Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XLVI. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.1\047 (1742), S. 263-270, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2191 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XLVI. Bagatelle.

Du Jeudi 13. Octobre. 1718.

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► Un jour que le Comte de Guiche avoit un rendez-vous chez la Comtesse d’Olonne, il trouva contre son attente la chambre de la Belle fermée. Il ne douta pas qu’un autre Galant ne l’eût prévenu. Pour satisfaire là-dessus sa curiosité, il regarda par le trou de la serrure, & il vit, à son grand étonnement, la charmante Comtesse qui faisoit à son époux les caresses les plus vives. Il se retira le desespoir dans l’ame, & ayant rencontré un de ses Amis : Morbleu ! lui dit-il, mon Cher, vous ne sauriez croire jusqu’à [264] quel point Madame d’Olonne porte la coquetterie ? Je l’ai vue de mes propres yeux, la Diablesse aime jusqu’à son mari.

Il ne laisse pas d’y avoir du bon-sens dans ces expressions cavaliéres. Il falloit effectivement que la Belle, qui avoit à son service dix Galans des mieux faits de la Cour, eût jusques dans la moëlle des os quelque chose de pis que de la coquetterie, pour en conter encore à son mari, qui à tous égards étoit l’antipode de ses Amans.

Je conviens avec le Comte de Guiche, que cette espéce d’amour conjugal étoit dans cette occasion, plutôt une augmentation de crime, qu’un adoucissement. Mais en tout autre cas, je ne vois pas qu’il y ait rien de plus abominable, que l’autorisation publique qu’on accorde dans certains Pays au mépris des liens sacrés du Mariage. Seroit-il bien possible que la Nature, se démentant elle-même, & contraire à ses propres intérêts, eût mis quelque chose de dégoûtant dans des liaisons, qui font une des plus considérables bazes de la tranquilité de la Société Civile ?

Rien n’est plus déraisonnable que de se l’imaginer. Je sai bien qu’il est fort naturel que la tendresse conjugale n’ait rien de commun avec certains mariages de négoce ou de politique, & qu’on songe à donner quelque chose au cœur, quand l’avarice & l’ambition sont satisfaites. Ce qui me surprend, c’est qu’on ose supposer une nécessité absolue dans l’extinction de la tendresse la plus vive, & la mieux établie sur l’estime, dès-que le mariage a passé dessus. On trouve dans [265] une Maîtresse des agrémens relevés par les talens de l’esprit, & par les sentimens du cœur. C’est un trésor qu’on souhaite avec la derniére ardeur ; un baiser appliqué sur ses lévres, est un petit paradis. Que ne doit pas être la possession ? Elle vient cette possession tant desirée. Adieu la belle passion ; à peine deux mois se sont-ils écoulés, qu’on est las du Pâté d’anguilles.

Il est pourtant certain que rien n’est plus possible qu’une constance matrimoniale entre deux personnes raisonnables & vertueuses, qui n’ont pas gâté la simplicité de leurs idées naturelles. Si elles se font une étude de soutenir leur amour par une véritable & sage amitié, & d’animer, pour ainsi dire, le plaisir par le devoir, elles ne peuvent que goûter longtems les délices d’un amour mutuel, d’autant plus douces qu’elles sont exemtes de crime. Comme Baucis & Philémon, elles peuvent, dans une vieillesse extrême, n’attendre la fin de leur tendresse que de la mort. ◀Allgemeine Erzählung

Ce n’est que la tirannie de la Mode qui rend de telles unions si rares. A la Cour d’un Peuple inconstant, & amateur outré du plaisir, le vice ne peut que briller. L’amour impur en a toujours été le vice favori ; il y a acquis un air de qualité & de distinction ; le point d’honneur en a entrepris la défense ; & les Beaux-Esprits ont donné la vogue à ce point d’honneur. Historiettes, Comédies, Lettres Galantes, toutes sortes d’Ouvrages d’Esprit nous prêchent, qu’il y a un air bourgeois à aimer sa Femme : & l’air [266] bourgeois est une chose qui est en horreur aux Bourgeois mêmes. Où est l’homme assez ennemi de sa réputation, pour oser être un sot avoué de la Raison, plutôt qu’un homme de mérite en dépit du Bon-Sens ? Quand il s’agit d’opter entre la Vertu & les Belles Maniéres, on ne balance pas longtems ; sur-tout dans un Pays où tout le monde, du plus au moins, naît glorieux, & où la Mode met en vogue, au gré de ses caprices, tantôt la Dévotion, & tantôt le Libertinage.

Metatextualität► Je ne crois pas pouvoir mieux finir cette Bagatelle, que par les Vers que fit le lendemain de ses nôces un Officier, homme de bon-sens & d’esprit sans étude, & vertueux sans bigotterie. Les Vers ne sont pas des plus exacts ; mais ce que j’en estime, c’est qu’ils sont aisés & naturels. J’en ai retranché quelque-uns, parce qu’ils étoient un peu libres. Cette Piéce paroit d’un bon Chrétien ; mais le Chrétien y est enté sur l’Officier, qui s’est laissé échaper certaines expressions saintement gaillardes, qui choqueroient sans doute la délicatesse du Public. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Lettre.

Zitat/Motto► Veux-tu sans crainte, sans remords,

Réjouir ton ame, & ton corps,

Avec quelque aimable personne ?

Suis le conseil que je te donne,

Prens une Femme, cher Ami.

Un Garçon ne sent qu’à demi

Le plaisir de se satisfaire.

[267] Quand on aime, & qu’on a su plaîre :

Car pour peu que l’on soit Chrétien,

On ne sauroit, je le soutiens,

Rester sans mille inquiétude.

Dans un seul péché d’habitude.

Les plus Scélérats tôt ou tard,

Ont horreur de leur turpitude,

Qui leur fait fuir la solitude.

Mais envain le Pécheur se fuit,

Son péché nuit & jour le suit.

Qu’un Paillard, ou qu’un Adultére

De son amour fasse un mistére,

Pour relever, s’il peut, le goût

De son Antichrétien ragoût ;

Qu’après quinze ou vingt ans de peine,

Il soit le mignon d’une Reine ;

Que cette Reine ait le bonheur,

De passer pour Femme d’honneur ;

Joignez à cela les allarmes

Qui donnent du relief aux charmes :

Cependant cet heureux Mortel

N’aura jamais un plaisir tel,

Que celui qu’avec Albertine

J’ai pris suivant la Loi Divine.

Hier au soir environ minuit,

Je cueillis cet excellent fruit ; …

Ce fruit qu’un cœur honnête & sage,

A présérvé de tout orage.

Je le pris en homme affamé,

Et je l’eus bientôt entamé,

(Car je n’ai pas la dent mauvaise.)

[268] Sans mentir j’étois ravi d’aise.

Mon appétit étoit pressant ;

Mais ce fruit est si nourrissant,

Que je n’en pris que par mesure,

Afin que mon appétit dure.

De ton vin ne t’enivre pas,

Dit le proverbe en pareil cas. ◀Zitat/Motto ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► J’ajouterai encore à ces Vers quelques Triolets, que le même Auteur composa & fit chanter le prémier jour de ses nôces. ◀Metatextualität

Ebene 3► Zitat/Motto► Enfin, le préambule est fait,

Ce préambule insupportable.

Que j’en ai le cœur satisfait !

Enfin, le préambule est fait.

Pour rendre mon bonheur parfait,

Le lit suivra bientôt la table.

Enfin le préambule est fait,

Ce préambule insupportable.

Que ce petit festin me plaît !

Que cette troupe est bien choisie !

Peu de mets, un petit buffet ;

Que ce petit festin me plaît !

Ces plats sont tous d’un bon apprêt,

Et le vin est de l’ambroisie.

Que ce petit festin me plaît !

Que cette troupe est bien choisie !

Prenons-en ce qu’il nous en faut,

Même un peu plus qu’à l’ordinaire :

Buvons du froid, mangeons du chaud,

[269] Prenons-en ce qu’il nous en faut.

Hier l’excès étoit un défaut,

Aujourd’hui c’est tout le contraire.

Prenons-en ce qu’il nous en faut,

Même un peu plus qu’à l’ordinaire.

C’est assez, mettons-nous au lit,

Et donnons-nous en au cœur joie ;

Nos corps ont plus d’un appétit.

C’est assez, mettons-nous au lit,

Faisons ce que la Loi nous dit,

C’est un droit qu’elle nous octroie.

C’est assez, mettons-nous au lit,

Et donnons-nous en au cœur joie.

Obéissez à cette Loi,

Vous, dont l’âge est déja nubile,

Faites comme elle & comme moi,

Obéissez à cette Loi ;

Car si l’esprit est promt, ma foi,

La chair est foible & bien fragile.

Obéissez à cette Loi,

Vous, dont l’âge est déja nubile.

Peste soit de votre longueur,

A mettre une Epouse en chemise ;

Je suis presque mort de langueur.

Peste soit de votre longueur !

Croyez-vous qu’un peu de vigueur,

Puisse souffrir tant de remise ?

Peste soit de votre longueur,

A mettre une Epouse en chemise ! [270] Je vai la baiser à vos yeux,

Si vous n’abandonnez la place.

Encore ! de nouveaux adieux !

Je vai la baiser à vos yeux.

Retirez-vous, vous ferez mieux ;

Car l’effet suivra la menace.

Je vai la baiser à vos yeux

Si vous n’abandonnez la place. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Metatextualität► Il se peut bien qu’il y ait dans ces Vers des fautes qui ne doivent pas être mises sur le compte de l’Auteur. Je ne sai pas si ma copie a été faite immédiatement sur l’original ; la réputation des copistes est très bien établie depuis longtems. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1