Du
Lundi 8. Août 1718.
que le Stile délicat convenoit
parfaitement bien à l’Eloquence de la Chaire. Je m’amuserai
aujourd’hui à le prouver, & je ferai voir qu’un Esprit délicat, sur-tout s’il est en même tems fleuri, doit être regardé comme une des qualités
essentielles d’un Prédicateur. Je sai bien que j’aurai encore à luter
ici contre les Rationalistes, dont les raisons
sur ce chapitre sont assez spécieuses, pour mériter qu’on préserve les
honnêtes-gens des impressions qu’elles pourroient faire sur eux.
Raison,
« il n’y a ni fleurs, ni délicatesse dans les Discours des premiers
Prédicateurs Chrétiens ; il n’y a que des raisons fortes &
sensibles, exprimées dans les termes les plus convenables, & les
plus propres à en faire voir toute l’évidence. »
Ils conviennent, « qu’il n’y a point de matiére qui ne soit susceptible d’éloquence, & qui même ne gagne quelque chose par-là : mais chaque sujet demande une sorte d’éloquence qui lui est propre, & l’on est toujours éloquent quand on s’exprime en termes clairs, & proportionnés aux idées qu’on veut faire naître dans l’esprit des autres.
Quand
Mais il est fort éloigné de faire le Bel-Esprit de la même maniére, quand
en plein Sénat il reproche à
Ce Consul Romain ne fait pas l’agréable non plus,
quand il harangue le Peuple en faveur de
Si ce grand Orateur en avoit agi autrement, les Romains n’auroient pas manqué de dire, comme ils firent dans
une autre occasion, où Habemus lepidum Consulem : Notre
Consul est un fort joli Homme.
« Si l’on applique ces principes & ces exemples à l’Eloquence de la
Chaire, qui roule sur des matiéres tout autrement graves &
sérieuses, que n’est la mort de
Voilà ce que j’ai entendu dire plusieurs fois à des Rationalistes. Vous voyez, Lecteur, que
je ne suis pas de ces disputeurs de mauvaise foi, qui affoiblissent les
argumens de leurs Adversaires, pour les combattre avec avantage. Non,
non : je ressemble à ces preux Chevaliers de
l’felon Géant sans armes, ne profitoient pas de cette bonne
occasion de le pourfendre ; mais qui pour le
combattre avec gloire, attendoient qu’il se fût couvert d’une cuirasse
impénétrable, & qu’il eût armé sa main d’une massue aussi grosse
qu’un mât de Navire.
Je fais plus encore, j’aide mes Ennemis à s’armer de toutes piéces : c’est comme cela que je les demande, morbleu ! Au fait.
J’avoue que le raisonnement que je viens d’alléguer seroit concluant,
s’il n’étoit fondé sur l’imagination creuse qu’il ne
faut qu’être Homme pour savoir raisonner : imagination dont je
crois avoir démontré la fausseté en plus d’un endroit.
Un Prédicateur forme un plan, pose des principes, en tire des
conséquences. Il a beau exprimer tout ce qu’il dit d’une maniére noble
& forte, que veut-on que je fasse de tout cela, moi qui n’ai point
d’ame, & qui par conséquent ne saurois suivre un rai-
On pourra m’objecter, « que le plus fameux Prédicateur de toutes ces
Provinces, a trouvé le secret de charmer tous ses Auditeurs Rationalistes, & autres : cependant il forme
un plan, pose des principes, tire des conséquences, ne perd jamais son
sujet de vue, & il fait tout cela avec une exactitude presque
Géométrique. Son éloquence n’est pas gracieuse, fleurie, puérile ; elle
est noble, forte, pathétique ; elle ne sert qu’à développer ses raisons,
& à les mettre dans toute leur force & dans toute leur beauté ;
elle ne s’échauffe, & ne se permet de grands mouvemens, que quand la
raison doit être déja convaincue, & quand il ne reste qu’à faire
goûter la Vérité au cœur, comme souverainement aimable &
intéressante. »
Il n’y a là-rien dont je ne convienne avec plaisir, & je n’ai garde
d’alléguer, pour énerver cet exemple, une foule de Critiques, qui disent
pis que pendre des Discours de ce Prédicateur, mais qui ne manquent
pourtant jamais d’aller les entendre. Je dirai seulement, que ce n’est
ni la force de la raison, ni l’éloquence qu’on prétend lui être propre,
qui produit cette approbation générale. Cela est si vrai, qu’ayant
demandé un jour à un homme grave, qui venoit d’entendre un de ces
Discours, ce qu’il en pensoit : Bon, me
répondit-il, ce ne sont que des raisonnemens.
Ce bon homme apparemment n’a-
Les autres Auditeurs ne sont pas bâtis comme cela. Je suis sûr qu’ils n’admirent cet habile homme, & qu’ils ne se plaîsent à ses Discours, que comme ils sont charmés d’un Concert de musique, exécuté par des bouches petites & vermeilles, & par des mains blanches & pottelées.
Rien de plus constant, surtout par raport aux Femmes, qui m’ont avoué
quelquefois, qu’il n’y avoit que M. S ** qui pût les toucher. Je ne sai
pas au juste, si elles étoient assez folles pour s’imaginer que la Vertu
ne seroit pas utile & aimable, si ce Monsieur
n’avoit pas la voix d’un argentin sonore & pénétrant, s’il n’avoit
pas un beau visage & la main belle. Mais ce que je sai, c’est
qu’elles ne concevoient rien dans ses raisonnemens, & qu’ils ne
laissoient pas les moindres traces dans leur esprit.