Discours XVII. Justus Van Effen [Joseph Addison, Richard Steele] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Mario Müller Mitarbeiter Veronika Mussner Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 06.04.2017 o:mws.6453 Justus Van Effen : Le Mentor moderne ou Discours sur les mœurs du siècle ; traduit de l'Anglois du Guardian de Mrs Addisson, Steele, et autres Auteurs du Spectateur. La Haye : Frères Vaillant et N. Prévost, Tome I, 161-170 Le Mentor moderne 1 017 1723 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Religion Religione Religion Religión Religion Moral Morale Morale Moral Morale France 2.0,46.0 United Kingdom Whitehall Whitehall -0.1264,51.5042

Discours XVII.

Minimumque libidine peccant. Juven.

La Volupté les entraine dans des crimes plus odieux.

S’il étoit possible de résister au torrent de la Mode, qui jette un ridicule sur la vénération, qu’on doit aux choses sacrées, je me hazarderois à dire, queLa Semaine sainte. la semaine dans laquelle nous sommes est un tems d’Humiliations, que toutes les circonstances, qui nous environnent, nous la demandent, & que nous ferions bien de tourner toutes nos pensées de ce côté-là.

Il y a environ trente ans qu’un Prédi-cateur très habile, & qui savoit parfaitement bien son monde, dit à ses auditeurs, en prechant à Witehall, que s’ils ne vouloient pas s’engager à donner à leur conduite un tour nouveau, ils iroient certainement, au sortir de cette vie, dans un endroit que la politesse lui defendoit de nommer devant tant de gens de Cour. Je me trouve à peu prez dans le cas de ce galant homme, & je voudrois bien dépeindre les vices favoris du siecle, & sur tout ceux, qui ont relation avec la galanterie, d’une maniere à me faire lire des gens qui savent vivre. Il seroit impertinent de jetter les grossieretez de la Théologie, & de la morale à la tête de Gentilshommes, & de Dames de qualité qui se piquent uniquement de politesse, & de belles manieres. Je ne ferois pas mal, par conséquent, d’intituler les reflexions que je vais faire sur l’Incontinence, Essai de Critique sur la fornication, & de faire voir que ceux qui s’adonnent à ces sortes de plaisir avilissent leur gout, & sont peu judicieux dans le choix de leurs divertissements.

Si je n’appliquois cette maxime qu’à ceux, qui donnent dans un vil Commerce avec les femmes publiques, elle ne trouveroit pas beaucoup de contradiction chez les personnes qu’on appelle dans le monde honnêtes-gens ; mais, si je pouvois prouver clair comme le jour, que ceux qui s’efforcent à augmenter le nombre des femmes galantes tombent dans de plus grandes bassesses, que ceux qui frequentent les lieux infames, il me semble que je ferois retomber sur la galanterie, le ridicule, qu’à la saveur de la mode elle a su jetter sur la sagesse. Cette preuve est très facile, & à la portée de tout le monde. Le Debauché, qui sans gout, sans bienséance, promene sa volupté vagabonde de grisette en grisette, n’est coupable que de se prostituer lui-même, & d’exposer sa santé ; mais celui qui se livre à ce plaisir avec plus de gout & de délicatesse, ne sauroit éxécuter ses dangereux desseins, sans trahir quelque homme, à qui il doit de l’amour & de l’estime, & sans courrir risque d’attirer le mépris public à celles, qu’il fait profession de chérir le plus tendrement. Se sentir toujours l’esprit enceint de quelque trahison ; réfléchir sur l’infamie, où l’on veut jetter un Epoux, ou une famille, qui n’ont pas mérité de nous cet affront, & qu’on voudroit exterminer si l’on en avoit reçu une pareille offense ; c’est là à mon avis, une situation qui devroit faire rentrer en lui-même un homme qui a quelque idée de l’honneur, & le porter à refréner ses passions impétueuses. Ces véritez sont palpables, & qu’est-ce qu’il y a de plus propre à décrediter dans l’esprit d’un prétendu honnête homme les plaisirs qu’il recherche, que la persuasion où il doit être, dans le tems même qu’il songe à se les procurer, qu’il est un lache, & un traitre. Entrer dans un commerce de galanterie, c’est renoncer absolument au caractere d’un homme de probité.

Selon le cours ordinaire de ces entreprises galantes, l’amour ne subsiste pas long tems entre le fourbe & la dupe. Dez qu’elle sait qu’elle est trompée, elle hait l’imposteur d’une haine furieuse : cette haine devient bientôt mutuelle ; & ce qu’ils trouvent de plus odieux l’un dans l’autre, ce sont leurs plus grands agrémens, & leurs meilleures qualitez, qui ont été l’origine de leur malheureux commerce.

Ce n’est pas tout : le Crime du galant ne rend pas seulement la personne, dont il triomphe, malheureuse ; mais, le plus souvent, il la pousse de crime en crime. Si, après avoir franchi une fois les bornes de la pudeur, elle ne se livre pas à une prostitution ouverte, du moins elle tache d’infecter d’autres personnes de son sexe, de la contagion de sa faute : elle se fait un plaisir secret de conduire ses compagnes dans le même abime, sans en attendre d’autre satisfaction, que l’idée flatteuse d’amoindrir son infamie, en la partageant avec plusieurs autres infortunées.

Si un homme de cette classe a quelque consideration pour la victime de ses plaisirs, dans quelle contrainte ne doit-il pas vivre, avec quelle précaution ne doit-il pas veiller sur ses paroles & sur ses actions, que de fourberies ne doit-il pas inventer pour cacher son intrigue ? Pour être fidelle à sa maitresse, il est forcé de tromper tout le monde, & il marche continuellement la fausseté dans le cœur, & le mensonge dans la bouche. Voilà ce que lui coutent les plaisirs brutaux de quelques moments, goutez à la dérobbée, & accompagnez d’ordinaire de crainte, & d’allarmes. Le tour agreable, que la morale lubrique de plusieurs Poëtes ont donné à ce crime, est une foible consolation pour un homme qui sait encore refléchir sur la situation de son cœur, & à qui la solitude depeint sa conduite passée avec les couleurs les plus afreuses. Des traits d’esprit peuvent faire rire ; mais ils ne sauroient tarir une source de tristesse & d’inquiétude que la conscience repend dans l’ame.

La maladie, la douleur, & la misere, sont des malheurs, qu’aucun mortel ne peut se prometttre d’éviter. N’y a-t-il donc pas de la folie à se ménager de longue main tout ce qui peut ajouter du poids à la maladie, à la douleur, à la misere ? S’il y en a parmi ceux, à qui je m’addresse ici, des gens trop vifs pour être attaquez dans ces tristes situations, par des pensées mortifiantes, je suis sur que cet étourdissement ne durera pas toujours, & que leur insensibilité ne fait que leur accumuler un afreux trésor de ces mêmes inquiétudes, dont pour le présent, ils ont le malheur de n’être pas susceptibles. Mais, j’ai meilleure opinion de ceux, qui n’ont pas encore effacé entierement les impressions qu’une éducation sage & éclairée a faites dans leur cœur. J’espere qu’ils sentiront d’abord la vérité de cette maxime : celui qui s’abandonne entierement à la volupté doit voir bientôt que la volupté est le moindre de ses crimes.

Un voluptueux de l’espece en question contracte une haine irréconciliable contre ceux la mêmes, qu’il a offensé le plus cruellement. Il invente mille fourberies, pour cacher ses crimes, si par une bassesse plus afreuse il ne s’en fait pas un honneur. Son amour-propre lui rend odieux les gens d’une vie réglée : il méprise tout ce qu’il y a de loüable & de sacré, dez qu’il y trouve un obstacle à ses desirs criminels. Toutes sortes de vices honteux s’emparent de toutes les facultez de son ame, & la rendent entierement inaccessible aux nobles plaisirs qui découlent de la vertu, & du veritable honneur. Heureux ceux de ce caractere, qu’une maladie, ou quelque desastre, reveille de cette Lithargie funeste, qui rend le cœur insensible aux plus grandes satisfactions, dont l’homme puisse être capable.

Il y a eu des gens, dont le caractere étoit plutôt composé d’heureuses dispositions & de foiblesses, que de vices & de vertus ; qui bien loin de profiter de toutes sortes de bonnes fortunes, ont eu la generosité d’arreter sur le bord du précipice l’innocence, qui y étoit conduite par la force presqu’invincible de la plus cruelle nécessité. Quelle imagination est assez forte pour se représenter les plaisirs merveilleux dont une action de cette nature doit être suivie, dans une ame assez belle pour en avoir été la noble source. Ces sortes de plaisirs résident dans la raison même : on les goute particuliérement en qualité d’homme ; ils ont une pureté, une force, & une durée, qui la rend infiniment supérieure à celle qu’on peut tirer de la possession de toutes les belles femmes d’un Royaume entier. Ils ne peuvent qu’augmenter l’amour raisonnable, que nous avons pour nous mêmes, & qui fait notre plus grande félicité. Un homme, qui n’a été debauché que par foiblesse, n’a qu’à faire une action de cette nature, pour avoir du dégout pour tout ce qui a fait auparavant sa plus douce joie : elle lui doit paroitre vile & méprisable au prix de l’inexprimable douceur, que sa généreuse charité vient de faire couler dans son ame.

Tous les hommes coupables de ces sortes de fautes n’ont pas le moyen ou l’occasion, de les réparer d’une maniere si glorieuse ; mais, du moins, dans cette semaine de preparation, ils devroient faire tout ce qui est dans leur pouvoir, pour témoigner leur repentir. J’en veux indiquer ici un moyen, dont je prévois que la seule proposition me rendra ridicule à la délicatesse impertinente des gens, qui ne raisonnent point. N’importe : je m’y exposerai avec plaisir, pourvû que par là je puisse faire quelque heureuse impression sur les coupables, que j’ai en vue.

J’ose recommander les plus malheureuses & les plus méprisables de toutes les créatures humaines à la charité de ceux, à qui les mêmes crimes n’ont pas attiré les mêmes punitions. Je leur recommande ces martyrs de la débauche, séparez par leur sexe en deux différens Hopitaux de cette Ville, qui en contiennent à peine toute la multitude. Les gens, à qui des fautes de ce genre inspirent de véritables remords, devroient se charger eux mêmes, dans le cœur, de toute la soufrance, & de toute la honte, que leur seul bonheur les a fait eviter. Rien ne leur convient mieux, que d’en témoigner leur juste reconnoissance, en soulageant dans leur misere ceux en qui le vi-ce paroit dans sa plus grande difformité. Ils devroient considérer, que s’ils n’etalent pas un semblable spectacle d’horreur & de dégout, ils en sont redevables à la Providence, & non pas à un moindre dégré de crime. Ce qui est très propre à donner plus de vivacité à leur compassion, c’est de penser que peut-être parmi ces personnes à présent effroyables, il y en a dont les charmes ont été autrefois les objets de leurs plus vifs transports.

Le nom de Chrêtien ne doit pas se prononcer devant les honnêtes gens, je le sai : mais, en qualité d’honnêtes gens, en qualité de gens d’honneur, faut-il que nous abandonnions nos bonnes amies pour un nez de plus ou de moins ?

Discours XVII. Minimumque libidine peccant. Juven. La Volupté les entraine dans des crimes plus odieux. S’il étoit possible de résister au torrent de la Mode, qui jette un ridicule sur la vénération, qu’on doit aux choses sacrées, je me hazarderois à dire, queLa Semaine sainte.la semaine dans laquelle nous sommes est un tems d’Humiliations, que toutes les circonstances, qui nous environnent, nous la demandent, & que nous ferions bien de tourner toutes nos pensées de ce côté-là. Il y a environ trente ans qu’un Prédi-cateur très habile, & qui savoit parfaitement bien son monde, dit à ses auditeurs, en prechant à Witehall, que s’ils ne vouloient pas s’engager à donner à leur conduite un tour nouveau, ils iroient certainement, au sortir de cette vie, dans un endroit que la politesse lui defendoit de nommer devant tant de gens de Cour. Je me trouve à peu prez dans le cas de ce galant homme, & je voudrois bien dépeindre les vices favoris du siecle, & sur tout ceux, qui ont relation avec la galanterie, d’une maniere à me faire lire des gens qui savent vivre. Il seroit impertinent de jetter les grossieretez de la Théologie, & de la morale à la tête de Gentilshommes, & de Dames de qualité qui se piquent uniquement de politesse, & de belles manieres. Je ne ferois pas mal, par conséquent, d’intituler les reflexions que je vais faire sur l’Incontinence, Essai de Critique sur la fornication, & de faire voir que ceux qui s’adonnent à ces sortes de plaisir avilissent leur gout, & sont peu judicieux dans le choix de leurs divertissements. Si je n’appliquois cette maxime qu’à ceux, qui donnent dans un vil Commerce avec les femmes publiques, elle ne trouveroit pas beaucoup de contradiction chez les personnes qu’on appelle dans le monde honnêtes-gens ; mais, si je pouvois prouver clair comme le jour, que ceux qui s’efforcent à augmenter le nombre des femmes galantes tombent dans de plus grandes bassesses, que ceux qui frequentent les lieux infames, il me semble que je ferois retomber sur la galanterie, le ridicule, qu’à la saveur de la mode elle a su jetter sur la sagesse. Cette preuve est très facile, & à la portée de tout le monde. Le Debauché, qui sans gout, sans bienséance, promene sa volupté vagabonde de grisette en grisette, n’est coupable que de se prostituer lui-même, & d’exposer sa santé ; mais celui qui se livre à ce plaisir avec plus de gout & de délicatesse, ne sauroit éxécuter ses dangereux desseins, sans trahir quelque homme, à qui il doit de l’amour & de l’estime, & sans courrir risque d’attirer le mépris public à celles, qu’il fait profession de chérir le plus tendrement. Se sentir toujours l’esprit enceint de quelque trahison ; réfléchir sur l’infamie, où l’on veut jetter un Epoux, ou une famille, qui n’ont pas mérité de nous cet affront, & qu’on voudroit exterminer si l’on en avoit reçu une pareille offense ; c’est là à mon avis, une situation qui devroit faire rentrer en lui-même un homme qui a quelque idée de l’honneur, & le porter à refréner ses passions impétueuses. Ces véritez sont palpables, & qu’est-ce qu’il y a de plus propre à décrediter dans l’esprit d’un prétendu honnête homme les plaisirs qu’il recherche, que la persuasion où il doit être, dans le tems même qu’il songe à se les procurer, qu’il est un lache, & un traitre. Entrer dans un commerce de galanterie, c’est renoncer absolument au caractere d’un homme de probité. Selon le cours ordinaire de ces entreprises galantes, l’amour ne subsiste pas long tems entre le fourbe & la dupe. Dez qu’elle sait qu’elle est trompée, elle hait l’imposteur d’une haine furieuse : cette haine devient bientôt mutuelle ; & ce qu’ils trouvent de plus odieux l’un dans l’autre, ce sont leurs plus grands agrémens, & leurs meilleures qualitez, qui ont été l’origine de leur malheureux commerce. Ce n’est pas tout : le Crime du galant ne rend pas seulement la personne, dont il triomphe, malheureuse ; mais, le plus souvent, il la pousse de crime en crime. Si, après avoir franchi une fois les bornes de la pudeur, elle ne se livre pas à une prostitution ouverte, du moins elle tache d’infecter d’autres personnes de son sexe, de la contagion de sa faute : elle se fait un plaisir secret de conduire ses compagnes dans le même abime, sans en attendre d’autre satisfaction, que l’idée flatteuse d’amoindrir son infamie, en la partageant avec plusieurs autres infortunées. Si un homme de cette classe a quelque consideration pour la victime de ses plaisirs, dans quelle contrainte ne doit-il pas vivre, avec quelle précaution ne doit-il pas veiller sur ses paroles & sur ses actions, que de fourberies ne doit-il pas inventer pour cacher son intrigue ? Pour être fidelle à sa maitresse, il est forcé de tromper tout le monde, & il marche continuellement la fausseté dans le cœur, & le mensonge dans la bouche. Voilà ce que lui coutent les plaisirs brutaux de quelques moments, goutez à la dérobbée, & accompagnez d’ordinaire de crainte, & d’allarmes. Le tour agreable, que la morale lubrique de plusieurs Poëtes ont donné à ce crime, est une foible consolation pour un homme qui sait encore refléchir sur la situation de son cœur, & à qui la solitude depeint sa conduite passée avec les couleurs les plus afreuses. Des traits d’esprit peuvent faire rire ; mais ils ne sauroient tarir une source de tristesse & d’inquiétude que la conscience repend dans l’ame. La maladie, la douleur, & la misere, sont des malheurs, qu’aucun mortel ne peut se prometttre d’éviter. N’y a-t-il donc pas de la folie à se ménager de longue main tout ce qui peut ajouter du poids à la maladie, à la douleur, à la misere ? S’il y en a parmi ceux, à qui je m’addresse ici, des gens trop vifs pour être attaquez dans ces tristes situations, par des pensées mortifiantes, je suis sur que cet étourdissement ne durera pas toujours, & que leur insensibilité ne fait que leur accumuler un afreux trésor de ces mêmes inquiétudes, dont pour le présent, ils ont le malheur de n’être pas susceptibles. Mais, j’ai meilleure opinion de ceux, qui n’ont pas encore effacé entierement les impressions qu’une éducation sage & éclairée a faites dans leur cœur. J’espere qu’ils sentiront d’abord la vérité de cette maxime : celui qui s’abandonne entierement à la volupté doit voir bientôt que la volupté est le moindre de ses crimes. Un voluptueux de l’espece en question contracte une haine irréconciliable contre ceux la mêmes, qu’il a offensé le plus cruellement. Il invente mille fourberies, pour cacher ses crimes, si par une bassesse plus afreuse il ne s’en fait pas un honneur. Son amour-propre lui rend odieux les gens d’une vie réglée : il méprise tout ce qu’il y a de loüable & de sacré, dez qu’il y trouve un obstacle à ses desirs criminels. Toutes sortes de vices honteux s’emparent de toutes les facultez de son ame, & la rendent entierement inaccessible aux nobles plaisirs qui découlent de la vertu, & du veritable honneur. Heureux ceux de ce caractere, qu’une maladie, ou quelque desastre, reveille de cette Lithargie funeste, qui rend le cœur insensible aux plus grandes satisfactions, dont l’homme puisse être capable. Il y a eu des gens, dont le caractere étoit plutôt composé d’heureuses dispositions & de foiblesses, que de vices & de vertus ; qui bien loin de profiter de toutes sortes de bonnes fortunes, ont eu la generosité d’arreter sur le bord du précipice l’innocence, qui y étoit conduite par la force presqu’invincible de la plus cruelle nécessité. Quelle imagination est assez forte pour se représenter les plaisirs merveilleux dont une action de cette nature doit être suivie, dans une ame assez belle pour en avoir été la noble source. Ces sortes de plaisirs résident dans la raison même : on les goute particuliérement en qualité d’homme ; ils ont une pureté, une force, & une durée, qui la rend infiniment supérieure à celle qu’on peut tirer de la possession de toutes les belles femmes d’un Royaume entier. Ils ne peuvent qu’augmenter l’amour raisonnable, que nous avons pour nous mêmes, & qui fait notre plus grande félicité. Un homme, qui n’a été debauché que par foiblesse, n’a qu’à faire une action de cette nature, pour avoir du dégout pour tout ce qui a fait auparavant sa plus douce joie : elle lui doit paroitre vile & méprisable au prix de l’inexprimable douceur, que sa généreuse charité vient de faire couler dans son ame. Tous les hommes coupables de ces sortes de fautes n’ont pas le moyen ou l’occasion, de les réparer d’une maniere si glorieuse ; mais, du moins, dans cette semaine de preparation, ils devroient faire tout ce qui est dans leur pouvoir, pour témoigner leur repentir. J’en veux indiquer ici un moyen, dont je prévois que la seule proposition me rendra ridicule à la délicatesse impertinente des gens, qui ne raisonnent point. N’importe : je m’y exposerai avec plaisir, pourvû que par là je puisse faire quelque heureuse impression sur les coupables, que j’ai en vue. J’ose recommander les plus malheureuses & les plus méprisables de toutes les créatures humaines à la charité de ceux, à qui les mêmes crimes n’ont pas attiré les mêmes punitions. Je leur recommande ces martyrs de la débauche, séparez par leur sexe en deux différens Hopitaux de cette Ville, qui en contiennent à peine toute la multitude. Les gens, à qui des fautes de ce genre inspirent de véritables remords, devroient se charger eux mêmes, dans le cœur, de toute la soufrance, & de toute la honte, que leur seul bonheur les a fait eviter. Rien ne leur convient mieux, que d’en témoigner leur juste reconnoissance, en soulageant dans leur misere ceux en qui le vi-ce paroit dans sa plus grande difformité. Ils devroient considérer, que s’ils n’etalent pas un semblable spectacle d’horreur & de dégout, ils en sont redevables à la Providence, & non pas à un moindre dégré de crime. Ce qui est très propre à donner plus de vivacité à leur compassion, c’est de penser que peut-être parmi ces personnes à présent effroyables, il y en a dont les charmes ont été autrefois les objets de leurs plus vifs transports. Le nom de Chrêtien ne doit pas se prononcer devant les honnêtes gens, je le sai : mais, en qualité d’honnêtes gens, en qualité de gens d’honneur, faut-il que nous abandonnions nos bonnes amies pour un nez de plus ou de moins ?