Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "X. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\010 (1723-1725), S. 217-225, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2044 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

X. Dialogue.

Ebene 2► Satire► Dialog► Artenice, Belise.

Belise.

Je viens, Madame, de voir par ma fenêtre, Madame l’Elpenice, qui étoit venuë pour vous voir, & que votre Suisse a brusquement renvoïée, disant qu’on ne pouvoit vous parler ; je suis descenduë pour la faire entrer, mais elle étoit déjà partie. Le Suisse m’a dit que c’étoit la trois ou quatriéme fois qu’il étoit ordonné qu’on lui dît que vous n’y étiez pas, chaque fois qu’elle viendroit.

Artenice.

La Suisse a bien fait de la renvoïer, & vous fort mal fait de la vouloir faire entrer ? dequoi vous mêlez-vous ? [218]

Belise.

N’étoit-elle pas votre meilleure amie avant que vous fussiez mariée ?

Artenice.

Ouï, mais je ne sçavois pas encore qui j’épouserois, & que je dûsse devenir une Dame de la premiere qualité ; je l’aimois, je me plaisois fort avec elle, je l’aimerois encore si elle avoit épousé un homme de la condition de mon mari.

Belise.

Hé, Madame ! le mari qu’elle a épousé est bon Gentilhomme, & d’ailleurs fort riche.

Artenice.

Qu’est-ce qu’un Gentilhomme qui n’est pas titré ? convient-il à une Dame de mon rang de voir ces canailles-là ? Je ne puis, en honneur, avoir pour amies que des Duchesses ou des Princesses.

Belise.

Je crains bien, si vous prenez sur ce ton-là, que vous ayez peu d’amies. [219]

Artenice.

Peu d’amies, qui moi ! n’ai-je pas été nommée pour une des Dames de la fête où il n’y a eu que des Duchesses, & que celles qui sont du bois dont on les fait.

Belise.

Ces Duchesses-là ne méprisent point les personnes qui ne sont pas de leur rang, & moins encore celles qui ont été de leurs amies ; elles les voïent avec le même plaisir, & jusqu’à des femmes de Robe.

Artenice.

Ah, des femmes de Robe ! voilà de belles connoissances pour des Duchesses !

Belise.

Hé pourquoi non ? est-ce que les femmes de Robe n’ont pas aussi leur rang ?

Artenice.

Le plaisant rang ! que la femme d’un Avocat. [220]

Belise.

Appellez-vous Madame la Presidente de . . . . la femme d’un Avocat ?

Artenice.

Je sçai que son mari est Président, mais qu’est-ce qu’un President ? un Acvocat renforcé.

Belise.

En verité, Madame, vous n’y pensez pas, il y a des Presidens d’aussi bonne maison, que les gens d’Epée les plus considérables.

Artenice.

Il est bien question de maison, quand on est dans cette crasseuse de Robe.

Belise.

Permettez-moi de vous dire, que si on vous entendoit, on vous croiroit devenuë folle.

Artenice.

C’est vous qui parlez comme une folle. Qui a jamais dit qu’un homme, qui n’est pas d’Epée, fût de bonne maison ? [221]

Belise.

D’Epée, ou de Robe, qu’importe, en est-on moins Gentil-homme de bonne roche pour être de Robe : Ne voit-on pas dans la même famille des gens de Robe & d’Epée ? Tels qui n’étoient que Conseillers, ont eu des Freres ou des Cousins Maréchaux de France, je vous nommerois des gens de Robe dont les Ancêtres ont été très-distinguez dans l’Epée.

Artenice.

Cela se peut ; car dans toutes les meilleures maisons il y en a qui dégenerent & qui ne soutiennent pas leur noblesse.

Belise.

Quoi ! ce n’est pas soutenir sa noblesse que d’être de Robe ?

Artenice.

Non, ma mie, c’est vous qu’on traiteroit de folle, si dans les maisons de qualité que je frequente, où j’ai cru qu’il me convenoit d’avoir des amies, l’on vous entendoit parler, comme vous faites. Je m’étonne que depuis que vous êtes ici vous n’aïez pas ap-[222]pris à parler. On croiroit que vous n’avez jamais connu que des Bourgeoises.

Belise.

Madame la Duchesse D . . . Madame la Princesse D . . . vingt autres que je pourrois nommer, sont-elles des Bourgeoises ? J’ai eu l’honneur de les connoître, & même elles m’ont honorée de leurs bontez ; j’ai vû chez elles hommes & femmes de Robe traitées avec beaucoup de distinction.

Artenice.

Je ne m’en étonne pas : celles que vous m’avez nommées avoient des procès ; moi, Dieu merci, je n’en ai point, & rien ne m’oblige de considerer cette crasseuse de Robe : & je sçai mieux soutenir mon rang.

Belise.

Mais n’avez-vous pas un assez proche parent dans la Robe ?

Artenice.

Vous êtes bien insolente de m’en parler. Personne ne sçait qu’il est mon parent, & n’a l’impudence de me le dire. [223]

Belise.

Mais, Madame, il porte votre nom, & je croi que c’étoit aussi le nom de feu Monsieur votre Pere ?

Artenice.

Il s’agit bien du nom de mon Pere, ne l’ai-je pas quitté ? me connoît-on sous un autre nom, que sous celui de mon mari ?

Belise.

J’ai ouï dire que Monsieur votre Pere étoit un fort honnête homme, & que Monsieur votre Parent qui porte son nom, est aussi un homme de merite.

Artenice.

Le plus grand malheur qui soit arrivé dans ma maison, c’est que mon Pere y soit entré, & avec lui tous ses crasseux de parens.

Belise.

En verité, Madame, vous perdez l’esprit.

Artenice.

C’est vous qui me le faites perdre, & si [224] vous continuez à me tenir de pareils discours ; je croi, Dieu me pardonne, que je deviendrai tout-à-fait folle.

Belise.

Vous n’aurez pas grand chemin à faire. Mais, puisqu’il vous plaît de mépriser jusqu’à Monsieur votre Pere, parce qu’il vous a donné des parens de Robe, qui valent bien vos autres parens, sauf votre respect, pour la condition & le merite ; devez-vous mépriser vos amis, & croïez-vous n’avoir jamais besoin de Madame d’Elpenice votre ancienne amie ; son mari n’est point homme de Robe.

Artenice.

En vaut-il mieux pour moi, n’étant que simple Gentilhomme ?

Belise.

Il est fort riche, Madame, il est fort riche, je vous l’ai déja dit, & le besoin d’argent où je vous vois tous les jours . . .

Artenice.

Croïez-vous qu’il voulût m’en prêter ? [225]

Belise.

Ouï, Madame, il est fort genereux, & si vous ménagiez Madame sa femme, qui a beaucoup de pouvoir sur lui . . .

Artenice.

Ah, ah ! vous me faites faire une reflexion que je n’avois pas faite. Allez la voir, ma chere Belise, & faites lui bien des excuses.

Belise.

Vous seriez mieux d’y aller vous-même.

Artenice.

Vous avez raison, je veux y aller tout à l’heure : qu’on mette mes chevaux au Carosse, & qu’on m’habille . . . Venez avec moi, vous verrez combien je lui ferai de caresses ; je sens bien que j’ai toujours de l’amitié pour elle. Ouï, ma pauvre Belise, je l’aime de tout mon cœur.

Belise.

Et plus encore son argent . . . ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1