Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XXIX. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.1\030 (1742), S. 166-171, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2174 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XXIX. Bagatelle.

Du Jeudi 11. Août 1718.

Ebene 2► Lors qu’une Femme nous dit, qu’elle ne peut être touchée que par M. S **, ce qu’elle exprime n’est pas une idée net-[167]te & distincte ; mais c’est une confusion d’images, toute semblable à ce qu’elle sent, lorsqu’elle croit être touchée.

Ce qu’il y a de machinal en l’Homme, répond avec la même nécessité aux inflexions de la voix de quelqu’un, que les cordes d’un Instrument de musique répondent aux doigts, ou à l’archet du Musicien : & les Femmes dont nous parlons, apellent être touchées, quand entre les tons de M. S ** & leurs sens il y a une agréable harmonie.

Le Cœur du Beau-Sexe, généralement parlant, est un Instrument monté sur le ton de la Tendresse : & dès-que la voix sonore & flexible d’un Prédicateur touche cette corde, ce cœur sensible roule dans une variété de mouvemens qu’il croit dévots, parce qu’ils sont produits dans l’Eglise, & par un Ministre de l’Evangile. Ces mouvemens sont pourtant précisément les mêmes, que ceux que la Tendresse inspire.

Quand un Prédicateur, d’un ton doux, suppliant, insinuant, conjure son Auditoire de daigner être heureux, Céliméne sent précisément la même chose, que quand un Amant lui fait une déclaration d’amour dans les termes les plus pathétiques que sa passion ou sa mémoire lui puissent fournir. Si de la Chaire s’élance un ton élevé, menaçant, foudroyant, le cœur de la Belle répand dans tout son corps le même petit frisson, qui la saisit quand son Galant s’emporte contre ses rigueurs avec une tendre brutalité, qu’il lui dit des injures amoureuses, & qu’il ne la reverra jamais.

[168] Ce n’est donc proprement que le bel extérieur de cet habile homme qui lui attire l’estime & l’approbation générale. L’étendue de son génie, la force de sa raison, & le vrai de son éloquence, ne touchent que ce petit nombre de personnes qui savent raisonner de leur fond, ou du moins qui savent suivre de conséquence en conséquence un raisonnement qu’on leur propose.

Metatextualität► Pour confirmer mes preuves par un exemple, je vous rapporterai la relation qu’un honnête Bourgeois fit un jour à sa Femme d’un Discours de M. S **. ◀Metatextualität

Ebene 3► Dialog► Eh bien, mon Fils, lui dit-elle, vous venez d’entendre M. S **, a-t-il fait merveilles à l’ordinaire ?

Ah le grand homme ! il n’y a que lui qui prêche.

Eh ! dites-moi donc quelque chose de son Sermon, mon Cœur. Que je suis fachée de n’y avoir pas été !

Le merveilleux Prédicateur ! répliqua le Mari ; c’est un prodige, cela vous pénétre, cela vous remue, il ne se peut rien de plus beau.

Mais encore, mon Fils, dites-nous-en quelque cbose, vous le savez si bien faire.

Oh ! très volontiers. Il a pris son Texte dans le Chapitre... Attendez, cela me reviendra dans l’esprit tout-à-l’heure, j’y ai mis un pli dans mon Nouveau Testament. Il nous dit d’abord son exorde d’un ton posé & lent. Ensuite il vient à sa matiére ; il fait cinq propositions, oui cinq ou six, je ne sai pas trop bien. Il vous explique tout cela d’une force, d’une clarté, cela ne fait pas le moindre petit pli. Après quoi il en vient à l’application, il cite de beaux passages de l’E- [169] criture, il éléve sa voix, il vous accompagne cela d’un geste magnifique ; il ne se peut rien de plus beau, demandez à Monsieur. ◀Dialog ◀Ebene 3

Dialog► Cela est bien vrai, dit la bonne Femme, que je suis fachée de n’y avoir pas été ! ◀Dialog Metatextualität► Veut-on encore un exemple plus fort, plus général, & plus concluant ? le voici. ◀Metatextualität

Allgemeine Erzählung► Qui ne connoit point, de réputation au moins, le Sieur G ***, la honte des Soldats aux Gardes & des Théatins ? Dans sa qualité de Prédicateur, comme en toute autre, il paroit à un homme qui raisonne, aussi digne d’être comparé à l’excellent homme en question, qu’une décoration de l’Opéra au Château de Versailles. Aussi n’ai-je garde de comparer ces deux hommes, qu’on ne devroit pas nommer dans une même page. Je dirai seulement que G ***, comme un autre Orphée, a eu l’honneur d’attirer par sa voix tout le Peuple d’une de nos Villes, où l’on se pique d’être fins Gourmets en matiére de Sermons. Je sai qu’un malhonnête homme peut être savant, philosophe, éloquent ; mais il ne s’agissoit rien moins que de tout ce fatras. G *** est un grand Drolle bien découplé, il a la voix belle, le geste brillant ; ce qui fondé sur de grands mots & sur un pompeux galimatias, forme un assemblage complet de toutes les qualités requises à un grand Prédicateur. ◀Allgemeine Erzählung

La Nature n’a pas prodigué à tout le monde les talens que nous venons de dépeindre, & qui font dans l’Eloquence, ce qu’on appelle le grand, le noble, le sublime. Plusieurs Prédicateurs n’one qu’une voix bornée, leur [170] geste n’est tout au plus que caressant, & ils n’ont pas assez de liberté dans le bras, pour le rendre impétueux, & même tumultueux. Que feront-ils pour se faire goûter ? Se mettront-ils dans l’esprit d’être solides, simples & clairs ; de plaîre à deux Auditeurs, & de faire bâiller tout le reste ? Point du tout. S’ils veulent m’en croire, ils se tourneront du côté du délicat, du fleuri, & du gracieux.

Tout leur Discours sera un agréable composé d’Antithéses, de Descriptions, de petites Pensées, de Sentences de quelque Poëtes, ou de quelque Pére de l’Eglise de l’Edition de Bouhours. Ils se mettront peu en peine de l’ordre & de la méthode : car pour en juger, il faudroit écouter les Sermons d’un bout à l’autre, ce qu’il seroit ridicule d’exiger d’un Auditoire.

De cette maniére, on ne parle point à la raison des gens, on parle à leur imagination, qui ne manque jamais d’être fort docile, & de recevoir avec plaisir tout ce qu’on lui donne de flateur & d’amusant. C’est-là le vrai moyen de ne pas renvoyer ses Auditeurs à vuide, mais de les enrichir de cinq ou six belles images, que leur mémoire peut facilement mettre à part dans chaque Sermon.

Comme un Discours de cette nature est proprement un Recueil de Pensées diverses, il ne demande pas une attention suivie, dont peu d’hommes sont capables. Un Auditeur a toujours du tems de reste, pour donner un peu carriére à son imagination & à ses sens ; [171] il n’a qu’à écouter de tems en tems, pour profiter d’une belle Pensée, ou d’une Phrase délicate. D’ailleurs, il y a toujours des signaux auxquels un homme d’esprit peut reconnoître que le Ministre va dire quelque chose de joli ; il en avertit d’ordinaire, en crachant ou en toussant, en quoi il est suivi de tout l’Auditoire ; & il annonce la finesse de ce qui va suivre, en adoucissant sa voix, & en la mettant sur le ton de la minauderie. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1