Du Jeudi 13. Février 1719.
Raillerie sera aujourd’hui le sujet de ma
La seule conséquence que je me propose de tirer de cette régle, c’est qu’il n’y a rien de plus indigne d’un Homme qui prétend avoir de l’esprit, que d’accabler de traits railleurs un pauvre innocent, qui n’a d’autre défaut que son imbécillité, & dont par cela même il faudroit respecter le malheur. Il y a dans cette conduite la même sorte de barbarie, que dans l’action d’un homme qui met la main sur une Femme, ou dans celle d’un Noble de campagne qui rosse un Paysan qui plie humblement les épaules sous ses coups, sans oser songer à se défendre.
Il n’en est pas de même d’un Sot vicieux, qu’on peut railler dans
plusieurs occasions, sans choquer ni le Bon Sens, ni l’Humanité. Y
a-t-il du mal, par exemple, à railler le vieux
Il en est de la Raillerie, comme de toutes les autres choses, qui sont indifférentes de leur nature, & que les circonstances peuvent rendre bonnes ou mauvaises. Pour qu’elle soit permise, il faut qu’elle tende à une utilité solide, ou du moins qu’elle ne procure pas à celui qui l’emploie, un vain plaisir, dont un autre souffre sans pouvoir en recueillir quelque fruit.
Par conséquent, pour savoir si un Sot vicieux est
digne d’être tourné en ridicule, il faut examiner si la Sottise est
l’effet ou la cause de ses vices ; car il y a des gens qui sont
sots,
parce qu’ils sont vicieux, comme il y en a qui sont vicieux, parce que naturellement ils sont incapables de réfléchir. Pour ces derniers on ne doit pas les railler ; disons mieux, on ne le peut pas. Ce qui mérite le nom de Raillerie est trop fin, trop délié pour faire le moindre effet sur leur épaisseur impénétrable ; leur imbécillité leur sert d’une cuirasse à l’épreuve.
un Tour d’esprit adroit & délicat,
propre à faire appercevoir finement à quelqu’un, qu’on remarque en
lui des imperfections, qu’on ne veut pas lui reprocher
directement. C’est comme une légére piquure qu’on donne à un
homme pour le faire tressaillir ; au lieu que la Raillerie grossiére,
ressemble à un coup de massue qu’on donneroit à un létargique, pour lui
faire reprendre ses sentimens.
La Correction n’est pas l’unique but de la
Raillerie autorisée par la Vertu, & par le Bon-Sens ; elle se
propose quelquefois simplement le plaisir, & l’agrément de la
conversation. Ce n’est alors qu’un simple combat d’Esprit & de
Délicatesse, où s’engagent d’honnêtes-gens, trop éclairés & trop
polis pour se choquer les uns les autres, & pour s’aigrir d’une
simple plaisanterie. Les coups n’y doivent jamais tomber sur des
imperfections capables de rendre un homme odieux ou méprisable : on n’y
attaque que quelques petites foiblesses, quelques irrégularités
excusables, un peu d’ostentation, un petit excès de vanité.
C’est à bon titre que la Raillerie mise à
Tout le monde se mêle pourtant de railler ; mais la plupart s’y prennent
de façon, que le Railleur est plus digne de pitié que l’objet de ses
turlupinades. Tripots étoient des endroits
où tout le monde étoit reçu à railler, selon les talens qu’il en avoit
reçu de la Nature. A présent les Caffés ont cette
pré-
Ce qu’il y a de burlesque, c’est qu’on y trouve souvent une magnifique
Gradation de Turlupins. Comme la Sottise est
divisible à l’infini, de même que la Matiére, il arrive la plupart du
tems qu’un Sot se croit en droit de tourner en ridicule, celui qui a un
degré de sottise au dessous de lui, & qu’il accable impitoyablement
de mauvaises plaisanteries. Il goûte à longs traits la maligne
satisfaction de le faire donner au diable, de le réduire à un stupide
silence, & même de le faire déserter. Mais qu’on attende un moment,
voici arriver un Gaillard, qui a le même ascendant sur le Victorieux,
que celui-là fait valoir contre le Vaincu.
Le pauvre Fat tremble à l’approche du nouveau venu, comme
l’audacieux Turnus trembloit à la vue d’Enée, quand desarmé il en attendoit le coup de
mort. Il se déconcerte d’avance, il ne repousse les pointes qu’à son
corps défendant, & bientôt on le voit terrassée. Ce troisiéme-là,
n’obtient pas plus de quartier d’un quatriéme, & cette suite de Sots
subalternes va à l’infini, comme je l’ai déjà indiqué.
Il est certain pourtant que dans chaque Caffé, il
y a un Railleur despotique, contre qui per-Chinois offrent
des victimes au Démon. Quoiqu’il soit
généralement haï pour la supériorité de son génie, on n’ose en dire du
mal en on absence, crainte que quelqu’un ne brigue sa faveur par des
rapports. On ne raille pas devant lui, on ne fait qu’appuyer ses
plaisanteries, & enfoncer davantage les traits qu’il lance. Cet
Homme ne manque pas un jour de l’année à fréquenter ce rendez-vous, qui
a tant de charmes pour son ambition, & il fait bien. En mille autres
endroits où sa hardie impertinence seroit dépaïsée, il ne seroit qu’un
Faquin à nazardes ; & tel brille au second étage du Caffé Gascon, que le babil du moindre Petit
Maître anéantiroit chez Roselli.
Ce n’est pas seulement dans les Caffés, mais
encore dans toutes les petites Cotteries qu’on trouve un pareil
Directeur de la mauvaise Plaisanterie. Ce n’est pas tout : il n’y a pas
si petite Société, où il ne se trouve aussi un Sot en titre d’office,
qui est en bute à la fatuité de tous ses compagnons. Celui qui gémit
sous les fadaises du Railleur suprême, respire dès-qu’il voit arriver le
Sot en question ; il fait qu’on va le laisser en repos, & il se
prépare à venger cruellement sur le pauvre Benêt, les déplailirs qui
viennent de l’accabler. Toute la compagnie entoure d’abord le malheureux
cen-la Rancune attaqué dans un cabaret par tant de
mains, qu’il n’y avoit pas assez de place sur son corps pour tous les
coups, & qu’ils s’entredétruisoient. D’ordinaire pourtant, c’est une
bonne qualité qui rend notre Niais si misérable ; il est plus timide
& plus modeste que les autres, & quelquefois il les surpasse en
bon-sens. Le cercle de Fats qui l’environne ne ressemble pas mal à une
canaille ramassée d’Oiseaux, qui voltigent autour d’un Hibou, & qui
osent insulter le Favori de