Du Samedi 28. au
Mardi 31. Mai 1709.
En arrivant ici ce soir, où je n’étois
venu que pour examiner les Modes, qu’y ai-je trouvé d’abord que mon
vieux Ami Messieurs, leur dit-il, j’en parle par expérience. Il n’est rien de tel, pour gagner le
cœur des Dames, que de savoir jouer de la prunelle. Ce secret-là
n’est pas donné à tout le monde, & n’y réussit pas qui veut.
Vous trouverez par centaines & par milliers des gens qui
brillent dans le tête-à-tête ; qui se battent en braves contre
des Rivaux ; ou qui se mettent à une maniere charmante : Mais à
peine en verrez-vous sur ce grand nombre un seul qui entende à
lorgner les Belles. Les uns perdent le moment
favorable de rencontrer les yeux de leur
Maitresse, & les autres les cherchent à contretems. Vous
connoissez tous ce Petit Maître qui fait le passionné pour
Pendant les Intermedes,
il se met sur le théatre pur la voir en face : Mais que
fait-elle ? Pour éviter les yeux de ce Fat, elle promena les
siens comme au hasard de tous les côtés, les laisse ainsi tomber
sur son fidèle Amant qui les attendoit au passage, & qui lui
demande alors respectueusement la grace d’un autre coup d’œil,
par les transports où le met cette premiere faveur.
Ici les Auditeurs s’imaginant que Ce langage des yeux demande un grand
assujettissement, à la vérité, mais lors qu’une Dame y répond,
on n’a pas sujet de s’en plaindre. Après en avoir reçu quatre ou
cinq regards favorables, on se retire chez soi le plus content
du monde, & tout rempli qu’on est d’agréables idées,
l’Imagination, qui fait son devoir, étend les plaisirs &ne
les laisse point imparfaits. Elle présente à l’Amant toutes les
beautés qui sont dans la Nature, & les beautés même qui ne
se trouvent que chez les Peintres, ou dans les Romans. Il ne
voit que de riantes
Perspectives, que la verdure des Prez, que la
Solitude des Forêts, que la fraîcheur des Bocages, que le
crystal des Ruisseaux, & tout cela prend pour lui des
charmes tout extraordinaires. Il le voit des yeux d’un Amant
heureux au lieu qu’autrefois il ne le voyoit que des yeux d’un
homme indifferent, ou d’un Amant infortuné. Vous riez,
Messieurs. Pauvres gens que vous êtes ! Vous n’avez jamais aimé.
Si vous connoissiez le pouvoir de l’Amour, vous sentiriez ce que
je dis. Mais que dis-je ? Pour le sentir que faut-il de plus que
connoitre le cœur humain ? La differente situation de votre
Esprit ne fait-elle point de difference dans les Objets ? Les
Passions du dedans ne modifient-elles- pas les impressions du
dehors ? Selon que nous sommes dans la joie ou dans la
tristesse, ce qui frappe nos oreilles & nos yeux, ne nous
fait-il pas du plaisir ou du chagrin ? Quelles ravissantes
douceurs l’Amour ne doit-il donc pas répandre sur tout ce qui
s’offre aux regards on aux reflexions d’un Amant aimé ; l’Amour,
dis-je, de toutes les Passions la plus douce, la plus gaie, la
plus hardie ?
C’est ainsi que le pauvre
« La Ville commence à se vuider, & je n’aurois presque pas dequoi
remplir ma Lettre, si je n’y parlais de moi-même. Dans les jours où
je vois le plus de monde, je ne saurois vous exprimer mon chagrin de
ne pouvoir me recueillir le soir dans votre compagnie. Je ne goûte
qu’avec vous ce plaisir de l’Amitié qui consiste à nous dire
librement ce que nous pensons
Le plus grande affaire qui m’ait amené ce soir dans ce lieu, est le
dessein de parler à mes Amis en faveur d’un honnête-homme, nommé
Par des raisons de prudence je ne
ferai point de Notes sur cet Article qui en auroit bon
besoin. L'Auteur y marque finement dans le Théatre Anglois
des défauts qu'il n'appartient pas à un Etranger d’y voir,
ou de releve.Mais à propos de Théatre &
d’Acteurs, je viens d’apprendre que plusieurs personnes de
distinction se cottisent pour faire travailler à de nouvelles
Comédies. Je ne doute point que ce projet ne produise des effets
utiles & agréables. Comme chacun a son penchant, à suivre mon
tempérament mélancholique, je souhaiterois aussi que l’on songeât à
nous faire donner de nouvelles Tragédies. Si l’on vouloit m’y
employer, j’ai déja sur mes Tablettes & dans mes Recueils de
quoi en composer une des plus tragiques, qui pourroit être prête
pour le cinquiéme du Mois prochain. J’ai représenté en six Vers un
Général mourant d’Amour, qui dit adieu à sa Maîtresse en tenant à la
main son Bâton de
J’ai reçu ce matin une Lettre, où l’on