LXVIII. Bagatelle Justus Van Effen Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Michael Hammer Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 03.11.2015 o:mws.3784 Justus Van Effen: La Bagatelle ou Discours ironiques, ou l’on prête des Sophismes ingénieux au Vice & à l’Extravagance, pour en faire mieux sentir le ridicule. Nouvelle Édition, revue & corrigée. Tome Second. Lausanne & Genève : Marc-Mic. Bousquet et Comp. 1745, 111-118, La Bagatelle 2 017 1745 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Autopoetische Reflexion Riflessione Autopoetica Autopoetical Reflection Reflexión Autopoética Réflexion autopoétique Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie United Kingdom England England -0.70312,52.16045 France 2.0,46.0

LXVIII. Bagatelle.

Du Jeudi 29. Décembre 1718.

Suite de la Reponse à la Lettre de l’Auteur Anonyme.

Permettez-moi, Monsieur, de faire quelques pas en arriére, avant que j’en vienne à la seconde partie de votre Lettre. Vous ne trouvez pas de microscope assez bon pour voir les liaisons de mes petits Discours. La chose n’est pas surprenante, elles n’existent pas, & ne doivent pas exister ; mais vous en avez un admirable pour découvrir les contradictions. Je soutiens à présent que mon Ouvrage a un but fixe, que je ne perds jamais de vue ; & dans ma i. Bagatelle j’ai déclaré qu’il ne falloit attendre de moi, ni arrangement de matiéres, ni raisonnement suivi. C’est précisément en exécutant mon but, que je me suis acquité de ma promesse ; je me suis étendu sur différens sujets, que je n’ai liés ensemble que par un centre commun, je veux dire mon but général ; & les Sophismes que j’ai prêtés au Vice & à l’Extravagance, ne sauroient s’appeller en bonne Logique des raisonnemens suivis. En vérité, Monsieur, si c’est dans de pareilles con-tradictions que tombent plus souvent que moi les Auteurs de quantité de beaux Livres, il n’y a pas la moindre contradiction dans ce que vous avancez là-dessus.

Un petit mot encore sur mon Idylle, imitée d’Horace. Ce n’est pas en dépit de Fontenelles, mais conformément à ses idées sur la Pastorale, que j’oppose l’état d’un Cœur amoureux à la tranquilité de la Vie Champêtre. Songez, Monsieur, que j’introduis un Homme qui se retire de la Cour ou de la Ville, pour oublier sa Maîtresse ; & que ce n’est pas l’Amour Pastoral que j’oppose par conséquent aux douceurs de la Vie Pastorale. Au reste je suis bien aise que vous fassiez grâce à quelques Vers de cette Piéce : elle est plus longue que celle du Poëte Latin. qui étoit l’homme du monde qui pensoit le plus & qui parloit le moins ; & j’avoue de tout mon cœur qu’il y a plus de volume dans mon Ouvrage, & plus de poids dans le sien. Souvenez vous pourtant qu’Horace, selon le goût simple de son Siécle, ne nous donne qu’une, description nue des Amusemens Champêtres, & que j’ai trouvé à propos d’y ajouter par-ci par-là quelques réflexions de mon fond, aussi-bien que quelques portraits qui ne sont pas dans l’Original. Tel est, par exemple, la description que je fais de cet homme qui se retire de la confusion des Vandanges, pour s’occuper à la lecture ou à la Poesie ; & l’on m’a dit que cet endroit étoit passable. Au reste, j’ai avoué déja qu’il y avoit beaucoup de fautes & d’inexactitudes dans cette Piéce. Votre critique m’en découvrira davantage, je l’attens avec impatience.

J’ose dire, Monsieur, que jusqu’ici vous avez combatu en l’air, & que vous n’avez pas touché seulement au nœud de la question. Ce que vous devez prouver, pour faire voir que la Bagatelle est mauvaise essentiellement, c’est que l’Ironie y est mal soutenue, & vous n’avez pas fait seulement le moindre effort pour le faire sentir.

J’en viens à la maniére dont vous justifiez votre propre Lettre, & je m’imagine que là-dessus il y aura à dire des choses assez intéressantes. Votre but est double, aussi-bien que le mien : vous voulez faire voir en gros que la Bagatelle ne vaut rien ; vous ne l’avez point fait, en voilà un. Vous voulez badiner sur le détail, c’est le second°: A ce dernier but appartiennent plusieurs railleries, qui ne tombent point sur des réalités, mais sur des apparences ; je n’étois guéres prenable du côté du sérieux, ce qui vous a obligé d’être ironique comme moi. Il n’y a pas le moindre galimathias là-dedans : peut-être ce qu’il y a de certain, c’est que j’y cherche un sens raisonnable sans le trouver. Je ne m’étonne plus que le Public ne soit point au fait de l’Ironie, puisqu’un homme comme vous ne paroit pas en avoir la moindre idée.

Les railleries qui tombent sur des apparences, sans toucher à des réalités, sont puériles, & ne doivent passer que pour de viles turlupinades. Le sens d’une Ironie doit être aussi fixe & aussi net, que le sens du Discours sérieux°; & la justesse d’esprit du Lecteur le doit mener nécessairement à ce sens. Quoique vous vous mépreniez ici un peu lourdement, je m’imagine pourtant qu’en suivant ce que j’ai dit sur le méchanisme des hommes, vous avez bien senti que ma véritable vue n’étoit pas d’établir simplement un paradoxe, mais de porter les hommes à faire voir qu’ils étoient véritablement des Etres raisonnables. D’ailleurs, Monsieur, badiner sur des apparences, & outrer la vérité dans un Discours Satirique, c’est pécher contre la Justice & contre la Charité ; c’est persuader à un Lecteur peu sensé, qu’il y a dans l’Ecrit qu’on attaque, des fautes qui n’y sont pas, & que de simples négligences sont des fautes visibles. Quand on tourne le Vice en ridicule en général, il est permis d’outrer les caractères pour les rendre plus sensibles, parce que tout le monde en profite sans que personne en souffre°: mais ici, comme vous voyez, le cas est différent.

Un de vos badinages, qui ne tombera sur rien, c’est que dans la Bagatelle il y a de la Métaphysique par-tout. Vous n’avez pas mis le moindre sens dans ces expressions ; mais après avoir consulté le Journaliste Littéraire, vous trouvez qu’elles peuvent signifier, que mes petits Discours sont pleins de galimathias. Vous ne citez pas les endroits, persuadé que sur la foi d’une Sentence d’Horace, je les trouverai facilement de moi même dans neuf ans d’ici°; ainsi, jusqu’à ce tems là, nous sommes hors de cour & de procès.

Je n’entens pas la Metaphysique, dites-vous ; j’en conviens, & j’en fais gloire. Je crois ne l’entendre pas, parce que je l’ai étudiée ; & je m’imagine que ceux qui croient l’entendre, ignorent la véritable Méthode de raisonner. Ce qu’on nous débite comme Métaphysique, roule le plus souvent sur des Propositions, dans lesquelles les termes vont bien au delà de la netteté & de l’exactitude des idées°: on les admet pourtant comme les Axiômes les plus clairs de la Géométrie, & on en tire des conséquences à perte de vue. Quand j’ai appellé les Pensées des Idées Métaphysiques, j’ai voulu dire qu’en formant des pensées, on spiritualise en quelque sorte des images sensibles, on en forme certaines vérités générales & abstraites. Voilà la clé de ce galimathias ; & voilà, j’espére, les rêveries de vos habiles gens finies.

Voulez-vous bien que je vous dise, Monsieur, en faveur de ce commerce de franchise que nous avons établi entre nous, que je vous crois grand Métaphysicien ; & je le conclus de ce que dans vos deux Lettres, au travers de ce feu & de cette imagination que j’y vois briller, je ne trouve pas une seule chose qui aille au fait, pas une idée nette & développée. En pensant juste, vous distingueriez, par exemple, faire de bons Vers, d’avec bien tourner un Vers. Dans la prémière expression, je trouve le méchanisme du cerveau joint à la faculté d’exprimer le bon-sens d’une maniére brillante. Dans la seconde, je trouve un méchanisme tout pur, une certaine disposition naturelle pour arranger des mots d’une maniére harmonieuse, & cette disposition n’est en rien supérieure à l’adresse qu’il faut pour faire une cabriole de bonne grace.

Vous baisez les mains aux jolies Laidrons, c’est fort bien fait ; mais point de grace pour les Fats spirituels, gare la contradiction. Vous avouez qu’un Fat peut être spirituel, on peut dire par conséquent un Fat sprituel. Mais le caractère de spirituel ne tombe pas sur la fatuïté, qu’importe°; l’agrément d’une jolie Laidron tombe t-il sur sa laideur°?

De plus, la fatuïté d’un homme d’esprit, est un effet de la vanité qu’il tire de son esprit, & par laquelle il en fait un usage impertinent & ridicule. Les Beautés trop parfaites pour être touchantes, ne sont pas de ma façon°; l’expression est si bien fondée en expérience, que quelque fois une jolie Laidron a une plus grosse cour qu’une Beauté réguliére, quoiqu’elle ne manque pas de mérite. A l’égard des Tailles fines & aisées, grace à un corps de fer, sachez, Monsieur, que je ne parle pas d’un corps absolument contrefait. Une Femme peut avoir quelque défaut dans la taille caché par un corps de fer, elle peut d’ailleurs l’avoir fine°: & par l’exercice & l’habitude elle marche de bonne grace, cette taille peut avoir un air aisé. Enfin, Monsieur, que trouvez-vous à redire aux Sources séches & bourbeuses°? Je conviendrai que c’est mal parler, dès que vous m’aurez enseigné comment on exprimeroit en François, ce qui a été autrefois une Source d’eau, & qui par l’effet d’une chaleur excessive, est devenu sec & bourbeux. Considérez un peu de sang froid vos petites critiques sur ces phrases, & avouez-moi qu’il y a plutôt là-dedans de la chicane que du raisonnement.

Je finis, Monsieur, en vous remerciant du conseil que vous me donnez de ne point encanailler la Bagatelle, en y plaçant les mauvaises Pièces de mes Correspondans. S’il y en a qui méritent ce nom, ce sont peut-être les miennes ; je n’en ai pas encore vu de celles qu’on m’a envoyées, qui me parussent d’un goût si détestable.

Je vous promets encore, que j’imiterai plutôt Addison que Trivelin ; mais je ne sai pas trop à quoi ce conseil fait allusion. Est-ce à ce gros homme, qui se plaint de la presse devant le Théatre d’un Charlatan ? II n’y a là de moi que la rime, & j’ai cru franchement que ce petit Conte, que toute l’Angleterre admire dans un de leurs plus beaux Génies, valoit la peine d’être traduit. Le sujet en lui-même est bas, j’en conviens ; mais le sens en est excellent, & de la derniére justesse.

J’oubliois de vous dire un mot sur votre Phénomêne ; je vous proteste que c’est un fort joli morceau, plein d’imagination, & cela quadre le plus exactement du monde, à l’idée que vous avez des grands défauts qui accompagnent les petits talens de l’Objet que vous avez en vue. Remerciez, je vous prie, votre Ami de ma part, il m’a fait un vrai régal,

Je suis, &c.

LXVIII. Bagatelle. Du Jeudi 29. Décembre 1718. Suite de la Reponse à la Lettre de l’Auteur Anonyme. Permettez-moi, Monsieur, de faire quelques pas en arriére, avant que j’en vienne à la seconde partie de votre Lettre. Vous ne trouvez pas de microscope assez bon pour voir les liaisons de mes petits Discours. La chose n’est pas surprenante, elles n’existent pas, & ne doivent pas exister ; mais vous en avez un admirable pour découvrir les contradictions. Je soutiens à présent que mon Ouvrage a un but fixe, que je ne perds jamais de vue ; & dans ma i. Bagatelle j’ai déclaré qu’il ne falloit attendre de moi, ni arrangement de matiéres, ni raisonnement suivi. C’est précisément en exécutant mon but, que je me suis acquité de ma promesse ; je me suis étendu sur différens sujets, que je n’ai liés ensemble que par un centre commun, je veux dire mon but général ; & les Sophismes que j’ai prêtés au Vice & à l’Extravagance, ne sauroient s’appeller en bonne Logique des raisonnemens suivis. En vérité, Monsieur, si c’est dans de pareilles con-tradictions que tombent plus souvent que moi les Auteurs de quantité de beaux Livres, il n’y a pas la moindre contradiction dans ce que vous avancez là-dessus. Un petit mot encore sur mon Idylle, imitée d’Horace. Ce n’est pas en dépit de Fontenelles, mais conformément à ses idées sur la Pastorale, que j’oppose l’état d’un Cœur amoureux à la tranquilité de la Vie Champêtre. Songez, Monsieur, que j’introduis un Homme qui se retire de la Cour ou de la Ville, pour oublier sa Maîtresse ; & que ce n’est pas l’Amour Pastoral que j’oppose par conséquent aux douceurs de la Vie Pastorale. Au reste je suis bien aise que vous fassiez grâce à quelques Vers de cette Piéce : elle est plus longue que celle du Poëte Latin. qui étoit l’homme du monde qui pensoit le plus & qui parloit le moins ; & j’avoue de tout mon cœur qu’il y a plus de volume dans mon Ouvrage, & plus de poids dans le sien. Souvenez vous pourtant qu’Horace, selon le goût simple de son Siécle, ne nous donne qu’une, description nue des Amusemens Champêtres, & que j’ai trouvé à propos d’y ajouter par-ci par-là quelques réflexions de mon fond, aussi-bien que quelques portraits qui ne sont pas dans l’Original. Tel est, par exemple, la description que je fais de cet homme qui se retire de la confusion des Vandanges, pour s’occuper à la lecture ou à la Poesie ; & l’on m’a dit que cet endroit étoit passable. Au reste, j’ai avoué déja qu’il y avoit beaucoup de fautes & d’inexactitudes dans cette Piéce. Votre critique m’en découvrira davantage, je l’attens avec impatience. J’ose dire, Monsieur, que jusqu’ici vous avez combatu en l’air, & que vous n’avez pas touché seulement au nœud de la question. Ce que vous devez prouver, pour faire voir que la Bagatelle est mauvaise essentiellement, c’est que l’Ironie y est mal soutenue, & vous n’avez pas fait seulement le moindre effort pour le faire sentir. J’en viens à la maniére dont vous justifiez votre propre Lettre, & je m’imagine que là-dessus il y aura à dire des choses assez intéressantes. Votre but est double, aussi-bien que le mien : vous voulez faire voir en gros que la Bagatelle ne vaut rien ; vous ne l’avez point fait, en voilà un. Vous voulez badiner sur le détail, c’est le second°: A ce dernier but appartiennent plusieurs railleries, qui ne tombent point sur des réalités, mais sur des apparences ; je n’étois guéres prenable du côté du sérieux, ce qui vous a obligé d’être ironique comme moi. Il n’y a pas le moindre galimathias là-dedans : peut-être ce qu’il y a de certain, c’est que j’y cherche un sens raisonnable sans le trouver. Je ne m’étonne plus que le Public ne soit point au fait de l’Ironie, puisqu’un homme comme vous ne paroit pas en avoir la moindre idée. Les railleries qui tombent sur des apparences, sans toucher à des réalités, sont puériles, & ne doivent passer que pour de viles turlupinades. Le sens d’une Ironie doit être aussi fixe & aussi net, que le sens du Discours sérieux°; & la justesse d’esprit du Lecteur le doit mener nécessairement à ce sens. Quoique vous vous mépreniez ici un peu lourdement, je m’imagine pourtant qu’en suivant ce que j’ai dit sur le méchanisme des hommes, vous avez bien senti que ma véritable vue n’étoit pas d’établir simplement un paradoxe, mais de porter les hommes à faire voir qu’ils étoient véritablement des Etres raisonnables. D’ailleurs, Monsieur, badiner sur des apparences, & outrer la vérité dans un Discours Satirique, c’est pécher contre la Justice & contre la Charité ; c’est persuader à un Lecteur peu sensé, qu’il y a dans l’Ecrit qu’on attaque, des fautes qui n’y sont pas, & que de simples négligences sont des fautes visibles. Quand on tourne le Vice en ridicule en général, il est permis d’outrer les caractères pour les rendre plus sensibles, parce que tout le monde en profite sans que personne en souffre°: mais ici, comme vous voyez, le cas est différent. Un de vos badinages, qui ne tombera sur rien, c’est que dans la Bagatelle il y a de la Métaphysique par-tout. Vous n’avez pas mis le moindre sens dans ces expressions ; mais après avoir consulté le Journaliste Littéraire, vous trouvez qu’elles peuvent signifier, que mes petits Discours sont pleins de galimathias. Vous ne citez pas les endroits, persuadé que sur la foi d’une Sentence d’Horace, je les trouverai facilement de moi même dans neuf ans d’ici°; ainsi, jusqu’à ce tems là, nous sommes hors de cour & de procès. Je n’entens pas la Metaphysique, dites-vous ; j’en conviens, & j’en fais gloire. Je crois ne l’entendre pas, parce que je l’ai étudiée ; & je m’imagine que ceux qui croient l’entendre, ignorent la véritable Méthode de raisonner. Ce qu’on nous débite comme Métaphysique, roule le plus souvent sur des Propositions, dans lesquelles les termes vont bien au delà de la netteté & de l’exactitude des idées°: on les admet pourtant comme les Axiômes les plus clairs de la Géométrie, & on en tire des conséquences à perte de vue. Quand j’ai appellé les Pensées des Idées Métaphysiques, j’ai voulu dire qu’en formant des pensées, on spiritualise en quelque sorte des images sensibles, on en forme certaines vérités générales & abstraites. Voilà la clé de ce galimathias ; & voilà, j’espére, les rêveries de vos habiles gens finies. Voulez-vous bien que je vous dise, Monsieur, en faveur de ce commerce de franchise que nous avons établi entre nous, que je vous crois grand Métaphysicien ; & je le conclus de ce que dans vos deux Lettres, au travers de ce feu & de cette imagination que j’y vois briller, je ne trouve pas une seule chose qui aille au fait, pas une idée nette & développée. En pensant juste, vous distingueriez, par exemple, faire de bons Vers, d’avec bien tourner un Vers. Dans la prémière expression, je trouve le méchanisme du cerveau joint à la faculté d’exprimer le bon-sens d’une maniére brillante. Dans la seconde, je trouve un méchanisme tout pur, une certaine disposition naturelle pour arranger des mots d’une maniére harmonieuse, & cette disposition n’est en rien supérieure à l’adresse qu’il faut pour faire une cabriole de bonne grace. Vous baisez les mains aux jolies Laidrons, c’est fort bien fait ; mais point de grace pour les Fats spirituels, gare la contradiction. Vous avouez qu’un Fat peut être spirituel, on peut dire par conséquent un Fat sprituel. Mais le caractère de spirituel ne tombe pas sur la fatuïté, qu’importe°; l’agrément d’une jolie Laidron tombe t-il sur sa laideur°? De plus, la fatuïté d’un homme d’esprit, est un effet de la vanité qu’il tire de son esprit, & par laquelle il en fait un usage impertinent & ridicule. Les Beautés trop parfaites pour être touchantes, ne sont pas de ma façon°; l’expression est si bien fondée en expérience, que quelque fois une jolie Laidron a une plus grosse cour qu’une Beauté réguliére, quoiqu’elle ne manque pas de mérite. A l’égard des Tailles fines & aisées, grace à un corps de fer, sachez, Monsieur, que je ne parle pas d’un corps absolument contrefait. Une Femme peut avoir quelque défaut dans la taille caché par un corps de fer, elle peut d’ailleurs l’avoir fine°: & par l’exercice & l’habitude elle marche de bonne grace, cette taille peut avoir un air aisé. Enfin, Monsieur, que trouvez-vous à redire aux Sources séches & bourbeuses°? Je conviendrai que c’est mal parler, dès que vous m’aurez enseigné comment on exprimeroit en François, ce qui a été autrefois une Source d’eau, & qui par l’effet d’une chaleur excessive, est devenu sec & bourbeux. Considérez un peu de sang froid vos petites critiques sur ces phrases, & avouez-moi qu’il y a plutôt là-dedans de la chicane que du raisonnement. Je finis, Monsieur, en vous remerciant du conseil que vous me donnez de ne point encanailler la Bagatelle, en y plaçant les mauvaises Pièces de mes Correspondans. S’il y en a qui méritent ce nom, ce sont peut-être les miennes ; je n’en ai pas encore vu de celles qu’on m’a envoyées, qui me parussent d’un goût si détestable. Je vous promets encore, que j’imiterai plutôt Addison que Trivelin ; mais je ne sai pas trop à quoi ce conseil fait allusion. Est-ce à ce gros homme, qui se plaint de la presse devant le Théatre d’un Charlatan ? II n’y a là de moi que la rime, & j’ai cru franchement que ce petit Conte, que toute l’Angleterre admire dans un de leurs plus beaux Génies, valoit la peine d’être traduit. Le sujet en lui-même est bas, j’en conviens ; mais le sens en est excellent, & de la derniére justesse. J’oubliois de vous dire un mot sur votre Phénomêne ; je vous proteste que c’est un fort joli morceau, plein d’imagination, & cela quadre le plus exactement du monde, à l’idée que vous avez des grands défauts qui accompagnent les petits talens de l’Objet que vous avez en vue. Remerciez, je vous prie, votre Ami de ma part, il m’a fait un vrai régal, Je suis, &c.