Du Jeudi 10 Novembre 1718.
Dédicaces, ne feroit pas mal d’étendre encore son industrie
sur les Préfaces. L’humeur doucereuse dont la
nature & l’habitude l’ont pourvu, lui viendroit merveilleusement à
propos dans cette nouvelle entreprise.
C’est une pitié, en vérité, de voir les contorsions comiques que se donne l’esprit de Mrs. les Auteurs dans ces Piéces préliminaires. Toutes leurs ruses sont presque usées, ils ne savent plus de quel bois faire fléche. Il ne faut pas s’imaginer qu’ils doutent jamais du mérite de leurs productions, ils sont convaincus qu’elles sont excellentes ; mais ils craignent que le Public ne soit pas de leur sentiment, qu’il ne soit pas assez éclairé pour bien démêler leurs vues, qu’il n’ait pas le goût assez fin pour savourer toutes les beautés de leurs pensées, & que son jugement ne soit pas assez sûr pour bien développer toute la méthode d’un Ouvrage.
Là-dessus on ne néglige rien pour préparer l’esprit du Lecteur à
l’admiration. On travaille, on
Depuis ces maudits Vers de
nous n’osons plus nous autres petits Ecrivains prendre tout à
fait la posture de Suppliant. Nous disons bien quelques petites douceurs
au Lecteur bénévole°; mais nos fleurettes sont
accompagnées d’un petit air cavalier, qui fait sentir que si nous avons
bonne opinion du Public, dans le fond nous valons aussi notre paix. Nous
appréhendons que si nous nous abaissions trop,
A propos d’abaissement, je n’ai jamais vu dans aucune Préface, une
modestie plus originale que celle d’un Poëte Hollandois de nouvelle date. Il dit avec un air de bonne foi
qui ne laisse pas entrevoir la moindre ombre d’ironie, qu’il n’auroit
pas donné son Ouvrage au Public, si son Libraire ne l’avoit assuré que
les Vers Hollandois se vendoient fort bien,
quelque mauvais qu’ils fussent. II faut avouer que voilà un brave
Garçon, qui ne s’en fait pas trop accroire°; & que si ses Vers ne
valent rien, il est pourtant fort estimable par sa franchise.
Les autres Auteurs sont bien éloignés de son caractére ; & pour le faire sentir, parcourons encore, quelques stratagêmes dont ils se servent pour surprendre nos applaudissemens.
Il y en a qui nous assurent dans leurs Préfaces, qu’ils ne nous font présent de leur Livre, qu’après l’avoir soumis à l’examen de plusieurs Génies du prémier ordre, qui l’ont épluché avec toute l’attention possible, & qui l’ont honorés de leurs corrections. Après cela,
où est le Lecteur assez présomptueux pour se donner les airs de
censurer ce qui a eu l’appro-
D’autres se servent avec succès d’un petit tour un peu fripon, mais
passablement judicieux. Ils ne disent pas grossiérement qu’ils
s’appellent ; mais ils vous le
font croire comme s’ils n’y touchoient pas, en parlant de quelques-unes
des productions de ces Messieurs, comme des leurs propres. Le Public est
d’abord étourdi des ces noms respectables, il court en foule se mettre
en possession de ce prétendu trésor. Cette ruse est excellente pour le
débit du Livre, & pour l’Auteur aussi, s’il écrit pour vivre, &
s’il a fait un bon accord avec son Libraire. Ces Messieurs, non
seulement font ramper à leurs piés les pauvres Ecrivains, mais ils leur
donnent encore une si petite part au gâteau, que tel a gagné cent mille
écus par le moyen d’un Ouvrage, qui n’a valu que quatre-cent francs par
an à celui qui l’a composé. Mais si l’Auteur travaille pour la gloire,
il ne jouit pas fort longtems de celle qu’il a acquise par sa
supercherie. Un Lecteur sensé compare bientôt le mérite intrinséque du
Livre, avec l’habileté de celui à qui on l’attribue ; il sent bien vite
le défaut de la cuirasse ; la fraude se découvre ; & ceux qui ne
jugent que par les lumiéres
Il y a une autre tournure de Préface qui est fort à la mode, & qui me
divertit extrêmement. J’y vois avec plaisir un Auteur, plein d’une noble
fierté, morguer ses Lecteurs, les insulter sur la dépravation de leur
goût, se recommander noblement lui-même, comme le prémier homme du
Monde. Il renvoie à l’école tous ceux qui avant lui se sont ingérés de
traiter le même sujet. Ce sont des Esprits superficiels, qui n’ont pas
la force de creuser dans l’essence des matiéres. Il condamne par avance
de stupidité ou de prévention, ceux qui ne goûteront pas ses nouvelles
Découvertes. Bien souvent un tel Homme réussit auprès du Vulgaire, qui
ne sauroit s’imaginer qu’on oseroit se donner tant de talens & de
génie, s il n’en étoit quelque chose. Ne voit-on pas tous les jours des
gens dont on respecte la capacité, par la seule raison qu’ils se disent
grands Hommes°: Mathématiciens, Mèchanistes, Chimistes, Gens à secrets, Chercheurs de
Longitudes, il en pleut.
Il y a d’autres Faiseurs de Livres, qu’on peut ranger dans la même classe, quoiqu’ils ne fassent pas une parade si ouverte de leur mérite. Ils se contentent d’insinuer par des fanfaronnades un peu modestes, qu’ils n’ont garde de se confondre avec les Ecrivains ordinaires.
Ils plaignent le Public, accablé de productions
insipides. C’est avec le plus vif chagrin, qu’ils voient le Parnasse
en proie à mille petits Grimauds, dont le sot orgueil confond le
génie avec le desir d’écrire.
Un des plus spirituels Hommes de toute l’
Un Charlatan, fourbe achevé,
Vendoit au poids
de l’or à des Niais crédules
Ses mensonges & ses pillules.
A
son côté,
Par ses grimaces, ses bons
mots.
Enlevoit l’ame des Badauts.
Pour l’entendre de près, tout
le monde s’empresse°;
Le Galant avec sa Maîtresse,
La Fillette
avec Maman,
Le Gentillâtre & le Manant°:Les Badauts sont de toute espéce.Grande sans doute étoit
la presse.