Callimaq. par Athenée, Liv. iii. Ch. i.
Un gros Livre est souvent un grand Mal.
Grec, que j’ai pris pour le sujet de mon Discours.
Tout au contraire, ceux qui publient leurs Pensées sur des Feüilles volantes, & pour ainsi dire par morceaux, n’ont aucun de ses avantages. Il faut qu’ils entrent d’abord en matiere, & qu’ils écrivent d’un stile vif & soutenu ; à moins de cela, nos Pièces sont jettées à quartier, & l’on nous traite de fades & d’insipides : Il faut que toutes les parties de notre Discours soient bien unies ensemble, & que le sujet en soit tout-à-fait nouveau, ou qu’il le devienne par le tour de l’expression. Si les Livres de nos meilleurs Ecrivains devoient être ainsi détaillez au Public, & que chaque Page en fût soumise au goût de quarante ou cinquante mille personnes, il est fort à craindre qu’on n’y trouvât une infinité d’Expressions plates, de Remarques triviales, de Sujets rebatus, & de Lieux communs, qui passent en gros avec le reste. D’ailleurs, quoique certaines Feüilles volantes puissent être composées de pièces de Galien ; leurs Medecines sont copieuses. Mais un Ecrivain d’Essais doit s’en tenir à la pratique des Chymistes, & donner à un petit nombre de goutes la vertu d’un plein Verre de Potion. Si tous les Livres étoient ainsi reduits à leur Quintessence, il y a bien de gros Ouvrages qui ne paroîtroient que sur une Feüille volante : il n’y auroit presque pas un seul in Folio : Tous les Ecrits d’un Siècle n’occuperoient que peu de Tablettes ; pour ne rien dire de quelques Millions de Volumes qui s’anéantiroirent absolument.
Je ne croi pas que la difficulté, qu’on trouve à fournir des Pièces détachées de la nature de celle-ci, ait empêché les Auteurs de communiquer leurs pensées au Public de la même maniere : Mais je m’étonne qu’il n’y ait que les Gazettiers & les zélez Défenseurs des Partis qui suivent cette Méthode ; comme s’il ne valoit pas Proverbes, où i. 20, 21, 22,La souveraine Sagesse crie hautement par tout ; elle fait retentir sa voix dans les ruës ; elle crie dans les Carrefours, là où il y a le plus de bruit, & à l’entrée des Portes ; elle publie ses discours dans la Ville : Innocens, dit-jusqu’à quand aimerez-vous les sotises ? jusqu’à quand les Moqueurs se plairont-ils à la Moquerie, & les Fous haïront-ils la Science ?
La quantité de Lettres, que je reçois des Personnes de l’un & l’autre Sexe, qui ont très-bon Sens, à ce que je puis voir par la maniere dont elles écrivent, ne m’encourage pas peu à poursuivre mon Dessein. D’ailleurs, mon Libraire m’annonce que le Débit de mes Feüilles augmente de jour en jour. C’est à son instance que je continuerai mes Speculations Campagnardes jusqu’à la fin de ce mois ; outre que j’ai ouï dire que plusieurs Personnes en ont fait un recueil à part, aussi bien que de mes Discours sur l’Esprit, les Opera, des Points de Morale, & des Sujets qui dépendent de l’Imagination ou de la Fantaisie.
Je ne suis point du tout mortifié lors que je voi quelquefois mes pièces rejettés par des Gens qui n’ont ni Goût ni Litterature. Il y a de si épais Nuages qui obscurcissent l’Entendement de la plûpart des Hommes, qu’il est presque impossible à la Lumiere d’y penétrer. On diroit que la nuit & les ténèbres l’envelopent de tous côtez :
Nox atra cava circumvolat umbra.
Du reste, outre ceux qui sont Taupes par Ignorance, il y en a d’autres qui le sont par Envie. Si le Proverbe Latin dit, Plaut. Afin. Act. ii. Sc. iv. 88.Qu’un Homme est un Loup à l’égard d’un autre,
C.