Les Rêves d’un malade.
Mon Correspondant, qui a acquis la faculté de voyager dans l’Esprit des hommes, m’a envoyé un détail de plusieurs découvertes très importantes, qu’il a faites, par le moyen de son secret. Je les trouve trop instructives, pour ne les pas communiquer au Public.
Monsieur.
Le 11
Mon ame étant dans cette situation y fut trop serrée elle-même, & je fus obligé de descendre un etage plus bas, c’est-à-dire dans l’imagination, où j’apperçus de l’étendue de reste, mais où je crus sentir un froid presque in-
J’étois occupé à me détromper agréablement de toutes ces illusions, quand ma curiosité fut excitée par un bruit épouventable, qui se levoit d’un appartement plus bas. J’y vis une populace de passions assemblée d’une manière séditieuse, & je découvris bientôt par mille marques sensibles, que la cause de ce tumulte consistoit en ce gouvernement democratique, ou plûtot une parfaite Anarchie. Après s’être livrez pendant long-tems au bruit & aux desordres, elle prêtérent toutes l’oreille à la Vanité ; qui leur proposa de lever une formidable Armée de toutes sortes de Notions, qu’elle promit de mener elle-même contre la Garnison du prétendu château, dont l’afreuse perspective étoit la cause de tout ce tumulte.
La proposition de cette Amazone fut écoutée avec un applaudissement universel, & elle partit d’abord pour le païs des Idées. J’y fus aussi-tôt qu’elle, & j’y vis une grande multitude de Notions léthargiques & à demi mortes, entassées consulement les unes sur les autres ; mais à l’approche de la Vanité, elle commencérent à donner des signes de vie, à se mouvoir, & même à donner quelques marques de vigueur. Il n’est pas possible de voir des figures plus monstrueuses. C’étoient des Divinitez endormies, des Esprits corporels, des mondes faits par le hazard, & un nombre infini d’autres Notions payennes, qui laissoient bien loin derriere el-Idées chrétiennes d’extraction, mais dont les traits étoient si changez, & l’habillement si fantasque, qu’il falloit être d’un discernement fort éxact, pour pouvoir les distinguer d’avec les Notions Payennes. Il y avoit encore dans cette cohue une grande troupe de fantomes en habits de cérémonie, que je reconnus dans la suite pour des Prêtres Idolatres, de plusieurs peulpes différens. A peine la vanité eut-elle poussé un cri, que plusieurs Talapoins, faquirs, Bramins, & Bonzes, formérent un corps, & animerent les autres habitans de ces lieux à suivre leur exemple. L’armée se mit d’abord en marche. L’aile droite consistoit en vieilles Idées Payennes, qui avoient toutes blanchi sous le harnois ; & la gauche étoit composée de Notions Chrétiennes, qui avoient été naturalisées par les autres. On peut dire que par rapport au nombre ces troupes faisoient une armée formidable ; mais la conduite de la Vanité étoit si précipitée, & elles avoient elles-mêmes une aversion si invincible pour la tyrannie l’ordre & de la Discipline, qu’on les eut prises plutôt pour un Arriere-ban, que pour des troupes réglées. Tout étoit plein de la plus grande confusion, & elles ne s’accordoient que dans un seul point, c’est qu’elles avoient toutes les yeux fixez sur un certain personage masqué, qui se tenoit à une petite distance de l’Armée, & que par des marques infaillibles je reconnus pour l’Athéïsme.
Dès que la Vanité eut conduit ses forces dans le vaste champ de l’imagination, elle résolut d’attaquer le pretendu Château des Geants, & de passer tout au fil de l’épée. L’assaut y fut donné avec des cris terribles, mais avec le desordre le plus grand ; &, j’en fus si effrayé, que je regagnai au plutôt mon séjour ordinaire. sage Mentor, tout
NB. En entrant dans le susdit caffé, je fis le tour de toutes les tables, & je n’y vis pas un seul bon-esprit, ni un seul Geomêtre. »
Il me semble que la lettre qu’on vient de voir indique les véritables moyens de guérir la maladie opiniatre d’un Esprit-fort. D’abord son entendement a besoin d’être ouvert, & élargi, afin que ses idées s’y puissent arranger commodément ; ce qui ne se fera jamais mieux, que par une bonne doze de Mathématiques. En second lieu, pour échauffer son imagination, & pour y dissiper cet épais brouillard de préjugez, qui obscurcit les objets, & qui les place dans un faux jour, il seroit bon de le mener quelquefois dans les bonnes compagnies, & de l’obliger de tems en tems d’aller voir l’Eglise de près, pour le familiariser avec elle, & pour lui faire perdre l’horreur, qu’elle lui a inspirée de loin. Mais, ce que je recommande sur-tout à ceux, qui entreprennent, la cure d’un Esprit-fort, c’est de ne rien négliger pour déraciner sa vanité : c’est elle qui envoye vers le Petits-esprits ces vapeurs, qui les portent à vouloir se distinguer par une singularité dangereuse.
Mais, si ladite Vanité s’opiniâtre contre les remedes, ce qui est un cas assez naturel dans ces sortes de maladies, il faut tacher d’en detourner le venin, en liant cet acide aux Alcalis de la Religion. Il est bon de faire comprendre au malade, que tous les grands génies de cet âge ont du respect pour les choses sacrées ; que les rapsodies d’un Libertin ne trouvent plus d’admirateurs ; & que le nom d’Esprit-fort, semblable à celui de Tyran, qui chez les anciens ne signifioit, que Monarque, a perdu sa signification primitive, & ne désigne plus-qu’un Etre ennemi de l’esprit & de la raison. Enfin, il est de la derniere nécessité de lui faire sentir, que quoique jadis la nouveauté de ces reveries ait eu quelque charme, pour d’assez habiles-gens, elles n’ont plus cette vogue, & que l’irreligion & le blasphême ont quitté la noblesse, pour faire le mérite des Laquais, & des Crocheteurs.
Je me suis fait un devoir de prévenir les effets pernicieux, que les discours profanes de ces sortes de gens pourroient Avertissement qu’on m’avoit envoyé, & dans lequel on m’informoit de l’inquiétude, qu’on avoit remarquée dans un Gentilhomme étranger pendant sa derniere maladie ; inquiétude fort contraire à sa Doctrine, qui l’obligeoit a être extremement drolle à l’approche de la mort. Cet Avertissement vient d’être combattu par un autre Avertissement, auquel on a accordé une place dans la Gazette appellée
bel Esprit n’a pas été de fort bonne humeur pendant le cours de sa derniere maladie, & qu’il n’a été plaisant, que lorsqu’il a commencé de se porter mieux ;
Ce que j’ai à repondre à cet Avis, c’est qu’il ne détruit en aucune manière le mien. J’ai soutenu, que cet Auteur n’étoit pas de belle humeur pendant sa maladie ; & l’on prétend me donner un démenti, en assurant qu’il a fait des vers, quand sa maladie lui donnoit quelque relache, c’est-à-dire, quand il se portoit mieux. D’ailleurs, j’avoue que ce fait me sera suspect, jusqu’à ce que je voye les vers en question. Ce n’est pas tout ; je suis résolu de n’y pas ajouter foi, que le fait ne soit attesté par la Garde du dit malade : & même alors il me restera quelque petit soupçon, à moins que la dite Garde ne soit mere de famille, & de bonnes mœurs généralement reconnues. état de la question. Si l’auteur, dont il s’agit, n’a pas composé les vers dans les accez même de sa maladie, il n’y a rien d’extraordinaire dans ce Phénomene ; cette action n’a rien de Héroïque, ni de propre à appuier ses beaux dogmes sur cette matiere.
Si la belle humeur convient naturellement à une personne moribonde, c’est une question qui est du ressort des Théologiens. Pour le bel esprit Etranger, il tire toutes ses autoritez de facétieux à l’approche de la mort, je m’étonne de ce que la plus part des Sectaires de cette doctrine ne commencent pas déja à faire quelque provision de pensées plaisantes. Jusqu’ici rien n’est plus sec & plus triste que leurs ouvrages, & tout ce que nous avons vu de leur façon nous fait languir seulement après leurs Oeuvres Posthumes.