Suspiciones, inimicitiæ, induciæ,
Bellum, pax rursum.
Ter. Eun. Act. i. Sc. i. 14.
En Amour on est necessairement exposé à tous ces maux, à des rebuts, à des soupçons, à des brouilleries ; aujourd’hui trêve, demain guerre, & enfin l’on refait la paix.
, qui, dans ses , enseigne à une Femme la conduite qu’elle doit tenir à l’égard du Mari infidèle, du débauché, du violent, du chagrin, de l’avare ou du niais, n’a pas dit un seul mot du Mari jaloux.
La Jalousie est cette douleur qu’un Homme sent lorsqu’il craint de n’être pas autant aimé qu’il aime la Personne qui fait l’unique objet de ses desirs. Il est même impossible que le Jaloux se guérisse entierement de ses soupçons, parce-
Un Amour plein d’ardeur est toujours un des principaux ingrédiens de cette Passion ; car ce qui nourrit les desirs du Jaloux, & donne à la personne qu’il aime une si grande beauté dans son imagination, lui fait croire qu’elle excite la même Passion dans les autres, & qu’elle paroît aussi aimable à tous ceux qui la voïent. Ce n’est pas tout, la Jalousie est d’une trempe si délicate, que rien ne peut la contenter qu’un Amour aussi vif que le sien. Les assurances les plus fortes & les expressions les plus tendres ne sauroient calmer l’Esprit du Jaloux, s’il n’est persuadé qu’elles sont sinceres, & que la satisfaction est reciproque. Il voudroit s’ériger en une espèce de Divinité à l’égard de la Personne qu’il aime, être l’unique objet de ses yeux & de ses pensées, toujours prêt à se fâcher si elle admire quelque autre chose que lui seul.
La demande qu’un Amant fait à sa Maîtresse, dans lui dit-il, que, pendant tout le tems que vous serez près du Capitaine, vous en soyez toûjours loin ; que vous songiez à moi jour & nuit, que vous m’aimiez ; que vous me desiriez ; que vous m’attendiez avec impatience ; que vous n’ayez de plaisir qu’a penser à celui que vous aurez de me revoir ; que vous soyez toute avec moi ; enfin que votre cœur soit tout à moi, puisque le mien est tout à vous. »
L’Esprit jaloux est d’une si maligne influence, qu’il corrompt tout ce qu’il voit ou qu’il entend, & se nourrit de son propre venin. Une Reception froide le met à la torture, & il l’attribue à la Haine ou à l’Indifférence ; l’Empressement lui paroît suspect, & il approche trop de la Dissimulation & de l’Artifice. Si la Personne qu’il aime est de bonne humeur, il en conclut qu’elle pense à tout autre qu’à lui ; & si elle est triste, il s’imagine en être seul la cause. En un mot, l’Expression la plus innocente, ou le Geste le moins criminel, lui fournit de nouvelles vûës, redouble ses
Mais, pour comble de malheur, l’Esprit jaloux tend, par une suite naturelle, à perdre cette même affection, dont il voudrait jouïr tout seul, parceque d’un côté il fait trop de violence aux paroles & aux actions de la Personne soupçonnée, & que de l’autre il témoigne en avoir mauvaise opinion ; double démarche, qui ne peut que lui attirer sa haine.
Cependant ce n’est pas le triste effet de la jalousie, puisqu’elle a des conséquences bien plus terribles & qu’elle rend la Personne soupçonnée coupable de ces mêmes crimes, dont l’ombre seule épouvante le jaloux. Il est fort naturel à ceux qui sont maltraitez & qu’on censure à faux, de trouver quelque Ami fidelle, qui écoutera leurs plaintes, prendra part à leurs souffrances, & tâchera d’adoucir ou de calmer les chagrins qui les rongent. D’un autre côté la Jalousie inspire souvent un mauvais dessein, qui peut-être ne seroit jamais venu dans l’Esprit d’une Femme, & remplit si bien son Imagination de cette malheureuse idée, qu’elle s’y familiarise avec , eut tout cela devant les yeux, lorsqu’il donnoit ce conseil aux Maris : ix.i.Ne soiez pas jaloux de la Femme qui est dans votre sein, & ne lui donnez aucune mauvaise leçon qui tourne à votre préjudice.
On remarque aussi d’ordinaire qu’il n’y a point de douleur qui approche de celle des Maris jaloux, qui viennent à perdre leurs Femmes. C’est alors que leur Amour éclate dans toute sa force, & qu’il dissipe tous les soupçons qui avoient paru l’obscurcir ou même l’éteindre. Ils ne pensent plus qu’aux bonnes qualitez de la Personne qui leur est enlevée, & ils se reprochent d’en avoir mal usé à son égard, pendant qu’ils extenuent & qu’ils bannissent de leur souvenir tous ces petits défauts, qui leur avoient causé tant d’inquiétude.
Il est aisé de voir par tout ce que je viens de dire, que cette Passion jette de plus profondes racines dans les Hommes d’une complexion amoureuse, & nous
Les Esprits défians, pleins de précautions & rusez, font la seconde Classe des Jaloux. On reproche avec raison aux Historiens, grands Politiques, de ne donner jamais rien au hasard ni au caprice ; mais d’attribuer la moindre démarche à des mesures bien concertées ; de faire toûjours dépendre les évenemens de certaines causes, & d’établir une exacte correspondance entre les progrès de l’Armée & les ordres du Cabinet. Les Hommes, qui ont l’Esprit trop subtil & qui veulent un peu trop rafiner, en usent de même en Amour. Ils expliquent
Enfin, si ces beaux Esprits s’imaginent de connoître les Femmes par la reflexion ; les Débauchez & les Vicieux prétendent savoir ce qu’elles tiennent par l’experience, & ceux-ci font la troisiéme Classe des Jaloux. Ils ont vû tant de pauvres Maris être les Dupes de leurs Femmes, & si bien desorientez au milieu des labyrinthes d’une Intrigue amoureuse, qu’ils craignent toûjours quelque souterrain dans toutes les allures du Sexe. Si un Débauché trouve sur-tout que la conduite de sa Femme a quelque rapport éloigné avec celle d’une autre qui ne vaut pas grand’ chose, il ne manque jamais de leur attribuer les mêmes principes & les mêmes vûes : C’est aussi pour cela qu’il l’observe de près, qu’il la fuit dans tous ses faux-fuïans, & qu’il connoît trop bien le Gibier pour se laisser donner le change. Accoutumé d’ailleurs à
Quoi qu’il en soit, les Histoires modernes de l’Amerique, & notre experience, dans cette partie du Monde, nous apprennent que la Jalousie n’est pas un Vice du Nord, & qu’elle regne avec plus de fureur au milieu de ces Nations qui se trouvent les plus sujettes aux influences du Soleil. C’est un malheur pour une Femme d’avoir pris naissance entre les Tropiques, sous les plus ardens Climats de la Jalousie, qui se refroidit peu à peu à mesure que vous avancez vers le Nord, jusqu’à ce qu’elle soit presque éteinte sous le Cercle Polaire. Nous sommes à cet égard dans un Climat assez temperé ; mais s’il y en a quelques-uns d’entre nous agitez de cette Passion violente, on peut dire qu’ils ne sont pas de notre crû, ou que du moins leur temperament est beaucoup plus près du Soleil que notre Climat.
Après avoir donné cette description effraïante de la Jalousie, & de ceux qu’elle possede, il est juste de faire voir par quels moïens on peut l’adoucir, & ramener les
L.