gouter à sa belle une franchise si rare, qu’il soutenoit d’ailleurs par les marques d’une tendresse aussi vive, que délicate ; il l’a épousée, & il fait plus qu’il ne lui a jamais promis ; elle se voit trompée à son avantage, & elle trouve moins de défauts dans l’Epoux, qu’elle n’en avoit découvert dans l’Amant.