Discours XV.
Comme Spectateur, j’ai été plusieurs fois cette année à la
Salle où l’on expose tous les ans les nouveaux ouvrages de nos plus
habiles Peintres ; & comme Spectateur aussi je dirai, non ce que j’y
ai vû, mais ce que j’y ai entendu. L’analyse de ces sortes de
productions n’appartient qu’aux Maîtres de l’Art ; nous profanes, qui
n’avons que des yeux, nous devons nous taire. Peut-être dirois-je des
sotises si je voulois rendre compte de ce que j’ai pensé & de ce que
j’ai senti en voyant les Tableaux de cette année. Le proverbe si connu,
ce n’est point aux aveugles à juger des
couleurs, renferme pour moi un utile conseil ; & je l’aurai
toujours gravé dans ma mémoire pour m’épargner le remord d’avoir fait
parler mes passions particulieres en vou-lant prononcer sur
des ouvrages dont je ne pouvois bien connoître ni le mérite, ni les
défauts, mais dont j’aurois voulu rendre les Auteurs ridicules, par des
motifs particuliers. Trop de gens, souillés chaque jour de cet horrible
crime, m’ont appris à me retenir sur le bord d’un panchant dangereux ;
& le mépris qu’ils m’ont inspiré en les entendant parler avec une
injustice qu’ils ne devoient pas se dissimuler, & qu’ils ne se
dissimuloient peut-être pas, me servira toujours de leçon. D’autres
motifs encore que ceux de l’honneur & de la conscience,
m’empêcheront toujours de violer la loi que je m’impose ; le désir de
plaire, la crainte d’avoir des ennemis, & d’en mériter ; l’envie si
sage d’être du ton des autres, de n’offusquer personne, de paroître
toujours avec cette modestie qui nous assure l’hommage de l’esprit &
du cœur : trésor inépuisable de douceurs & d’avantages encore plus
réels : la fureur de juger, nous ôte la liberté de puiser
dans cette source précieuse : que dis-je ! elle nous rend insensibles à
la perte des biens qu’elle nous enleve & dont elle nous rend
indignes. Ceux qui aiment à juger de ce qu’ils ne connoissent pas,
aiment bien-tôt à juger de tout ce qu’ils connoissent. Dès-lors ils
parlent toujours, critiquent toujours, & ne se doutent pas qu’il y
ait du plaisir à sentir. Incommodes à ceux qui n’ont pas l’esprit si
difficile ou si méchant qu’eux ; odieux même à ceux qui leur
ressemblent, parce qu’ils ne leur laissent pas la liberté d’exhaler le
venin qui les consume, ou le feu qui les dévore ; ils tombent dans une
barbarie à quoi rien ne peut plus mettre fin ; car ils prennent de la
haine pour ceux qui, estimant de bonne foi un ouvrage bien fait, les
contrarient pour les éclairer ; le monde les importune & ne leur
paroît plus qu’une nombreuse assemblée de marionettes, parce qu’on y est
dans l’habitude de protéger les choses de sentiment,
& celles de goût ; on voit leur mépris pour des approbateurs qui
osent avoir une ame & s’en rapporter à elle pour juger des choses
qui l’enchantent : aussi le monde leur rend-t-il le mépris qu’il leur
inspire, & jamais dette ne fut mieux payée. Pour moi, qui ne pense
pas autrement que ce même monde, j’ose avouer que l’engouement, la
louange excessive, dans le cas même où ils décélent le plus de mauvais
goût, me paroîtront toujours préférables à la critique continuelle :
tout de même que je préfére l’ami de tout le monde, à l’homme dur qui
n’aime rien. On peut croire qu’il y a encore plus de défaut dans une ame
qui ne peut rien goûter, que dans la chose même qui mérite le moins
d’inspirer un certain goût.
Beaucoup de Gens de Lettres, attaqués ici, quoiqu’indirectement, me
reprocheront ma franchise, qu’ils rejet-teront sur
l’humeur ! Je leur répondrai, au risque de tout ce qui pourra m’en
arriver, que j’ai voué ma plume à la vérité, & qu’il n’y a d’humeur
à la dire, qu’autant qu’elle ne peut produire un bien. Ils me
pardonneront peut-être, en cette considération, de montrer plus de
respect pour mon devoir, que d’indulgence pour leur passion. Ils sçavent
d’ailleurs, que je leur ai fait souvent le reproche que je leur fais
ici, & ils ne seront pas surpris, que ce que j’ai osé leur dire,
j’ose l’imprimer. S’ils font quelqu’attention au fondement de ma
critique, ils pourront s’épargner de justes reproches de la part des
femmes ; car rien n’égale leur peu d’attention pour elles lorsqu’ils
sont entr’eux ; & les femmes ne pardonnent pas ces sortes
d’offenses ; ils empêcheront aussi, que le commun des gens du monde, qui
prend naturellement la critique pour la méchanceté, ne les accuse d’être
très-mé-chans, en voyant qu’ils critiquent toujours ;
& tout le corps de Gens de Lettres y gagnera une certaine
considération, qui n’est ni assez générale ni assez établie, parce qu’il
n’y a pas, de la part de tous les membres, une certaine attention à
laisser croire du moins qu’ils sont capables d’indulgence & de
sentiment.
Je me suis écarté de mon sujet, & je m’apperçois qu’il est tems que
j’y revienne. Je voulois parler des sotises que j’ai entendues au Salon,
toutes les fois que j’y suis allé cette année. Leur effet a été de me
faire réfléchir sérieusement a <sic> leur principe ; & c’est
sur ce principe que je vais raisonner. Chaque jour j’entendois répéter
ces rêveries si communes, sur la différence des anciens Peintres &
modernes. Il y avoit là toujours cinquante personnes très convaincues,
que les meilleurs tableaux qu’on ait exposés depuis dix ans, ne valoient
pas les foudres & les tempêtes représentées autrefois
par Appelles, ni les petits tableaux vendus si cher par le
trop fameux Timanthe ; je voyois des esprits en délire,
&, dans l’accès d’une fermentation terrible, capables de dire des
injures à quiconque auroit entrepris de leur persuader, que Vanloo & Greuze ne sont
pas de misérables apprentifs.
Cet entêtement aveugle & grossier, vient certainement d’ignorance
& de défaut de sentiment ; mais il vient aussi d’une prévention
fatale & successive ; fruit malheureux de quelques éloges infidéles,
que dicta autrefois l’enthousiasme, à des hommes sans goût & sans
connoissance ; ces éloges sont restés, on les lit encore ; & comme
on veut qu’il n’y ait de beau que ce qui a été fait il y a trois mille
ans, il est naturel aussi, qu’on ne regarde comme vrai que ce qui a été
écrit il y a vingt siécles. Qu’on ose critiquer ces éloges, & douter
de l’exclusive supériorité des ouvrages qu’ils ont voulu
immortaliser ; on se fera dire d’horribles injures. Autrefois, la Motte osa dire, qu’Homere avoit des
défauts, & Madame Dacier eût étranglé la Motte, si elle l’avoit pu.
J’oserai cependant écarter le voile de la superstition, & le
déchirer, s’il est possible. Les hommes ne seront jamais heureux, que
lorsqu’ils verront clairement la vérité ; & dès-lors, la hardiesse,
pour moi, est un devoir. Mais je ne suis point connoisseur, & il
n’est pas permis d’attaquer les chimeres de l’enthousiasme, sans les
lumieres d’une profonde connoissance. J’emploierai des armes plus
respectables & plus sûres de triompher, que les miennes.
En feuilletant des livres, il y deux ans <sic>, je trouvai un
morceau historique sur la plupart des Peintres anciens ; je sentis que
l’Auteur s’étoit trop livré à son génie admirateur : je confiai ce
ridicule écrit à un Académicien très-célébre, exigeant de son amitié
pour moi, qu’il le lût & le critiquât : il le fit,
& n’y épargnat pas la vérité, quoiqu’avec un certain ménagement pour
nos frondeurs. Je fis usage, dans le tems, de ce morceau, & des
réflexions du judicieux Artiste. Mais en le relisant depuis, je me suis
toujours reproché de l’avoir fait imprimer tel qu’il étoit. Deux grands
défauts sut-tout s’y font sentir. La prolixité & la grossiereté du
style. Je vais réparer mon tort, puisque l’occasion s’en présente
aujourd’hui. Je réduirai à quinze pages, ce qui en occupoit plus de
quarante ; & pour faire voir que je ne cherche point à m’épargner de
la peine, en employant quelquefois des morceaux tout faits, je prendrai
la peine d’écrire moi-même celui-ci. . . . . Je préviens le Lecteur, que
l’ordre chronologique n’est point suivi dans ces éloges, & c’est une
faute que mon correspondant fait sentir dans des remarques générales qui
suivent ses premieres réflexions.
Le fameux Appelles, natif de l’Isle de Cô, florissoit environ l’an du
monde 3650. Il porta le talent jusqu’à la
perfection, en exprimant fidélement ce que le pinceau ne sçauroit
rendre, comme, par exemple, les foudres & les tempêtes On n’apperçoit pas bien pourquoi le
pinceau ne pourroit imiter les foudres, les tempêtes, &c. Il
est vrai qu’il faut une imagination forte, pour se bien
représenter ces instans qu’on ne peut peindre que de mémoire :
mais il est certain que dans nos siécles, où nous n’osons nous
comparer à Appelles, ces choses ne passeroient
pas pour merveilleuses par elles-mêmes, & qu’elles
n’auroient d’estime, qu’autant qu’elles seroient portées au plus
haut degré de perfection. , Pinxit
Appelles, que pingi non possunt ;
tonitrua, fulgetra, gulguraque, &c. Plin. L. 35, C. 10. On
croyoit entendre dans ses tableaux le bruit terrible des tonnerres,
& le choc éclatant des nues, toutes tranchées d’éclairs. On y
jugeoit aussi, facilement, du tems qu’avoit vécu, ou que devoit vivre la
personne qu’il avoit peinte ; & même on y distinguoit les affections & les mouvemens de l’ameIl faudroit, pour que cette éloge eût
quelque justesse, que le Peintre fit plus que la nature n’a
fait, puisqu’on ne peut deviner l’âge des gens que d’une maniere
fort incertaine : mais ce qui est bien meilleur, c’est d’y
trouver de quoi prophétiser combien de tems il leur reste à
vivre. Si ceci est tiré d’un Auteur ancien, la confiance qu’on
doit à son jugement est petite. Qu’Appelles
aït pu faire sentir les habitudes de l’esprit, d’une maniere
générale, par certaines apparences extérieures, cela se conçoit,
& l’on en pourroit trouver des exemples dans nos siécles.
C’est cependant un bel éloge, & qui peut donner quelque idée
des rares talens d’Appelles.
. Pline assure,
qu’Alexandre, épris de son talent, ne voulut
être peint que par lui. L’on dit aussi, qu’il avoit coutume de mettre au
bas de ses tableaux, ce mot Latin, Faciebat, mais
qu’il mit celui-ci, Fecit, au bas de trois de ces
portraits, pour faire entendre, qu’il avoit surmonté, l’art, la
natureCela ne peut s’entendre que
de la nature commune. Lorsqu’elle est dans toute sa beauté, elle
ne peut être égalée. & soi-même.
La premiere de ces trois excellentes piéces, fut le portrait d’Alexandre, tenant en main le foudre de Jupiter. Il étoit si fini, que ce Prince le lui paya,
selon Pline, vingt talens, qui font en notre
monnoye, trois cent soixante mille livres. Le même Prince fit placer ce
portrait pour ornement, dans le Temple de Diane.
La seconde, fut, dit-on, une Vénus endormie, mais représentée
si bien au naturel, qu’en s’approchant pour la voir,
il sembloit qu’on dût craindre de l’éveiller.
La troisiéme, enfin, fut un portrait de la même Vénus, que cet
excellent Artiste représenta sortant de la mer. Cet ouvrage fut regardé
comme le chef-d’œuvre de la Peinture. Ce qui reléve sur-tout son mérite,
c’est qu’il n’étoit qu’ébauché, (la mort ayant surpris son Auteur
lorsqu’il y travailloit) & qu’aucun Peintre n’osa entreprendre de
l’achever.
Il fit encore plusieurs chef-d’œuvres ; entr’autres, le portrait d’un
Athléte, ou Lutteur des Jeux Olympiques, qu’il peignit tout nud, mais
avec tant de délicatesse & d’artifice, qu’on y pouvoit distinguer
jusqu’aux arteres, aux veines, & aux pores même de la peauOn auroit lieu de soupçonner, qu’un
tableau, où l’on trouveroit des détails aussi frivoles, seroit
un assez mauvais ouvrage, s’il n’étoit d’Appelles, dont le nom est consacré. Il vaut
mieux croire, que c’est un ridicule des Auteurs, qui ont cru
bien exprimer le beau fini, par ces exagérations. .
Antiphile, natif d’Egypte, fut aussi très-célébre : il
s’immortalisa par un Enfant dépeint dans l’obscurité, le corps courbé,
& la bouche appliquée sur un petit feu, qu’il sembloit exciter
peu-à-peu par son soufle, de façon que tout le lieu en paroissoit de
fois à autre à demi éclairéDescription faussi. Un tableau ne change point de fois à autre.
C’est l’imagination du Panégyriste qui y voit ce qui n’y est
pas. Ces louanges rendent les Auteurs qui les donnent, suspects
d’être peu versés dans les beautés de l’Art; & les Auteurs à
qui elles sont données, plus célébres qu’ils n’ont mérité de
l’être. C’est un malheur pour ceux qui les trouvent ensuite
accumulées dans des Panégyristes faux. .
Androcidès, se rendit très-recommandable par la
représentation de la fameuse victoire que remporterent les Thébains sur ceux de Platée. On faisoit aussi grand cas
des poissons, qu’il peignoit admirablement, parce qu’il en faisoit sa
nourriture ordinaireAprès l’éloge du
tableau d’une bataille célébrer un Peintre, pour avoir bien
rendu des poissons ! Ce tableau, quelque loin qu’il puisse être
porté, n’a rien de fort extraordinaire, & la raison qu’on
donne du succès qu’il avoit dans cette petite partie de l’Art,
est futile. .
Appollodore, Athénien, se fit connoître dans
la quatre-vingt-treiziéme Olympiade. Pline
lui attribue la gloire d’avoir le mieux imité la nature dans la
représentation des visages, Primus species exprimere
instituit, & d’avoir trouvé l’invention de mêler
agréable-ment les couleurs, & de disposer à propos
le clair & l’obscur, que quelques-uns disent être une des plus
belles parties de l’ArtIl paroît
qu’avant cet Artiste, il y avoit eu des Dessinateurs, mais point
de Peintres, proprement dit. .
Aristides, Thébain, s’est rendu célébre pour
avoir trouvé le secret de peindre avec de la cire, & l’on doit sur
cela lire Pline qui en parle, L. 35,
C.11. Cette sorte de Peinture, dont on peignoit ordinairement
les navires, étoit si solide, & s’imprimoit si fortement, dit cet
Auteur, que ni l’ardeur du soleil, ni la force de l’eau, ni l’humidité
de l’air & des vents, n’étoient capables de l’altérer. C’étoit un
secret admirable, mais qui s’est perdu depuisDepuis quelques tems, M. le Comte de Caylus, M.
Majaut, & M.
Bachelier, ont trouvé des manieres de peindre en
cire, qui ont eu du succès, & dont quelques-unes peuvent
avoir du rapport avec celle des Grecs, qui a été perdue.
.
Cimon, Cléonien, qui vivoit dans la soixante-dixiéme
Olympiade, se rendit illustre pour avoir réussi parfaitement à rendre
les cavités, les plis, les bosses, l’étoffe enfin de la draperie &
des vêtemensCe Peintre est un des
plus anciens nommes dans cet écrit ; aussi la description de ses
talens ne donne l’idee que des commencemens de la Peinture.
.
Dioclès, disciple d’Appelles, a l’honneur d’avoir
inventé le portrait en profil. On dit,
qu’ayant entrepris, avec deux autres disciples du même Maître, le
portrait du Roi Antigonus qui avoit perdu un œil à la
guerre ; l’un le peignit avec son œil crevé ; l’autre le représenta dans
l’âge où il n’avoit pas encore éprouvé cet accident ; & celui-ci,
plus adroit, prit le milieu de l’Art, & le peignit en profil. Aussi
fut-il couronnéCe n’est point une
invention, mais une idee heureuse dans le cas dont il s’agit. Ce
qui empêche de --- les portraits de profil, c’est qu’ils sont
plus agréables --- .
Euphranor, Corinthien, qui vivoit dans la
cent quatriéme Olimpiade, fut également habile, & dans la Peinture,
& dans la Sculpture. Pline dit, qu’il a
excellé, sur-tout, dans la symétrieIl est difficile de comprendre ce que veut dire ici symétrie :
il n’y en a point dans la Peinture. Il paroît qu’on doit
entendre, par cette expression, la justesse des proportions,
& le rapport de formes & de grandeur qui est entre les
membres semblables du corps humain. .
Hygion, ou Hygienon, natif d’Athene, selon Pline, fut le
premier qui remarqua & fit connoître la distinction du sexe entre
l’homme & la femme ; les figures ayant été jusqu’à son temps
dépeintes d’une maniere si imparfaite, pour la plupart, qu’à peine
pouvoit-on dire de quel sexe elles étoientCe Peintre vivoit cent ans avant Appelles:
il paroit bien que c’étoit l’enfance de l’Art. . Il
florissoit dans la soixante-dixiéme Olympiade.
Nicias, natif d’Athenes, & fils de Nicomede, vivoit dans la cent douziéme Olympiade. On
dit, qu’il excella sur-tout dans la maniere de représenter les animaux
& sur-tout les chiens ; & qu’il avoit coutume de travailler en
chantant, ce qui remplissoit ses ouvrages d’une gayeté charmante. De-là vient, que S. Augustin conseilloit, pour bien réussir dans son travail, de
le faire gayement, & de marier, autant qu’il se pouvoit, le son
de la voix avec l’exercice des mains.
Cette réflexion est singuliere,
& le conseil qui la suit, ne l’est pas moins. Il ...
(difficile ?) de l’observer, en peignant une tête d’expression
pathétique.
Panéus, frere de Phydias, & natif de
Corinthe, étoit en vogue dans la quatre-vingt-troisiéme
Olympiade. On dit, qu’il fut le premier qui ouvrit la bouche à ses
figuresEst-ce du fameux
Phidias que Panéus
étoit frere ? Et si la Sculpture étoit déja au point que ce
fameux Sculpture ait été digné de sa réputation, comment se
peut-il que l’Art de la Peinture fût si peu avancé, qu’on ait pu
regarder comme quelque chose, un progrès si éloigné du vrai
mérite de l’Art ?.
Parrhasius, natif, d’Ephese, & fils d’Evenor, commença à se distinguer dans la Peinture vers
l’an 3630. On lui attribue d’avoir le mieux
observé les proportions dans les figures, & donné de la grace aux
cheveux. On le taxe d’avoir été fort cruel, & d’avoir donné
l’exemple de l’horrible inhumanité, imitée depuis par Michel-AngeCette
Histoire de Michel-Ange,
connue de tout le monde, n’est qu’une fable. Il en pourroit être
de même du fait attribué ici à Parrhasius. .
Protogènes, natif de Caune, ville de Carie, Peintre
des plus renommés de l’antiquité, étoit contemporain d’Appelles. Elian & Plutarque, disent qu’il fut sept années à faire le
portrait de Jalyse, Fondateur d’une ville du même nom,
située dans l’isle de RhodesIl est
impossible de concevoir qu’on ait pu employer sept années à
peindre une figure, --- qu’on ait rendu jusqu’aux --- de la
peau, ainsi qu’il est dit ci-devant d’Appelles.
On ne peut s’en former d’autre idée que celle d’un tableau
très-froid, & fini d’une maniere très-mesquine.
.
Appelles l’admirat, malgré la prodigieuse estime qu’il
avoit pour lui-même ; mais il ne voulut jamais le regarder comme son
rival, à cause que ce dernier ne donnoit pas une grace parfaite à ses
portraits, & ne pouvoit, comme lui, interrompre facilement son
travail. Ce n’est point le sens du
mot d’Appelles. Il signifie que Protegene : s’obstinant à un fini extrème, ne
sçavoit point dire, c’est assez.
On sçait la rencontre que ces deux Peintres eurent
ensemble sur ces deux lignes qu’ils tirerent en l’absence l’un de
l’autre, sur une même toile, & sur la délicatesse desquelles
tous deux, alternativement, se confesserent vaincusCette Histoire n’est intelligible,
qu’en supposant que ces traits représentassent assez quelque
chose, comme feroit une tête de profil. Alors on peut
reconnoitre à la --- des ---, la science du
dessein..
Théon, Natif de l’Isle de Samos, Peintre
des plus renommés, étoit en vogue du tems de Philippe de
Macédoine. Elian rapporte, qu’ayant dépeint
un Gendarme à cheval qui sortoit à l’imprévûe de la ville, & qui
s’alloit jetter tout furieux sur l’ennemi, il ne voulut point l’exposer
aux regards des curieux, qu’il n’eût fait sonner auparavant le
bouteselleVoilà bien de la
charlatannerie: si le tableau étoit bon, il n’avoit pas besoin
de ce secours. .
Timante, Peintre illustre ; florissoit vers l’an du
monde 3600. Quintilien &
Pline, lui donnent la louange d’avoir fait
voir dans ses ouvrages beaucoup plus de choses qu’il n’en metroit.
Témoin le Cyclopéde dormant, qu’il représenta sur une piéce de cuivre de
la largeur de l’ongle, étendu de son long, & entourné de Satyres,
qui lui mesuroient le pouce avec une gaule, afin de sçavoir les
dimensions de sa stature gigantesqueC’est un traît de jugement, mais un tableau grand comme
l’ongle, difficilement merite de passer à la postérité.
.
Zeuxis, natif d’Héraclée, fut un des Peintres
les plus célébres de l’antiquité. Il eut la gloire de surpasser, en
quelque maniere, le fameux Parrhasius, en ce qu’il sçut
adroitement le tromper par la representation d’un rideau, quand celui-ci
n’avoit pu tromper que des oiseaux par la peinture de ses raisinsOn répéte par-tout ce traît
Historique, comme une merveille : cependant il est maintenant
connu de tout le monde, combien il est facile de faire illusion
dans de pareilles bagatelles. .
Remarques générales.
Le morceau précédent, curieux en ce qu’il donne ce qu’on recueille
des Historiens sur les anciens Peintres Grecs, est cependant
défectueux par l’ordre alphabétique que l’Auteur y a donné : on ne
peut par le moyen suivre les gradations par lesquelles l’art a pu
parvenir à la perfection. Les Adorateurs de
l’Antiquité y trouveront sans doute l’idée des plus grandes beautés
de la Peinture. Cependant si l’on veut peser la valeur des éloges,
la plupart tombent sur des choses de si peu d’importance, &
souvent si ridicules, qu’il paroîtra évident que ces Ecrivains
n’avoient point, ou très-peu de connoissance dans l’Art dont ils ont
parlé. Ne seroit-il pas pardonnable d’oser croire qu’ils nous ont
transmis sans choix les fables que leur débitoient les Grecs, grand
admirateurs de tout ce qui étoit dans leur pays. Il semble qu’on
lise l’Histoire de Cimabué du Chiotto, & de ces autres mauvais Peintres qui
n’ont fait qu’ouvrir la voye, & que le vrai mérite de leurs
successeurs a fait oublier, si ce n’est aux citoyens de villes où
ils sont nés, qui ont un intérêt de gloire à les vanter.
Cimon fait la découverte de ce qui saute
aux yeux, & sans quoi il n’y a ni peinture, ni
dessein. Il arrive à représenter les cavités & les bosses des
plis des draperies. Hygion parvient à mettre
quelque différence entre les deux sexes. Paneus, frere
du célébre Phidias, ose hazarder d’ouvrir la bouche
à quelques-unes de ses figures. Le fameux Timanthe doit
une partie de sa célébrité à un tableau grand comme l’ongle.
Plusieurs années après, Apollodore
invente le mélange des couleurs pour peindre la chair & le clair
obscur. Qu’étoit donc la peinture auparavant ? Il est vrai que ce
sont les Peintres les plus anciens, & que l’Art pouvoit être
encore dans son enfance ; mais les fameux Zeuxis & Parrhasius, dont les
morceaux les plus célébres sont des raisins & un rideau ! le
grand Appelles même qui peint le visage des
personnes de maniere à faire deviner non-seulement leur âge, mais
même combien ils vivront ! qui se donne la peine de rendre jusqu’aux
pores de la peau ! un [Protogenes#H::Proto-gènes] qui
met sept ans à faire un portrai ! Que conclure ? sinon, ou qu’on
entend mal les Auteurs, ou que ce font de mauvais Juges. Leurs
éloges ridicules ne donnent aucune lumiere sur les talens de ces
Peintres célébres, & n’opposent rien de solide au doute qu’on
pourroit former de la véritable valeur de ces maîtres, relativement
au degré où l’art a été porté dans les derniers siécles.
Ce qui donne le plus de force aux conjectures favorables, pour
justifier le respect que nous portons à ces noms illustres ; c’est
la véritable beauté des Sculptures antiques qui nous sont restées.
Mais il est à remarquer qu’on n’en attribue aucune avec certitude, à
ces noms consacrés avec tant de vénération dans l’Antiquité ; les
Phidias, les Praxiteles, &c. On
en infere ordinairement que leurs ouvrages étoient encore supérieurs
à ceux que nous possédons, mais on en pourroit con-clure tout autre chose ; c’est-à-dire, que les Grecs avoient
consacré les noms des premiers Inventeurs des arts qui étoient
arrivés à quelque dégré de beauté, quoique inférieurs à ceux qui les
ont ensuite perfectionnés. L’art devenu plus commun, son mérite,
quoique peut-être plus grand, a dû moins étonner. On pourroit ne pas
trouver ce doute sans fondement, si l’on vouloit faire attention aux
honneurs divins accordés aux Inventeurs des choses les plus
ordinaires & les plus nécessaires à la vie, comme le labourage,
l’art de préparer le bled, & autres.
Panéus, le frere de Phidias,
c’est-à-dire, du plus grand sculpteur qui ait jamais existé,
plusieurs années avant qu’Apollodore eût
inventé le mélange des teintes & le clair obscur, est vanté pour
avoir le premier osé ouvrir la bouche de ses figures. La Peinture
faisoit des progrès bien lents, en comparaison de la Sculpture, ou
Phidias n’é-toit pas aussi grand
Artiste qu’on le suppose. On se refuse à accorder sa croyance aux
noms de Phidias & de Praxiteles,
inscrits sur les piedestaux des deux grouppes qui sont à Monte Caballo, parce qu’on ne trouve pas ces
ouvrages dignes de l’opinion qu’on a de ces Sculpteurs. Cependant il
est difficile qu’il n’y ait eu aucun fondement à cette assertion.
Sans cela, on eût pû mieux choisir pour placer ces noms illustres.
Concluons que le doute subsiste avec fondement, & que l’autorité
des Auteurs qui nous sont parvenus, est de peu de valeur, vû les
petitesses qu’ils nous vantent avec emphase.