Discours LXXXXIV. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Veronika Mussner Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 27.04.2018 o:mws.6726 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome II, 356-362 Le Mentor moderne 2 094 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Liebe Amore Love Amor Amour Mode Moda Fashion Moda Mode France 2.0,46.0

Discours LXXXXIV.

Amphora cœpit Institui, currente rosa <sic> urceus exit.

Pourquoi faut-il qu’un si beau Commencement ait une si triste suite.

J’ai receu hier une Lettre d’un honnête bourgeois marié depuis peu. Elle est écrite, par un homme fort uni, sur un sujet très simple, mais il y a un certain bon sens accompagné d’un air de probité, qui me fait un plaisir sensible, & qui pourroit bien ne pas déplaire a mes Lecteurs. Je ne me ferai donc pas la moindre difficulté de lui donner une place dans mon ouvrage, que j’ai destiné a l’utilité publique, & ou j’ai pour but d’obliger les gens du Commun aussi bien que les personnes de qualité.

Mon bon Monsieur.

Vous saurez que je me suis marié depuis peu ; a une assez jolie petite personne ; comme elle est plus jeune & plus riche que moi, on me conseilla, porsque <sic> j’avois envie de lui faire la cour, de m’habiller plus proprement, que de coutume ; je le fis, mais à regret, car j’aime fort à me mettre uniment, & à ne pas paroître plus que je ne suis ; mais c’étoit un faire le faut, & je fus assez heureux pour gagner par la le cœur de ma maitresse. Le jour des noces je fus obligé de mettre un autre habit tout fin neuf, où l’on m’avoit forcé de faire mettre des boutons d’argent ; vous ne sauriez croire, mon cher Monsieur, jusqu’à quel point j’étois decontenancé en me voyant si brave ; je m’imaginois que tous nos voisins se moquoient de moi, & je souhaitois de tout mon cœur que ce bel habit fut déja usé, afin de paroitre parmi les honnêtes-gens dans mon équipage ordinaire. Ce n’est pas tout encore ; on m’a fait faire une robe de chambre de soye, avec je ne sai quel bonnet d’Arlequin de toutes sortes de couleurs, & l’on veut que de tems en tems je me mette avec tout cela à la fenetre pour me faire voir. Je suis tout honteux de me laisser gouverner comme cela par un tas de parens qui sont devenus foux, je croi, & jamais je ne me regarde dans un miroir, que je ne rougisse, de me voir changé ainsi en petit Damoiseau ; ce qui me fait enrager sur tout, c’est qu’on me dit, que je dois porter toûjours mes habits de noce pendant un mois entier. Mais aussi dès que ce tems sera passé, ils ne m’y ratrapperont plus, & je pretends bien reprendre mon habit de tous les jours, car à present toute la semaine est composée pour moi de Dimanches. A vous parler franchement, Monsieur Mentor, tout cela me paroit la plus sotte chose du monde ; lorsqu’un mari est encore tout neuf pour une jeune femme, il me semble qu’il doit lui plaire assez, bati comme il est, & qu’il n’a que faire de s’enjoliver. La nouveauté d’un époux vaut mieux que tous les habits de noce de toute la terre ; c’est pourquoi il faudroit à mon avis garder toutes ces braveries là pour quand le mari commence à n’être plus si beau de lui-même ; j’ai vu au festin du Lord Maire, qu’on ne servoit les confitures, que lorsque les gens étoient déja remplis de bœuf & de mouton, & qu’ils n’avoient plus gueres d’appetit ; cette methode là me paroit belle & bonne ; mais nous autres nouveaux mariez nous donnons des friandises à nos convives quand leur appetit est encore dans toute sa force, & nous servons les mets grossiers, quand leur grande faim est passée ; quoi que je haïsse à la mort mon habit à boutons d’argent, & ma robbe de chambre de soye, je ne sai si j’oserai les quitter, de peur que ma femme ne se répente de son mariage, quand elle verra combien son mari se soucie peu de la mode ; je vous prie, Monsieur, écrivez quelque chose là-dessus, pour la préparer à ce changement, & dites-moi à cœur ouvert, si vous croyez qu’elle pourra m’aimer dans un habit avec des boutons de crin. Je suis &c.

PS. J’ai oublié de vous parler de mes gands blancs, qu’on veut aussi que je porte pendant un mois entier.

Les rémarques de mon correspondant, quoique exprimées bourgeoisement sont fort justes, & méritent l’attention des gens du Commun. Je croi meme en pouvoir tirer quelques réflexions avantageuses pour les personnes du premier rang, en faisant voir un parellele assez exact entre l’habit de dimanche de notre bourgeois, & la conduite des personnes distinguées, quand elles font l’amour. Par ma grande experience dans le monde, & par mes réflexions continuelles sur le genre humain, j’ai découvert une des causes les plus generales des mariages infortunez, qui devroit frapper tout le monde & a laquelle pourtant personne ne semble prêter attention. Tout homme en faisant la cour a sa Maitresse, & dans les premiers jours de mariage, se sert d’une conduite qui est parfaitement bien representée par les habits de noces de mon Correspondant. Mais cette conduite ne dure que jusqu’à ce qu’il soit bien établi dans la possession de l’objet de sa tendresse. Il assujettit aux caprices de la belle tous ses penchants, & sa raison même ; elle exerce un empire despotique sur ses amitiés, ses haines, ses parolles, ses actions, ses sentiments. Un signe de teste le reprimende, un regard de travers le mortifie, un souris excite dans son ame des transports de joye. La pauvre jeune Demoiselle ne sauroit s’empêcher d’aimer a la folie un homme si souple, & elle attend de lui le meme excez de complaisance pendant toute sa vie.

Peu a peu elle remarque, qu’il a une volonté en propre, qu’il se donne les airs de mépriser ce qu’elle estime, & qu’au lieu d’agir avec elle comme avec une Déesse, il la traitte comme une femme ; ce qui rend cet inconvenient plus terrible, c’est qu’on observe constamment, que les amants les plus adulateurs deviennent les époux les plus tyranniques.

Cette revolution dans les manieres d’un mari doit naturellement effaroucher une femme, & exciter chez elle la bile, & les vapeurs, qui excitant a leur tour la mauvaise humeur de l’époux doivent naturellement causer un ménage passablement triste.

J’ai toujours extremement approuvé la methode de faire l’amour, dont s’est servi mon ami M. Francœur ; Elle est directement opposée a celle, que je viens de condamner. Il s’étoit addressé a une personne sensée & judicieuse, & il la traitta sur ce pied la pendant tout le temps qu’il lui faisoit la cour. Il fut assez hardi pour être avec elle sincere & raisonnable ; sans pourtant se laisser jamais échapper le moindre mot qui fût indigne d’un homme d’un bon naturel cultivé par une éducation bien conduite. En un mot, il agissoit avec elle, avant que d’avoir gagné son cœur, comme il avoit intention de continuer après en être devenu possesseur legitime. Vous voyez, Mademoisel-le, lui disoit-il quelquefois, quelle espece d’homme je suis, je vous developpe mon humeur telle quelle est ; si vous voulez bien me prendre avec tous mes defauts, je vous promets de devenir meilleur, plutôt que d’empirer ; je me souviens, qu’un jour il fit sentir a sa maitresse un peu vivement, qu’il ne goutoit pas quelque bagatelle qu’elle avoit dite ; elle lui demanda la dessus d’un air assez fier, de quel ton il lui parleroit quand il seroit son mari, puisqu’il osoit lui dire des choses de cette nature, lorsqu’il n’étoit encore que son amant. Ecoutez, Mademoiselle, lui repondit cet honnêt-homme, je vous parle a present de cette maniere, precisement par ce que vous êtes encore votre propre maitresse ; si vous étiez a moy, je serois trop genereux pour me donner des airs de maitre avec vous. Peu à peu mon ami eut le bonheur de faire gouter à sa belle une franchise si rare, qu’il soutenoit d’ailleurs par les marques d’une tendresse aussi vive, que délicate ; il l’a épousée, & il fait plus qu’il ne lui a jamais promis ; elle se voit trompée à son avantage, & elle trouve moins de défauts dans l’Epoux, qu’elle n’en avoit découvert dans l’Amant.

Discours LXXXXIV. Amphora cœpit Institui, currente rosa <sic> urceus exit. Pourquoi faut-il qu’un si beau Commencement ait une si triste suite. J’ai receu hier une Lettre d’un honnête bourgeois marié depuis peu. Elle est écrite, par un homme fort uni, sur un sujet très simple, mais il y a un certain bon sens accompagné d’un air de probité, qui me fait un plaisir sensible, & qui pourroit bien ne pas déplaire a mes Lecteurs. Je ne me ferai donc pas la moindre difficulté de lui donner une place dans mon ouvrage, que j’ai destiné a l’utilité publique, & ou j’ai pour but d’obliger les gens du Commun aussi bien que les personnes de qualité. Mon bon Monsieur. Vous saurez que je me suis marié depuis peu ; a une assez jolie petite personne ; comme elle est plus jeune & plus riche que moi, on me conseilla, porsque <sic> j’avois envie de lui faire la cour, de m’habiller plus proprement, que de coutume ; je le fis, mais à regret, car j’aime fort à me mettre uniment, & à ne pas paroître plus que je ne suis ; mais c’étoit un faire le faut, & je fus assez heureux pour gagner par la le cœur de ma maitresse. Le jour des noces je fus obligé de mettre un autre habit tout fin neuf, où l’on m’avoit forcé de faire mettre des boutons d’argent ; vous ne sauriez croire, mon cher Monsieur, jusqu’à quel point j’étois decontenancé en me voyant si brave ; je m’imaginois que tous nos voisins se moquoient de moi, & je souhaitois de tout mon cœur que ce bel habit fut déja usé, afin de paroitre parmi les honnêtes-gens dans mon équipage ordinaire. Ce n’est pas tout encore ; on m’a fait faire une robe de chambre de soye, avec je ne sai quel bonnet d’Arlequin de toutes sortes de couleurs, & l’on veut que de tems en tems je me mette avec tout cela à la fenetre pour me faire voir. Je suis tout honteux de me laisser gouverner comme cela par un tas de parens qui sont devenus foux, je croi, & jamais je ne me regarde dans un miroir, que je ne rougisse, de me voir changé ainsi en petit Damoiseau ; ce qui me fait enrager sur tout, c’est qu’on me dit, que je dois porter toûjours mes habits de noce pendant un mois entier. Mais aussi dès que ce tems sera passé, ils ne m’y ratrapperont plus, & je pretends bien reprendre mon habit de tous les jours, car à present toute la semaine est composée pour moi de Dimanches. A vous parler franchement, Monsieur Mentor, tout cela me paroit la plus sotte chose du monde ; lorsqu’un mari est encore tout neuf pour une jeune femme, il me semble qu’il doit lui plaire assez, bati comme il est, & qu’il n’a que faire de s’enjoliver. La nouveauté d’un époux vaut mieux que tous les habits de noce de toute la terre ; c’est pourquoi il faudroit à mon avis garder toutes ces braveries là pour quand le mari commence à n’être plus si beau de lui-même ; j’ai vu au festin du Lord Maire, qu’on ne servoit les confitures, que lorsque les gens étoient déja remplis de bœuf & de mouton, & qu’ils n’avoient plus gueres d’appetit ; cette methode là me paroit belle & bonne ; mais nous autres nouveaux mariez nous donnons des friandises à nos convives quand leur appetit est encore dans toute sa force, & nous servons les mets grossiers, quand leur grande faim est passée ; quoi que je haïsse à la mort mon habit à boutons d’argent, & ma robbe de chambre de soye, je ne sai si j’oserai les quitter, de peur que ma femme ne se répente de son mariage, quand elle verra combien son mari se soucie peu de la mode ; je vous prie, Monsieur, écrivez quelque chose là-dessus, pour la préparer à ce changement, & dites-moi à cœur ouvert, si vous croyez qu’elle pourra m’aimer dans un habit avec des boutons de crin. Je suis &c. PS. J’ai oublié de vous parler de mes gands blancs, qu’on veut aussi que je porte pendant un mois entier. Les rémarques de mon correspondant, quoique exprimées bourgeoisement sont fort justes, & méritent l’attention des gens du Commun. Je croi meme en pouvoir tirer quelques réflexions avantageuses pour les personnes du premier rang, en faisant voir un parellele assez exact entre l’habit de dimanche de notre bourgeois, & la conduite des personnes distinguées, quand elles font l’amour. Par ma grande experience dans le monde, & par mes réflexions continuelles sur le genre humain, j’ai découvert une des causes les plus generales des mariages infortunez, qui devroit frapper tout le monde & a laquelle pourtant personne ne semble prêter attention. Tout homme en faisant la cour a sa Maitresse, & dans les premiers jours de mariage, se sert d’une conduite qui est parfaitement bien representée par les habits de noces de mon Correspondant. Mais cette conduite ne dure que jusqu’à ce qu’il soit bien établi dans la possession de l’objet de sa tendresse. Il assujettit aux caprices de la belle tous ses penchants, & sa raison même ; elle exerce un empire despotique sur ses amitiés, ses haines, ses parolles, ses actions, ses sentiments. Un signe de teste le reprimende, un regard de travers le mortifie, un souris excite dans son ame des transports de joye. La pauvre jeune Demoiselle ne sauroit s’empêcher d’aimer a la folie un homme si souple, & elle attend de lui le meme excez de complaisance pendant toute sa vie. Peu a peu elle remarque, qu’il a une volonté en propre, qu’il se donne les airs de mépriser ce qu’elle estime, & qu’au lieu d’agir avec elle comme avec une Déesse, il la traitte comme une femme ; ce qui rend cet inconvenient plus terrible, c’est qu’on observe constamment, que les amants les plus adulateurs deviennent les époux les plus tyranniques. Cette revolution dans les manieres d’un mari doit naturellement effaroucher une femme, & exciter chez elle la bile, & les vapeurs, qui excitant a leur tour la mauvaise humeur de l’époux doivent naturellement causer un ménage passablement triste. J’ai toujours extremement approuvé la methode de faire l’amour, dont s’est servi mon ami M. Francœur ; Elle est directement opposée a celle, que je viens de condamner. Il s’étoit addressé a une personne sensée & judicieuse, & il la traitta sur ce pied la pendant tout le temps qu’il lui faisoit la cour. Il fut assez hardi pour être avec elle sincere & raisonnable ; sans pourtant se laisser jamais échapper le moindre mot qui fût indigne d’un homme d’un bon naturel cultivé par une éducation bien conduite. En un mot, il agissoit avec elle, avant que d’avoir gagné son cœur, comme il avoit intention de continuer après en être devenu possesseur legitime. Vous voyez, Mademoisel-le, lui disoit-il quelquefois, quelle espece d’homme je suis, je vous developpe mon humeur telle quelle est ; si vous voulez bien me prendre avec tous mes defauts, je vous promets de devenir meilleur, plutôt que d’empirer ; je me souviens, qu’un jour il fit sentir a sa maitresse un peu vivement, qu’il ne goutoit pas quelque bagatelle qu’elle avoit dite ; elle lui demanda la dessus d’un air assez fier, de quel ton il lui parleroit quand il seroit son mari, puisqu’il osoit lui dire des choses de cette nature, lorsqu’il n’étoit encore que son amant. Ecoutez, Mademoiselle, lui repondit cet honnêt-homme, je vous parle a present de cette maniere, precisement par ce que vous êtes encore votre propre maitresse ; si vous étiez a moy, je serois trop genereux pour me donner des airs de maitre avec vous. Peu à peu mon ami eut le bonheur de faire gouter à sa belle une franchise si rare, qu’il soutenoit d’ailleurs par les marques d’une tendresse aussi vive, que délicate ; il l’a épousée, & il fait plus qu’il ne lui a jamais promis ; elle se voit trompée à son avantage, & elle trouve moins de défauts dans l’Epoux, qu’elle n’en avoit découvert dans l’Amant.