LX. Discours. Jacques-Vincent Delacroix Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Karin Heiling Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Barbara Thuswalder Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 23.05.2017 o:mws.6577 Delacroix, Jacques-Vincent: Le Spectateur français avant la Révolution. Paris: F. Buisson, 1795, 481-494 Le Spectateur français avant la révolution 1 060 1795 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Moral Morale Morale Moral Morale Recht Diritto Law Derecho Droit Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Natur Natura Nature Naturaleza Nature France Versailles Versailles 2.13424,48.80359 Europe 9.14062,48.69096 France Paris Paris 2.3488,48.85341 France 2.0,46.0

LV. <sic> Discours. Projet d’un nouveau Tribunal.

Dans l’état où les mœurs ont amené la législation, les écarts de l’esprit sont bien plus dangereux, bien plus funestes à l’homme que les vices du cœur. On peut trahir l’amitié, être faux, lâche, délateur, marcher à la fortune, aux honneurs, à travers la perfidie, la séduction ; mais malheur à celui qui auroit la franchise de nos ancêtres, qui, n’écoutant que la justice de sa cause, oseroit se la rendre. Il est vrai que s’il en étoit autrement, le plus fort croiroit toujours avoir raison. Sous la loi, le foible et le fort sont égaux. Ce n’est ni la souplesse de leurs muscles, ni la vigueur de leurs mouvemens qui rendent leur cause bonne, c’est l’équité. Mais il est un autre genre de force qui rend le combat inégal entre l’homme vertueux et l’homme vil, qui fait presque toujours du premier la victime de l’autre : c’est la trahison. Pour ramener les hommes à l’égalité, peut-être seroit-il à souhaiter que le tribunal de l’honneur fût plus étendu qu’il ne l’est ; que l’on n’y connût pas seulement des gestes et des menaces, parce que les plus dangereux ennemis sont ceux qui ne frappent ni ne menacent : ce seroit-là que plaidant sa propre cause, on feroit rougir l’imposture et la bassesse ; ce seroit-là que la vertu triomphante reprendroit son ascendant, et paroîtroit dans toute sa splendeur. Celui que l’on y citeroit, et qui n’oseroit y paroître seroit dévoué à l’infamie. Les ministres disgraciés y viendroient démasquer la perfidie, et briseroient les fils de l’intrigue. Le grand seigneur y entendroit les reproches de celui qu’il auroit abusé par des airs imposans, par de vaines promesses ; le guerrier courageux jetteroit l’effroi dans la foule de ses concurrens : comme un nouvel Ajax, il opposeroit ses actions éclatantes aux détours insinuans de ses rivaux.

Le magistrat lui-même ne seroit point à couvert du ressentiment de l’innocence et de la bonne foi, immolées par l’ignorance, le crédit ou l’argent.

Un pareil tribunal seroit un temple où s’entretiendroit un feu pur, qui rendroit à la France ses premières vertus. L’éloquence y prendroit un nouvel essor, et deviendroit la protectrice des loix, du courage et de l’honneur ; elle retarderoit de quelques siècles cette révolution nécessaire qui a précipité les peuples de l’orient et du midi, autrefois si libres, si vertueux, dans l’opprobre de la lâcheté, et dans les fers du despotisme.

L’honneur ne seroit plus un mot dont on chercheroit le sens, et on gagneroit au moins quelque chose à en conserver les apparences.

Les ÉtrennesD’un Sage.

Un étranger qui avoit passé sa jeunesse loin du monde, dans le silence de l’étude, qui ne connoissoit les années que par les révolutions des astres, qui ne voyoit d’autre différence dans les jours que celle de la nature, ennuyé de sa solitude, voulut se rapprocher des hommes. Après avoir parcouru une partie de l’Europe, il vint à Paris. Pendant son séjour dans cette grande ville, ce temps si desiré du mercénaire, où l’avide marchand déploie toutes ses richesses et offre aux yeux de l’opulence tout ce qui peut la séduire, arriva. Un jour en sortant de son hôtel, Paris lui parut plus magnifique, plus bruyant.

Quel empressement ! quel éclatant tumulte ! se disoit-il. Les hommes richement vêtus, les femmes magnifiquement mises, renfermés dans des voitures brillantes, semblent se poursuivre ; leurs chevaux écumans ne vont point encore au gré de leurs désirs : je n’apperçois plus que des figures riantes ; tous ceux qui se rencontrent se serrent affectueusement les mains, s’embrassent, se font mille souhaits heureux. Il est donc enfin arrivé ce temps de paix, où la jalousie et la haine devoient être bannies de tous les cœurs, où l’amitié seule devoit les remplir. On ne verra plus le visage de l’homme altéré par la colère ; ses yeux ne s’arrêteront plus avec fureur sur un être semblable à lui. Quel événement a amené parmi nous cette heureuse révolution ? La sagesse a-t-elle quitté les cieux ? Est-elle descendue sur la terre pour apprendre aux hommes qu’ils ne forment tous qu’une nombreuse famille ?

Un de ses amis, à qui il fit part de son étonnement, lui apprit que l’année commençoit ; que toutes ces politesses, ces airs affectueux n’étoient que les grimaces de l’honnêteté. A ces mots, le visage du philosophe s’obscurcit. Pendant quelques jours, continua l’ami qui lui parloit, vous verrez des héritiers, embrasser de riches parens, leur souhaiter de longues années, et murmurer tout bas de leur santé ; vous verrez des courtisans se sourire, se faire mille souhaits de fortune, dans le moment où ils cherchent à se déplacer mutuellement.

L’étranger crut devoir se conformer à l’usage : ses connoissances, ses grands talens, sa gaîté aimable l’avoient attiré dans le sein de l’opulence et des honneurs ; de grands seigneurs l’invitoient à leurs plaisirs ; des femmes de qualité aimoient à l’entendre : sa vertu n’étoit point farouche ; il savoit l’adoucir par les graces de l’esprit et le charme de la plaisanterie. Il crut cependant ne devoir pas se prêter à ce ton faux qui voile si souvent la haine et l’envie. Il alla voir toutes ses connoissances. Il se présenta chez un ministre qui l’honoroit de son amitié ; il ne put rien lui souhaiter, parce que ses antichambres étoient remplies de solliciteurs qui venoient lui faire leur cour : il souhaita seulement à tous ces gens-là un peu plus de noblesse et d’élévation, et s’en fut.

Il rencontra dans son chemin un gros abbé, dont les joues vermillonnées annonçoient le plaisir et le repos. Que vous souhaiterai-je, mon cher abbé, lui dit le philosophe, en l’embrassant ? Un évêché et une bonne santé, répondit l’abbé : voilà tout ce que je demande. Je vous souhaite, reprit le philosophe, ce qui rend digne d’être évêque, et vous vous porterez bien. L’abbé le quitta sans trop le comprendre.

Le philosophe alla chez un officier général, qui n’avoit qu’un grand nom, et aspiroit à l’honneur d’être maréchal. M. le comte, lui dit le sage, le bâton que vous desirez vous embarassera peut-être plus qu’il ne vous aidera à marcher dans le chemin de la gloire.

Il fit une visite à un jeune conseiller. Que me souhaiterez-vous, lui dit l’agréable magistrat ? Bien des plaisirs, répondit le sage : pendant que vous vous amuserez vous ne jugerez pas.

Le philosophe, dans le cours de ses visites, s’apperçut que beaucoup de ses connoissances faisoient fermer leur porte : il craignit que ses cartes ne s’égarassent dans la loge de suisses, et prit la résolution d’écrire à tous ceux qu’il n’avoit pas trouvés, des billets d’étrennes. Nous en donnons la collection. On y lisoit cette devise : la vérité est le présent le plus rare.

A un Poëte.

Troquez votre esprit pour du jugement.

A un Historien.

Si vous donnez tant de charmes au mensonge, que deviendra la vérité ?

A un Financier.

Songez que vous n’êtes pas seul, et qu’il faut que tout le monde vive.

A un grand Seigneur.

Imaginez toujours être à Versailles.

A un Magistrat.

Pensez que juger n’est pas toujours rendre la justice.

A un Peintre.

Que vous a fait la nature ?

A une Actrice.

Ce n’est pas sur la scène que vous jouez le mieux votre rôle.

A un Auteur dramatique.

Ne pleurez plus, et faites pleurer les autres.

A un Médecin.

Ne faites que des visites d’honnêteté.

A un Avocat.

Dites moins de mots et plus de choses.

A un Journaliste.

Si vous voulez être méchant, soyez moins mauvais.

Au Spectateur français.

Ne voyez que ce que les autres ne voyent pas.

L’étranger partit deux jours après l’envoi de ces étrennes, très-piqué de n’en avoir pas reçu de remercimens.

Lettre. Sur l’Avarice.

Quel fléau, Monsieur, pour la société, qu’un avare ! Il garde dans ses coffres un argent qui feroit éclore les arts, qui nouriroit l’industrie si souvent indigente. Il fait tort à la société entière. Il n’est point de vice qui ne puisse conduire l’homme à quelque vertu, dit une dame célèbre : la vengeance donne souvent la bravoure ; la colère produit l’intrépidité ; l’envie, l’émulation ; par un retour secret sur soi-même, la cruauté fait quelquefois naître la compassion ; la fausseté amène la politesse ; la folie, la gaîté ; la prodigalité, la bienfaisance. L’avarice seule ne conduit à rien ; c’est le vice d’une ame abjecte : elle est la source de mille maux ; c’est elle qui arma les hommes d’un monde contre ceux d’un autre : injuste et cruelle, elle repousse l’humanité souffrante ; elle enlève au laborieux mercénaire le fruit de ses peines ; les pleurs du malheureux ne peuvent l’attendrir.

L’avare est triste et sombre au milieu de ses proches ; il ne sourit qu’à son trésor ; souvent-il <sic> précipite lui-même ses enfans dans le crime et la honte : son fils pressé par le besoin, apprend à soumettre à l’adresse les caprices du sort : sa fille augmente le nombre de ces beautés nouvelles que la misère fournit à la débauche des grandes villes : échappée de la maison de son père, elle vend les baisers de l’amour, et son cœur avili marchande son opprobre.

Après avoir volé le public, l’avare parvient au point de se filouter lui-même ; il court mettre dans un endroit ce qu’il avoit caché dans un autre. Cette extravagante occupation fait tout son plaisir. Son coffre-fort est son lit, sa table, son siége ; il voudroit pouvoir en faire son tombeau. Les flammes consument tout autour de lui ; la fumée s’épaissit et couvre déjà ses yeux : il pourroit se sauver, mais il ne peut se résoudre à abandonner son idole : il périt en l’embrassant. Son dernier soupir est un regret de perdre son or, et son plus grand chagrin est de penser que ses richesses passeront dans d’autres mains.

Molière, cet auteur charmant, qui a enlevé à la médecine son manteau obscur, qui l’a fait rougir de son jargon scientifique, qui a guéri les femmes de la manie d’étaler un savoir fatigant, qui leur a fait oublier ces grands mots, qui, si j’ose m’exprimer ainsi, sembloient déparer leurs jolies bouches, a exposé l’avare sur la scène. On ne peut donner à sa comédie trop d’éloges ; mais ce sujet n’est pas épuisé. Le public ne verroit pas sans émotion un père avare recevoir des mains d’un ami généreux sa fille échappée à la honte et au déshonneur où le besoin l’entraînoit.

Quel seroit le repentir et la douleur de cet homme dénaturé, s’il apprenoit que son fils unique va périr sous le glaive de la justice, parce qu’il l’a forcé au crime en lui refusant le nécessaire ? O toi qui déchire le cœur et en arrache des larmes, dans l’instant où le père de famille, après avoir maudit son fils, étend ses bras vers lui, et s’écrire avec douleur : où va-tu, malheureux ? . . . . reprend le pinceau vigoureux que tu as posé. Un grand homme a fait rougir l’humanité de ses défauts ; tu sera plus grand encore si tu la fais frémir de ses vices.

Lettre Sur la dégradation de nos Campagnes.

Monsieur,

Tant de gens ont vanté les plaisir de la campagne, qu’il me prend envie de parler de ses ennuis. Hier, je me promenois sur une terrasse, au bas de laquelle coule la seine ; en jettant les yeux sur cette surface fuyante, mille idées tristes sont venues m’assaillir. Ainsi, me disois-je, s’écoulent nos beaux jours. Ne trouvez-vous pas, Monsieur, que l’image de la destruction se présente plus souvent à la campagne qu’à la ville ? La rose ne brille qu’un jour ; un vent du nord suffit pour attrister la nature, et dépouiller l’arbre fleuri de sa parure. Dans nos villes, combien d’édifices luttent contre le temps qui leur livre la guerre depuis des siècles ! Mille mo-numens antiques semblent avoir reçu l’empreinte de l’immortalité. Aux villages, des chaumières découvertes, des murs qui effrayent les passans, des portes brisées, semblent nous avertir à chaque instant que tout dépérit.

On a célébré les danses, les fêtes villageoises ; quelles danses ! quelles fêtes ! L’illusion de la poésie a triomphé de la réalité. Quelle comparaison peut-on faire de la réalité. Quelle comparaison peut-on faire d’un violon discordant qui domine sur de lourds paysans, sur de grosses campagnardes, avec cette douce mélodie qui anime de jolies danseuses, et pricipite <sic> les pas d’une allemande. Vous le savez, Monsieur, si à Paris les femmes vieillissent, toujours le même teint, toujours les mêmes couleurs. L'octogénaire y lorgne encore la grisette, et lui sourit.

Y a-t-il rien de si hideux qu’une vieille moisonneuse, qu’un vieux vigneron ; leur tein livide, leurs rides profondes, les haillons qui les couvrent, tout cela n’inspire-t-il pas la tristesse ?

Si l’on veut que je me plaise à la campagne, que les habitans des villes n’en enlèvent pas toute la jeunesse pour se faire servir ; qu’ils n’y laissent pas que des ivrognes ou de pauvres mercenaires ; que je n’y rencontre pas seulement un ennuyeux berger qui tricote, une grand’mère qui suit de l’œil la vache qui la nourrit, un enfant demi-nud qui garde des chèvres ; que j’entende quelquefois, comme les poëtes me l’ont promis, le chalumeau du pâtre, les chants du laboureur les ris de la bergère ; que j’apperçoive quelquefois dans le lointain les scènes riantes de l’amour ; que je ne sois pas toujours poursuivi par de petits malheureux qui me parlent du nombre de leurs frères, et de la faim qui les tourmente. Enfin que l’on rende à la nature ses parfums, ses fleurs, sa richesse, ses doux plaisirs, et on me verra devancer l’aurore, pour jouir plus long-temps du spectacle de la moisson, rire avec les vendangeuses ; mais jusqu’à ce temps je préférerai les concerts et les boudoirs de la ville aux promenades du village.

LV. <sic> Discours. Projet d’un nouveau Tribunal. Dans l’état où les mœurs ont amené la législation, les écarts de l’esprit sont bien plus dangereux, bien plus funestes à l’homme que les vices du cœur. On peut trahir l’amitié, être faux, lâche, délateur, marcher à la fortune, aux honneurs, à travers la perfidie, la séduction ; mais malheur à celui qui auroit la franchise de nos ancêtres, qui, n’écoutant que la justice de sa cause, oseroit se la rendre. Il est vrai que s’il en étoit autrement, le plus fort croiroit toujours avoir raison. Sous la loi, le foible et le fort sont égaux. Ce n’est ni la souplesse de leurs muscles, ni la vigueur de leurs mouvemens qui rendent leur cause bonne, c’est l’équité. Mais il est un autre genre de force qui rend le combat inégal entre l’homme vertueux et l’homme vil, qui fait presque toujours du premier la victime de l’autre : c’est la trahison. Pour ramener les hommes à l’égalité, peut-être seroit-il à souhaiter que le tribunal de l’honneur fût plus étendu qu’il ne l’est ; que l’on n’y connût pas seulement des gestes et des menaces, parce que les plus dangereux ennemis sont ceux qui ne frappent ni ne menacent : ce seroit-là que plaidant sa propre cause, on feroit rougir l’imposture et la bassesse ; ce seroit-là que la vertu triomphante reprendroit son ascendant, et paroîtroit dans toute sa splendeur. Celui que l’on y citeroit, et qui n’oseroit y paroître seroit dévoué à l’infamie. Les ministres disgraciés y viendroient démasquer la perfidie, et briseroient les fils de l’intrigue. Le grand seigneur y entendroit les reproches de celui qu’il auroit abusé par des airs imposans, par de vaines promesses ; le guerrier courageux jetteroit l’effroi dans la foule de ses concurrens : comme un nouvel Ajax, il opposeroit ses actions éclatantes aux détours insinuans de ses rivaux. Le magistrat lui-même ne seroit point à couvert du ressentiment de l’innocence et de la bonne foi, immolées par l’ignorance, le crédit ou l’argent. Un pareil tribunal seroit un temple où s’entretiendroit un feu pur, qui rendroit à la France ses premières vertus. L’éloquence y prendroit un nouvel essor, et deviendroit la protectrice des loix, du courage et de l’honneur ; elle retarderoit de quelques siècles cette révolution nécessaire qui a précipité les peuples de l’orient et du midi, autrefois si libres, si vertueux, dans l’opprobre de la lâcheté, et dans les fers du despotisme. L’honneur ne seroit plus un mot dont on chercheroit le sens, et on gagneroit au moins quelque chose à en conserver les apparences. Les ÉtrennesD’un Sage. Un étranger qui avoit passé sa jeunesse loin du monde, dans le silence de l’étude, qui ne connoissoit les années que par les révolutions des astres, qui ne voyoit d’autre différence dans les jours que celle de la nature, ennuyé de sa solitude, voulut se rapprocher des hommes. Après avoir parcouru une partie de l’Europe, il vint à Paris. Pendant son séjour dans cette grande ville, ce temps si desiré du mercénaire, où l’avide marchand déploie toutes ses richesses et offre aux yeux de l’opulence tout ce qui peut la séduire, arriva. Un jour en sortant de son hôtel, Paris lui parut plus magnifique, plus bruyant. Quel empressement ! quel éclatant tumulte ! se disoit-il. Les hommes richement vêtus, les femmes magnifiquement mises, renfermés dans des voitures brillantes, semblent se poursuivre ; leurs chevaux écumans ne vont point encore au gré de leurs désirs : je n’apperçois plus que des figures riantes ; tous ceux qui se rencontrent se serrent affectueusement les mains, s’embrassent, se font mille souhaits heureux. Il est donc enfin arrivé ce temps de paix, où la jalousie et la haine devoient être bannies de tous les cœurs, où l’amitié seule devoit les remplir. On ne verra plus le visage de l’homme altéré par la colère ; ses yeux ne s’arrêteront plus avec fureur sur un être semblable à lui. Quel événement a amené parmi nous cette heureuse révolution ? La sagesse a-t-elle quitté les cieux ? Est-elle descendue sur la terre pour apprendre aux hommes qu’ils ne forment tous qu’une nombreuse famille ? Un de ses amis, à qui il fit part de son étonnement, lui apprit que l’année commençoit ; que toutes ces politesses, ces airs affectueux n’étoient que les grimaces de l’honnêteté. A ces mots, le visage du philosophe s’obscurcit. Pendant quelques jours, continua l’ami qui lui parloit, vous verrez des héritiers, embrasser de riches parens, leur souhaiter de longues années, et murmurer tout bas de leur santé ; vous verrez des courtisans se sourire, se faire mille souhaits de fortune, dans le moment où ils cherchent à se déplacer mutuellement. L’étranger crut devoir se conformer à l’usage : ses connoissances, ses grands talens, sa gaîté aimable l’avoient attiré dans le sein de l’opulence et des honneurs ; de grands seigneurs l’invitoient à leurs plaisirs ; des femmes de qualité aimoient à l’entendre : sa vertu n’étoit point farouche ; il savoit l’adoucir par les graces de l’esprit et le charme de la plaisanterie. Il crut cependant ne devoir pas se prêter à ce ton faux qui voile si souvent la haine et l’envie. Il alla voir toutes ses connoissances. Il se présenta chez un ministre qui l’honoroit de son amitié ; il ne put rien lui souhaiter, parce que ses antichambres étoient remplies de solliciteurs qui venoient lui faire leur cour : il souhaita seulement à tous ces gens-là un peu plus de noblesse et d’élévation, et s’en fut. Il rencontra dans son chemin un gros abbé, dont les joues vermillonnées annonçoient le plaisir et le repos. Que vous souhaiterai-je, mon cher abbé, lui dit le philosophe, en l’embrassant ? Un évêché et une bonne santé, répondit l’abbé : voilà tout ce que je demande. Je vous souhaite, reprit le philosophe, ce qui rend digne d’être évêque, et vous vous porterez bien. L’abbé le quitta sans trop le comprendre. Le philosophe alla chez un officier général, qui n’avoit qu’un grand nom, et aspiroit à l’honneur d’être maréchal. M. le comte, lui dit le sage, le bâton que vous desirez vous embarassera peut-être plus qu’il ne vous aidera à marcher dans le chemin de la gloire. Il fit une visite à un jeune conseiller. Que me souhaiterez-vous, lui dit l’agréable magistrat ? Bien des plaisirs, répondit le sage : pendant que vous vous amuserez vous ne jugerez pas. Le philosophe, dans le cours de ses visites, s’apperçut que beaucoup de ses connoissances faisoient fermer leur porte : il craignit que ses cartes ne s’égarassent dans la loge de suisses, et prit la résolution d’écrire à tous ceux qu’il n’avoit pas trouvés, des billets d’étrennes. Nous en donnons la collection. On y lisoit cette devise : la vérité est le présent le plus rare. A un Poëte. Troquez votre esprit pour du jugement. A un Historien. Si vous donnez tant de charmes au mensonge, que deviendra la vérité ? A un Financier. Songez que vous n’êtes pas seul, et qu’il faut que tout le monde vive. A un grand Seigneur. Imaginez toujours être à Versailles. A un Magistrat. Pensez que juger n’est pas toujours rendre la justice. A un Peintre. Que vous a fait la nature ? A une Actrice. Ce n’est pas sur la scène que vous jouez le mieux votre rôle. A un Auteur dramatique. Ne pleurez plus, et faites pleurer les autres. A un Médecin. Ne faites que des visites d’honnêteté. A un Avocat. Dites moins de mots et plus de choses. A un Journaliste. Si vous voulez être méchant, soyez moins mauvais. Au Spectateur français. Ne voyez que ce que les autres ne voyent pas. L’étranger partit deux jours après l’envoi de ces étrennes, très-piqué de n’en avoir pas reçu de remercimens. Lettre. Sur l’Avarice. Quel fléau, Monsieur, pour la société, qu’un avare ! Il garde dans ses coffres un argent qui feroit éclore les arts, qui nouriroit l’industrie si souvent indigente. Il fait tort à la société entière. Il n’est point de vice qui ne puisse conduire l’homme à quelque vertu, dit une dame célèbre : la vengeance donne souvent la bravoure ; la colère produit l’intrépidité ; l’envie, l’émulation ; par un retour secret sur soi-même, la cruauté fait quelquefois naître la compassion ; la fausseté amène la politesse ; la folie, la gaîté ; la prodigalité, la bienfaisance. L’avarice seule ne conduit à rien ; c’est le vice d’une ame abjecte : elle est la source de mille maux ; c’est elle qui arma les hommes d’un monde contre ceux d’un autre : injuste et cruelle, elle repousse l’humanité souffrante ; elle enlève au laborieux mercénaire le fruit de ses peines ; les pleurs du malheureux ne peuvent l’attendrir. L’avare est triste et sombre au milieu de ses proches ; il ne sourit qu’à son trésor ; souvent-il <sic> précipite lui-même ses enfans dans le crime et la honte : son fils pressé par le besoin, apprend à soumettre à l’adresse les caprices du sort : sa fille augmente le nombre de ces beautés nouvelles que la misère fournit à la débauche des grandes villes : échappée de la maison de son père, elle vend les baisers de l’amour, et son cœur avili marchande son opprobre. Après avoir volé le public, l’avare parvient au point de se filouter lui-même ; il court mettre dans un endroit ce qu’il avoit caché dans un autre. Cette extravagante occupation fait tout son plaisir. Son coffre-fort est son lit, sa table, son siége ; il voudroit pouvoir en faire son tombeau. Les flammes consument tout autour de lui ; la fumée s’épaissit et couvre déjà ses yeux : il pourroit se sauver, mais il ne peut se résoudre à abandonner son idole : il périt en l’embrassant. Son dernier soupir est un regret de perdre son or, et son plus grand chagrin est de penser que ses richesses passeront dans d’autres mains. Molière, cet auteur charmant, qui a enlevé à la médecine son manteau obscur, qui l’a fait rougir de son jargon scientifique, qui a guéri les femmes de la manie d’étaler un savoir fatigant, qui leur a fait oublier ces grands mots, qui, si j’ose m’exprimer ainsi, sembloient déparer leurs jolies bouches, a exposé l’avare sur la scène. On ne peut donner à sa comédie trop d’éloges ; mais ce sujet n’est pas épuisé. Le public ne verroit pas sans émotion un père avare recevoir des mains d’un ami généreux sa fille échappée à la honte et au déshonneur où le besoin l’entraînoit. Quel seroit le repentir et la douleur de cet homme dénaturé, s’il apprenoit que son fils unique va périr sous le glaive de la justice, parce qu’il l’a forcé au crime en lui refusant le nécessaire ? O toi qui déchire le cœur et en arrache des larmes, dans l’instant où le père de famille, après avoir maudit son fils, étend ses bras vers lui, et s’écrire avec douleur : où va-tu, malheureux ? . . . . reprend le pinceau vigoureux que tu as posé. Un grand homme a fait rougir l’humanité de ses défauts ; tu sera plus grand encore si tu la fais frémir de ses vices. Lettre Sur la dégradation de nos Campagnes. Monsieur, Tant de gens ont vanté les plaisir de la campagne, qu’il me prend envie de parler de ses ennuis. Hier, je me promenois sur une terrasse, au bas de laquelle coule la seine ; en jettant les yeux sur cette surface fuyante, mille idées tristes sont venues m’assaillir. Ainsi, me disois-je, s’écoulent nos beaux jours. Ne trouvez-vous pas, Monsieur, que l’image de la destruction se présente plus souvent à la campagne qu’à la ville ? La rose ne brille qu’un jour ; un vent du nord suffit pour attrister la nature, et dépouiller l’arbre fleuri de sa parure. Dans nos villes, combien d’édifices luttent contre le temps qui leur livre la guerre depuis des siècles ! Mille mo-numens antiques semblent avoir reçu l’empreinte de l’immortalité. Aux villages, des chaumières découvertes, des murs qui effrayent les passans, des portes brisées, semblent nous avertir à chaque instant que tout dépérit. On a célébré les danses, les fêtes villageoises ; quelles danses ! quelles fêtes ! L’illusion de la poésie a triomphé de la réalité. Quelle comparaison peut-on faire de la réalité. Quelle comparaison peut-on faire d’un violon discordant qui domine sur de lourds paysans, sur de grosses campagnardes, avec cette douce mélodie qui anime de jolies danseuses, et pricipite <sic> les pas d’une allemande. Vous le savez, Monsieur, si à Paris les femmes vieillissent, toujours le même teint, toujours les mêmes couleurs. L'octogénaire y lorgne encore la grisette, et lui sourit. Y a-t-il rien de si hideux qu’une vieille moisonneuse, qu’un vieux vigneron ; leur tein livide, leurs rides profondes, les haillons qui les couvrent, tout cela n’inspire-t-il pas la tristesse ? Si l’on veut que je me plaise à la campagne, que les habitans des villes n’en enlèvent pas toute la jeunesse pour se faire servir ; qu’ils n’y laissent pas que des ivrognes ou de pauvres mercenaires ; que je n’y rencontre pas seulement un ennuyeux berger qui tricote, une grand’mère qui suit de l’œil la vache qui la nourrit, un enfant demi-nud qui garde des chèvres ; que j’entende quelquefois, comme les poëtes me l’ont promis, le chalumeau du pâtre, les chants du laboureur les ris de la bergère ; que j’apperçoive quelquefois dans le lointain les scènes riantes de l’amour ; que je ne sois pas toujours poursuivi par de petits malheureux qui me parlent du nombre de leurs frères, et de la faim qui les tourmente. Enfin que l’on rende à la nature ses parfums, ses fleurs, sa richesse, ses doux plaisirs, et on me verra devancer l’aurore, pour jouir plus long-temps du spectacle de la moisson, rire avec les vendangeuses ; mais jusqu’à ce temps je préférerai les concerts et les boudoirs de la ville aux promenades du village.