I. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer-Pernkopf Herausgeber Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Martin Stocker Mitarbeiter Katharina Tez Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 24.05.2019 o:mws.4291 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 1-6 Le Spectateur ou le Socrate moderne 2 001 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Liebe Amore Love Amor Amour Amor Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme Imagem feminina France 2.0,46.0

I. Discours

Petite hinc, juvenésque, senésque,Finem animo certum, miserisque viatica canis.Cras hoc fiet. Idem cras fiet? Quid, quasi magnum,Nempe diem donas? Sed cùm lux alrera venit,Jam cras hesternum consumpsimus : ecce aliud crasEgerit hos annos, & semper paulùm erit ultra.Nam, quamvis propete, quamvis temone sub unoVertentem sese, frustra sectabere canthum,Cùm rota posterior currat, & in axe secundo.

Pers. Sat. v. 64.-72.

Apprenez de là (je parle aux vieillards aussi-bien qu’aux jeunes gens) apprenez le but & la fin que vous devez vous proposer ; faites provision des vertus & des bonnes qualitez, qui doivent vous servir à passer doucement les fâcheuses & tristes années de la vieillesse. Nous y penserons demain. Demain ! Vous serez demain tout comme aujourd’hui. At-tendez un peu, nous ne vous demandons qu’un se jour : est-ce si grande chose? Mais quand demain sera venu, ce jour-ci sera passé comme celui d’hier : il viendra ensuite un autre demain, & puis encore un autre après ; cela ne finira point : vous passerez ainsi toute votre vie. Prenez garde aux roues d’un Chariot ; celles de derriere sont sur la même ligne que celles de devant, & attachées au même timon : Quand le Chariot roule, les roues de derriere roulent en même temps ; mais parce-que celles de devant roulent aussi, il est impossible qu’elles s’attrapent.

Mes Correspondans sur le chapitre de l’Amour sont en si grand nombre, que j’ai dessein de les ranger, s’il est possible, sous différentes Classes, & de les entretenir chacune à son tour. La premiere, à laquelle je destinerai ce Discours, est de ceux qui se trouvent engagez avec des Belles d’une humeur irrésolue, qui veulent qu’on leur en conte plusieurs années de suite, incapables de se rendre aux sollicitations de leurs Amans, ou de les congedier. J’ai une foule de Lettres où l’on se plaint amerement de ces Cruelles. Un Homme de Robe & à Calote de Satin noir m’en a écrit une, pour me dire, qu’il commença ses Instances l’An vingt-neuviéme du Regne de Charles ii, avant qu’il eût été une année au College en Droit ; qu’il avoit continué ses poursuites plusieurs années après avoir plaidé au Barreau ; qu’il est aujourd’hui Docteur en Droit Civil ; & que malgré l’esperance, où il étoit depuis long-tems, d’en venir à une Décision finale, sa Maîtresse est toujours indéterminée. L’expression me paroît si juste, que j’appellerai ces Dames les Indéterminées. Je vois par la Lettre d’un autre Amoureux, qui se nomme Thirsis, que sa Belle est irrésolue depuis plus de sept ans. Mais celui de tous ces Plaintifs, dont le sort me touche le plus, est le riche & le passionné Philandre, qui me représente que la craintive & l’irrésolue Sylvie a si bien differé, qu’elle n’est plus en état d’avoir des Enfans. La Lettre, que j’ai reçu de Strephon, insinue qu’il est d’un tempérament bilieux, & si charmé de sa Belle, qu’il n’en démordra jamais, quoiqu’elle soit indéterminée par un principe d’intérêt. Il me dit en grande colere, qu’il en a été la Dupe durant toute sa jeunesse : qu’elle l’a amusé jusqu’à l’âge de cinquante cinq ans, & qu’elle pourroit bien l’abandonner sur ses vieux jours, si elle trouve un meilleur Parti. Je finirai cet Article par une Lettre que l’honnête Sam. HopewellC’est à dire, Qui est plein d’esperance m’a écrite : C’est un Homme fort agréable en Compagnie, ami de la Bouteille, & qui s’est enfin marié avec une de ces Indéterminées, après avoir servi de jouet à ses Amis, à l’occasion de ses Amours, depuis l’année mille six cens quatre-vingt-un.

« Vous n’ignorez pas, mon cher Monsieur, quelle a été ma passion pour Mademoiselle Marthe, ni par quels labyrinthes elle m’a conduit. Je n’avois que vingt-deux ans lorsque je me dévouai à son service, & j’en ai perdu plus de trente à chicaner avec elle. Je l’ai aimée jusqu’à ce qu’elle est devenue aussi grise qu’un Chat, & j’ai eu beaucoup de peine à l’obtenir à la fin, telle qu’elle est aujourd’hui. Cependant, elle paroît à mes yeux une charmante Vieille. Nous poussons à la verité bien des regrets ensemble, de ce que nous ne nous sommes pas mariez plûtôt ; mais elle ne doit s’en prendre qu’à elle-même : vous savez qu’elle n’a jamais voulu en venir à une conclusion avec moi, jusqu’à ce qu’il ne lui ait pas resté une seule dent à la bouche. De sorte qu’au lieu d’une Devise autour de ma Bague de Noces, j’y ai fait graver ces mots, l’An trente, uniéme de mon Amour. J’attens de vous là-dessus une Epître congratulatoire, ou une Epithalame, si vous nous en croïez dignes. Je serai toute ma vie le très humble serviteur de ma chere Marthe, & le vôtre. »

Pour bannir de la Societé un Mal, qui ne cause pas seulement de grandes inquiétudes aux Particuliers, mais qui peut avoir une dangereuse influence sur le Public, je tâcherai de faire voir le ridicule de cette Humeur indéterminée, par deux ou trois Réfléxions, que je prie le beau Sexe de vouloir bien peser.

i. Je souhaiterois en premier lieu que les Belles fissent une attention serieuse à la brieveté de leurs jours. La vie n’est pas assez longue pour donner le loisir à une Coquette de mettre en jeu tous ses artifices. Une Dame craintive tombe dans sa Fosse, avant qu’elle ait déliberé sur le parti qu’elle doit prendre. Si les Hommes atteignoient aujourd’hui à l’âge de nos Peres avant le Déluge, une Dame pourroit sacrifier une cinquantaine d’années à un petit scrupule, & demeurer indéterminée l’espace de deux ou trois Siecles. Si elle avoit neuf cens années de vie, elle pourroit atteindre la Conversion des Juifs avant qu’elle jugeât à propos de se déclarer. Mais helas! elle doit jouer son rôle bien vîte, si elle pense qu’il lui faudra quiter la Scène tout d’un coup, & ceder sa place à d’autres.

2. En deuxiéme lieu, je voudrois que les Filles considerassent, que si le terme de la Vie est court, celui de la Beauté l’est infiniment davantage. Le plus beau visage se ride en peu d’années, & perd si-tôt la fraîcheur & l’éclat de son coloris, qu’à peine avons nous le tems de l’admirer. Je pourrois illustrer mon sujet par l’exemple des Roses, de l’Arc-en-Ciel, & diverses Comparaisons de cette nature ; mais peut-être y reviendrai-je une autre fois.

3. Enfin, une Indéterminée doit penser au danger qu’elle court de se rendre amou-reuse à l’âge de soixante ans, si elle ne tâche pas de se délivrer plûtôt de ses doutes & de ses scrupules. Il y a une espece d’arriere Saison Printanniere, s’il m’est permis d’employer ce terme, qui envahit quelquefois le cœur d’une Vieille, & qui la rend le plus grotesque objet du Monde. C’est à quoi je souhaiterois que les Indéterminées voulussent réfléchir.

Cependant on auroit tort de croire que je veuille décourager, dans le Sexe, cette Modestie naturelle, qui ne leur permet pas de recevoir les premieres offres d’un Amant, & qui fait accompagner leur refus d’un air agréable & civil. Tout le but que je me propose, est de les avertir, que si la Raison & l’Inclination se trouvent de la partie, elles ne doivent balancer qu’autant que les Formalitez & la Bienseance l’exigent. Une Fille vertueuse doit rejetter du premier coup un Mariage qu’on lui offre, comme un honnête Ecclesiastique refuse un Evêché ; mais je ne conseillerois point, ni à l’un ni à l’autre, de perseverer dans le refus de ce qu’ils souhaitent avec ardeur.

L.

I. Discours Petite hinc, juvenésque, senésque,Finem animo certum, miserisque viatica canis.Cras hoc fiet. Idem cras fiet? Quid, quasi magnum,Nempe diem donas? Sed cùm lux alrera venit,Jam cras hesternum consumpsimus : ecce aliud crasEgerit hos annos, & semper paulùm erit ultra.Nam, quamvis propete, quamvis temone sub unoVertentem sese, frustra sectabere canthum,Cùm rota posterior currat, & in axe secundo. Pers. Sat. v. 64.-72. Apprenez de là (je parle aux vieillards aussi-bien qu’aux jeunes gens) apprenez le but & la fin que vous devez vous proposer ; faites provision des vertus & des bonnes qualitez, qui doivent vous servir à passer doucement les fâcheuses & tristes années de la vieillesse. Nous y penserons demain. Demain ! Vous serez demain tout comme aujourd’hui. At-tendez un peu, nous ne vous demandons qu’un se jour : est-ce si grande chose? Mais quand demain sera venu, ce jour-ci sera passé comme celui d’hier : il viendra ensuite un autre demain, & puis encore un autre après ; cela ne finira point : vous passerez ainsi toute votre vie. Prenez garde aux roues d’un Chariot ; celles de derriere sont sur la même ligne que celles de devant, & attachées au même timon : Quand le Chariot roule, les roues de derriere roulent en même temps ; mais parce-que celles de devant roulent aussi, il est impossible qu’elles s’attrapent. Mes Correspondans sur le chapitre de l’Amour sont en si grand nombre, que j’ai dessein de les ranger, s’il est possible, sous différentes Classes, & de les entretenir chacune à son tour. La premiere, à laquelle je destinerai ce Discours, est de ceux qui se trouvent engagez avec des Belles d’une humeur irrésolue, qui veulent qu’on leur en conte plusieurs années de suite, incapables de se rendre aux sollicitations de leurs Amans, ou de les congedier. J’ai une foule de Lettres où l’on se plaint amerement de ces Cruelles. Un Homme de Robe & à Calote de Satin noir m’en a écrit une, pour me dire, qu’il commença ses Instances l’An vingt-neuviéme du Regne de Charles ii, avant qu’il eût été une année au College en Droit ; qu’il avoit continué ses poursuites plusieurs années après avoir plaidé au Barreau ; qu’il est aujourd’hui Docteur en Droit Civil ; & que malgré l’esperance, où il étoit depuis long-tems, d’en venir à une Décision finale, sa Maîtresse est toujours indéterminée. L’expression me paroît si juste, que j’appellerai ces Dames les Indéterminées. Je vois par la Lettre d’un autre Amoureux, qui se nomme Thirsis, que sa Belle est irrésolue depuis plus de sept ans. Mais celui de tous ces Plaintifs, dont le sort me touche le plus, est le riche & le passionné Philandre, qui me représente que la craintive & l’irrésolue Sylvie a si bien differé, qu’elle n’est plus en état d’avoir des Enfans. La Lettre, que j’ai reçu de Strephon, insinue qu’il est d’un tempérament bilieux, & si charmé de sa Belle, qu’il n’en démordra jamais, quoiqu’elle soit indéterminée par un principe d’intérêt. Il me dit en grande colere, qu’il en a été la Dupe durant toute sa jeunesse : qu’elle l’a amusé jusqu’à l’âge de cinquante cinq ans, & qu’elle pourroit bien l’abandonner sur ses vieux jours, si elle trouve un meilleur Parti. Je finirai cet Article par une Lettre que l’honnête Sam. HopewellC’est à dire, Qui est plein d’esperancem’a écrite : C’est un Homme fort agréable en Compagnie, ami de la Bouteille, & qui s’est enfin marié avec une de ces Indéterminées, après avoir servi de jouet à ses Amis, à l’occasion de ses Amours, depuis l’année mille six cens quatre-vingt-un. « Vous n’ignorez pas, mon cher Monsieur, quelle a été ma passion pour Mademoiselle Marthe, ni par quels labyrinthes elle m’a conduit. Je n’avois que vingt-deux ans lorsque je me dévouai à son service, & j’en ai perdu plus de trente à chicaner avec elle. Je l’ai aimée jusqu’à ce qu’elle est devenue aussi grise qu’un Chat, & j’ai eu beaucoup de peine à l’obtenir à la fin, telle qu’elle est aujourd’hui. Cependant, elle paroît à mes yeux une charmante Vieille. Nous poussons à la verité bien des regrets ensemble, de ce que nous ne nous sommes pas mariez plûtôt ; mais elle ne doit s’en prendre qu’à elle-même : vous savez qu’elle n’a jamais voulu en venir à une conclusion avec moi, jusqu’à ce qu’il ne lui ait pas resté une seule dent à la bouche. De sorte qu’au lieu d’une Devise autour de ma Bague de Noces, j’y ai fait graver ces mots, l’An trente, uniéme de mon Amour. J’attens de vous là-dessus une Epître congratulatoire, ou une Epithalame, si vous nous en croïez dignes. Je serai toute ma vie le très humble serviteur de ma chere Marthe, & le vôtre. » Pour bannir de la Societé un Mal, qui ne cause pas seulement de grandes inquiétudes aux Particuliers, mais qui peut avoir une dangereuse influence sur le Public, je tâcherai de faire voir le ridicule de cette Humeur indéterminée, par deux ou trois Réfléxions, que je prie le beau Sexe de vouloir bien peser. i. Je souhaiterois en premier lieu que les Belles fissent une attention serieuse à la brieveté de leurs jours. La vie n’est pas assez longue pour donner le loisir à une Coquette de mettre en jeu tous ses artifices. Une Dame craintive tombe dans sa Fosse, avant qu’elle ait déliberé sur le parti qu’elle doit prendre. Si les Hommes atteignoient aujourd’hui à l’âge de nos Peres avant le Déluge, une Dame pourroit sacrifier une cinquantaine d’années à un petit scrupule, & demeurer indéterminée l’espace de deux ou trois Siecles. Si elle avoit neuf cens années de vie, elle pourroit atteindre la Conversion des Juifs avant qu’elle jugeât à propos de se déclarer. Mais helas! elle doit jouer son rôle bien vîte, si elle pense qu’il lui faudra quiter la Scène tout d’un coup, & ceder sa place à d’autres. 2. En deuxiéme lieu, je voudrois que les Filles considerassent, que si le terme de la Vie est court, celui de la Beauté l’est infiniment davantage. Le plus beau visage se ride en peu d’années, & perd si-tôt la fraîcheur & l’éclat de son coloris, qu’à peine avons nous le tems de l’admirer. Je pourrois illustrer mon sujet par l’exemple des Roses, de l’Arc-en-Ciel, & diverses Comparaisons de cette nature ; mais peut-être y reviendrai-je une autre fois. 3. Enfin, une Indéterminée doit penser au danger qu’elle court de se rendre amou-reuse à l’âge de soixante ans, si elle ne tâche pas de se délivrer plûtôt de ses doutes & de ses scrupules. Il y a une espece d’arriere Saison Printanniere, s’il m’est permis d’employer ce terme, qui envahit quelquefois le cœur d’une Vieille, & qui la rend le plus grotesque objet du Monde. C’est à quoi je souhaiterois que les Indéterminées voulussent réfléchir. Cependant on auroit tort de croire que je veuille décourager, dans le Sexe, cette Modestie naturelle, qui ne leur permet pas de recevoir les premieres offres d’un Amant, & qui fait accompagner leur refus d’un air agréable & civil. Tout le but que je me propose, est de les avertir, que si la Raison & l’Inclination se trouvent de la partie, elles ne doivent balancer qu’autant que les Formalitez & la Bienseance l’exigent. Une Fille vertueuse doit rejetter du premier coup un Mariage qu’on lui offre, comme un honnête Ecclesiastique refuse un Evêché ; mais je ne conseillerois point, ni à l’un ni à l’autre, de perseverer dans le refus de ce qu’ils souhaitent avec ardeur. L.