Amusement L. Laurent Angliviel de la Beaumelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Anna Karnel Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 25.09.2018 o:mws.6661 La Beaumelle, Laurent Angliviel de: La Spectatrice danoise, ou l'Aspasie moderne, ouvrage hebdomadaire. Tome I. Copenhague: s.i. 1749, 427-436 La Spectatrice danoise 1 050 1749 Dänemark Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Imagem humana Wohltätigkeit Beneficenza Charity Caridad Bienfaisance Caridade Denmark 10.0,56.0 United Kingdom England England -0.70312,52.16045

Amusement L.

Belle Tète ! dit-il, mais de Cervelle, point.Combien de Grands Seigeneurs sont Bustes en ce point ?

La Fontaine.

I.

Qu’est-ce qu’un Grand Seigneur ? C’est un homme ennorgüeilli de sa naissance, ennorgueilli de son rang, anorgueïlli de ses richesses, enorgueilli de son mérite. Quelle naissance a-t’il ? Celle dont la Nature lui a fait présent : quel rang ? celui qu’il tient de la fortune : quelles richesses ? celles qu’il a recuёs du Prince ou de ses Ancètres ! quel mérite ? celui que lui prète son amour propre, ou la flatterie.

Quoi ? dirés-vous, Vanilis que nous respectons si fort, que nous encensons avec tant de bassesse, que nous adorons, Vanilis n’est que cela ? – Oüi ; approfondissés le ; vous trouverés en lui un Grand Seigneur ; mais vous n’y trouverés pas un Homme.

II.

Que les hommes soient sages : que l’intérèt ne les maîtrise pas : que le préjugé ne soit pas la régle de leurs jugemens ; en un mot, rendés au vulgaire son bon sens & sa raison ; que deviendront ce qu’on appelle les Grands. Réduits à leur juste valeur, ils n’ébloüiront plus par leur magnificence, ils n’obtiendront plus les respects par leur hauteur, parcequ’a travers cette hauteur & cette magnificence on verra tous les vices qui peuvent rendre les hommes odieux.

III.

Quels sont ces vices ? L’orgüeil, qui en fait autant de Tirans de leurs semblables ; cette dureté de cœur, qui les rend inaccessibles â tout sentiment d’humanité ; cette ambition à laquelle ils sacrifient la vertu ; cette avarice, qui les rend d’autant plus avides du bien d’autrui, qu’ils sont plus prodigues du leur. Quels traits odieux les caracterisent ! Le pinçeau me tombe des mains. Les Grands, qui pourroient faire le bonheur du monde, naissent-ils pour en faire le malheur ? pour en ètre les fléaux ?

IV.

La Nature, toujours sage, traite ses enfans avec une égale bonté. Elle fait toujours une sage compensation des biens & des maux, des peines & des plaisirs. L’êclat extérieur est pour les Grands. Les sentimens, la bonne-foi, la vertu sont pour les Petits. Mais malheureusement les premiers ne connoissent point leur misére ; & les seconds ne sçavent pas joüir de leur bonheur.

V.

De tous les préjugés qui régnent dans le monde, il n’est à mon gré, aucun de plus funeste, aucun de plus contagieux, aucun que je souhaitasse plus détruire, que celui qui, de tous les Grands Seigneurs, fait des Idoles. Comment l’homme s’est-il dégradé jusqu’à ce point ? Le vulgaire les adore ; & c’est précisément le vulgaire, qui est le plus intéressé à ne point s’aveugler là dessus : car c’est lui qui souffre le plus de cette énorme & inique disproportion, qui est entre le Grand & Lui. Guérissés le de cette prévention ; vous le rendrés heureux.

VI.

L’air de hauteur, qu’on remarque dans la plupart des Grands s’est d’abord emprunté, puis il leur devient familier, ensuite naturel. L’homme est porté à aimer son semblable. Quels efforts ne faut-il pas avoir fait, pour s’ètre accoutumé à le dédaigner ? Pour s’endurcir le cœur, il faut faire violence à la Nature.

VII.

Que le sage est heureux ! il sait apprécier les choses ; & cette science lui donne une espèce d’insensibilité pour les dehors pomp-eux d’un vain funtôme <sic>, qui tire toute sa grandeur de l’imagination séduite par la pompe & l’éclat. Que les Grands sont petits à ses yeux !

VIII.

Les Grands Seigneurs ressemblent aux Geans. Leur tète touche jusqu’aux cieux ; mais la pesanteur de leur corps les entraine vers la terre.

IX.

Votre hauteur en impose à vos Paisans & à vos Laquais. Eh bien ! usés en, si vous voulés, avec eux. Mais défaites vous en avec les gens d’esprit, Ils ne s’y méprennent pas. Ils savent quelle <sic> tire sa source de la petitesse de votre ame. Car plus un homme aura le cœur éleve, noble, généreux ; & plus il sera doux, traitable, modeste. Pourquoi Lysandre veut-il arracher les hommages par un air haut, dédaigneux & méprisant ? parcequ’il n’a rien en lui, qui lui assure le respect volontaire de ses Concitoiens.

X.

Almidor est vertueux, sincére, poli, sociable, & pauvre. Chéri de ses Inférieurs ; il est affable ; estimé de ses égaux ; il a du mérite : méprisé de des supérieurs, il ne sait pas ramper. Donnés lui une charge ou un titre, un bel équipage, une maison bien meublée, une table bien servie, un Cordon. Almidor sera véritablement grand. Mais non, ne lui donnés rien. Peut-ètre vos présens le gâteroient.

XI.

Chaque siécle a ses travers, chaque paîs sa maladie. Les vieillards étoient fort honorés en Arabie. Les Ethiopiens jugeoient du mérite par la taille. Les Scythes élisoient pour Souverains ceux qui buvoient le mieux. Parmi les Européens, les riches, j’ai presque dit les Riches seuls, sont de grands Seigneurs.

XII.

En bien de Païs, les Grands sont plus petits que ne l’est le Peuple dans quelque païs, même à considérer les choses avec les yeux du préjugé.

XIII.

La plupart des Grands n’ont pas une Grandeur raisonnée ou sistématique. On voit qu’ils ne peuvent soutenir leur role jusqu’au bout : ils se démentent sans s’en appercevoir : montés sur des échasses, ils tombent, & font souvent de lourdes chutes. Ces chutes prouvent au moins, que la hauteur est un état violent, & qu’il est difficile à l’homme de s’écarter de la simplicité au point de n’y pas revenir, dumoins machinalement.

XIV.

Le Misanthrope regarde le genre humain avec horreur ; dans les hommes il ne voit que des scélérats ; le Grand Seigneur le regarde avec pitié ; dans les hommes il ne voit que des instrumens de ses folies, des esclaves de ses passions, des victimes de ses caprices. Le premier est dégouté du monde & content de lui-mème ; le seconde est souvent ennuié de sa personne, & ne peut se passer du monde. L’un se pique de penser tout autrement ; l’autre d’agir & de vivre tout autrement que le reste des hommes. Celui-ci joüe un personnage distingué ; celui-là en joue un ridicule. Le Misanthrope ne peut ètre guéri de sa maladie par les revers. Le Grand Seigneur est un hidropique dont le mal est toujours augmenté par la prospérité. La Réfléxion a endurci l’un ; l’habitude a endurci l’autre. Il faut à l’un & à l’autre des remèdes extraordinaires : au premier de bons raisonnemens ; au second des disgraces accablantes.

XV.

On diroit que les Grands ont deux Ames, dont l’une leur inspire de bas sentimens avec leurs supérieurs ; & l’autre des sentimens altiers avec leurs inférieurs altiers avec leurs inférieurs <sic> : il faudroit leur en donner trois, pour expliquer cette fine souplesse qu’ils mettent en œuvre avec leurs égaux. Admettés ce système, vous aurés une explication du phénomène qu’on voit en eux, & qui consiste à réunir dans un mème caractére trois caractéres apposez, sans compter mille petites qualités accessoires : vous ne serés plus surpris de vous voir traité du haut en bas par le mème homme, qui rampoit il n’y a qu’un moment devant un autre homme.

XVI

Les mépris & les dédains sont insuportables de quelque part qu’ils viennent. La Nature ne connoit point de supériorité ; la Raison n’en connoit d’autre que celle du merite.

Un honnète homme, qui sait que la vertu seule fait la véritable grandeur, ne peut s’accoutumer à plier. Il voit de l’égalité entre le Seigneur & Lui ; & cette égalité lui donne une espèce de noble fierté, qui ne s’accomode point des bassesses.

Mais le Sage, quoique faché, qu’il y ait des hommes assés peu hommes pour préférer le plaisir d’étre obéîs au plaisir d’être aimés, ne fait point difficulté de flatter leur foiblesse, quand elle est nécessaire à sa fortune. Ce sont des enfans qu’il gagne avec des Bonbons & des confitures. Heureux l’homme d’honneur, qui peut obtenir de sa fierté ce manège-là !

XVII.

On dit, que de tous les Peuples, les Anglais sont ceux qui soutiennent le mieux la grandeur. Ils ne s’en laissent point entèter. On n’a peut-ètre jamais oüi dire en Angleterre ; un homme de ma sorte ! On diroit que la grandeur leur est familiére. Comme elle prend sa source dans leur cœur naturellement élevé, elle ne paîe point tribut à la Fortune. Elle ne depend point de la Cour, parcequ’ette <sic> est indépendunte <sic> des Titres. Les Pairs de cet heureux Roîaume, estimés à proportion du bien qu’ils font à leur Patrie, sont véritablement Grands Seigneurs, & ces Sujèts couronnés vivent en Rois à leur Campagne. Si l’humeur hautaine pouvoit ètre sèante à quelqu’un, ce seroit sans contredit aux dépositaires des priviléges & des libertés de la Nation Anglaise, cependant, s’il en faut croire tout ce que j’entends dire, rien de plus simple, rien de plus uni que leur façon de vivre, comme rien de plus noble, rien de plus grand que leur façon de penser & d’agir. Comme ils n’aiment point à obéir, ils n’aiment point à dominer ; car, qu’on ne s’y trompe pas ; la hauteur des Grands naît de leur bassesse.

XVIII.

Les Grands pensent-ils mieux, vivent ils mieux, parlent-ils mieux que le reste des hommes ? trouve-t’on chés eux plus de vertu, plus de génie, plus de savoir ? Non : dans tout ce qui constituё l’essence du mérite, ils sont inférieurs au Peuple. Les hommes les plus vicieux seroient-ils les plus respectables ?

Il me semble de voir un Grand sourciller en lisant ceci. Et pourquoi non ? Certain Ex-Laquais a bien vomi feu & flamme après avoir eû l’imbécillité de se reconnoitre dans ma 47. Feüille. Grands du Monde ! prétendés-vous qu’on vous respecte, parceque vous méprisés les autres ? Quoi ? Parceque vous ètes idôlatre de vous-mèmes, faudra-t’il, que toute la terre vous adore ? La Providence vous eleva-t’elle au faîte de la prospérité, afin qu’ennivrés de votre grandeur, vous vous en fissés un droit d’éteindre tout sentiment d’humanité ?

Que ne puis-je trouver des expressions assés énergiques pour peindre cette espèce odieuse d’hommes, qui, nés pour le malheur de leurs semblables, croient que leur rang les affranchit de tout devoir ; qui ne se servent de leur supériorité, que pour appesantir les chaines de leurs inférieurs ; qui, à force de vouloir paraitre grands, cessent d’étre hommes ?

Le sentiment gigantesque qu’ils ont d’eux-mèmes, grace aux illusions de l’amour propre, les rend haїssables. Ils se plaignent de n’étre pas aimés ; c’est leur faute. Un coup d’œil favorable, un geste, un rien leur gagneroient les cœurs. On leur tiendroit compte des moindres égards. L’amour propre de leurs inférieurs est si reconnaissant, quand il est satisfait ! Il rend avec usure tout ce qu’on lui donne.

Grands Seigneurs ! vous vous amusés des portraits ingénieux que fait de vous un Auteur. Vous ètes les premiers à loüer une saillie qui vous attaque. Vous permettés au Philosophe de moraliser, au Poёte de s’égaîer sur votre compte. Mais si ces fumées de vanité qui vous tronblent <sic> le cerveau pouvoient se dissiper ; si le charme qui vous cache à vous-mèmes pouvoit se rompre, l’humanité, révoltée de vos fatales chimères, vous feroit sentir, qu’un Homme, quelqu’il soit, est votre Semblable.

Les Petits ne peuvent se passer de vous ; mais pouvés-vous passer des Petits ? Pourquoi méprisés-vous ceux, avec qui vous ètes si étroitement liés ? Pénétrés les ressorts qui entretiennent l’harmonie de la Société civile, dont vous ètes la partie & la plus inutile & la plus distinguée. Voiés ces ressorts mis en mouvement par un intérèt mutuel ; voiés ce Corps, qui tire toute la force de l’union de ses membres. Voiés ce cercle éternel des besoins des Grands & des services des Petits. Est-il possible que vous oubliés que tous les hommes sont vos égaux, quand tout concourt à vous rappeller qu’ils sont vos fréres ?

XIX.

Dans l’esprit des Grands, avoir de la religion est presque un démérite. Qu’il en est peu à qui quelques railleries ne soient échappées ! Ils ont une Religion à eux ; ils l’appellent la Religion d’un honnète homme.

A en juger par le Titre, vous croirés qu’elle consiste à s’assujetir aux lois éternelles & invariables de la Morale, à pratiquer toutes les vertus, à fuir tous les vices. Vous n’y êtes pas. C’est donc à ne suivre que le Naturalisme, & à compter pour rien les vérités que l’Ecriture nous propose comme les objèts de notre Foi. Encore moins : les Grands ne sont Déîstes que par air, ou par distraction. Qu’est-ce donc ?

C’est faire une profession extérieure de la religion de ses Péres ou de celle du Prince : c’est s’affranchir sans scandale d’une partie des devoirs du Culte Divin, & en conserver une partie par bienséance & par ambition. C’est vivre dans l’indifférence de toutes les Sociétés Chrétiennes, & ne pas concevoir, qu’un homme puisse ètre assés présomptueux pour se flatter d’avoir embrassé la veritable, après les avoir éxaminées toutes : c’est renvoier le plus loin qu’on peut les réfléxions sérieuses sur la vie à venir & l’immortalité de l’Ame : c’est se piquer de n’ètre pas fripon au Jeu, & païer éxactement les dettes qu’on y a contractées : c’est prouver, dans l’occasion, qu’on a des sentimens de droiture & d’équité : c’est, en traitant ses vices des faiblesses, ses péchés de peccadilles, la pitié d’autrui de bigoterie, se garantir de toute tentation à laquelle on ne pourroit succomber, sans faire à son honneur & à ses intérèts un tort irréparable, sans risquer de passer pour un scélérat.

Mais, dirés-vous, la Religion de l’honnète homme ne rend donc pas plus integre ? Non ; elle ne sert à autre chose, qu’à dérober celui qui la pratique au Glaive de la Justice civile. Les Grands n’en ont-ils pas d’autre ? On en voit qui sont persuadés, que le Christianisme seul peut rendre l’homme heureux en mettant un frein à cette soif insatiable de félicité qui le dévore, ou, pour mieux dire, en lui faisant envisager la joüissance de l’Etre des Etres comme le terme de ses desirs & la récompense de ses vertus ; mais cela est si rare, que vous ne devés pas le mettre en ligne de compte. Cela est pourtant dans l’ordre ; car, je vous prie, peut-on éxiger honnètement de gens qui font tout pour plaire au Prince, qu’ils fassent quelque chose pour plaire à Dieu ?

XX.

Il est aisé de briller dans les affaires d’Etat : il ne faut que du Génie : certains postes ont je ne sai quoi de Grand, qui ébloüit les yeux mémes du Sage, & qui donne une espèce de mérite à ceux qui les occupent. Mais il est difficile de briller dans la retraite ; il faut de la vertu. Là, une grandeur empruntée est inutile à ceux mèmes qui ont joüé le rôle le plus distingué : il faut pouvoir s’envelopper dans sa grandeur d’ame : il faut avoir un caractère annobli par l’élévation des sentimens. La plupart des grands Seigneurs, ne sont, dans la vie privée, que des Lampes éteintes, parceque, dans les charges dont ils étoient revètus, ils ne jettoient qu’une lumiére étrangére.

XXI.

Le plus bel avantage de la Grandeur est le pouvoir de faire plus de bien que les autres hommes. Pour une Ame bien née, est-il un plus doux plaisir que d’en faire aux autres ?

Riche Seigneur ! tu t’occupes à thésauriser, tandis que tes Vassaux, courbés sous l’infortune, achetent un morçeau de pain à la sueur de leur front ? Quoi ? entouré de miserables, tu as le front d’ètre heureux ? Tes revenus entrent annuellement dans tes Coffres : ils en sortiront après ta mort. En attendant, n’est-ce pas un vol que tu fais à la Société ? Cet or amassé avec soin, conservé avec inquiétude, compté tous les jours, cet or te rend plus opulent : Mais combien d’hommes ton avarice soupçonneuse n’affame-t’elle pas ? Ouvre ces Tonnes, où tu tiens tant de milliers de Ducats prisonniers ; répans par tes profusions l’abondance parmi le Marchand, le Laboureur & l’Artisan. La circulation des espèces est aussi nécessaire à la Société dont tu es membre, que la circulation du sang l’est au Corps Humain. Tout Riche doit ressembler à l’Océan qui par des routes inconnuёs, renvoîe aux Fontaines & aux Rivieres les eaux, qu’elles ont porté dans son sein.

Oh ! si les Grands sçavoient quel plaisir c’est de tirer un homme de la misére, de l’arracher à la douleur, de se dire : le bonheur de cet homme est mon ouvrage, ils feroient de la béné-ficence leurs délices, de la charité leur occupation : Que Dorimond connoit bien cette Volupté ! Les richesses, qui ne sont que trop souvent les instrumens du crime & du vice, sont entre ses mains les instrumens de la vertu la plus noble & la plus délicieuse. Quel agréable spectacle pour Lui, que l’heureux changement qui se fait dans l’Ame des objèts de sa pitié, & qui se peint dans tout leur extérieur ! Leur teint, chargé d’une sombre pâleur, se ranime ; leur abbattement se dissipe ; leurs yeux, obscurcis par les nuages de la tristesse, reçoivent les impressions de la joie & de la reconnoissance.

A cette vuё, de quelles sensations voluptueuses ne doit pas ètre inondé le cœur de ce philosophe bienfaisant ? Ramassés tous les plaisirs rassasians & brutaux des sens : égalent-ils ceux, qu’il éprouve en voiant les visages satisfaits, en entendant les vœux sincéres de cette foule d’indigens qu’il soulage tous les jours avec tant de régularité & de générosité tout ensemble ? De quelle gratitude ne doit-il pas ètre pénétré envers le bienfaiteur du Genre humain, qui lui donne & la volonté & les moiens de faire du bien ? Cette volupté est un epicuréisme raisonnable.

Grands Seigneurs ! imités Dorimond : soiés bienfaisans comme lui. On vous pardonnera tous vos défauts, en faveur d’une vertu si utile à l’Etat.

Amusement L. Belle Tète ! dit-il, mais de Cervelle, point.Combien de Grands Seigeneurs sont Bustes en ce point ? La Fontaine. I. Qu’est-ce qu’un Grand Seigneur ? C’est un homme ennorgüeilli de sa naissance, ennorgueilli de son rang, anorgueïlli de ses richesses, enorgueilli de son mérite. Quelle naissance a-t’il ? Celle dont la Nature lui a fait présent : quel rang ? celui qu’il tient de la fortune : quelles richesses ? celles qu’il a recuёs du Prince ou de ses Ancètres ! quel mérite ? celui que lui prète son amour propre, ou la flatterie. Quoi ? dirés-vous, Vanilis que nous respectons si fort, que nous encensons avec tant de bassesse, que nous adorons, Vanilis n’est que cela ? – Oüi ; approfondissés le ; vous trouverés en lui un Grand Seigneur ; mais vous n’y trouverés pas un Homme. II. Que les hommes soient sages : que l’intérèt ne les maîtrise pas : que le préjugé ne soit pas la régle de leurs jugemens ; en un mot, rendés au vulgaire son bon sens & sa raison ; que deviendront ce qu’on appelle les Grands. Réduits à leur juste valeur, ils n’ébloüiront plus par leur magnificence, ils n’obtiendront plus les respects par leur hauteur, parcequ’a travers cette hauteur & cette magnificence on verra tous les vices qui peuvent rendre les hommes odieux. III. Quels sont ces vices ? L’orgüeil, qui en fait autant de Tirans de leurs semblables ; cette dureté de cœur, qui les rend inaccessibles â tout sentiment d’humanité ; cette ambition à laquelle ils sacrifient la vertu ; cette avarice, qui les rend d’autant plus avides du bien d’autrui, qu’ils sont plus prodigues du leur. Quels traits odieux les caracterisent ! Le pinçeau me tombe des mains. Les Grands, qui pourroient faire le bonheur du monde, naissent-ils pour en faire le malheur ? pour en ètre les fléaux ? IV. La Nature, toujours sage, traite ses enfans avec une égale bonté. Elle fait toujours une sage compensation des biens & des maux, des peines & des plaisirs. L’êclat extérieur est pour les Grands. Les sentimens, la bonne-foi, la vertu sont pour les Petits. Mais malheureusement les premiers ne connoissent point leur misére ; & les seconds ne sçavent pas joüir de leur bonheur. V. De tous les préjugés qui régnent dans le monde, il n’est à mon gré, aucun de plus funeste, aucun de plus contagieux, aucun que je souhaitasse plus détruire, que celui qui, de tous les Grands Seigneurs, fait des Idoles. Comment l’homme s’est-il dégradé jusqu’à ce point ? Le vulgaire les adore ; & c’est précisément le vulgaire, qui est le plus intéressé à ne point s’aveugler là dessus : car c’est lui qui souffre le plus de cette énorme & inique disproportion, qui est entre le Grand & Lui. Guérissés le de cette prévention ; vous le rendrés heureux. VI. L’air de hauteur, qu’on remarque dans la plupart des Grands s’est d’abord emprunté, puis il leur devient familier, ensuite naturel. L’homme est porté à aimer son semblable. Quels efforts ne faut-il pas avoir fait, pour s’ètre accoutumé à le dédaigner ? Pour s’endurcir le cœur, il faut faire violence à la Nature. VII. Que le sage est heureux ! il sait apprécier les choses ; & cette science lui donne une espèce d’insensibilité pour les dehors pomp-eux d’un vain funtôme <sic>, qui tire toute sa grandeur de l’imagination séduite par la pompe & l’éclat. Que les Grands sont petits à ses yeux ! VIII. Les Grands Seigneurs ressemblent aux Geans. Leur tète touche jusqu’aux cieux ; mais la pesanteur de leur corps les entraine vers la terre. IX. Votre hauteur en impose à vos Paisans & à vos Laquais. Eh bien ! usés en, si vous voulés, avec eux. Mais défaites vous en avec les gens d’esprit, Ils ne s’y méprennent pas. Ils savent quelle <sic> tire sa source de la petitesse de votre ame. Car plus un homme aura le cœur éleve, noble, généreux ; & plus il sera doux, traitable, modeste. Pourquoi Lysandre veut-il arracher les hommages par un air haut, dédaigneux & méprisant ? parcequ’il n’a rien en lui, qui lui assure le respect volontaire de ses Concitoiens. X. Almidor est vertueux, sincére, poli, sociable, & pauvre. Chéri de ses Inférieurs ; il est affable ; estimé de ses égaux ; il a du mérite : méprisé de des supérieurs, il ne sait pas ramper. Donnés lui une charge ou un titre, un bel équipage, une maison bien meublée, une table bien servie, un Cordon. Almidor sera véritablement grand. Mais non, ne lui donnés rien. Peut-ètre vos présens le gâteroient. XI. Chaque siécle a ses travers, chaque paîs sa maladie. Les vieillards étoient fort honorés en Arabie. Les Ethiopiens jugeoient du mérite par la taille. Les Scythes élisoient pour Souverains ceux qui buvoient le mieux. Parmi les Européens, les riches, j’ai presque dit les Riches seuls, sont de grands Seigneurs. XII. En bien de Païs, les Grands sont plus petits que ne l’est le Peuple dans quelque païs, même à considérer les choses avec les yeux du préjugé. XIII. La plupart des Grands n’ont pas une Grandeur raisonnée ou sistématique. On voit qu’ils ne peuvent soutenir leur role jusqu’au bout : ils se démentent sans s’en appercevoir : montés sur des échasses, ils tombent, & font souvent de lourdes chutes. Ces chutes prouvent au moins, que la hauteur est un état violent, & qu’il est difficile à l’homme de s’écarter de la simplicité au point de n’y pas revenir, dumoins machinalement. XIV. Le Misanthrope regarde le genre humain avec horreur ; dans les hommes il ne voit que des scélérats ; le Grand Seigneur le regarde avec pitié ; dans les hommes il ne voit que des instrumens de ses folies, des esclaves de ses passions, des victimes de ses caprices. Le premier est dégouté du monde & content de lui-mème ; le seconde est souvent ennuié de sa personne, & ne peut se passer du monde. L’un se pique de penser tout autrement ; l’autre d’agir & de vivre tout autrement que le reste des hommes. Celui-ci joüe un personnage distingué ; celui-là en joue un ridicule. Le Misanthrope ne peut ètre guéri de sa maladie par les revers. Le Grand Seigneur est un hidropique dont le mal est toujours augmenté par la prospérité. La Réfléxion a endurci l’un ; l’habitude a endurci l’autre. Il faut à l’un & à l’autre des remèdes extraordinaires : au premier de bons raisonnemens ; au second des disgraces accablantes. XV. On diroit que les Grands ont deux Ames, dont l’une leur inspire de bas sentimens avec leurs supérieurs ; & l’autre des sentimens altiers avec leurs inférieurs altiers avec leurs inférieurs <sic> : il faudroit leur en donner trois, pour expliquer cette fine souplesse qu’ils mettent en œuvre avec leurs égaux. Admettés ce système, vous aurés une explication du phénomène qu’on voit en eux, & qui consiste à réunir dans un mème caractére trois caractéres apposez, sans compter mille petites qualités accessoires : vous ne serés plus surpris de vous voir traité du haut en bas par le mème homme, qui rampoit il n’y a qu’un moment devant un autre homme. XVI Les mépris & les dédains sont insuportables de quelque part qu’ils viennent. La Nature ne connoit point de supériorité ; la Raison n’en connoit d’autre que celle du merite. Un honnète homme, qui sait que la vertu seule fait la véritable grandeur, ne peut s’accoutumer à plier. Il voit de l’égalité entre le Seigneur & Lui ; & cette égalité lui donne une espèce de noble fierté, qui ne s’accomode point des bassesses. Mais le Sage, quoique faché, qu’il y ait des hommes assés peu hommes pour préférer le plaisir d’étre obéîs au plaisir d’être aimés, ne fait point difficulté de flatter leur foiblesse, quand elle est nécessaire à sa fortune. Ce sont des enfans qu’il gagne avec des Bonbons & des confitures. Heureux l’homme d’honneur, qui peut obtenir de sa fierté ce manège-là ! XVII. On dit, que de tous les Peuples, les Anglais sont ceux qui soutiennent le mieux la grandeur. Ils ne s’en laissent point entèter. On n’a peut-ètre jamais oüi dire en Angleterre ; un homme de ma sorte ! On diroit que la grandeur leur est familiére. Comme elle prend sa source dans leur cœur naturellement élevé, elle ne paîe point tribut à la Fortune. Elle ne depend point de la Cour, parcequ’ette <sic> est indépendunte <sic> des Titres. Les Pairs de cet heureux Roîaume, estimés à proportion du bien qu’ils font à leur Patrie, sont véritablement Grands Seigneurs, & ces Sujèts couronnés vivent en Rois à leur Campagne. Si l’humeur hautaine pouvoit ètre sèante à quelqu’un, ce seroit sans contredit aux dépositaires des priviléges & des libertés de la Nation Anglaise, cependant, s’il en faut croire tout ce que j’entends dire, rien de plus simple, rien de plus uni que leur façon de vivre, comme rien de plus noble, rien de plus grand que leur façon de penser & d’agir. Comme ils n’aiment point à obéir, ils n’aiment point à dominer ; car, qu’on ne s’y trompe pas ; la hauteur des Grands naît de leur bassesse. XVIII. Les Grands pensent-ils mieux, vivent ils mieux, parlent-ils mieux que le reste des hommes ? trouve-t’on chés eux plus de vertu, plus de génie, plus de savoir ? Non : dans tout ce qui constituё l’essence du mérite, ils sont inférieurs au Peuple. Les hommes les plus vicieux seroient-ils les plus respectables ? Il me semble de voir un Grand sourciller en lisant ceci. Et pourquoi non ? Certain Ex-Laquais a bien vomi feu & flamme après avoir eû l’imbécillité de se reconnoitre dans ma 47. Feüille. Grands du Monde ! prétendés-vous qu’on vous respecte, parceque vous méprisés les autres ? Quoi ? Parceque vous ètes idôlatre de vous-mèmes, faudra-t’il, que toute la terre vous adore ? La Providence vous eleva-t’elle au faîte de la prospérité, afin qu’ennivrés de votre grandeur, vous vous en fissés un droit d’éteindre tout sentiment d’humanité ? Que ne puis-je trouver des expressions assés énergiques pour peindre cette espèce odieuse d’hommes, qui, nés pour le malheur de leurs semblables, croient que leur rang les affranchit de tout devoir ; qui ne se servent de leur supériorité, que pour appesantir les chaines de leurs inférieurs ; qui, à force de vouloir paraitre grands, cessent d’étre hommes ? Le sentiment gigantesque qu’ils ont d’eux-mèmes, grace aux illusions de l’amour propre, les rend haїssables. Ils se plaignent de n’étre pas aimés ; c’est leur faute. Un coup d’œil favorable, un geste, un rien leur gagneroient les cœurs. On leur tiendroit compte des moindres égards. L’amour propre de leurs inférieurs est si reconnaissant, quand il est satisfait ! Il rend avec usure tout ce qu’on lui donne. Grands Seigneurs ! vous vous amusés des portraits ingénieux que fait de vous un Auteur. Vous ètes les premiers à loüer une saillie qui vous attaque. Vous permettés au Philosophe de moraliser, au Poёte de s’égaîer sur votre compte. Mais si ces fumées de vanité qui vous tronblent <sic> le cerveau pouvoient se dissiper ; si le charme qui vous cache à vous-mèmes pouvoit se rompre, l’humanité, révoltée de vos fatales chimères, vous feroit sentir, qu’un Homme, quelqu’il soit, est votre Semblable. Les Petits ne peuvent se passer de vous ; mais pouvés-vous passer des Petits ? Pourquoi méprisés-vous ceux, avec qui vous ètes si étroitement liés ? Pénétrés les ressorts qui entretiennent l’harmonie de la Société civile, dont vous ètes la partie & la plus inutile & la plus distinguée. Voiés ces ressorts mis en mouvement par un intérèt mutuel ; voiés ce Corps, qui tire toute la force de l’union de ses membres. Voiés ce cercle éternel des besoins des Grands & des services des Petits. Est-il possible que vous oubliés que tous les hommes sont vos égaux, quand tout concourt à vous rappeller qu’ils sont vos fréres ? XIX. Dans l’esprit des Grands, avoir de la religion est presque un démérite. Qu’il en est peu à qui quelques railleries ne soient échappées ! Ils ont une Religion à eux ; ils l’appellent la Religion d’un honnète homme. A en juger par le Titre, vous croirés qu’elle consiste à s’assujetir aux lois éternelles & invariables de la Morale, à pratiquer toutes les vertus, à fuir tous les vices. Vous n’y êtes pas. C’est donc à ne suivre que le Naturalisme, & à compter pour rien les vérités que l’Ecriture nous propose comme les objèts de notre Foi. Encore moins : les Grands ne sont Déîstes que par air, ou par distraction. Qu’est-ce donc ? C’est faire une profession extérieure de la religion de ses Péres ou de celle du Prince : c’est s’affranchir sans scandale d’une partie des devoirs du Culte Divin, & en conserver une partie par bienséance & par ambition. C’est vivre dans l’indifférence de toutes les Sociétés Chrétiennes, & ne pas concevoir, qu’un homme puisse ètre assés présomptueux pour se flatter d’avoir embrassé la veritable, après les avoir éxaminées toutes : c’est renvoier le plus loin qu’on peut les réfléxions sérieuses sur la vie à venir & l’immortalité de l’Ame : c’est se piquer de n’ètre pas fripon au Jeu, & païer éxactement les dettes qu’on y a contractées : c’est prouver, dans l’occasion, qu’on a des sentimens de droiture & d’équité : c’est, en traitant ses vices des faiblesses, ses péchés de peccadilles, la pitié d’autrui de bigoterie, se garantir de toute tentation à laquelle on ne pourroit succomber, sans faire à son honneur & à ses intérèts un tort irréparable, sans risquer de passer pour un scélérat. Mais, dirés-vous, la Religion de l’honnète homme ne rend donc pas plus integre ? Non ; elle ne sert à autre chose, qu’à dérober celui qui la pratique au Glaive de la Justice civile. Les Grands n’en ont-ils pas d’autre ? On en voit qui sont persuadés, que le Christianisme seul peut rendre l’homme heureux en mettant un frein à cette soif insatiable de félicité qui le dévore, ou, pour mieux dire, en lui faisant envisager la joüissance de l’Etre des Etres comme le terme de ses desirs & la récompense de ses vertus ; mais cela est si rare, que vous ne devés pas le mettre en ligne de compte. Cela est pourtant dans l’ordre ; car, je vous prie, peut-on éxiger honnètement de gens qui font tout pour plaire au Prince, qu’ils fassent quelque chose pour plaire à Dieu ? XX. Il est aisé de briller dans les affaires d’Etat : il ne faut que du Génie : certains postes ont je ne sai quoi de Grand, qui ébloüit les yeux mémes du Sage, & qui donne une espèce de mérite à ceux qui les occupent. Mais il est difficile de briller dans la retraite ; il faut de la vertu. Là, une grandeur empruntée est inutile à ceux mèmes qui ont joüé le rôle le plus distingué : il faut pouvoir s’envelopper dans sa grandeur d’ame : il faut avoir un caractère annobli par l’élévation des sentimens. La plupart des grands Seigneurs, ne sont, dans la vie privée, que des Lampes éteintes, parceque, dans les charges dont ils étoient revètus, ils ne jettoient qu’une lumiére étrangére. XXI. Le plus bel avantage de la Grandeur est le pouvoir de faire plus de bien que les autres hommes. Pour une Ame bien née, est-il un plus doux plaisir que d’en faire aux autres ? Riche Seigneur ! tu t’occupes à thésauriser, tandis que tes Vassaux, courbés sous l’infortune, achetent un morçeau de pain à la sueur de leur front ? Quoi ? entouré de miserables, tu as le front d’ètre heureux ? Tes revenus entrent annuellement dans tes Coffres : ils en sortiront après ta mort. En attendant, n’est-ce pas un vol que tu fais à la Société ? Cet or amassé avec soin, conservé avec inquiétude, compté tous les jours, cet or te rend plus opulent : Mais combien d’hommes ton avarice soupçonneuse n’affame-t’elle pas ? Ouvre ces Tonnes, où tu tiens tant de milliers de Ducats prisonniers ; répans par tes profusions l’abondance parmi le Marchand, le Laboureur & l’Artisan. La circulation des espèces est aussi nécessaire à la Société dont tu es membre, que la circulation du sang l’est au Corps Humain. Tout Riche doit ressembler à l’Océan qui par des routes inconnuёs, renvoîe aux Fontaines & aux Rivieres les eaux, qu’elles ont porté dans son sein. Oh ! si les Grands sçavoient quel plaisir c’est de tirer un homme de la misére, de l’arracher à la douleur, de se dire : le bonheur de cet homme est mon ouvrage, ils feroient de la béné-ficence leurs délices, de la charité leur occupation : Que Dorimond connoit bien cette Volupté ! Les richesses, qui ne sont que trop souvent les instrumens du crime & du vice, sont entre ses mains les instrumens de la vertu la plus noble & la plus délicieuse. Quel agréable spectacle pour Lui, que l’heureux changement qui se fait dans l’Ame des objèts de sa pitié, & qui se peint dans tout leur extérieur ! Leur teint, chargé d’une sombre pâleur, se ranime ; leur abbattement se dissipe ; leurs yeux, obscurcis par les nuages de la tristesse, reçoivent les impressions de la joie & de la reconnoissance. A cette vuё, de quelles sensations voluptueuses ne doit pas ètre inondé le cœur de ce philosophe bienfaisant ? Ramassés tous les plaisirs rassasians & brutaux des sens : égalent-ils ceux, qu’il éprouve en voiant les visages satisfaits, en entendant les vœux sincéres de cette foule d’indigens qu’il soulage tous les jours avec tant de régularité & de générosité tout ensemble ? De quelle gratitude ne doit-il pas ètre pénétré envers le bienfaiteur du Genre humain, qui lui donne & la volonté & les moiens de faire du bien ? Cette volupté est un epicuréisme raisonnable. Grands Seigneurs ! imités Dorimond : soiés bienfaisans comme lui. On vous pardonnera tous vos défauts, en faveur d’une vertu si utile à l’Etat.