Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXXI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.2\031 (1716), S. 182-189, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1555 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XXXI. Discours

Zitat/Motto► Non est vivere sed valere Vita.

Mart.L. vi. Epig. 70.

La Vie ne consiste proprement qu’à jouir de la santé. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Il y a de certaines Gens qui sont fort déraisonnables sur ce qu’ils attendent de leurs Amis. Ils se plaignent toujours de quelque indisposition, ou de quelque sujet qui les chagrine ; & bien loin que ce soit un motif qui les engage à se retirer chez eux, c’est une des raisons qu’ils alleguent pour se trouver en compagnie. Un Malade ne doit entretenir de ses infirmitez que son Médecin : A quoi lui sert-il d’en rompre la tête aux autres ? S’il veut en faire le [183] détail à une troupe d’Amis disposez à s’égaïer un peu, il ne doit pas trouver mauvais qu’on ordonne à un Valet de lui présenter un Bouillon, ou un Vomitif, pour l’avertir qu’il seroit mieux de retourner à son Logis, & de se mettre au Lit. Ce qu’on appelle agrément de la Conversation, entre de bons Amis, nous devroit obliger d’y apporter notre Ecot de Bienveillance ou de bonne Humeur, au lieu de les fatiguer du recit de nos maux, & de les engager, bon gré mal-gré qu’ils en aïent, à y paroître sensibles. Pourquoi les embarasser de nos Chagrins, de nos Afflictions, de nos Maladies, de nos Inquiétudes & de nos Dégoûts ? Dans cette révolution de mouvement & de repos, qu’on nomme Vie, il y en a si peu où l’on goûte quelque douceur, que si l’on y pensoit bien, nous aurions plus de tendresse pour nos Amis, & nous éviterions de les charger d’un fardeau qui ne les regarde pas. La Vie ne consiste que dans la joie, ainsi les Valétudinaires ne devroient jamais entrer en compagnie, qu’après avoir prêté ferment qu’ils ne parleroient point d’eux-mêmes jusqu’à ce que tout le monde fût en état de se retirer. Ce n’est pas que, pour rendre la conversation agréable, il nous faille toujours être couronnez de fleurs & de roses ; mais si, malgré le desir qu’on a d’être de bonne humeur, il arrive souvent le contraire ; quelle apparence y a-t’il qu’on le soit, lorsqu’on y admet des Personnes, qui se plaignent toujours de leur [184] Mélancholie ? Nous devrions sur-tout conserver la gaïeté de nos Esprits, & ne souffrir jamais qu’ils n’eussent du moins quelque penchant à la joie : Pour arriver a ce but, il faut tenir le Corps en exercice, & se tranquiliser l’Esprit. On ne doit pas donner le nom de Vie à un état d’indolence, où l’un & l’autre est sans vigueur. Lorsque nous sommes occupez à quelque plaisir innocent, ou à la poursuite de quelque louable dessein, c’est alors que nous jouïssons de la Vie en Créatures raisonnables. Nous avons assez à craindre des revers de la Fortune, & la Nature est assez accompagnée d’infirmitez, sans que nous ajoûtions à ce gros Calcul notre mauvaise Humeur, ou le mal de Rate. Ebene 3► Fremdportrait► Le pauvre Cottile, au milieu de tous ses maux réels, d’une Maladie chronique, & d’une Fortune au dessous de la médiocre, ne se plaint jamais : A l’abri de l’Orgueil & de l’Ambition, & borné aux seuls besoins de la Nature, il jouït d’une égalité d’Ame, que rien ne sauroit ébranler, & que tout Homme peut aquerir, s’il veut, à son exemple, renoncer à toutes les Passions tumultueuses de la chair & du sang. Ne se mettre en peine que de ce que la Nature demande, si ce n’est pas le moïen de s’enrichir, c’est arriver au but où les Hommes tendent par l’aquisition des richesses. Il n’y a que cette Moderation qui entretienne la santé du Corps, & le calme de l’Esprit. Cottile voit tout le tracas où l’on s’engage dans cette vie, avec le mê-[185]me dédain qu’un Homme sobre marque à la vûe d’un Yvrogne « Si un tel, dit il, se fût contenté de ce qui pouvoit lui suffire il n’auroit pas essuïé un pareil revers. Si tel autre n’avoit estimé sa Maîtresse que par les endroits qui dévoient la lui rendre aimable, il ne seroit pas tombé en son pouvoir : S’il avoit préféré la Vertu à ses charmes, son humeur inconstante & volage auroit produit sa guérison ; il ne l’auroit jamais trouvée infidèle & aimable en même tems. » ◀Fremdportrait ◀Ebene 3

Puisqu’on ne sçauroit jouïr d’une santé à toute épreuve, travaillons du moins à nous aquerir une certaine Humeur, qui nous puisse être de quelque secours dans la maladie. Ebene 3► Exemplum► Celestin est arrivé à une si grande Egalité d’Ame, & il a conçu tant de mépris pour tout ce qui enchante la plûpart des Hommes, qu’il n’y a que de vives douleurs qui lui puissent causer quelque trouble, & il a même le secret d’en obtenir un prompt soulagement, comme il le dit quelquefois à ses Amis intimes. Il est si-bien persuadé de la réalité d’une autre Vie, & il travaille de si bonne foi à s’en rendre digne, que la Douleur lui paroît un veritable Aiguillon qui l’excite à redoubler le pas vers sa Demeure celeste, où il sera infiniment mieux à tous égards, que dans cette Loge de terre. Au lieu de s’occuper des tristes idées que les autres se forment, il oublie même qu’il est mortel ; il compte que sa Naissance l’a fait passer [186] tout d’un coup à l’Eternité, & que l’article de la Mort n’est pas une interruption de la Vie, puisque ce moment n’est pas la moitié si long que le sommeil d’une seule nuit. C’est ainsi que sa Vie est une suite continuelle & uniforme de plaisirs innocens & de soins moderez, sans aucun mêlange de crainte ou d’esperance sur ce qui peut lui arriver dans ce Monde. Il fait plus de cas de la Santé qu’un autre du Plaisir, & une grosse Maladie le touche moins qu’une legere indisposition n’afflige les autres. ◀Exemplum ◀Ebene 3

J’avoue que, si l’on ne regarde pas la vie de cet œil, il n’y a que les Idiots qui la puissent endurer avec quelque patience. Ebene 3► Exemplum► Observez une belle Femme d’une constitution délicate, & depuis le moment qu’elle est hors du Lit, vous lui verrez marquer un certain ennui pour tout ce qui l’environne. J’en connois plusieurs qui se croïent de beaucoup trop délicates pour être tout à fait en vie. Elles tombent malades à la vûe de certaines personnes affreuses qu’elles trouvent sur leurs pas ; l’un a si mauvaise mine, & l’autre est si desagréable, que c’est un suplice pour elles de respirer le même air avec eux. Cela est si vrai qu’une grande partie du Cérémoniel & de la bonne Education entre les Dames roule sur le mauvais état de leur santé ; & je gagerois bien, que si les Domestiques, emploïez à s’informer comment les Amis de nos femmes se portent, dressoient toutes [187] les semaines une Liste des Malades, comme les Clercs des Paroisses font leurs Billets mortuaires, vous trouveriez que, dans l’espace de huit jours, il n’y en a pas une en trente qui ne soit malade au Lit, ou indisposee, ou un peu mieux qu’elle n’étoit, & ainsi du reste. ◀Exemplum ◀Ebene 3

Il est certain que, pour jouïr de la Vie & de la Santé, on ne doit pas s’imaginer que le Plaisir est absolument nécessaire, mais acquerir, s’il est possible, une Egalité d’ame. Il n’y a pas moins de bassesse à se trop réjouïr de la bonne Fortune, qu’à se trop affliger de la mauvaise. Les éclats de rire, dans un certain état, sont aussi peu conformes à la Nature Humaine que les pleurs dans un autre. Nous ne devrions pas esperer de sentir des transports en toute occasion ; mais nous devrions savoir profiter de la Vie lorsqu’elle est sans douleur. L’Ambition, l’Envie, les Desirs immoderez & la Joie excessive ne peuvent que s’emparer de nos Esprits, si nous n’avons cette Retenue & cette Sobrieté de cœur qui surpasse tous les Plaisirs, & qu’on peut sentir beaucoup mieux que d’écrire : Mais pour bien jouïr de cette Vie, le plus sûr est de n’en avoir pas trop bonne opinion, & d’avoir toûjours les yeux attachez sur celle qui est à venir. 1 Un de nos célèbres Auteurs modernes a mis cette Verité dans un beau jour, lorsque touché d’une compassion digne d’un Philosophe pour tous les em-[188]barras de la Vie Humaine, en a parlé en ces termes dans sa Théorie de la Terre

Zitat/Motto► 2 « En effet, dit-il, à quoi se réduit cette Vie qu’à un Cercle continuel de petites actions animales ? Nous nous couchons & nous nous levons, nous nous habillons & deshabillons, nous mangeons & la faim nous reprend, nous travaillons ou nous jouons, nous nous lassons & nous nous remettons au Lit, & alors le Cercle revient tout de nouveau. Nous emploïons le jour à des bagatelles, & lorsque la nuit vient, nous nous jettons entre les bras du Sommeil, qui est accompagné de rêves, de pensees interrompues & d’imaginations extravagantes. Notre Raison s’endort avec nous, & durant cet intervalle, nous sommes d’aussi franches Bêtes brutes que celles qui couchent dans les Etables, ou à la Campagne. L’Homme n’est-il pas capable de quelque chose de plus relevé ? Son Ambition & ses Esperances ne devroient elles pas monter plus haut ? Pensons à un autre Monde : C’est du moins une belle & noble Avanture : & il n’y a rien dans celui-ci qui soit digne de nous occuper. Si l’évenement ne répondoit pas à notre attente, nous ne serions pas [189] plus mal que les autres ; mais si nous avons rencontré juste, nous sommes heureux pour toute l’éternité. » ◀Zitat/Motto

T. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Th. Burnet.

2Ce Passage se trouve p. 241. de l’Edition Latine in 4. faite à Amsterdam en 1699, à quelque petite différence près, qui vient sans doute de l’Edition Angloise, que notre Auteur a suivie.