Je parcours depuis quelque temps les maisons royales, parce qu’il est triste de rester toujours dans la sienne. Je jouis de mon mieux de tout ce qui frappe ma vue. Je n’apperçois pas une statue que je ne m’en approche, pas un bronze que je ne l’examine, pas un bassin que je n’en sonde la profondeur, pas un parterre que je n’en admire la symétrie, pas une allée couverte que je ne m’y enfonce. C’est toujours autant de pris sur ce qui m’en coûte pour entretenir ces magnifiques demeures. Si on me
Aujourd’hui une génération voit commencer un temple, et finit avant qu’il soit achevé. Que de beaux desseins inutilement tracés ! que de grands projets resteront à jamais sans exécution ! que de contrastes choquans n’ap-
Monsieur,
Vous n’ignorez pas combien les femmes sont jalouses d’étendre leur empire, avec quel art elles savent multiplier leurs conquêtes ; mais vous n’imaginez pas encore jusqu’à quel point elles peuvent pousser la vengeance contre celui qui ose s’opposer à l’effet de leurs charmes, et les arrêter dans leur course triomphante : c’est alors qu’elles
le grand monde lui donneroient un jour cet air d’assurance, ce ton aisé et tranchant, ce choix d’expressions fines et légères, qui font le mérite d’un homme de cour ; mais il vouloit jetter dans son ame des semences d’honneur, de vertu, et sur-tout conserver la pureté de ses mœurs, en ne laissant développer en lui que des passions nobles et généreuses. Il avoit fait tous ses efforts pour lui donner de l’aversion pour ces plaisirs faciles, ces amours passagères qui égarent et énervent la jeunesse ; il avoit réussi à lui inspirer le goût d’un amour honnête ; il avoit enflammé son jeune cœur du desir de trouver une maîtresse belle, vertueuse, et de se rendre digne d’en être aimé.
L’unique héritière d’une grande maison
Joignez à tout cela un son de voix attrayant, un esprit enjoué, l’agréable manège de la coquetterie, et vous comprendrez qu’elle n’eut pas de peine à s’emparer d’un jeune cœur, égaré par les illusions de la vanité.
Il crut pouvoir oublier un instant sa vertueuse maîtresse, pour se livrer aux attraits du plaisir ; il accepta avec reconnoissance la permission qu’on lui donna de venir rendre hommage aux charmes qui l’avoient séduit.
Le gouverneur s’apperçut bientôt, à l’air distrait et léger du jeune duc, qu’une passion nouvelle s’étoit emparée de ses sens. Il frémit du danger qu’il couroit. Malgré ses marches mystérieuses, il découvrit l’objet de ses empressemens, et s’assura de son
La maîtresse du duc ne se vit pas ainsi délaissé sans en ressentir la plus vive douleur. Elle voulut savoir la cause d’un changement si prompt, si offensant. Elle apprit d’un des gens du duc que c’étoit son gou-
Il faudroit, Monsieur, une autre plume que la mienne pour vous peindre cette femme embellie de toutes les graces de son sexe, mais qui en a aussi tous les détours, commandant à sa haine et la cachant sous les dehors de l’affabilité. Elle ne feint point d’ignorer que mon ami a été le gouverneur du duc ; elle commence par lui déclarer qu’elle a vu son élève avec plaisir ; qu’elle étoit enchantée de ses qualités aimables, de son heureux naturel, des agrémens de son esprit, et sur-tout de l’honnêteté de son ame : elle prend le plus vif intérêt à son bonheur. Madame la duchesse, ajoute-t-elle, doit compter au nombre de ses bienfaiteurs celui qui lui a formé un époux aussi accompli. Le gouverneur baisse les yeux et rejette toutes ces perfections sur le compte de la nature. Elle ne produiroit que des prodiges,
Quoi ! s’écrie en riant la perfide créature qui avoit peine à contenir sa joie, si par hazard je vous priois de venir, dans vos momens perdus, me donner des leçons de géographie, d’histoire, de physique, je pourrois donc espérer de n’être pas refusée ? Mon ami lui proteste qu’il ne fera jamais un plus agréable usage de ses connoissances. Vous
La jeune dame lui indique une heure pour le lendemain, et disparoît. Vous imaginez bien que dans la première visite nos doux géographes ne sortirent pas du boudoir exquis où ils étoient, qu’il ne fut question que de l’histoire du cœur, et qu’il ne se fit pas d’autres expériences que celle du pouvoir de deux beaux yeux sur la raison d’un philosophe. Après plusieurs visites, pendant lesquelles la jeune écolière se montra toujours plus fine, plus intéressante dans ses propos, plus jolie, plus variée dans ses ajustemens, elle écrivit à son maître que son époux venoit de lui interdire le plaisir le plus doux, celui de le recevoir chez elle. Après bien des plaintes sur le sort des femmes, si cruellement soumises aux bizarres volontés d’un mari, elle finissoit par lui dire que le sien devoit aller dans peu à la cour pour solliciter le paiement de ses pensions, et qu’il ne lui seroit pas impossible de la voir, s’il le désiroit autant qu’elle.
La réponse qu’il lui fit annonça à la jeune
Quatre jours après, il reçut ce billet : « Mes plus douces espérances sont dissipées ; il faut renoncer au charme de vos entretiens. Mon mari est parti, mais il méprise assez sa femme pour l’environner de surveillans. Hélas ! auroit-il lu dans son coeur ! . . . »
Le gouverneur auroit eu besoin d’en avoir pour l’éclairer, et lui découvrir le piège où il alloit tomber. Aveuglé par son amour, il conjura sa charmante maîtresse de ne pas lui ravir son unique bonheur, celui de la voir, de lui dire, de lui répéter mille fois qu’il l’adorereroit <sic> jusqu’à la mort.
« Je ne vois qu’un seul moyen, lui répondit-on, pour tromper nos argus ; mais oserai-je vous l’indiquer ? Suis-je assez sûre de votre amour pour espérer que vous ne rougirez pas d’en faire usage ? Puis-je assez compter sur moi pour ne le pas craindre ? »
L’amant transporté écrivit sur-le-champ cette lettre :
« Femme ravissante et trop aimée, quel qu’il soit ce moyen qui doit me rappro-
Le lendemain, il reçut une cassette dans laquelle étoit renfermé un habillement de femme. Il comprit qu’on le lui envoyoit pour qu’il en fit usage, et aussitôt, ô aveuglement de l’amour ! ô honte de l’humanité ! il fut assez foible pour accepter les offres de services que lui fit une femme de chambre qui étoit venue pour donner plus de vérité à son déguisement.
La jeune dame, assurée que son amant alloit paroître, abandonna son cœur au plaisir de la vengeance. D’une main tremblante de joie, elle se hâte d’écrire au duc : « Venez, beau
Le duc ne sut trop ce que cette lettre vouloit dire : il hazarda d’aller éclaircir ce langage mystérieusement sublime. Il arrive chez celle qui lui avoit écrit ; il reconnoît, en traversant son appartement, des lieux que l’amour embellissoit autrefois pour lui ; il pénètre jusqu’à la porte d’un cabinet qu’un laquais ouvre, et il apperçoit . . . . hélas ! qui pourroit décrire la honte, la fureur de l’amant confus et irrité ? Quoi pourroit peindre la joie insultante et le sourire moqueur de celle qui jouit si cruellement de son embarras ? Le duc restoit immobile d’étonnement, et ne savoit s’il devoit en croire ses yeux. Mon ami, après quelques invectives arrachées par le dépit, reprit le calme et la sérénité de la raison. Vous voyez, dit-il, mon cher duc, si j’avois tort de vouloir vous enlever à cette perfide créature. Je suis tombé dans ses pièges ; mais je me con-
Le duc eut pitié de l’embarras de son ancien gouverneur ; il fut assez généreux pour prendre sa défense et se montrer son ami. Il se hâta de le dérober aux regards malins de la vengeance.
Lorsqu’il se vit seul chez lui, il arrêta des yeux confus sur toute sa personne. Ce ne fut pas sans verser des larmes de déprit qu’il quitta ces vêtemens qu’il avoit mis avec l’impatience de l’amour et des desirs. Sexe perfide, s’écria-t-il dans sa fureur, puisse-tu perdre à jamais le pouvoir de tes charmes, puisque tu en fais un si cruel usage !