Amusement XX. Laurent Angliviel de la Beaumelle Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 19.04.2018 o:mws.6600 La Beaumelle, Laurent Angliviel de: La Spectatrice danoise, ou l'Aspasie moderne, ouvrage hebdomadaire. Tome I. Copenhague: s.i. 1749, 153-160 La Spectatrice danoise 1 020 1748 Dänemark Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Religion Religione Religion Religión Religion Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Denmark 10.0,56.0 Italy 12.83333,42.83333 United Kingdom England England -0.70312,52.16045 Mauritius Tranquebar Tranquebar 57.50583,-20.17472 France Paris Paris 2.3488,48.85341 United Kingdom London London -0.12574,51.50853 Germany 10.5,51.5 Río Turienzo -6.00663,42.41805 Switzerland Geneva Geneva 6.14569,46.20222 France Avignon Avignon 4.80892,43.94834

Amusement XX.

Souvent un air de véritéSe mêle au plus grossier mensonge.

Voltaire.

Je lâchai dans la feüille XVIII. le mot de Défi, en parlant de la difficulté, qu’il y avoit à faire contre la Franche-Maçonnerie des objections solides. Ce terme, écrit à l’étourdie, a été pris pour un Cartel dans les formes. On m’adresse une Lettre, par laquelle on veut me persuader de rabattre de la bonne opinion que j’ai de cette Société. Je hais à mort les différends. J’ai d’abord hésité, si je m’engagerois dans celui-ci. Mais en suite l’intérêt de l’innocence & de la vérité m’a déterminée. J’avois cru, que ce que j’avois déjà dit en faveur de cet Ordre suffisoit ; mais je me suis trompée. Le monde ne revient pas si vite de ses préjugés ; & c’est beaucoup, si après avoir barboüillé bien du papier, il change d’avis. Nous sommes, ce me semble, aussi amoureux de nos prémières idées, qu’un Pére l’est de son fils aîné. Quoiqu’il en soit, voici le plaidoïer de l’Antagoniste des Francs-Maçons.

Me. la Spectatrice !

« Etes-vous gagée pour faire l’Apologie de l’Ordre des Francs-Maçons ? A voir l’ardeur avec laquelle vous le défendez, je serois presque tenté de le croire. Vous vous donnez, ce semble, pour leur Dom Quichotte, en défiant toute la terre d’opposer contre eux quelque chose de raisonnable. Les douceurs qu’un de leurs Confréres vous a débitées dans sa Lettre galante, vous auroient-elles gagnée ? Vous êtes l’Apologiste d’une Société, que vous ne connoissez pas bien. Je vais, si vous voulez bien me le permettre, vous prouver, qu’elle est indigne de vos éloges.

1.) C’est une Société de Déïstes ; Les Loges sont des écôles d’Incrédulité. Leur Catéchisme est extrêmement Laconique. Je crois en Dieu, quatre Monosillabes, comme vous voïez, en font les frais. L’impiété les unit. Leur Orateur est le Prédicateur de l’Irréligion. Ils ne couvrent d’un voile mistérieux leurs assemblées, qu’àfin de détruire les mistères du Christianisme avec plus de succès. Suivez un Initié à la trace : Vous le verrez de jour en jour faire des progrès dans le Déïsme. C’est à cette Société nombreuse, qu’on doit attribüer ceux que fait aujourd’hui l’Incrédulité. Paris & Londres, Londres sur-tout, fourmillent d’incrédules, parce que la Franche-Maçonnerie y est florissante. Tout Franc-Maçon se pique de penser librement ; & cette Liberté s’étend sur tout ce qu’il y a de plus sacré. La plupart de ceux que je connois, sont Déïstes déclarés. Ils n’osent débiter tout ce qu’ils pensent ; mais Dieu sçait de quels blasphêmes horribles leurs Loges retentissent ! O Ciel ! n’écrazeras-tu point un jour cette Diabolique Cabale ?

2.) Dès-qu’une fois l’Homme a secoüé le joug de la Réligion, qui sert de frein à son cœur, il est capable de tout. Aussi les Francs-Maçons, qu’aucun remords ne retient, donnent-ils dans les excès les plus criants. Ils se jettent à corps perdu dans l’Epicuréisme. Persuadés qu’il n’y a point de vie à venir, ils suivent le torrent de la volupté. Ils se livrent à leurs passions ; Les plaisirs des sens sont toûjours de la partie. Ils croïent peu, & boivent beaucoup. Imitateurs des Templiers, dont peut-être ils sont Descendans, ils se plongent dans les vices les plus honteux. Jettez les yeux sur leurs chansons, vous les trouverez scandaleuses. Bref, Bacchus & Vénus sont leurs seules Divinités. Je pourrois vous envoïer une longue liste de Francs-Maçons, dont la conduite prouve, qu’ils n’en adorent pas d’autres. Mals <sic> la Charité me le défend.

3.) Le silence, qu’ils gardent inviolablement est une Démonstration évidente de l’iniquité de leurs mistères. S’ils n’étoient pas des enfans de ténèbres, fuiroient-ils avec autant de soin la Lumière ? S’ils avoient quelque chose de bon à communiquer au genre humain, l’enséveliroient-ils dans les ombres de la nuit ? N’en feroient-ils point part à toute la terre ? N’en feroient-ils pas gloire ? On ne se cache pas pour rien avec tant de précaution. Ils ont tout à craindre du grand jour. Voilà pourquoi ils se dérobent si soigneusement aux yeux du Public. Si les murs de leurs Loges pouvoient parler, de combien d’infamies ne les chargeroient-ils pas ? O vertu ! ton régne est passé, si cette Société, ton ennemie, se soutient.

4.) L’exclusion du Beau-séxe ne dit rien de bon, Réfléchissez y. Je ne m’étends point là-dessus : Vous m’entendez ; seulement je dirai, que, si vos charmes & ce qu’ils appellent votre servitude en étoit la véritable cause, il y auroit eu plus d’une exception à la régle. Dans un Siécle aussi galant que l’est le nôtre, cette excuse n’est pas de mise. Je félicite du fonds de mon cœur les Dames de ce qu’elles ne sont point de moitié de toutes les débauches de ces Messieurs.

5.) On a vu des Francs-Maçons peu attachés à leur Société, d’autres peu assidus à leurs assemblées, quelques-uns en parler fort librement, quelques-autres nier qu’ils le fussent. Dites-moi, je vous prie, si tout cela ne forme pas un violent préjugé contre eux.

6.) Que dirai-je de l’horrible serment, par lequel ils s’engagent au silence ? Quelle Profanation d’une des plus augustes cérémonies de la Réligion ? s’obliger à taire ce qu’ils devroient révéler ! Quel renversement d’Ordre ! Par quel aveuglement s’obstinent-ils tous à ne pas rompre un serment si criminel ?

7.) Ils sont autant ennemis des Rois, qu’ennemis de Dieu. Ils sont ligués pour la destruction des Monarchies. Pleins de sentimens Républicains, ils ne respirent que le désordre.

Voilà, Made. les Griefs que j’avois à vous proposer. Mes cheveux se dressent, toutes les fois que je pense à cette abominable Société, mille fois pire que celle des Jésuites, dont on ne peut que dire du mal, quand on en veut dire la vérité. »

Monsieur l’Anti-Franc-Maçon ! Je pourrois répondre à votre Lettre en vous renvoïant à ma XVIII. Feüille, que vraisemblablement vos <sic> n’avez pas luë. Mais, de l’humeur dont vous m’avez la mine d’être, vous tireriez avantage de mon silence. Vous le regarderiez comme un aveu de ma défaite. Et, quoique vos invectives pussent fort bien se passer d’une réponse, je ne veux pas vous donner cette mince Satisfaction. Je vais donc vous suivre & vous réfuter pied à pied.

1.) Vous accusez les Francs-Maçons de Déïsme. L’accusation est grave. Il faut la prouver. Mais comment vous y prenez-vous ? Est-ce en nous découvrant quelque article secret de leur confession de foi ? Non ; mais en le répétant sept à huit fois. Plaisante manière de raisonner ! Dites-moi, Monsieur, où avez vous fait votre cours de Logique ? Je ne suis qu’une femme ; je sens bien pourtant, qu’une accusation destituée de preuves, est, ne vous en déplaise, la chose du monde la plus ridicule. Ce qu’il y a de sûr, c’est que dans tous les Tribunaux du monde vous seriez condamné de bonnet comme un Calomniateur. Pardon du terme. Il est fort, mais il est vrai ; & puis, vous ménagez si peu les votres, que je ne sçaurois mieux faire que d’imiter la crudité de votre stile.

Vous dites, qu’un Initié fait tous les jours de nouveaux pas vers le Déïsme. La preuve de ce fait ! oh ! elle est encore au bout de la plume. En l’attendant, je vous dirai, que je connois plusieurs Maçons très bons Chrétiens. Il faut en vérité, que vous aïez bien mauvaise opinion de la Solidité des argumens, qui établissent d’une manière invincible la Divinité de la Réligion, pour imaginer, que l’Initiation à la Franche-Maçonnerie est capable de les détruire, & d’en éclypser les raions luminieux.

Quel rapport ont les Mistères du Christianisme avec les secrets de l’Ordre ? Il faut que vous aïez un bon Microscope pour l’appercevoir. Pourquoi travestissez-vous en Prédicateur l’Orateur de chaque Loge ? Sur quel fondement le chargez-vous d’être le Ministre du Déïsme ? Tous les Discours de Réception, qui ont paru, ne sont-ils pas remplis d’une saine Morale ? Faites-nous part des traits d’Incrédulité, que vous y avez découvert.

Vous attribuez à la Maçonnerie les progrès de l’Irréligion. Pourquoi ne pas l’attribuër au déréglement des mœurs de ce Siécle ? Bannissez de l’Univers les vices. Je vous garantis l’éxil de l’Impiété. Mais, dites-vous, Londres & Paris sont peuplés de Déïstes & de Maçons. C’est à peu près comme si vous disiez, qu’il y a dans ces deux Villes beaucoup de Déïstes & de Sçavans. En Angleterre, on voit beaucoup d’Esprits-forts, parce que l’Homme est sujet à abuser de la Liberté de penser & d’écrire, que cette Nation possède. On en trouve en France, parce que les Consciences y sont trop gênées, parce que la suppression de l’Edit de Nantes a jetté la plupart des Huguenots dans l’Hypocrisie ou dans l’Indifférentisme, parce qu’on n’a pas la liberté du choix, & que les François n’ont que cette alternative, la Messe ou la Persécution. Avant l’an 1730, à peine connoissoit-on à Paris le nom de l’Ordre. Y avoit-il moins d’Incrédules ? Bien plus. Les Loges Françoises les exclüent formellement. Voici deux de leurs statuts imprimés.

Nul ne sera reçu dans l’Ordre, qui n’ait promis & juré solemnellement un attachement inviolable à la Réligion, au Roi, & aux mœurs.

Tout Brocanteur en Incrédulité, qui aura parlé ou écrit contre les sacrés Dogmes de l’ancienne foi des Croisés, sera exclu à jamais de l’Ordre, à moins qu’il n’abjure ses blasphêmes en pleine assemblée, ou qu’il ne fasse une réfutation de ses ouvrages.

Vous vous inscrirez sans doute en faux contre ces statuts. Vous direz qu’ils sont l’ouvrage de l’Imposture. Mais si l’on vouloit vous donner bien du fil à retordre, il n’y auroit qu’à vous prier de le prouver.

Vous prétendez, que la Liberté Maçonne fait main basse sur tout ce qu’il y a de plus sacré. Comment le démontrez-vous ? en ajoûtant que la plupart des Francs-Maçons de votre connoissance sont Déïstes. Je vous plains, Monsieur, de voir si mauvaise Compagnie. Mais permettez, que je ne vous en croïe pas sur votre parole. Déférez quelqu’un de ces Impies à sa Loge ; je vous réponds, qu’on lui fera son procès, & que sa conviction sera suivie de son expulsion. Que risquez-vous ? Vous êtes si zélé pour la gloire de Dieu ! Mais je veux supposer, qu’il est des Francs-Maçons, qui sont de Francs-Déïstes. Qu’en conclure ? attribüer le Déïsme à tout le Corps, c’est prendre la partie pour le tout. Une Société si nombreuse est-elle responsable des égaremens de quelques-uns de ses membres ? Quel est l’Ordre, qui pourra se mettre à l’abri de la Censure ? Votre raisonnement contre les Francs-Maçons revient à celui-ci : Il y a un lâche dans l’Ordre Militaire de St. Loüis, donc tous les Chevaliers de St. Loüis sont des lâches. Cette proposition n’est-elle pas revoltante ? Il ne faut qu’un petit grain de sens commun pour en sentir l’absurdité. A raisonner de cette manière, que répondriez-vous à un Turc, qui, en vous montrant quelques Chrêtiens Athées, en concluroit à votre éxemple, que tous les Chrêtiens le sont.

Ces sortes d’accusations ne me surprennent point. Tont <sic> ce qui est nouveau, est selon un certain monde, impie, Déïste, brûlable. Les Moines n’accusèrent-ils pas mille-fois les Luthériens de ne croire ni Dieu ni Diable ? Le Menteur Varillas n’a-t-il pas chargé d’Arianisme le Bien-heureux Luther ? N’a-t-on pas eu l’impudence d’imprimer tout récemment à Avignon, que Calvin avoit préche l’adultére dans la Cathédrale de Genève. & dit en propres termes, que quand on ne trouvoit pas sa femme à son grè, on pouvoit en conscience chasser dans les Plaisirs de son Voisin ? Souffrez, Monsieur, que je vous mette au nombre de ces Auteurs-là. En vérité, c’est votre place.

Remarquerai-je une contradiction grossière, qui vous a échapé ? Les Francs-Maçons, dites-vous, n’osent débiter tout ce qu’ils pensent ; & un peu plus haut, vous les dépeignez comme des Esprits-forts déclarés. Accordez-vous avec vous-même. Vous ajoutez malignement, que Dieu sçait de combien de blasphêmes leurs Loges re-tentissent ; & j’ajoûterai, moi, que je sçais fort bien qu’il ne se fait rien dans les Loges, qui puisse offencer le Ciel.

Vous voïez, Monsieur, que votre prémier chef est extrêmement mal-fondé. Quand vous écrirez contre eux, je vous conseille de mieux ajuster vos flutes. M’avez-vous prise pour une imbécille, quand vous avez cru, que votre simple affirmation m’entraîneroit dans votre sentiment ? Je ne change d’avis qu’à bonnes enseignes. Quand je sçai que les Loges d’Italie, de France, d’Angleterre, d’Allemagne sont pleines d’Ecclésiastiques d’une éminente piété, &c. d’une vertu solide, d’une probité irréprochable, vous voulez que je soupçonne, bien plus, que je croïe les assemblées Maçonnes des écôles d’Impiété ? A d’autres. Que dois-je penser de l’exclamation d’Enthousiaste qui accompagne votre prémière accusation ? Y avez-vous bien réfléchi, quand vous avez formé le coupable souhait de l’Ecrasement de cette Société, que vous honorez poliment de l’Epithéte de Diabolique ? D’où naît votre emportement ? De la passion, de l’erreur & du préjugé.

2.) Votre tirade sur la mauvaise Morale des Francs-Maçons n’est pas plus solide. Il est vrai, que ceux, qui ont secoüé le joug de la Réligion ne sont pas ordinairement fort scrupuleux ; mais comme vous ne sçauriez prouver, que l’Ordre a secoüé ce joug, il y a de la témérité à dire qu’aucun remords ne les retient. Comment la simple Réception auroit-elle la vertu de faire taire la Conscience ? Tous les Francs-Maçons, sont, selon vous, Epicuriens ; mais d’où sçavez-vous, qu’ils croient peu & boivent beaucoup ? Pour moi, j’ai oüi dire, que ceux qui s’avisoient de parler gras ou de trop boire étoient condamnés à une grosse amande. Faites leur Généalogie, comme vous l’entendrez, vous ne les trouverez jamais Descendans des Templiers, encore moins leurs Imitateurs. Leurs Chansons, au moins celles que j’ai vues en François & en Allemand, n’ont rien que d’innocent. Il faut être bien habile, pour y trouver des traits scandaleux. Il me semble qu’en Poësie on peut parler de Bacchus, sans être soupçonné de Paganisme. Votre charité, dites-vous, ne vous permet pas de m’envoïer une liste des Maçons vicieux que vous connoissez. Le saint homme ! Mais cette charité vous permet-elle de rejetter sur tout les Corps les vices de quelques Particuliers ? Votre Morale est bien accommodante. Vous raisonnez à peu près, comme les Peuples de Tranquebar, qui soutenoient à nos Missionaires, que notre Réligion approuvoit le vice, parce qu’ils voioient des Chrêtiens, qui, au sortir de l’Eglise, s’abandonnoient à la débauche & à l’ivrognerie. Les Esprits-forts ne disent-ils pas aujourd’hui, que personne n’est persuadé de la vérité du Christianisme, puisque personne n’en suit éxactement les maximes ?

On verra le reste dans la feuille suivante.

Amusement XX. Souvent un air de véritéSe mêle au plus grossier mensonge. Voltaire. Je lâchai dans la feüille XVIII. le mot de Défi, en parlant de la difficulté, qu’il y avoit à faire contre la Franche-Maçonnerie des objections solides. Ce terme, écrit à l’étourdie, a été pris pour un Cartel dans les formes. On m’adresse une Lettre, par laquelle on veut me persuader de rabattre de la bonne opinion que j’ai de cette Société. Je hais à mort les différends. J’ai d’abord hésité, si je m’engagerois dans celui-ci. Mais en suite l’intérêt de l’innocence & de la vérité m’a déterminée. J’avois cru, que ce que j’avois déjà dit en faveur de cet Ordre suffisoit ; mais je me suis trompée. Le monde ne revient pas si vite de ses préjugés ; & c’est beaucoup, si après avoir barboüillé bien du papier, il change d’avis. Nous sommes, ce me semble, aussi amoureux de nos prémières idées, qu’un Pére l’est de son fils aîné. Quoiqu’il en soit, voici le plaidoïer de l’Antagoniste des Francs-Maçons. Me. la Spectatrice ! « Etes-vous gagée pour faire l’Apologie de l’Ordre des Francs-Maçons ? A voir l’ardeur avec laquelle vous le défendez, je serois presque tenté de le croire. Vous vous donnez, ce semble, pour leur Dom Quichotte, en défiant toute la terre d’opposer contre eux quelque chose de raisonnable. Les douceurs qu’un de leurs Confréres vous a débitées dans sa Lettre galante, vous auroient-elles gagnée ? Vous êtes l’Apologiste d’une Société, que vous ne connoissez pas bien. Je vais, si vous voulez bien me le permettre, vous prouver, qu’elle est indigne de vos éloges. 1.) C’est une Société de Déïstes ; Les Loges sont des écôles d’Incrédulité. Leur Catéchisme est extrêmement Laconique. Je crois en Dieu, quatre Monosillabes, comme vous voïez, en font les frais. L’impiété les unit. Leur Orateur est le Prédicateur de l’Irréligion. Ils ne couvrent d’un voile mistérieux leurs assemblées, qu’àfin de détruire les mistères du Christianisme avec plus de succès. Suivez un Initié à la trace : Vous le verrez de jour en jour faire des progrès dans le Déïsme. C’est à cette Société nombreuse, qu’on doit attribüer ceux que fait aujourd’hui l’Incrédulité. Paris & Londres, Londres sur-tout, fourmillent d’incrédules, parce que la Franche-Maçonnerie y est florissante. Tout Franc-Maçon se pique de penser librement ; & cette Liberté s’étend sur tout ce qu’il y a de plus sacré. La plupart de ceux que je connois, sont Déïstes déclarés. Ils n’osent débiter tout ce qu’ils pensent ; mais Dieu sçait de quels blasphêmes horribles leurs Loges retentissent ! O Ciel ! n’écrazeras-tu point un jour cette Diabolique Cabale ? 2.) Dès-qu’une fois l’Homme a secoüé le joug de la Réligion, qui sert de frein à son cœur, il est capable de tout. Aussi les Francs-Maçons, qu’aucun remords ne retient, donnent-ils dans les excès les plus criants. Ils se jettent à corps perdu dans l’Epicuréisme. Persuadés qu’il n’y a point de vie à venir, ils suivent le torrent de la volupté. Ils se livrent à leurs passions ; Les plaisirs des sens sont toûjours de la partie. Ils croïent peu, & boivent beaucoup. Imitateurs des Templiers, dont peut-être ils sont Descendans, ils se plongent dans les vices les plus honteux. Jettez les yeux sur leurs chansons, vous les trouverez scandaleuses. Bref, Bacchus & Vénus sont leurs seules Divinités. Je pourrois vous envoïer une longue liste de Francs-Maçons, dont la conduite prouve, qu’ils n’en adorent pas d’autres. Mals <sic> la Charité me le défend. 3.) Le silence, qu’ils gardent inviolablement est une Démonstration évidente de l’iniquité de leurs mistères. S’ils n’étoient pas des enfans de ténèbres, fuiroient-ils avec autant de soin la Lumière ? S’ils avoient quelque chose de bon à communiquer au genre humain, l’enséveliroient-ils dans les ombres de la nuit ? N’en feroient-ils point part à toute la terre ? N’en feroient-ils pas gloire ? On ne se cache pas pour rien avec tant de précaution. Ils ont tout à craindre du grand jour. Voilà pourquoi ils se dérobent si soigneusement aux yeux du Public. Si les murs de leurs Loges pouvoient parler, de combien d’infamies ne les chargeroient-ils pas ? O vertu ! ton régne est passé, si cette Société, ton ennemie, se soutient. 4.) L’exclusion du Beau-séxe ne dit rien de bon, Réfléchissez y. Je ne m’étends point là-dessus : Vous m’entendez ; seulement je dirai, que, si vos charmes & ce qu’ils appellent votre servitude en étoit la véritable cause, il y auroit eu plus d’une exception à la régle. Dans un Siécle aussi galant que l’est le nôtre, cette excuse n’est pas de mise. Je félicite du fonds de mon cœur les Dames de ce qu’elles ne sont point de moitié de toutes les débauches de ces Messieurs. 5.) On a vu des Francs-Maçons peu attachés à leur Société, d’autres peu assidus à leurs assemblées, quelques-uns en parler fort librement, quelques-autres nier qu’ils le fussent. Dites-moi, je vous prie, si tout cela ne forme pas un violent préjugé contre eux. 6.) Que dirai-je de l’horrible serment, par lequel ils s’engagent au silence ? Quelle Profanation d’une des plus augustes cérémonies de la Réligion ? s’obliger à taire ce qu’ils devroient révéler ! Quel renversement d’Ordre ! Par quel aveuglement s’obstinent-ils tous à ne pas rompre un serment si criminel ? 7.) Ils sont autant ennemis des Rois, qu’ennemis de Dieu. Ils sont ligués pour la destruction des Monarchies. Pleins de sentimens Républicains, ils ne respirent que le désordre. Voilà, Made. les Griefs que j’avois à vous proposer. Mes cheveux se dressent, toutes les fois que je pense à cette abominable Société, mille fois pire que celle des Jésuites, dont on ne peut que dire du mal, quand on en veut dire la vérité. » Monsieur l’Anti-Franc-Maçon ! Je pourrois répondre à votre Lettre en vous renvoïant à ma XVIII. Feüille, que vraisemblablement vos <sic> n’avez pas luë. Mais, de l’humeur dont vous m’avez la mine d’être, vous tireriez avantage de mon silence. Vous le regarderiez comme un aveu de ma défaite. Et, quoique vos invectives pussent fort bien se passer d’une réponse, je ne veux pas vous donner cette mince Satisfaction. Je vais donc vous suivre & vous réfuter pied à pied. 1.) Vous accusez les Francs-Maçons de Déïsme. L’accusation est grave. Il faut la prouver. Mais comment vous y prenez-vous ? Est-ce en nous découvrant quelque article secret de leur confession de foi ? Non ; mais en le répétant sept à huit fois. Plaisante manière de raisonner ! Dites-moi, Monsieur, où avez vous fait votre cours de Logique ? Je ne suis qu’une femme ; je sens bien pourtant, qu’une accusation destituée de preuves, est, ne vous en déplaise, la chose du monde la plus ridicule. Ce qu’il y a de sûr, c’est que dans tous les Tribunaux du monde vous seriez condamné de bonnet comme un Calomniateur. Pardon du terme. Il est fort, mais il est vrai ; & puis, vous ménagez si peu les votres, que je ne sçaurois mieux faire que d’imiter la crudité de votre stile. Vous dites, qu’un Initié fait tous les jours de nouveaux pas vers le Déïsme. La preuve de ce fait ! oh ! elle est encore au bout de la plume. En l’attendant, je vous dirai, que je connois plusieurs Maçons très bons Chrétiens. Il faut en vérité, que vous aïez bien mauvaise opinion de la Solidité des argumens, qui établissent d’une manière invincible la Divinité de la Réligion, pour imaginer, que l’Initiation à la Franche-Maçonnerie est capable de les détruire, & d’en éclypser les raions luminieux. Quel rapport ont les Mistères du Christianisme avec les secrets de l’Ordre ? Il faut que vous aïez un bon Microscope pour l’appercevoir. Pourquoi travestissez-vous en Prédicateur l’Orateur de chaque Loge ? Sur quel fondement le chargez-vous d’être le Ministre du Déïsme ? Tous les Discours de Réception, qui ont paru, ne sont-ils pas remplis d’une saine Morale ? Faites-nous part des traits d’Incrédulité, que vous y avez découvert. Vous attribuez à la Maçonnerie les progrès de l’Irréligion. Pourquoi ne pas l’attribuër au déréglement des mœurs de ce Siécle ? Bannissez de l’Univers les vices. Je vous garantis l’éxil de l’Impiété. Mais, dites-vous, Londres & Paris sont peuplés de Déïstes & de Maçons. C’est à peu près comme si vous disiez, qu’il y a dans ces deux Villes beaucoup de Déïstes & de Sçavans. En Angleterre, on voit beaucoup d’Esprits-forts, parce que l’Homme est sujet à abuser de la Liberté de penser & d’écrire, que cette Nation possède. On en trouve en France, parce que les Consciences y sont trop gênées, parce que la suppression de l’Edit de Nantes a jetté la plupart des Huguenots dans l’Hypocrisie ou dans l’Indifférentisme, parce qu’on n’a pas la liberté du choix, & que les François n’ont que cette alternative, la Messe ou la Persécution. Avant l’an 1730, à peine connoissoit-on à Paris le nom de l’Ordre. Y avoit-il moins d’Incrédules ? Bien plus. Les Loges Françoises les exclüent formellement. Voici deux de leurs statuts imprimés. Nul ne sera reçu dans l’Ordre, qui n’ait promis & juré solemnellement un attachement inviolable à la Réligion, au Roi, & aux mœurs. Tout Brocanteur en Incrédulité, qui aura parlé ou écrit contre les sacrés Dogmes de l’ancienne foi des Croisés, sera exclu à jamais de l’Ordre, à moins qu’il n’abjure ses blasphêmes en pleine assemblée, ou qu’il ne fasse une réfutation de ses ouvrages. Vous vous inscrirez sans doute en faux contre ces statuts. Vous direz qu’ils sont l’ouvrage de l’Imposture. Mais si l’on vouloit vous donner bien du fil à retordre, il n’y auroit qu’à vous prier de le prouver. Vous prétendez, que la Liberté Maçonne fait main basse sur tout ce qu’il y a de plus sacré. Comment le démontrez-vous ? en ajoûtant que la plupart des Francs-Maçons de votre connoissance sont Déïstes. Je vous plains, Monsieur, de voir si mauvaise Compagnie. Mais permettez, que je ne vous en croïe pas sur votre parole. Déférez quelqu’un de ces Impies à sa Loge ; je vous réponds, qu’on lui fera son procès, & que sa conviction sera suivie de son expulsion. Que risquez-vous ? Vous êtes si zélé pour la gloire de Dieu ! Mais je veux supposer, qu’il est des Francs-Maçons, qui sont de Francs-Déïstes. Qu’en conclure ? attribüer le Déïsme à tout le Corps, c’est prendre la partie pour le tout. Une Société si nombreuse est-elle responsable des égaremens de quelques-uns de ses membres ? Quel est l’Ordre, qui pourra se mettre à l’abri de la Censure ? Votre raisonnement contre les Francs-Maçons revient à celui-ci : Il y a un lâche dans l’Ordre Militaire de St. Loüis, donc tous les Chevaliers de St. Loüis sont des lâches. Cette proposition n’est-elle pas revoltante ? Il ne faut qu’un petit grain de sens commun pour en sentir l’absurdité. A raisonner de cette manière, que répondriez-vous à un Turc, qui, en vous montrant quelques Chrêtiens Athées, en concluroit à votre éxemple, que tous les Chrêtiens le sont. Ces sortes d’accusations ne me surprennent point. Tont <sic> ce qui est nouveau, est selon un certain monde, impie, Déïste, brûlable. Les Moines n’accusèrent-ils pas mille-fois les Luthériens de ne croire ni Dieu ni Diable ? Le Menteur Varillas n’a-t-il pas chargé d’Arianisme le Bien-heureux Luther ? N’a-t-on pas eu l’impudence d’imprimer tout récemment à Avignon, que Calvin avoit préche l’adultére dans la Cathédrale de Genève. & dit en propres termes, que quand on ne trouvoit pas sa femme à son grè, on pouvoit en conscience chasser dans les Plaisirs de son Voisin ? Souffrez, Monsieur, que je vous mette au nombre de ces Auteurs-là. En vérité, c’est votre place. Remarquerai-je une contradiction grossière, qui vous a échapé ? Les Francs-Maçons, dites-vous, n’osent débiter tout ce qu’ils pensent ; & un peu plus haut, vous les dépeignez comme des Esprits-forts déclarés. Accordez-vous avec vous-même. Vous ajoutez malignement, que Dieu sçait de combien de blasphêmes leurs Loges re-tentissent ; & j’ajoûterai, moi, que je sçais fort bien qu’il ne se fait rien dans les Loges, qui puisse offencer le Ciel. Vous voïez, Monsieur, que votre prémier chef est extrêmement mal-fondé. Quand vous écrirez contre eux, je vous conseille de mieux ajuster vos flutes. M’avez-vous prise pour une imbécille, quand vous avez cru, que votre simple affirmation m’entraîneroit dans votre sentiment ? Je ne change d’avis qu’à bonnes enseignes. Quand je sçai que les Loges d’Italie, de France, d’Angleterre, d’Allemagne sont pleines d’Ecclésiastiques d’une éminente piété, &c. d’une vertu solide, d’une probité irréprochable, vous voulez que je soupçonne, bien plus, que je croïe les assemblées Maçonnes des écôles d’Impiété ? A d’autres. Que dois-je penser de l’exclamation d’Enthousiaste qui accompagne votre prémière accusation ? Y avez-vous bien réfléchi, quand vous avez formé le coupable souhait de l’Ecrasement de cette Société, que vous honorez poliment de l’Epithéte de Diabolique ? D’où naît votre emportement ? De la passion, de l’erreur & du préjugé. 2.) Votre tirade sur la mauvaise Morale des Francs-Maçons n’est pas plus solide. Il est vrai, que ceux, qui ont secoüé le joug de la Réligion ne sont pas ordinairement fort scrupuleux ; mais comme vous ne sçauriez prouver, que l’Ordre a secoüé ce joug, il y a de la témérité à dire qu’aucun remords ne les retient. Comment la simple Réception auroit-elle la vertu de faire taire la Conscience ? Tous les Francs-Maçons, sont, selon vous, Epicuriens ; mais d’où sçavez-vous, qu’ils croient peu & boivent beaucoup ? Pour moi, j’ai oüi dire, que ceux qui s’avisoient de parler gras ou de trop boire étoient condamnés à une grosse amande. Faites leur Généalogie, comme vous l’entendrez, vous ne les trouverez jamais Descendans des Templiers, encore moins leurs Imitateurs. Leurs Chansons, au moins celles que j’ai vues en François & en Allemand, n’ont rien que d’innocent. Il faut être bien habile, pour y trouver des traits scandaleux. Il me semble qu’en Poësie on peut parler de Bacchus, sans être soupçonné de Paganisme. Votre charité, dites-vous, ne vous permet pas de m’envoïer une liste des Maçons vicieux que vous connoissez. Le saint homme ! Mais cette charité vous permet-elle de rejetter sur tout les Corps les vices de quelques Particuliers ? Votre Morale est bien accommodante. Vous raisonnez à peu près, comme les Peuples de Tranquebar, qui soutenoient à nos Missionaires, que notre Réligion approuvoit le vice, parce qu’ils voioient des Chrêtiens, qui, au sortir de l’Eglise, s’abandonnoient à la débauche & à l’ivrognerie. Les Esprits-forts ne disent-ils pas aujourd’hui, que personne n’est persuadé de la vérité du Christianisme, puisque personne n’en suit éxactement les maximes ? On verra le reste dans la feuille suivante.