Discours X. Jean-François de Bastide Moralische Wochenschriften Lilith Burger Editor Michaela Fischer Editor Elisabeth Hobisch Editor Sabine Sperr Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 11.11.2015 o:mws.3827 Jean-François de Bastide: Le Nouveau Spectateur. Tome Sixième. Amsterdam und Paris: Bordelet und Rollin und Bauche und Lambert 1759, 416-429, Le Nouveau Spectateur (Bastide) 6 010 1759 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité France 2.0,46.0

Discours X.

On m’a communiqué des réflexions qui ne peuvent entrer dans aucun Ouvrage, aussi naturellement que dans celui-ci. Je ne veux pas les priver de l’honneur qu’elles méritent. L’homme qui m’a fait l’honneur de me les adresser, & que je crois galant-homme, signe sa lette <sic> Marteau : j’ignore si c’est son véritable nom.

Du Cœur et des Jugemens.

On ne donne point son cœur ; il échappe. Ce n’est pour tant pas une excuse pour ceux ou celles dont le cœur s’échappe vers des objets vicieux. On n’aime point de pareils objets sans y consentir un peu, & ce consentement est une faute.

Quand une fois l’amour a tourné la tête à une fille qui manque d’esprit, elle devient capable de tout.

Pour moi, dit Zerbine, tout m’a réussi ; tous les obstacles qui s’opposoient à mes fantaisies, je les ai surmontés ; toutes les personnes qui vouloient me maîtriser, j’ai bien sçû les réduire, toute jeune que je suis. . . . . Je vous félicite, Zerbine ; vous recueillez aujourd’hui le fruit de vos travaux ; je vous admire d’être si avancée à votre âge. Les brusqueries de votre mari ne vous épouvantent guere ; peut-être même vous amusent-elles ? Vous êtes l’intrépide témoin des déreglemens de son cœur ; ceux qu’il vous cache, on a soin de vous les apprendre ; vous sçavez en rire ; cela est bien doux. . . . . . Je vous condamne à faire un jour des réflexions : vous ne méritez pas d’être moins punie.

Qu’une Vivandiere épouse un brutal, cela est tout simple : qu’une jeune personne élevée avec beaucoup de douceur & de soin, épouse un ava-re, un jaloux ; cela est incompréhensible.

Si l’injustice des jugemens des hommes ne suffit pas pour nous en consoler, il y a encore une ressource, leur contradiction continuelle, & leur facilité à louer des actions ridicules ou condamnables.

De l’Orgueil.

Le Conquérant enchaîne les Rois qu’il a vaincus ; le marmiton se plaît à étriller le marmiton qui lui résiste : tout cela est naturel ; mais il ne l’est pas de le regarder comme tel, parce que nous n’avons pas assez d’esprit pour bien connoître la nature.

Une coquette est l’esclave de ceux même qu’elle méprise : quelle bassesse ! quel ridicule esclavage ! & que d’hommes partagent cette sorte de servitude ! il suffit, pour n’en pas douter, de voir combien nous sommes avides de louanges : l’orgueil nous rend bien petits.

Ce jeune Abbé tout enflé de lui-même, & qui ne présume pas qu’une tête tonsurée puisse renfermer un esprit fort plat, a sans doute ses raisons de craindre de se communiquer. Il redoute & dédaigne l’orgueil des hommes : mais n’est-il pas mille fois plus orgueilleux qu’eux?

Il y a des gens d’une vanité assez complette pour être étonnés de trouver de l’esprit à ceux qu’ils ne connoissent pas.

Lucinde, qui depuis qu’elle pense, depuis qu’elle s’est regardée au miroir, ne s’est jamais occupée que de sa figure & de ses ajustemens ; qui bornant à son corps tous ses soins & toutes ses pensées, se doute à peine qu’elle ait une ame : Lucinde rit stupidement à la vûe d’un homme qui n’éblouit pas, & ne peut s’empêcher de lui marquer ses dédains intarissables. Le moyen en effet de n’avoir pas d’orgueil, quand on est si jolie & si bien ajustée ? Mais le moyen aussi de ne pas rire d’un orgueil si sot ?

Il y a des filles de roturier, dont le sort est triste & singulier. Elles sont riches, elles sont jeunes, elles sont jolies, elles dédaignent la roture, & personne ne songe à elles ; elles restent filles : je ne sçais par quelle fatalité certaines gens ne leur tiennent compte ni de leur fortune, ni de leur jeunesse, ni de leur figure, ni du mépris dont elles honorent leurs semblables.

Du Mérite et de la Fortune.

Un homme particulier est assez souvent un homme de mérite, & plus souvent encore un homme vertueux.

Les plus grands & les plus vastes génies, les ames les plus fortes & les plus élevées ont des engourdissemens & des foiblesses qui les rapprochent des esprits les plus étroits & les plus mous.

Il y a des esprits que l’adversité ne peut faire plier ; ils sont rares : elle ne sert qu’à les rendre plus roides & plus inflexibles : mais Phriné est beaucoup plus souple : si elle est fiere & dédaigneuse dans la bonne fortune, elle est douce & traitable dans la mauvaise : Phriné est une machine ; l’or & les événemens en sont les ressorts : la plûpart des hommes lui ressemblent.

L’intérêt peut faire sortir de grandes qualités, de grands talens ; non pas, que je pense, des vertus.

Est-ce aimer la vertu & haïr le vice, que de s’emporter contre certains déreglemens, & même contre certains crimes qui nuisent à nos intérêts ?

L’éducation manque presque tou-jours au peuple, & il n’y a gueres de grands qui ne soient élevés avec soin : d’où vient donc que la conduite de ceux-ci ressemble si souvent à celle du peuple, & qu’il n’est pas nouveau que ce dernier soit pour les grands un modele de vertu ?

Que sert la plus jolie figure à une fille qui manque d’éducation ? L’esprit même laisse encore ce défaut. Elle finit presque toujours par être le partage des sots.

Une Bourgeoise parvenue & qui manque d’un certain esprit, est embarrassée de sa qualité ; les honneurs la gênent & l’accablent ; elle prend la hauteur & l’affectation pour la décence & la grandeur : elle est déplacée & ridicule parmi les grands, & ne se laisse plus approcher des petits ; elle se contrefait, se tourmente pour cela ; elle n’est plus elle-même, & ne sera jamais ce qu’elle veut être. Disons du moins pour son honneur qu’elle sent qu’elle en est incapable.

Il faut bien que les sots sentent leur sottise & le mérite des autres ; ils ne peuvent le souffrir ; ils s’effarouchent en voyant un homme d’esprit ; ils ne tiennent point en place, & se hérissent comme par instinct.

Vous négligez la fortune, vous la laissez échapper pour ne pas renoncer à la vertu ; vous êtes bien singulier ?

L’esprit intriguant & l’esprit romanesque sont très-compatibles avec la bêtise.

On est bien embarrassé avec certaines gens, on pourroit dire avec la plûpart des gens : si vous faites des sottises, ils se moquent de vous ; & ils ne vous pardonnent pas d’avoir bien fait.

Russin n’a dans la bouche que les mots de citoyen, de patrie & de bien public : en est-il lui-même meilleur citoyen? C’est une question à faire : tout ce que je sçais, c’est qu’on me fait entendre qu’il a commencé par faire ses affaires, & qu’ensuite il a travaillé, mais efficacement à celles de son pays : si cela est, n’a-t’il pas raison ? Il est bon de s’efforcer à paroître généreux ; mais qui mourroit aujourd’hui juste comme Aristide, mourroit comme un sot.

On blâme le vice & on laisse-là la vertu, sur-tout si elle est indigente ; elle est alors souvent persécutée, & se sauve chez les pauvres où elle est encore un peu respectée.

De la Sociéte et de la Conversation.

Les fats courent la surface de la terre ; il y en a de bien des sortes. Il y a le fat bel esprit, pédant & impertinent tout à la fois : il y a le fat pétri d’ambition, d’orgueil, de dureté, ou le glorieux : il y a le fat qui établit sa réputation sur l’opprobre des femmes qu’il deshonore & qu’il trahit, ou ce qu’on appelle l’homme à bonnes fortunes : il y a le fat qui affiche l’irréligion ou le prétendu esprit fort : il y a le fat par l’extérieur & les dehors, par l’élégance des habits, par l’affectation du langage, du maintien, des manieres ; c’est proprement ce qu’on entend par Petit-Maître. Voilà bien des ennemis ! Quand viendra le tems de les mépriser ? Alors ils ne seront plus à craindre.

A voir l’ingratitude, l’injustice, la dureté & la malice des hommes, ne diroit-on pas qu’ils se dispensent légitimement de l’amour & des égards qu’ils se doivent les uns aux autres ?

L’une des marques de la médiocrité d’esprit, est de trop s’observer soi-même.

On voit répandues dans le monde certaines sociétés qui font comme un peuple à part : on n’y parle la langue d’aucun pays ; on s’y est fait un jargon particulier, que n’entendent pas même toujours ceux qui s’en servent. La fureur du bel esprit, qu’on veut même ajuster au sentiment, préside dans ces cercles, où l’on conçoit bien que la justesse & le bon sens ne sont pas de mise. On y est convenu de s’admirer exclusivement ; & l’on n’évite point d’y être traité comme un être très-ridicule, la premiere fois qu’on y paroît. Un homme de mérite est bien embarrassé parmi de pareilles gens. Il est déplacé, il se déconcerte ; il peut ni dire, ni entendre des fadeurs ; elles le dégoûtent, l’irritent, le révoltent ; il ne trouve point plaisantes mille petites choses que l’on donne pour telles ; il ne sçait point rire de rien, & encore moins de ce qu’il ne comprend pas ; il est là com-me un Chinois qui ne sçauroit que sa langue, & qu’on auroit tout à coup transplanté au milieu d’un peuple dont il soupçonneroit aussi peu les usages que l’idiome : il s’étonne, il s’ennuie : que deviendroit-il s’il ne sçavoit prendre patience.

Il se trouve des gens dont l’esprit est très-médiocre, & qui veulent pourtant primer ; mais qui sont assez prudens pour ne chercher à éclipser que les sots : ils sont donc immédiatement au-dessus des sots.

La réserve & le rengorgement ne sont souvent que l’impuissance d’être aimable.

Portrait.

Que de soins ! Léandre ; quel sera le fruit de tes peines ? L’inconstance & l’agitation des mers n’offrent qu’une foible image de l’inégalité de ta conduite & des troubles de ta vie. Tu connois la vérité ; sa beauté te touche, t’enflamme ; te voilà à la Trappe. Mais les passions viennent te distraire jusque dans cet azile de l’austérité ; elles te rendent au monde, que tu quittes encore pour y revenir. Que prétends-tu maintenant ! Veux-tu que chaque jour rassemble toutes les contradictions de ta vie passée ! On te voit le matin à la Messe de ta Paroisse, & le soir tu montes sur les bancs de la philosophie, tu soutiens que le bien & le mal ne sont que des mots vuides de sens, que des phantomes imaginés par la politique pour contenir la canaille. Pourquoi, au sortir d’un Sermon, cours-tu, adulateur servile, applaudir à l’erreur & au vice, chez * * * ? Comment ta bouche peut-elle proférer des louanges dont tu rougis toi-même ? Cesse d’affecter un libertinage qui ne te sied point : avec un esprit juste éclairé, on s’efforce en vain d’être impie.

Fin du sixieme Volume.

Discours X. On m’a communiqué des réflexions qui ne peuvent entrer dans aucun Ouvrage, aussi naturellement que dans celui-ci. Je ne veux pas les priver de l’honneur qu’elles méritent. L’homme qui m’a fait l’honneur de me les adresser, & que je crois galant-homme, signe sa lette <sic> Marteau : j’ignore si c’est son véritable nom. Du Cœur et des Jugemens. On ne donne point son cœur ; il échappe. Ce n’est pour tant pas une excuse pour ceux ou celles dont le cœur s’échappe vers des objets vicieux. On n’aime point de pareils objets sans y consentir un peu, & ce consentement est une faute. Quand une fois l’amour a tourné la tête à une fille qui manque d’esprit, elle devient capable de tout. Pour moi, dit Zerbine, tout m’a réussi ; tous les obstacles qui s’opposoient à mes fantaisies, je les ai surmontés ; toutes les personnes qui vouloient me maîtriser, j’ai bien sçû les réduire, toute jeune que je suis. . . . . Je vous félicite, Zerbine ; vous recueillez aujourd’hui le fruit de vos travaux ; je vous admire d’être si avancée à votre âge. Les brusqueries de votre mari ne vous épouvantent guere ; peut-être même vous amusent-elles ? Vous êtes l’intrépide témoin des déreglemens de son cœur ; ceux qu’il vous cache, on a soin de vous les apprendre ; vous sçavez en rire ; cela est bien doux. . . . . . Je vous condamne à faire un jour des réflexions : vous ne méritez pas d’être moins punie. Qu’une Vivandiere épouse un brutal, cela est tout simple : qu’une jeune personne élevée avec beaucoup de douceur & de soin, épouse un ava-re, un jaloux ; cela est incompréhensible. Si l’injustice des jugemens des hommes ne suffit pas pour nous en consoler, il y a encore une ressource, leur contradiction continuelle, & leur facilité à louer des actions ridicules ou condamnables. De l’Orgueil. Le Conquérant enchaîne les Rois qu’il a vaincus ; le marmiton se plaît à étriller le marmiton qui lui résiste : tout cela est naturel ; mais il ne l’est pas de le regarder comme tel, parce que nous n’avons pas assez d’esprit pour bien connoître la nature. Une coquette est l’esclave de ceux même qu’elle méprise : quelle bassesse ! quel ridicule esclavage ! & que d’hommes partagent cette sorte de servitude ! il suffit, pour n’en pas douter, de voir combien nous sommes avides de louanges : l’orgueil nous rend bien petits. Ce jeune Abbé tout enflé de lui-même, & qui ne présume pas qu’une tête tonsurée puisse renfermer un esprit fort plat, a sans doute ses raisons de craindre de se communiquer. Il redoute & dédaigne l’orgueil des hommes : mais n’est-il pas mille fois plus orgueilleux qu’eux? Il y a des gens d’une vanité assez complette pour être étonnés de trouver de l’esprit à ceux qu’ils ne connoissent pas. Lucinde, qui depuis qu’elle pense, depuis qu’elle s’est regardée au miroir, ne s’est jamais occupée que de sa figure & de ses ajustemens ; qui bornant à son corps tous ses soins & toutes ses pensées, se doute à peine qu’elle ait une ame : Lucinde rit stupidement à la vûe d’un homme qui n’éblouit pas, & ne peut s’empêcher de lui marquer ses dédains intarissables. Le moyen en effet de n’avoir pas d’orgueil, quand on est si jolie & si bien ajustée ? Mais le moyen aussi de ne pas rire d’un orgueil si sot ? Il y a des filles de roturier, dont le sort est triste & singulier. Elles sont riches, elles sont jeunes, elles sont jolies, elles dédaignent la roture, & personne ne songe à elles ; elles restent filles : je ne sçais par quelle fatalité certaines gens ne leur tiennent compte ni de leur fortune, ni de leur jeunesse, ni de leur figure, ni du mépris dont elles honorent leurs semblables. Du Mérite et de la Fortune. Un homme particulier est assez souvent un homme de mérite, & plus souvent encore un homme vertueux. Les plus grands & les plus vastes génies, les ames les plus fortes & les plus élevées ont des engourdissemens & des foiblesses qui les rapprochent des esprits les plus étroits & les plus mous. Il y a des esprits que l’adversité ne peut faire plier ; ils sont rares : elle ne sert qu’à les rendre plus roides & plus inflexibles : mais Phriné est beaucoup plus souple : si elle est fiere & dédaigneuse dans la bonne fortune, elle est douce & traitable dans la mauvaise : Phriné est une machine ; l’or & les événemens en sont les ressorts : la plûpart des hommes lui ressemblent. L’intérêt peut faire sortir de grandes qualités, de grands talens ; non pas, que je pense, des vertus. Est-ce aimer la vertu & haïr le vice, que de s’emporter contre certains déreglemens, & même contre certains crimes qui nuisent à nos intérêts ? L’éducation manque presque tou-jours au peuple, & il n’y a gueres de grands qui ne soient élevés avec soin : d’où vient donc que la conduite de ceux-ci ressemble si souvent à celle du peuple, & qu’il n’est pas nouveau que ce dernier soit pour les grands un modele de vertu ? Que sert la plus jolie figure à une fille qui manque d’éducation ? L’esprit même laisse encore ce défaut. Elle finit presque toujours par être le partage des sots. Une Bourgeoise parvenue & qui manque d’un certain esprit, est embarrassée de sa qualité ; les honneurs la gênent & l’accablent ; elle prend la hauteur & l’affectation pour la décence & la grandeur : elle est déplacée & ridicule parmi les grands, & ne se laisse plus approcher des petits ; elle se contrefait, se tourmente pour cela ; elle n’est plus elle-même, & ne sera jamais ce qu’elle veut être. Disons du moins pour son honneur qu’elle sent qu’elle en est incapable. Il faut bien que les sots sentent leur sottise & le mérite des autres ; ils ne peuvent le souffrir ; ils s’effarouchent en voyant un homme d’esprit ; ils ne tiennent point en place, & se hérissent comme par instinct. Vous négligez la fortune, vous la laissez échapper pour ne pas renoncer à la vertu ; vous êtes bien singulier ? L’esprit intriguant & l’esprit romanesque sont très-compatibles avec la bêtise. On est bien embarrassé avec certaines gens, on pourroit dire avec la plûpart des gens : si vous faites des sottises, ils se moquent de vous ; & ils ne vous pardonnent pas d’avoir bien fait. Russin n’a dans la bouche que les mots de citoyen, de patrie & de bien public : en est-il lui-même meilleur citoyen? C’est une question à faire : tout ce que je sçais, c’est qu’on me fait entendre qu’il a commencé par faire ses affaires, & qu’ensuite il a travaillé, mais efficacement à celles de son pays : si cela est, n’a-t’il pas raison ? Il est bon de s’efforcer à paroître généreux ; mais qui mourroit aujourd’hui juste comme Aristide, mourroit comme un sot. On blâme le vice & on laisse-là la vertu, sur-tout si elle est indigente ; elle est alors souvent persécutée, & se sauve chez les pauvres où elle est encore un peu respectée. De la Sociéte et de la Conversation. Les fats courent la surface de la terre ; il y en a de bien des sortes. Il y a le fat bel esprit, pédant & impertinent tout à la fois : il y a le fat pétri d’ambition, d’orgueil, de dureté, ou le glorieux : il y a le fat qui établit sa réputation sur l’opprobre des femmes qu’il deshonore & qu’il trahit, ou ce qu’on appelle l’homme à bonnes fortunes : il y a le fat qui affiche l’irréligion ou le prétendu esprit fort : il y a le fat par l’extérieur & les dehors, par l’élégance des habits, par l’affectation du langage, du maintien, des manieres ; c’est proprement ce qu’on entend par Petit-Maître. Voilà bien des ennemis ! Quand viendra le tems de les mépriser ? Alors ils ne seront plus à craindre. A voir l’ingratitude, l’injustice, la dureté & la malice des hommes, ne diroit-on pas qu’ils se dispensent légitimement de l’amour & des égards qu’ils se doivent les uns aux autres ? L’une des marques de la médiocrité d’esprit, est de trop s’observer soi-même. On voit répandues dans le monde certaines sociétés qui font comme un peuple à part : on n’y parle la langue d’aucun pays ; on s’y est fait un jargon particulier, que n’entendent pas même toujours ceux qui s’en servent. La fureur du bel esprit, qu’on veut même ajuster au sentiment, préside dans ces cercles, où l’on conçoit bien que la justesse & le bon sens ne sont pas de mise. On y est convenu de s’admirer exclusivement ; & l’on n’évite point d’y être traité comme un être très-ridicule, la premiere fois qu’on y paroît. Un homme de mérite est bien embarrassé parmi de pareilles gens. Il est déplacé, il se déconcerte ; il peut ni dire, ni entendre des fadeurs ; elles le dégoûtent, l’irritent, le révoltent ; il ne trouve point plaisantes mille petites choses que l’on donne pour telles ; il ne sçait point rire de rien, & encore moins de ce qu’il ne comprend pas ; il est là com-me un Chinois qui ne sçauroit que sa langue, & qu’on auroit tout à coup transplanté au milieu d’un peuple dont il soupçonneroit aussi peu les usages que l’idiome : il s’étonne, il s’ennuie : que deviendroit-il s’il ne sçavoit prendre patience. Il se trouve des gens dont l’esprit est très-médiocre, & qui veulent pourtant primer ; mais qui sont assez prudens pour ne chercher à éclipser que les sots : ils sont donc immédiatement au-dessus des sots. La réserve & le rengorgement ne sont souvent que l’impuissance d’être aimable. Portrait. Que de soins ! Léandre ; quel sera le fruit de tes peines ? L’inconstance & l’agitation des mers n’offrent qu’une foible image de l’inégalité de ta conduite & des troubles de ta vie. Tu connois la vérité ; sa beauté te touche, t’enflamme ; te voilà à la Trappe. Mais les passions viennent te distraire jusque dans cet azile de l’austérité ; elles te rendent au monde, que tu quittes encore pour y revenir. Que prétends-tu maintenant ! Veux-tu que chaque jour rassemble toutes les contradictions de ta vie passée ! On te voit le matin à la Messe de ta Paroisse, & le soir tu montes sur les bancs de la philosophie, tu soutiens que le bien & le mal ne sont que des mots vuides de sens, que des phantomes imaginés par la politique pour contenir la canaille. Pourquoi, au sortir d’un Sermon, cours-tu, adulateur servile, applaudir à l’erreur & au vice, chez * * * ? Comment ta bouche peut-elle proférer des louanges dont tu rougis toi-même ? Cesse d’affecter un libertinage qui ne te sied point : avec un esprit juste éclairé, on s’efforce en vain d’être impie. Fin du sixieme Volume.