Du
Jeudi 11. Août 1718.
Ce qu’il y a de machinal en l’Homme, répond avec la même nécessité aux
inflexions de la voix de quelqu’un, que les cordes d’un Instrument de
musique répondent aux doigts, ou à l’archet du Musicien : & les
Femmes dont nous parlons, apellent être touchées,
quand entre les tons de M. S ** & leurs sens
il y a une agréable harmonie.
Le Cœur du Beau-Sexe, généralement parlant, est un Instrument monté sur le ton de la Tendresse : & dès-que la voix sonore & flexible d’un Prédicateur touche cette corde, ce cœur sensible roule dans une variété de mouvemens qu’il croit dévots, parce qu’ils sont produits dans l’Eglise, & par un Ministre de l’Evangile. Ces mouvemens sont pourtant précisément les mêmes, que ceux que la Tendresse inspire.
Quand un Prédicateur, d’un ton doux, suppliant, insinuant, conjure son
Auditoire de daigner être heureux,
Eh bien, mon Fils, lui
dit-elle,
Ah le grand homme ! il n’y a que lui qui
prêche.
Eh ! dites-moi donc quelque chose de son Sermon, mon
Cœur. Que je suis fachée de n’y avoir pas été !
Le merveilleux Prédicateur ! répliqua le Mari ; c’est un prodige, cela vous pénétre, cela vous
remue, il ne se peut rien de plus beau.
Mais encore, mon Fils, dites-nous-en quelque cbose,
vous le savez si bien faire.
Oh ! très volontiers. Il a pris son Texte dans le
Chapitre... Attendez, cela me reviendra dans l’esprit
tout-à-l’heure, j’y ai mis un pli dans mon Nouveau Testament. Il
nous dit d’abord son exorde d’un ton posé & lent. Ensuite il
vient à sa matiére ; il fait cinq propositions, oui cinq ou six, je
ne sai pas trop bien. Il vous explique tout cela d’une force, d’une
clarté, cela ne fait pas le moindre petit pli. Après quoi il en
vient à l’application, il cite de beaux passages de l’E-criture, il éléve sa voix, il vous
accompagne cela d’un geste magnifique ; il ne se peut rien de plus
beau, demandez à Monsieur.
Cela est bien
vrai, dit la bonne Femme,
La Nature n’a pas prodigué à tout le monde les talens que nous venons de
dépeindre, & qui font dans l’Eloquence, ce qu’on appelle le grand, le noble, le sublime. Plusieurs Prédicateurs n’one qu’une voix
bornée, leur délicat, du fleuri, &
du gracieux.
Tout leur Discours sera un agréable composé d’Antithéses, de
Descriptions, de petites Pensées, de Sentences de quelque Poëtes, ou de
quelque Pére de l’Eglise de l’Edition de Bouhours. Ils se mettront peu en peine de l’ordre & de la
méthode : car pour en juger, il faudroit écouter les Sermons d’un bout à
l’autre, ce qu’il seroit ridicule d’exiger d’un Auditoire.
De cette maniére, on ne parle point à la raison des gens, on parle à leur imagination, qui ne manque jamais d’être fort docile, & de recevoir avec plaisir tout ce qu’on lui donne de flateur & d’amusant. C’est-là le vrai moyen de ne pas renvoyer ses Auditeurs à vuide, mais de les enrichir de cinq ou six belles images, que leur mémoire peut facilement mettre à part dans chaque Sermon.
Comme un Discours de cette nature est proprement un
Recueil de Pensées diverses, il ne demande pas une attention
suivie, dont peu d’hommes sont capables. Un Auditeur a toujours du tems
de reste, pour donner un peu carriére à son imagination & à ses
sens ;