Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 26", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.2\006 (1725), S. 81-95, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2020 [aufgerufen am: ].


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No. 26.

Metatextualität► Suite de la Lettre d’un homme d’âge &c. ◀Metatextualität

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Fremdportrait► Peut-être que la même Scene auroit été repetée plusieurs fois, si je n’étois pas passé du College à l’Université. Changement d’Etat, que mon amour propre avoit souhaité passionément. Cette maniere de vivre a [82] un air de Monsieur & de grand garçon qui me plaisoit fort. Me voilà dans un nouveau monde. Mais hors d’état d’y faire figure. Quelle nouvelle mortification ; elle me fut d’autant plus sensible, que ma vanité s’étoit accrue avec mon âge. Que mon habit uni alloit mal, selon moi, parmi les galons & la broderie ? je trouvai mon pis aller dans une résolution ardente de me distinguer encore par cette sorte de réputation, qui est le fruit de l’habileté. Je me mis à étudier jusques à en maigrir. Je n’avois qu’à peine quatorze ans ; mon air enfantin m’attiroit du mépris. Mais je le vainquis bien-tôt. Mes Professeurs m’aimerent & me donnerent de brillantes marques d’estime. Plusieurs étudiants commencerent à avoir de la considération pour moi ; d’autres me porterent envie, & quelques-uns furent assez impertinents pour trouver ridicule que mon génie, & ma diligence fussent au-dessus de mon âge & de ma taille. Entre autres, le dernier tyran que j’avois détroné au College, se trouvant aux-mêmes leçons avec moi, trouva à propos d’insulter à ma jeunesse par des railleries brutales. Un jour que je me contentai de lui rire au nez de la maniere la plus insultante il me donna de son gand dans le visage, en me menaçant de me fouëtter, dès qu’il me trouveroit dans la ruë. Son action lui attira les applaudissements de quelques sots, & par là elle acheva de men [83] mettre dans une fureur inexprimable. Le Professeur survint ; je n’écoutai que la fin de sa leçon. Je sors ; je joins mon homme, & en lui disant tout ce qu’on peut dire de plus humiliant au dernier des faquins, je mis flamberge au vent. Il ne daigna pas tirer la sienne, mais il avança vers moi pour m’ôter mon épée, ce qu’il crut facile. Mais me connoissant, & me voyant dans une attitude à la lui passer au travers du corps, il s’en voulut aller en me traitant de petit morveux indigne de sa colere. Mais à peine eut il laché ces paroles injurieuses, qu’il sentit cinq ou six coups de plats d’épée, qui lui tomberent sur les oreilles avec toute la promtitude, qui puisse être produite par la rage la plus emportée ; Il voulut alors degainer, mais ses compagnons le retirent, & se laissant persuader, qu’il n’y avoit point d’honneur à gagner avec moi, il s’en alla tout doucement, quoique je lui demandasse à différentes reprises, s’il avoit encore envie de me donner le fouët ; ce petit trait d’Artaban m’extasia ; Il fit même un bon effet pour moi. Je commençai à passer pour un petit drolle qui n’entendoit pas raillerie, & les sots de qualité me permirent dès lors d’avoir plus de génie & d’application qu’eux. Ma vanité ne se contenta pas de briller dans les sciences. Elle voulut encore primer dans les exercices, pour lesquels j’avois une très grande disposition. Mon esprit Romanes-[84]que me porta sur tout à apprendre à bien manier l’épée. Je croyois que mon courage avoit besoin de ce soutien pour se rendre considerable, & pour soutenir mon orgueil fondé sur mes prétenduës belles qualitez, contre l’orgueil des autres appuïé sur leur bien & sur leur Noblesse. Ma bourse étoit assez mal fournie ; qu’importe ; je résolus d’épargner sur mes vivres, de quoi paier mes maitres. Je me mis à apprendre mes exercices avec une espece d’emportement, & en deux ou trois mois j’y fis autant de progrès, que d’autres dans plusieurs années. Nouveau mérite, nouveau rélief pour moi parmi les Citoyens de l’Université. J’en tirai bientôt un avantage solide. Un Seigneur fort riche charmé de ma réputation, voulut me lier d’amitié avec son fils unique fort bon enfant, mais qu’on avoit de la peine à dégourdir, & qui avoit grand besoin de l’ambition, que j’avois de trop. Son Pere étoit généreux. Il me promit sa protection ; & il me fit réellement des présents considérables assaisonnez de tout ce que la Politesse peut avoir de plus obligeant. Sa maison devint presque la mienne, & j’étois grondé quand j’étois un jour entier sans me servir de sa table. Me voilà dans une situation brillante. Caressé d’un homme des plus distinguez, faisant bonne chere, & ce qui me touchoit bien plus mis fort proprement & ne fréquentant que de jeunes gens de la premier qualité. En même tems me voilà absolu-[85]ment yvre de moi-même ; l’unique centre de toutes mes pensées, continuellement occupé à batir sur nouveaux frais des Chateaux en Espagne moins enfantins & d’une solidité plus apparente.

Le faux honneur est desormais l’unique regle de ma conduite tandis que les principes de Morale & de Religion sont entiérement enterrez dans mon ame, sous les chimeres les pus impertinentes. Je ne laissois pas à la verité de penser à la Religion, mais je ne la considerois que d’une maniere speculative, pour contenter une ridicule envie de babiller, & de briller sur tout. Dans cet examen je n’étois point homme à m’en fier aux décisions de mes maitres. Ma vanité n’étoit jamais plus ravie, que lorsque je marchois seul loin des routes batues, & que je croyois déterrer moi même l’évidence qui devoit regler mes opinions. Heureux si ma suffisance ne m’eut jamais rendu de plus mauvais service. Mes Professeurs en secouant la tête me traitoient de genie pétulant, & ils craignoient fort pour moi le malheur déplorable de tomber dans quelque Héresie. Je me moquois de leurs allarmes, le titre d’hérétique & d’Hérésiarque même ne me faisoit pas peur. Je voulois penser librement. J’avois raison mais je voulois voler sans aîles. Dans une heure je prétendois me mettre en état de démêler les questions les plus épineuses, ou de décider quelles étoient incomprehensibles. J’avois tort, & cette présomtion pue-[86]rile avilissoit mon Caractere par une ridicule fatuité.

Tout ce qui me restoit de bon par rapport à la pieté, c’est que je la trouvois souverainement belle & que je la respectois jusques dans les ames les plus imbeciles, & dans les figures les plus plattes. Mais je ne me souciois gueres de la trouver dans mon propre cœur. L’infame contraste.

Ce qui acheva de me rendre le plus grand petit fat de l’Univers, & qui dans la suite pourtant m’a fait quelque bien ; c’est que je ne sai par quel hazard je m’accrochai à une compagnie d’apprentifs beaux Esprits ; jeunes gens fort sages, fort reglez, mais vains presque autant que moi. Leur grand défaut, étoit d’être beaux Esprits. Idées, notions ! fadaises que tout cela. Il n’y avoit chez eux de beau, que les pensées. Ils apprecioient le merite de tous les Ouvrages par le nombre & par la qualité des pensées. Telle pensée étoit délicate, telle naïve, telle brillante ; d’autres étoient neuves, d’autres renouvellées des Grecs. Il y en avoit de Nobles, & d’autres plus que Nobles ; elles étoient sublimes. Un Théologien de ce corps Spirituel se ventoit que dans un Essai de sa façon il avoit cinquante pensées de compte fait, sans celles de l’Exorde. Ces Messieurs me prirent d’abord, par mon foible, pour m’attacher à eux. Ils me trouverent l’imagination vive & séconde, & ils me persuaderent, que je n’avois qu’à lire un certain Ouvrage du Pere Bohours, [87] pour avoir des pensées tout comme un autre. Ma vanité étoit gagnée ; je voulus avoir des pensées, & je ne voulus avoir que des pensées. Le bon sens, ouï, c’étoit quelque chose ; il falloit du vrai dans les pensées ; mais dans le fond il n’y avoit que les pensées qui fissent le merite du vrai. Le bon sens n’étoit que le caput mortuum de l’entendement humain. Mais l’esprit ! la peste ! c’en étoit la fine fleur, & je concevois parfaitement qu’avec du bon sens tout pur on pouvoit n’être qu’un sot ; mais ce que je ne concevois pas, c’est qu’avec du bel Esprit, & même de la meilleure sorte, on peut sans miracle être fou à lier. J’en eus dans quatre jours. Dans un mois de tems je devins pensée moi-même, je fourois des pensées par tout. Je revins entiérement de l’éloquence des Cicerons & des Demosthenes. Bon ! ces gens pensoient juste, mais il n’avoient point de pensées ; j’en fourrois un plus grand nombre dans deux pages qu’ils n’en plaçoient dans un harangue entiére. Les pauvres petits Esprits ! ce qui m’étonnoit pourtant dans leurs Ouvrages, c’est qu’ils attachoient mon attention, & qu’ils me touchoient ; je crus entrevois la dedans quelque supercherie, & je trouvois imperinent à ces gens-là d’être pathetiques sans pensées. Pour moi je les entassois jusques dans mes compositions Academiques, mais je crus être frappé d’un coup de foudre, quand je vis mes Professeurs trouver tout cela extravagant. Comment faire avec ces Pedans [88] qui n’ont point de gout ! leur stupidité me faisoit hausser les épaules.

J’eus le malheur de briller bien-tôt parmi ces esprits qui tachoient d’être fleuris & delicats, même quand il s’agissoit de peindre la fureur, ou le desespoir, qu’elle friande nourriture pour ma vanité ; quelle source de mépris pour les plus habiles gens, qui n’avoient dans leur sterile cerveau que des idées & des images !

Quoique cette nouvelle Societé, qui selon moi, avoit mis le comble à mon merite superieur, me plut au dela de l’imagination, je ne laissois pas de trouver du tems pour fréquenter mes Gentilshommes. Dans un même jour je faisois souvent trois personnages, le bel Esprit, le Damoiseau, & le Breteur. Cela est si vrai, qu’avant l’âge de dixhuit ans j’avois déjà produit deux mille pensées en Vers & en Prose, fait l’amour à six maitresses, & tiré l’epée plus de dix fois ; le tout avec beaucoup plus de bonheur que de sagesse ; & le tout bien aprécié avec ses circonstances montant à la somme de plus de vingt mille impertinences grossiéres. Ce qui me lioit d’ordinaire à une belle, c’étoit mon immense vanité qui me portoit à faire un Essai de mon merite ; & ce qui m’en détachoit c’étoit moins inconstance, ou infidélité prémeditée, que fierté du côté de ma maitresse, ou bien la découverte de quelqu’un de ses défauts, qui me la faisoit considerer comme indigne de la tendresse d’une aussi belle ame [89] que la mienne. Ce n’étoit pas proprement ma vanité satisfaite qui donnoit la mort à mon Amour. Je commençois à aimer par orgueil. Bientôt il s’y meloit une sincere & vive tendresse dont mon cœur dès mon enfance a été une source séconde, qui a répandu l’amertume sur la plus belle partie de mes jours. Avec ces six belles de toutes sortes de figures & de merite mon cœur n’avoit fait que son cours de tendresse. Ce n’étoient là que des préludes d’extravagance. Un séjour de trois Semaines à la Campagne étoit destinée à faire produire à mon orgueil Romanesque tout ce que l’amour peut tirer de plus fou de cette impertinente disposition de l’ame. J’étois à cette Campagne avec le fils de mon Protecteur, & nous y trouvâmes une Tante & une Consine <sic> du jeune Cavalier.

Les charmes de la Tante avoient fait du bruit dans le monde. Elle avoit encore de beaux restes, qui soutenues par une longue expérience dans l’Art de plaire sufisoient pour asservir un cœur comme le mien. Mais la Cousine m’empecha de faire cette folie, en m’engageant dans une autre plus durable, & plus forte. Il n’étoit gueres possible de rien voir de plus joli & de plus mignon que cette charmante blonde, qui agée à peine de quinze ans avoit déjà des airs de tête, & savoit manier ses yeux. Faut il s’en étonner ? elle avoit un heureux naturel, & elle étoit en très bonne école. Dès le premier jour je me vis [90] sur un pied de familiarité avec les deux belles, & fort touché de la beauté naissante de la Cousine. Elles enflerent à l’envi mon amour propre par les Loüanges outrées, que je mis sans façons sur le compte de mon merite, que je croyois d’une nature à n’être pas bien demelé que par des personnes distinguées. Je vis même avec une agréable surprise que la Dame appuïoit ses discours gracieux par des souris fins, par de petits soupirs, & par des regards languissants ; je voulois faire un Roman avec la Cousine de mon ami ; sans cela, j’étois persuadé qu’il ne tenoit qu’à moi de composer avec la Tante une historiette fort Abregée. Quoique cette découverte me fit plaisir, mes yeux s’attachoient presque toujours sur ma jeune blonde qui paroissoit prendre sa Mere pour modelle. Ses regards étoient plus timides, ces souris moins frequents & plus embarassez : c’en étoit assez pour moi. J’étois en extase ; le même soir j’eus l’insolence de lui déclarer ma passion avec les expressions les plus animées ; Elle ne me répondit rien, elle se contenta de me presser la main tendrement. Sa Mere étoit sur nos talons. Je ne m’en étois pas apperçu. Mais je ne sai comment les filles sont faites ; elles ont toujours l’œil alerte, & dans leurs extravagances même il y a presque toujours plus de prudence que dans les noters. Je crus que la main de ma petite Déesse m’en avoit dit assez ; quel triomphe ! Quelle félicité ; quels nouveaux transports de [91] joye ! Pendant toute la promenade j’eus une gaïeté évaporée qui me fit dire les plus grandes folies du monde. Elles firent rire la Maman jusques aux larmes & je crus découvrir qu’elles augmentoient sa bonne volonté pour moi. Depuis que je suis au monde je n’ai pas passé une plus délicieuse nuit. Quelle ravissante insommie ! être aimé d’un fille belle comme un Ange & de la premiere qualité encore ! Avoir la liberté de la voir & de lui parler pendant plusieurs Semaines ! La félicité humaine peut elle aller plus loin. L’Amour que je crus découvrir pour moi dans la Mere augmentoit encore l’agrement de mes reveries. Je ne la considerai gueres que comme une nouvelle preuve de mon merite irrésistible ; mon attention ne s’attacha gueres aux obstacles, qui en devoient naitre ; Et puis il faut bien des obstacles dans un Amour bien reglé ; tous les Romans sont formées là-dessus. Chaque jour donnoit un nouveau brillant à mes idées flatteuses. La belle Cousine répondoit à ma tendresse autant qu’un Amour Romanesque pouvoit le souhaiter. Comment Monsieur, les petites faveurs en étoient, & même la jalousie. Cela alloit presques à me quereller avec vivacité sur les égards que j’avois pour sa Mere, quoique dans d’autres moments elle me préchat les mêmes égards. Je pris tout cela hardiment pour un Amour averé ; de plus habiles que moi eussent pu y être pris. Voilà mon Elise toute trouvée, je redevins Arta-[92]ban plus que jamais ; & je ne doutois pas que quelque incident imprevu ne m’en mis un jour en possession, & que dans cette possession je ne trouvasse un Abrége de toute la Félicité humaine. J’étois fidelle à la rigueur, Amadis n’y fit œuvre. La Mere avoit beau m’agacer ; elle flattoit ma vanité ; sans toucher mon cœur. En vain par une coquette négligence authorisée par la vie champetre elle m’étaloit une gorge parfaitement belle. Elle perdoit son étalage j’aimois mieux deviner celle de sa fille. Il falloit se séparer pourtant ; ces beaux jours étoient passez comme un reve. Il fallut même se séparer, quelle douleur ! sans pouvoir prendre congé de ma belle qu’en presence de la coquette Maman ; cette circonstance jointe à la nécessité du départ me mit au desespoir. Pour comble de chagrin ma petite Princesse n’eut dans tout son air rien de décontenancé & je ne trouvai pas une secrette douleur peinte dans ses yeux. Cette tranquillité me scandalisa, mais j’eus la bonté de l’attribuer à un principe de circonspection ; j’admirois sa force d’esprit, & j’aurois souhaitté pourtant qu’elle en eut eu moins ; quel fut mon étonnement lorsque après quelques mois passez dans l’agréable méditation des plaisirs que je devois gouter en la revoiant, je la trouvai environnée de Damoiscaux ; & toute de glace pour moi. J’eus de la peine à en croire mes yeux. Elle avoit l’air de ne m’avoir jamais vu. Oui, non, est il possible ? voilà tout ce qu’elle me répondoit, [93] d’un air destrait encore, & sans m’honorer d’un seul régard. Sa Mere étoit plus honnête ; l’indifference qu’elle me marqua étoit du moins sans mépris. Me voilà devenu tout d’un coup de l’homme du monde le plus présomptueux, le plus mortifié & le plus atterré de tous les humains. Par un Phenomene si peu attendu je me trouvai étourdi, abruti même. Dans deux heures entiéres je ne prononçai pas quatre paroles. La Mere me railla d’un silence si extraordinaire, & la fille n’y prit pas garde. Le moyen ! Elle étoit occupée à persuader là quatre ou cinq petits Maitres que chacun d’eux étoit celui qu’elle goutoit le plus. Je la vis encore deux ou trois fois, toujours même reception ; j’aurois donné la moitié de mon sang pour avoir un tête à tête avec elle. Il me fut impossible d’en trouver l’occasion. Je fus même qu’elle avoit une intrigue dans les formes & qu’elle n’y étoit pas si prudente, qu’elle l’avoit été dans la notre. Si ce n’avoit été qu’une fille, cette découverte m’eut gueri, mais c’étoit une fille de qualité. La maladie de mon ame dura plus d’une année entiére ; lorsque je la rencontrois dans la ruë une paleur mortelle couvroit mon visage. Elle s’en appercevoit indubitablement. Quelque fois elle m’honoroit d’un salut très-gracieux. Je croyois que c’étoit pour me donner quleque consolation ; mais je suis sur que cette bonté n’avoit son Principe que dans la joye que lui procuroit mon air défait & embarassé, & [94] qu’elle me récompensoit machinalement de la nouriture délicieuse que je donuois à son Amour-propre.

Après avoir soufert <sic> pendant long-tems tout ce qu’une passion malheureuse & une vanité mortifiée peuvent avoir de plus sensible pour une ame comme la mienne, je recommençai insensiblement à respirer. Mais il fallut une nouvelle passion pour me remettre entiérement. Elle me fut inspirée par une jeune Bourgeoise de mon voisinage. Je remarquai qu’elle me faisoit de grandes réverences, & qu’elle étoit toujours à sa fenêtre lorsque j’étois à la mienne ; en voilà assez pour résoudre mon orgueil à quelque petits efforts pour en faire la conquête. Dans le fond je ne la considérai que comme une bonne fortune, ou bien comme un objet d’amusement en attendant quelque Maitresse de plus grande conséquence. C’étoit une fille de mon age, qui ne voyoit personne. Il s’en falloit bien qu’elle eut une beauté aussi brillante, que celle de ma volage Demoiselle ; elle étoit simplement jolie, mais elle avoit dans la Physionomie quelque chose de très piquant. Il ne me fut pas difficile de m’introduire chez elle, je passois pour un jeune homme fort sage & cette réputation n’étoit pas trop mal fondée. Je ne m’ennuiai point dans la prémiere visite, quoiqu’elle fut très-longue. C’étoit une fille sans monde & presque sans éducation. Elle etoit sincere, naturelle, naïve ; je crus voir qu’elle étoit ten-[95]dre, & je ne me trompai point. Elle me plût beaucoup ; mais je ne lui dis pourtant pas d’abord, que je l’aimois, je n’aimois point à mentir ; je me contentai de lui lacher quelques douceurs, qu’elle prit bonnement pour une déclaration dans les formes ; Elle me rémercia de la bonté, que j’avois pour elle, & elle me dit qu’il y avoit long-tems que je lui plaisois, sur tout parce qu’on lui avoit assuré que j’avois beaucoup d’esprit. Mon Caractere vous fera comprendre sans peine que je dus sortir d’avec elle amoureux, ou du moins très-disposé à le devenir. Un homme excessivement vain est à la prémiere occupante ; une femme n’a pas besoin du moindre merite, pour se rendre maitresse de son cœur ; elle n’a qu’à lui faire voir qu’elle a du gout pour lui. Cette visite fut suivie de quatre ou cinq autres qui sans me rendre tout à fait amoureux, me firent vois clairement que j’étois aimé avec une véritable tendresse. Ce triomphe de mon prétendu merite réleva entiérement mon orgueil abbatu. Je m’accoutumai à ne plus considérer les mépris de ma charmante blonde comme un afront personnel à ma figure & à mes belles qualitez ; je ne l’imputai qu’à ma pauvreté & à ma roture. ◀Fremdportrait ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1