Zitiervorschlag: Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] (Hrsg.): "Discours LXXV.", in: Le Mentor moderne, Vol.2\075 (1723), S. 204-214, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4276 [aufgerufen am: ].


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Discours LXXV.

Zitat/Motto► Inest sua gratia parvis. Virg.

Les petits hommes ne laissent pas d’avoir leur agrément. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Une des meilleures regles de conduite est celle qui veut, que nous cherchions notre bonheur dans l’art de nous accommoder à la na-[212]ture & d’en tirer le meilleur parti qu’il est possible. L’Auteur de la Lettre suivante est tellement convaincu de la vérité de cette maxime, qu’il fait un sujet de plaisanterie d’une chose qui seroit pour un petit esprit une source intarissable de chagrin & de mauvaise humeur. Il faut savoir que par rapport à la taille il ne sauroit gueres passer que pour un demi-homme, maisc’est <sic> le meilleur petit homme de l’univers ; il est toûjours pendu aux côtez de ses amis, & il fait tous ses efforts pour montrer que dans les petites boetes on conserve le meilleur onguent, depuis peu il a erigé une societé par le moyen de laquelle il se flatte d’acquerir une petite réputation aux gens de sa taille. Voici sa Lettre.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► «  Monsieur,

Je me souviens de vous avoir entendu dire en parlant des gens, dont la figure est renfermée dans de bornes étroites, que souvent on ne prendroit pas garde à leur petitesse, si toutes leurs manieres n’annonçoient pas un petit homme, qui en-[213]rage de n’être pas plus grand ; certainement on n’est presque jamais ridicule pour être ce que l’on est, mais pour vouloir être ce que l’on n’est pas, & cette réflexion est également vraye & par rapport à l’ame, & par rapport au corps.

Il faut avouer pourtant que tous les hommes ne sont pas coupables au même degré d’une si impertinente affectation, & vous serez bien aize d’apprendre que de concert avec quelques autres Pigmées comme moi j’ai formé une cotterie, & que nous avons resolu d’être hardiment petits. Oui, Monsieur, nous sommes tous entré dans une conjuration formelle, pour soutenir la dignité de notre petitesse sous la moustache de ces Colosses du genre-humain, de ces Hyperboles de notre espece, de ces geants qui croient valoir mieux que nous, parce qu’ils nous regardent de haut en bas.

Le jour de notre établissement a été le 21. de Decembre, le jour le plus court de l’année, dans lequel nous celebrerons desormais l’anniversaire de cette heureuse institution, en mangeant ensemble un plat de chevrettes.

[214] La salle que nous avons choisie pour y tenir nos assemblées est dans la petite place ; & ce qui nous a surtout déterminé, à preferer ce quartier à tout autre, c’est qu’il nous met dans le voisinage de l’opera des Marionettes, pour les acteurs duquel nous sentons tous une tendresse fraternelle.

La premiere fois que nous nous y trouvames en corps, une bonne vieille nous amena son fils, en disant qu’elle seroit bien aize qu’il fut elevé dans notre Ecole, par ce qu’il y avoit des garçons si posez & si jolis : ce petit accident ne nous a point découragez ; nous n’avons pas laissé d’inviter a être des nôtres tous ceux dont la stature n’excede pas cincq pieds, mais ils nous ont envoyé pour la plupart faire leurs excuses, sous pretexte qu’ils n’étoient pas duement qualifiez pour etre membres de notre Cotterie.

Un d’entre les invitez nous a fait dire qu’en effet il n’avoit pour à present que cinq pieds, mais que son cordonnier & son perruquier lui avoit promis à eux deux le surcroit de deux pouces.

[205] Un autre nous a allegué qu’il étoit assez malheureux pour avoir une jambe plus longue que l’autre, & qu’il avoit été pris a son desavantage par ceux qui avoient accusé sa figure de n’être haute que de cincq pieds, puisque montée sur son autre jambe elle avoit pour le moins cincq pieds deux pouces & demie. Il y en a eu qui ont poussé leur vanité jusqu’à revoquer en doute l’exactitude de notre mesure, & d’autres au lieu de repondre, comme il falloit, à notre politesse nous ont informé de certaines personnes plus petites qu’eux ; en un mot tous les petits hommes de cette bonne ville, excepté un nombre fort limité, ont désavoué la bassesse de leur taille, & nous ont recommandé quelque voisin, ou quelque parent, qu’ils regardoient comme plus petit qu’eux. Qu’elle honte, que des gens atteints & convaincus par leur barbe d’être hommes faits se rendent coupables d’autant de tricheries, qu’on en découvre dans des Enfans ridiculement ambitieux, quand on veut les mesurer l’un contre l’autre.

Nous avons achevé depuis peu [206] d’accommoder la sale de l’assemblée à notre fantaisie, & d’en proportioner les meubles à notre taille. D’abord nous en avons fait ôter tous les fauteuils, chaises, & tables, qui avoient servi aux hommes ordinaires pendant plusieurs années ; les inconveniens, où nous avons été sujets lorsque nous en faisions usage, sont inexprimables. Tout le corps de notre President étoit abimé dans son fauteuil, & quand il étendoit ses bras de côté & d’autre il ressembloit, au grand détriment de sa dignité un enfant qu’on renferme dans une machine roulante, pour qu’il apprenne à marcher. Cette chaise d’ailleurs étoit si large, qu’un Turlupin en prit un jour occasion de soutenir, que quoique le Président y fut, c’étoit toujours un siege vacant. Notre table d’ailleurs étoit si élevée, qu’un homme entrant par hazard dans la sale lorsque nous étions sur le point de souper, & voyant nos mentons presque appuiez sur nos assiettes nous prit pour une troupe de personnes, qui attendoient une douzaine de barbiers pour se faire razer. Il arriva une autre fois qu’un membre de no-[207]tre societé s’avisa de medire de notre President, qu’il crut bien loin de la, quoique il ne fut qu’éclypsé totalement par une grosse bouteille de vin de Florence.

Vous voyez bien, Monsieur, que ce sont là des raisons plus que suffisantes pour changer de meubles ; nous nous sommes encore résolus à une autre réforme, qui n’est pas d’une moindre importance ; c’est de baisser tellement la porte que tout homme qui excede cinq pieds de hauteur n’y sauroit passer sans se heurter le front ; de cette maniere elle n’est propre que pour les gens qui ont la petitesse requise pour avoir l’honneur d’être de notre corps.

Voici quelque statuts de notre societé.

Si un de nos membres, quelque duement qualifié qu’il soit, s’efforce à s’élever au dessus de lui-même par la maniere de s’étendre, ou de trousser son chapeau ; si dans une grande foule il marche sur la pointe des pieds pour paroitre aussi grand qu’un autre, ou s’il met furtivement sous son coussin quelque chose qui le hausse sans sa chaise, il sera condamné [208] de ne porter pendant tout un mois que des souliers sans talons.

Si un membre tire avantage de sa perruque, de son chapeau, de ses souliers, ou quelque autre partie de son ajustement, pour paroitre plus grand, ou plus gros qu’il n’est, il sera obligé de porter des talons rouges, & un plumet de la même couleur, afin que sa stature réelle soit bornée par des limites remarquables, & qu’on le demêle facilement d’avec ses souliers & son chapeau.

Si un membre achete pour son propre usage un cheval de main, haut de plus de quatorze paumes & demie, le dit cheval sera vendu ; on lui donnera à la place un petit coursier Ecossois, & le surplus de l’argent sera employé à regaler la compagnie.

Si quelque membre ose fouler aux pieds les loix fondamentales de la Cotterie, jusqu’à s’élever sur plus d’un pouce & demi de talon, il sera regardé comme coupable du crime de leze petitesse, & il sera chassé de la societé sans aucun delai. Nota bene ; le formulaire dont on se servira en exilant un des membres sera conçu en ces mots : sors d’entre nous, [209] & sois grand, si tu peux.

Le sentiment unanime de la societé est, que puisque c’est un fait incontestable que la race humaine est diminuée en stature depuis le commencement du monde jusqu’à present, l’intention de la nature doit être que l’homme soit petit ; nous inferons de là que nous sommes plus excellens que les autres mortels, & que nous ne faisons que devancer le Genre-humain dans la perfection jusqu’à laquelle il doit s’abaisser un jour.

Je suis à la lettre

Votre très-humble &
très petit serviteur

Jean le Court. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1