Discours IV.
Spectatum admissi risum teneatis amici.
Hor.a.p.v.5
Mes chers amis, pouvez-vous vous empêcher de rire à la vue d’un
tel spectacle !
Je vois quelquefois un jeune homme
qui se plaît dans la compagnie des femmes qui ont de la vertu, qui
aspire à leur bienveillance, & la leur demande avec cet air qui fait
voir qu’on en connoît tout le prix ; qui amuse sans être
méchant, qui fait de très-jolis vers sans s’en vanter, & conserve,
parmi les louanges, cette modestie qu’elles font perdre si aisément ;
qui respecte dans les hommes leur vertu, malgré leur état, & leur
état malgré leurs vices, suivant que l’une renferme plus d’utilité
réelle, & l’autre plus de sainteté extérieure : & je me dis,
pourquoi mille peres, honnêtes gens, n’ont-ils pas un pareil fils ?
Quand je vois ce jeune homme,
je ne puis me dispenser de faire de tristes comparaisons, &
d’appeler à mon tribunal tant d’étourdis & de voluptueux qui
surchargent la terre. Le nombre pourra bientôt s’en compter par le
nombre mêmes des mâles nés une vingtaine d’années auparavant. Tous les
jeunes gens tendent aujourd’hui à la corruption. La postérité s’en
ressentira. Les calculateurs du bien & du mal n’en conviendront point ; mais les Médecins en sçavent plus que les
calculateurs, pour décider de ce qui doit nuire à l’espece humaine,
& ils diront que, si on avoit vécu depuis mille ans seulement, comme
on vit aujourd’hui, ces jeunes gens qu’on voit si efféminés, si
languissans, si inutiles à la société, dans tant de cas différens,
auroient encore de quoi étonner par la force de leurs organes & la
longueur de leur vie. De père en fils il est impossible que la nature ne
se détruise pas, quand de façon ou d’autre on fournit tous les jours aux
Médecins l’occasion de créer de nouveaux remedes, dont la plûpart sont
encore & doivent être si inutiles. Le Médecin appellé en France il y a
quelques années, trouva beaucoup de petits maux pour lesquels il ordonna
des remedes simples ; il eut raison : mais ces petits maux deviendront
de grandes maladies, en passant successive-ment d’un sang
dans d’autres veines, & si M. Tronchin vivoit
dans deux cens ans, & qu’il fût encore appellé ; il seroit assez
honnête homme pour dire : En voyant vivre vos peres,
j’avois compris que des incommodités qui ne demandoient pas d’être
guéries, un jour ne pourroient plus être guéries.
Je laisse-là cette matiere sur
laquelle il n’y a plus rien à dire, & je reviens au jeune homme dont
j’ai d’abord parlé.
Il est l’espoir & l’amour de sa
famille, & sans avoir, ni espérer une grande fortune, on lui offre
tous les jours les plus riches partis. Son père lui parle avec une
confiance où, l’on voit qu’il entre toute l’estime qu’une profonde
connoissance pour donner pour quelqu’un. C’est entr’eux un accord, une
familiarité qui surpassent encore, & touchent plus que
l’intelligence des deux meilleurs amis. J’ai vu des peres pleurer en les
voyant ensemble, & souhaiter de pouvoir acheter de
tout leur bien un fils comme celui-ci. Ce que j’estime le plus en lui,
c’est la manière dont il repousse l’impertinence qui voudroit le
plaisanter sur sa raison. Il a alors un sang froid admirable, par le
moyen duquel on ne lui dit jamais que deux mots, & il n’en répond
jamais qu’un. Il ne garde point cet extérieur, lorsque c’est la raison
des autres qu’on attaque, surtout s’ils sont présens. Il semble qu’il
veuille dispenser un honnête homme de la peine de confondre un sot ou un
fat ; il n’attend point qu’une plaisanterie ait produit tout son effet,
pour se livrer à son génie bienfaisant : plein de la beauté du motif qui
l’anime au combat, il regarde un simple signal comme une attaque formée,
& j’ai vu quelquefois des impertinens pleins d’esprit, désarmés
& honteux, avant que d’avoir fait usage de leurs armes.
Le jeune homme, dont je parle, aime les gens d’esprit & beaucoup plus
les gens de lettres. Parmi les premiers, il distingue ceux qui ont des
mœurs ; & parmi les autres, ceux qui ont de la politesse. Il lit
beaucoup ; & malgré cela, n’achete pas tous les livres, & ne
parle pas de tous. Il sçait qu’acheter tout, est une sottise, &
parler de tout, une impertinence. Il préfere les littérateurs qui
peuvent l’instruire, à ces abeilles brillantes qui portent partout la
sue des fleurs dont elles n’ont extrait que la superficie. Il dédaigne
même le beau langage, persuadé qu’en général un homme qui parle toujours
bien, est un homme qui pense toujours peu, & trouvant qu’il est plus
honorable de dire des choses, que de rendre des sons.