Du Samedi 4. au
Mardi 7. Juin 1709.
Mon entreprise est pourtant fort hardie. Quelque chimerique que soit le fantôme que je combats, cʼest lʼIdole de tous les gens de cœur, & ces gens-là, qui sont en grand nombre, sʼoffenseront de ce que je vas <sic> dire. Je mʼattirerai peut-être des affaires dont un Champion du commun ne sortiroit pas à sa gloire, & où les Heros de Roman, tout invulnerables quʼils sont, ne seroient pas peu embarrassés. Cela ne mʼétonne point. Les reflexions me rassurent. Je connois les Hommes, & je sai très-bien quʼil nʼy en a pas un seul qui ne se batte involontairement. Je leur ferais donc plaisir, si je pouvois abolir une Coûtume, quʼils souhaiteroient eux-mêmes qui fût bannie du monde, quoi que ceux qui ont le plus de courage nʼen aient pas assez pour y résister.
Commençons par lʼexplication dʼun mot dont lʼobscurité pourroit
rendre inintelligible tout ce que nous dirions; Il nʼest pas même
facile dʼen donner une juste idée ; cʼest le terme de Satisfaction. Un bon Campagnard, ayant eu le
malheur de se rencontrer dans la compagnie de trois de nos Braves
modernes, où il fut de lui donner satisfaction. Voilà qui est
plaisant, sʼécria notre Homme ; hier au
soir on me dit mille sottises pour mʼéchauffer la bile, & ce
matin on sʼimagine de mʼappaiser en me proposant de me percer la
bedaine. Cʼest ainsi que le monde est fait à présent. Ce
qui constitue un Homme dʼhonneur nʼest pas sa vertu pour éviter des
fautes, mais son audace à soûtenir celles quʼil a faites. Ne
voyons-nous pas souvent des Filoux de profession qui bravent des
gens de la premiére qualité quʼils ont duppés, quoiquʼau fond ces
Piliers dʼAcademie ne different des Voleurs de grand chemin que par
leur maniere de voler le monde. La patience nʼéchappe-t-elle pas
lors que lʼon voit ainsi parmi nous tous les rangs confondus, quʼun
Gentilhomme de la plus haute naissance perd la vie par une main plus
infame que celle du Bourreau, & que cet indigne Assassin demeure
impuni ?
Jʼexaminerai dans la suite, comment on se comportoit autrefois dans
les occasions que lʼon décide à présent à la pointe de lʼépée. On
verra par lʼexamen de ce qui sʼest pratiqué là-dessus parmi les
Nations Ressentiment,
nʼest quʼune Imposture, tissue de Poltronerie, de Mensonge, & de
Foiblesse dʼesprit. Ceci ne paroîtroit point douteux si nous avions
une bonne Histoire des Quérelles. Quʼun Ouvrage de cette nature
seroit utile au public ! A ce défaut, je prie tout le monde de me
fournir des Memoires, afin que je puisse embellir ma Dissertation
des particularités que lʼon mʼen apprendra. Pour moi, je puis
assurer toutes les Quérelles, qui sont venues à ma connoissance, ont
été faites par des Ferragus sans cervelle qui
ne veulent jamais avoir tort, qui se déclarent les Chevaliers errans
de toutes les impertinences que la Coûtume autorise, & qui se
croiroient deshonorés en avouant avec sincerité quʼils ont fait une
faute.
Soit dit à leur honneur & gloire ; ce sont ces Messieurs-là qui
ont fait passer en mode lʼart de donner satisfaction à un Homme en
lui coupant la gorge, ou du moins le menaçant de lui couper. Si lʼon
vouloit parler naturellement, on sʼexprimeroit de tout autre
maniere, &
Hier au soir vous en usates si mal avec
moi, que je vous écris ce matin pour vous dire, que vous êtes un
sot, & que je vous rencontrerai en tel endroit à telle
heure. Mais parce que vous nʼavez ni politesse ni humanité, je
vous prie de venir bien monté, & muni de bons Pistolets,
afin de me casser la tête, si vous le pouvez, & tout cela
pour vous apprendre à vivre. Si vous manquez à mʼaccorder cette
grâce, je ne manquerai point à publier par-tout que vous êtes un
Faquin. Cʼest à-dire, Monsieur, que je ne vous pardonnerai
jamais lʼaffront que vous mʼavez fait, si vous ne mʼen faites
pas de nouveaux. Je vous conjure, Monsieur, de vous tenir prêt,
& vous obligerez infiniment, &c.
De tous les devoirs de lʼAmitié, le plus incommode, à
mon-avis, est celui de donner des Conseils. Lorsque je ne puis mʼen
Je ne lʼapprouve point, lui dis-je sechement,
& jʼai pour cela de bonnes raisons que je
ne puis vous communiquer. Comment, me repondit-il, dʼun air
embarassé, des raisons que vous ne pouvez me
dire ? Je veux absolument les savoir. Mʼapercevant à cette
émotion que son parti étoit pris, je me tirai dʼaffaire, en lui
repliquant, que la personne dont il me parloit,
pour lui, étoit une Dame à laquelle je songeois pour moi-même.
Hé bien, mon cher, me dit-il alors, je
suis fâché de vous le dire ; vous y pensez trop tard ; car il y
a déja deux mois que je lʼai épousée.
Une experience que jʼen fis, il y a long tems, mʼapprit à me tenir
toujours ainsi sur mes gardes. Un Pere me vint consulter au sujet de
son Fils, qui faisoit, disoit-il, une dépense effroyable à lʼAcademie, & qui
prenoit le train de le mettre à la beface. Votre mal, lui
dis-je, cʼest pas sans reméde. Attrapez ce petit Fripon ; ne
faites pas honneur aux Lettres quʼil tire sur
vous ; plus vous en aquiterez, & plus il vous
en tombera sur le corps. Je nʼeus pour toute réponse quʼun
coup dʼœil plein de colére, & quelques jours après lʼEcolier
ayant envoié des Vers, quʼil avoit composés, on me dit que ce Garçon
promettoit beaucoup, & quʼil seroit dommage quʼun si beau Génie
ne fût pas encouragé. Depuis ce tems-là ni le Pere ni le Fils ne
peuvent plus me soufrir.
Les gens de ce Caractére vous demandent des conseils, non quʼils en veuillent, mais afin de se décharger le cœur par cette confidence. Quoiquʼils vous proposent leur affaire comme douteuse, rien nʼest plus facile que de découvrir où ils penchent, & si vous voulez leur plaire, vous nʼavez quʼà donner dans leur sentiment. En cela vous les obligez doublement, vous aplaudissez à leur prudence, & vous secondez leur inclination.
Il y a pourtant des occasions où je ne puis me permettre cette petite
malice. Hier jʼeus pitié dʼun Pére qui vint me demander où je lui
conseillois de placer son Fils, en me nommant deux Marchands, entre
lesquels il étoit en balance. Je ne crus pas quʼil fallut badiner
sur un choix dont pouvoir dépendre, non seulement
En entrant chez
Après avoir dîné chez lui, nous allames rendre visite à lʼautre
Marchand qui sʼappelle est un bon homme, & fort riche. Tout le monde
ne peut pas faire la figure quʼil fait, & pour moi je suis
la Maxime quʼil faut sʼétendre selon son lit. La Maxime est
excellente, lui repliquai-je, & vous
faites bien de vous y tenir. Chacun doit connoitre ses forces,
& cʼest sagesse en vous de faire moins de dépenses, puisque
vous nʼen avez pas les moyens. Jugez du plaisir que lui fit
mon compliment. Il en pâlit ; ces riches Taquins ne se plaignent
jamais que par orgueil, & ne se disent pauvres que pour avoir le
plaisir de
Sortis de chez lui nous primes le chemin de la Bourse en faisant
entre nous quelques reflexions sur ces differens Caractéres. Mon Ami
me parut charmé de celui dʼOn
peut être assuré, disoit-il, cet homme-là ne fera pas
banqueroute. Je ne pus conserver le sens froid à lʼentendre
parler de la sorte, & lui peignis de mon mieux les traits
opposez de ces deux Personnages. Aprenez, lui
dis-je, à connoitre les gens. Paul enrichit le Public en sʼenrichissant lui-même.
Lʼopulence dʼ est
une Calamité générale. Le premier fait du Négoce une Profession
dʼHonneur ; le second en fait un Art méchanique. Lorsque lʼun
gagne, il est mille autres personnes qui ont part au profit.
Lors que lʼ autre accumule, cʼest aux dépens de tous ceux avec
qui il fait des affaires. En un mot, celui-là est un bon
Bourgeois, &celui-ci est un Courtaud de boutique. Ma
peinture porta coup, & le jeune Homme doit être placé chez