Description du
Matin.
Les Coches à présent clair-semés dans la rue,
De l’Aurore naissante annoncent la venue ;
Alix, qui veut passer pour Servante de
bien,
Sort du lit de son Maître, & va fouler le
sien.
Les souliers en pantoufle, & les bas en
andouille,
L’Apprenti vient d’ouvrir sa boutique qu’il
mouille.
Jeanne, avec son faubert, &
retroussant ses bras,
De la maison nettoie & le haut &
le bas.
Avec un vieux balai, Georget, pour
l’eau puante,
Dans les ruisseaux bourbeux facilite une
pente.
Déja du Charbonnier la voix, en faux bourdon,
Le cede
au Ramonteur, qui éleve d’un ton.
Déja de Créanciers l’importune
cohorte
De ce Seigneur dormant vient assieger la porte.
Le Geolier fripon fait rentrer dans leur nid
Les
Voleurs qu’il avoit lâchés pendant la nuit.
Le Sergent affamé,
pour attraper sa proie,
Se poste en un détour, de peur qu’on ne
le voie ;
Et l’Enfant, à l’Ecole allant avec chagrin,
Pour
abreger le temps, prend le plus long chemin.
Tout ce que j’apprehende en publiant ces Vers, est que mon petit
Cousin ne s’en fâche ; non, qu’il doive rougir de les avoir faits ;
mais parce qu’il peut craindre les Copistes, cette engeance funeste
à tous les bons Ouvrages. Pour l’en garantir, je défens à qui que ce
soit, de rien faire sur ce modelle, à peine de ne rien faire qui
vaille. Qu’on n’aille pas nous donner, par exemple, des Descriptions
du Soir, où l’on diroit que c’est à cette heure-là que l’on crie les
pois gris tout chauds, & que les Nymphes commodes vont faire
leur ronde au Parc de St. James ; ou bien,
des Descriptions du Midi, dans lesquelles on s’aviseroit de marquer
que c’est alors que les Belles, & les petits Maîtres, qui logent
près de la Cour, sortent du lit en baaillant, & se montrent aux
fénêtres dans la même posture. J’avertis tout le monde qu’il est
dangereux d’imiter mon Parent, que quiconque aura
l’audace de l’entrerprendre, s’expose au danger de faire une Pièce
de fort mauvais goût. Son Art est un secret de famille, qui sait
tout notre Capital, & nous ne permettons point que personne
vienne chasser sur nos terres. LeAnderson étoit un Ecossois,
Médecin des deux Rois Charles I. &
II. Ses Héritiers vendent encore
des Pillules qui portent son nom, & qui sont fort
connues.
Dr. Anderson, & ses héritiers ont les Pillules
purgatives ; le ChevalierGuill Read, étoit un Oculiste qui
ne savoit ni lire ni écrire, & qui cependant a fait de
belles cures. Il est mort il y a 6 ou 7. ans.
Guillaume Read guerit les maux d’yeux,
& Roselli est mort depuis quelques années à
la
Haye. On le connoit assez par le Roman de sa
Vie composé par lui-même. Au temps que Mr. Steele écrivoit ceci, cet homme
vint en Angleterre, & se vanta d’avoir des
specifiques contre la Goute ; mais ses Experiences ne lui
réussirent pas.
Roselli n’a de specifiques que pour la Goûte. Nous
leur abandonnons ce qui leur appartient de droit & de raison.
Mais quand il s’agit de décider du bel assortiment des choses, &
des personnes ; quand il faut dire à un homme, seduit par son amour
propre, qu’il n’est pas ce qu’il croit être ; quand il faut
distinguer le vrai mé-rite de celui qui est faux, ou
qui n’est qu’apparent ; je le repete, c’est un privilege qui
appartient en propre à notre Famille, & qui y est entré par le
mariage de l’un de nos Ancêtres avec une fille deScoggin étoit un Bouffon fameux sous le
regne de Jacques I.
Scoggin fameux Baladin du dernier Siécle. Que l’on
ne me dispute pas ce droit, & je laisse aux autres tous leurs
secrets & tous leurs spécifiques.
Je ne veux pas dire pourtant que je renonce aux priviléges naturels
qui m’appartiennent en qualité d’Anglois. Je
prétens aussi en faireC’étoit un
Acte de Parlement pour naturaliser sans fraix tous les
Protestans Etrangers. La revocation de cet Acte fut un des
premiers soins du Ministere du Comte d’Oxford. une Loi pour
naturaliser les Etrangers, je me crois fondé, en justice, à adopter
les pensées Françoises qui me paraîtront dignes d’entrer dans mes
Ouvrages. Mr.de la Bruyere
est, entre autres, un Auteur dont je me servirai au besoin. Le
dernier Caractere que j’y ai lû, est celui de Timon.J’ai
cherché ce passage dans les Caracteres
de Mr. De la
Bruyere, sans l’y pouvoir trouver. Mr.
Steele lui
a prêté ces paroles pour mieux cacher la censure indirecte
qu’il adressoit apparemment à quelques Gentilshommes
Anglois. Bien des gens soupçonnerent qu’il désignoit le
Duc d’Ormond,
dont tous les Domestiques se sont enrichis à ses
dépens.
« Timon, dit-il, est le plus généreux de tous les hommes. Mais il se
presse trop à répandre ses faveurs. Ne consultant que son
inclination liberale, il fait du bien à tout le monde sans choix
& sans prudence. Disons mieux, il fait du bien à tout le monde,
sans que personne lui en ait obligation. Mille gens indignes de ses
bontez, ne démêlant point le principe qui le fait agir, prennent de
lui comme une dépouille, ce qu’ils devroient en recevoir comme une
grace. L’autre jour en allant à Paris, je rencontrai
Timon qui en sortoit à cheval, & n’ayant qu’un
seul Valet pour tout équipage. Je fus touché de voir un si petit
train à un homme si digne d’une grande fortune, & qui l’avoit
toujours porté fort beau. Je passai par hazard devant sa Maison. J’y
vis son Carosse de cérémonie, qui étoit à la porte, brisé en piéces.
Par une espece d’enchantement les morceaux s’en convertirent en
plusieurs autres Voitures. La premiére étoit le
Sécretaire. La seconde étoit un peu plus pesante, & dans
celle-ci étoit l’Intendant. Du corps et des rouës du Carosse
sortirent des Chaises roulantes qui emporterent les Nourrices, &
le reste des bas Domestiques. Ce qui surprend le plus dans ce
dérangement des affaires de Timon, c’est qu’il a beaucoup
plus de sens que les gens qui le trompent, & que l’on ne sait ce
qu’il faut admirer le plus, ou la négligence du Maître, ou l’audace
des Serviteurs. »
Du Caffé de White le 29. Avril
Le changement inopiné qui
vient de se faire dans la conduite de Pastorelle, confond tous les Galans, & tous les
Lorgneurs de la Ville. Ils en cherchent tous la raison, &
personne ne peut la deviner. Cette Belle ne pouvoit tenir en place
jusqu’à l’âge de dix-huit ans, qu’elle n’a passé que depuis deux
mois. Elle est élevée par une Tante qui n’a pas toujours été d’une
humeur aussi severe qu’elle l’est à présent. Mais cette Tante a si
bien connu, par une longue expérience, & la fragilité de son
Sexe, & la malice des Hommes, qu’elle a pris
toutes les précautions imaginables pour garantir sa Nièce de la
surprise de ses propres passions, ou de celles de ses Adorateurs.
Sachant bien qu’un Temperament vif ne peut être corrigé que par la
douceur, & que la contrainte y est plus dangereuse qu’utile,
elle a pris le sage parti de conduire insensiblement son Eléve à
reconnoître ses vrais intérêts, en lui épargnant la mortification
des censures. Or il faut savoir que parmi ses autres défauts.
Pastorelle avoit aussi celui d’être fort
curieuse. Personne ne savoit mieux toutes les Nouvelles du quartier.
Parisatis, c’est le nom de la Tante,
connossoit la curiosité de sa Nièce, & resolut d’en profiter. Un
jour elle se renferma dans sa chambre, & fit sonner bien haut le
bruit de la clef pendant qu’elle fermoit la porte. Par le trou de la
Serrure on pouvoit entrevoir du dehors ce qui se faisoit en dedans.
La Belle, qui étoit aux écoutes, courut aussi-tôt pour épier sa
Tutrice. Elle la vit à genoux, & prêtant l’oreille, elle
entendit distinctement ces paroles, qui vinrent après quelques
momens d’éjaculations mentales : « O Dieu, pour ce qui regarde cette chere Enfant que tu
as commise à mes soins, fai qu’elle se comporte avec
tant de prudence, & que sa conduite soit si bien réglée, que ce
grand Seigneur, qui est épris de sa beauté, n’ait pour elle que des
desirs legitimes ! »
Parisatis sentit sa Nièce au trou de la serrure ;
elle s’y étoit bien attendue. Elle continua donc de la sorte :
« Oui, mon Dieu, rends-la Mére d’une Famille nombreuse &
florissante ; & donne-lui une conduite si modeste et si sage,
que ce jeune Seigneur se puisse promettre toutes les benedictions
d’un Mariage heureux, dans la possession d’une Femme qui sera si
vertueuse, pendant qu’il y a si peu de vertu dans le monde ! »
Pastorelle n’en voulut pas ouïr davantage. Le coup
avoit porté. La crainte d’être découverte lui fait prendre la fuite.
Elle court à son miroir, se coeffe plus modestement, tire son tour
de gorge, & pour tout dire en un mot, se met précisement comme
la sage Lindamire a coûtume de se mettre. La
conversion est parfaite, parce qu’elle est sincere. Il ne manque
plus rien, à cette aimable Fille, de ce qui peut faire considerer
une Dame jeune & très bien faite, & à l’heure qu’il est, il
se présente, actuellement à son choix, deux ou trois
Partis semblables à celui que la bonne Tante supposoit dans sa
Priere. L’adresse de Parisatis à ménager
l’humeur, & à diriger au bien l’inclination vicieuse d’une jeune
personne ne peut être assez admirée. Il n’est pas ordinaire aux
vieilles gens d’avoir tant d’égards pour les foiblesses du premier
âge. Les Exemples n’en sont pas communs, & je ne me souviens que
d’un autre approchant de celui que je viens de citer. C’est celui de
notre fameuxMr. Noy étoit un fameux Jurisconsulte sous le
regne de Charles I. Il fut
Avocat Général de ce Prince. Mylord Clarendon en a peint le
Caractere, dans son I. Livre de l’Histoire de la Guerre civile.
Noy. Son extrême douceur alla jusqu’au point de ne
censurer qu’après sa mort les deréglemens de son fils. Ce Fils,
grand dissipateur, ne fut ce que son Pére avoit pensé de lui, qu’en
entendant lire cette clause de son Testament : « Pour le reste de mon bien, je le
laisse à mon fils Edouard, que je constitue
mon principal Heritier, & l’Exécuteur de ma derniere volonté ;
je le lui laisse, dis-je, afin qu’il le dissipe à sa fantaisie. Tel
est mon dessein en le lui donnant, & je n’en
attends point autre chose. » Un
généreux dépit, & quelques reflexions sur les bontez d’un Pére
dont il étoit indigne, changerent tout à coup ce jeune homme, &
d’un franc scelerat qu’il étoit, en firent un des Sujets les plus
accomplis du Royaume.