IV. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer-Pernkopf Herausgeber Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Martin Stocker Mitarbeiter Katharina Tez Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 24.05.2019 o:mws.315 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 20-26 Le Spectateur ou le Socrate moderne 2 004 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Filosofía France 2.0,46.0

IV. Discours

spatio breviSpem longam reseces: dum loquimur fugerit invidaÆtas; carpe diem, quàm minimum credula postero.

Hor. l.i. Ode xi. 6.

Retranchez de vos espérances, ce qui est au delà du peu que vous avez à vivre. A l’heure que je vous parle, les momens semblent nous envier leur jouissance, & se dérobent à nous. Saisissez le jour présent: & par trop de crédulité, ne comptez pas sur le lendemain.

« Nous nous plaignons tous, dit Seneque, de la rapidité du Tems, & malgré tout cela, nous ne savons pas de quelle maniere disposer d’une bonne partie. Notre vie, ajoûte-t’il, se passe à ne rien faire du tout, ou à ne rien faire de ce qu’il faudroit, ou à faire toute autre chose que ce que nous devrions: On sait des plaintes continuelles sur la brieveté de nos jours, & l’on agit comme s’ils ne devoient jamais finir. » Cet illustre Philosophe a décrit, avec toute la varieté de l’expression & des pensées, qui lui est si particuliere, les contradictions où les Hommes tombent à cet égard.

J’ai souvent envisagé les contradictions de l’Esprit Humain sur un Article, qui n’est pas éloigné de celui-ci. Quoi que nous paroissions fâchez de la brieveté de la vie en genéral, nous souhaitons voir au plûtôt la fin de chacun de ses Périodes. Lors qu’on est en bas âge, on languit d’être Majeur, ensuite de s’intriguer dans les Affaires, d’amasser du Bien, de parvenir aux Honeurs, & de se retirer. Ainsi quoi que chacun reconnoisse que la Vie est courte en elle-même, ses differens Périodes nous paroissent longs & ennuïeux. Nous voudrions alonger notre Mesure en gros, & la racourcir en détail. L’Usurier seroit bien aise que tout le tems, qui doit s’écouler entre cet instant & l’écheance de ses Dettes actives, fût anéanti. Le Politique donneroit volontiers trois années de sa Vie, s’il pouvoit mettre les affaires dans la posture ou il s’imagine qu’elles seront à la fin de ce terme. L’Amoureux retrancheroit avec plaisir de son éxistance tous les momens qui doivent s’écouler jusques à l’heure de son Rendez-vous. Avec quelque rapidité donc que le Temps s’envole, nous serions charmez, dans presque tous les états de la Vie, qu’il passât beaucoup plus vîte qu’il ne fait. Il y a bien des heures dans le Jour qui nous embarassent, & nous souhaiterions même quelquefois avoir déjà passé des années entieres: Nous envisageons l’Avenir comme un Païs rempli de vastes Déserts, que nous voudrions traverser à la hâte, pour arriver à ces préten-dus Etablissemens fixes & à ces Points imaginaires de Repos, qui s’y trouvent dispersez d’un côté & d’autre.

Si l’on divise la vie de la plûpart des Hommes en vingt parties égales, on trouvera qu’il y en a pour le moins dix-neuf, qui ne sont que comme de grands vuides, où ils ne s’occupent ni au Plaisir ni aux Affaires. Je ne mets pas de ce nombre ceux qui vivent dans une action continuelle, mais ceux-là seuls qui se donnent du relâche ; & je me flate de leur rendre un bon office, si je leur donne les moïens de remplir ces vuides qui les embarassent.

Le premier de ces moïens est l’exercice de la vertu, à prendre ce mot dans son idée la plus genérale. Les seules Vertus qui regardent la Societé peuvent donner de l’occupation aux Personnes les plus industrieuses, & leur fournir autant d’ouvrage, que la Vie du monde la plus active. Il ne se passe guére de jours, qu’on ne puisse pratiquer les Devoirs qui nous obligent d’instruire les Ignorans, de secourir les Pauvres, & de consoler les Affligez. On a souvent occasion de moderer la violence d’un Parti ; de rendre justice à un Homme de mérite ; d’adoucir les Envieux ; de calmer les Emportez, & de raméner ceux qui sont prévenus. Tous ces Devoirs se trouvent si conformes à la Nature Humaine, qu’ils ne peuvent que procurer un plaisir extrême aux Personnes qui s’en aquitent avec quelque discretion.

Il y a une autre espèce de Vertu, qui peut remplir le vuide où l’on se trouve lors qu’on est seul dans son Cabinet, loin du tumulte & de l’embarras des affaires ; je veux dire celle qui engage toute Créature raisonnable à se communiquer avec l’Auteur de son Etre. L’Homme, qui se croit toujours en la présence de Dieu, jouït d’une satisfaction continuelle ; sa bonne humeur ne le quitte jamais, & il est ravi dans la pensée qu’il est avec le meilleur & le plus cher de ses Amis. Le tems ne lui paroît jamais trop long, & il lui est impossible de se trouver seul. Aux heures que les autres agissent le moins, c’est alors que son Esprit est le plus occupé : Il n’a pas plûtôt quité la compagnie des Hommes, que son cœur tressaillit de joie, son Zèle s’enflame, son Esperance redouble ; il triomphe de sentir que Dieu l’environne par tout de sa protection, & il verse toutes ses amertumes dans le sein de ce tendre Pere de l’Univers.

La pratique de la Vertu ne se borne pas à occuper les Hommes durant cette vie ; elle porte ses influences au delà du tombeau ; & l’Ame se ressentira, dans toute l’Eternité, des bonnes ou des mauvaises habitudes qu’elle aura contractées ici bas : ce qui nous fournit un autre motif bien puissant pour nous engager à ce Devoir.

Si un Homme n’a qu’un petit Capital à faire valoir, & qu’il ait occasion de l’emploïer tout à son avantage, que dirons-nous de lui s’il en retranche tout d’un coup dix-neuf parties, & que peut-être même il ne dispose de la vingtiéme qu’à son préjudice. Mais parce que l’Esprit ne sauroit toûjours s’apliquer à l’exercice de la Vertu ni continuer dans la ferveur de la Dévotion, il a besoin de quelque relâche, & de s’amuser d’une maniere qui lui soit convenable.

Ainsi le sécond moïen que je voudrois mettre en usage, pour nous desennuïer, seroit de nous prêter à quelques Plaisirs utiles & innocens. J’avouë qu’il me paroît indigne d’une Créature raisonnable de se divertir à certaines occupations, dont tout le bien consiste en ce qu’il n’y a point de mal. Je ne sai pas même si l’on en peut dire autant pour aucun Jeu de Cartes ; mais il me semble fort étrange de voir que des Personnes, qui ont de l’esprit, passent douze heures de suite à battre & à couper un Jeu de Cartes, sans avoir d’autre conversation que celle qui naît d’un petit nombre de termes de l’Art emploïez à propos, ni d’autres idées que celles qui viennent des taches rouges ou noires différemment placées sur les Cartes. N’auroit-on pas sujet de se moquer d’un Homme de cette espèce qui se plaindroit de la briéveté de la vie ?

Le Théatre pourroit devenir une source continuelle des Amusemens les plus nobles & les plus utiles, s’il étoit bien ordonné, & réduit à ses justes bornes.

Mais l’Esprit ne se délasse jamais si agréablement que dans l’Entretien d’un fidèle Ami. Il n’y a pas de Bonheur dans la vie qui approche de la jouissance d’un Ami vertueux & discret. Sa conversation éclaire & soulage l’Esprit, fait naître de nouvelles pensées, anime à la Vertu, excite à former de beaux Desseins, calme les Passions, & met à profit les momens de la vie, où l’on se trouve le plus de loisir.

Après cette union intime avec une seule Personne, on devroit tâcher d’avoir un commerce plus générale avec ceux qui peuvent nous instruire & nous entretenir ; deux qualitez, qui vont presque toujours ensemble.

Il y a divers autres Amusemens utiles, qu’il faudroit multiplier, s’il étoit possible, afin d’y avoir recours en cas de besoin, plûtôt que d’abandonner l’Esprit à l’oisiveté, ou à la premiere Passion que le hazard y éleve.

Un Homme, qui a du goût pour la Musique, la Peinture, ou l’Architecture, paroît avoir un autre sens, lorsqu’on le compare avec ceux qui n’ont pas le même génie. L’art de cultiver les Fleurs, & de planter les Arbres, le Jardinage & l’Agriculture, lorsque ces connoissances ne servent que d’accessoire à un Homme riche, sont d’un grand secours à la campagne, & tres utiles a ceux qui les possedent.

Enfin de toutes les Récréations de la vie, il n’y en a point qui soit aussi digne de remplir les heures de notre loisir, que la lecture des bons Livres. Mais parce que cet Article empiéte en quelque manie-re sur le troisiéme Moïen, que j’ai résolu de proposer dans un autre Discours, pour employer nos heures perdues, je me bornerai à dire ici en général qu’il regarde l’avancement de nos connoissances.

L.

IV. Discours spatio breviSpem longam reseces: dum loquimur fugerit invidaÆtas; carpe diem, quàm minimum credula postero. Hor. l.i. Ode xi. 6. Retranchez de vos espérances, ce qui est au delà du peu que vous avez à vivre. A l’heure que je vous parle, les momens semblent nous envier leur jouissance, & se dérobent à nous. Saisissez le jour présent: & par trop de crédulité, ne comptez pas sur le lendemain. « Nous nous plaignons tous, dit Seneque, de la rapidité du Tems, & malgré tout cela, nous ne savons pas de quelle maniere disposer d’une bonne partie. Notre vie, ajoûte-t’il, se passe à ne rien faire du tout, ou à ne rien faire de ce qu’il faudroit, ou à faire toute autre chose que ce que nous devrions: On sait des plaintes continuelles sur la brieveté de nos jours, & l’on agit comme s’ils ne devoient jamais finir. » Cet illustre Philosophe a décrit, avec toute la varieté de l’expression & des pensées, qui lui est si particuliere, les contradictions où les Hommes tombent à cet égard. J’ai souvent envisagé les contradictions de l’Esprit Humain sur un Article, qui n’est pas éloigné de celui-ci. Quoi que nous paroissions fâchez de la brieveté de la vie en genéral, nous souhaitons voir au plûtôt la fin de chacun de ses Périodes. Lors qu’on est en bas âge, on languit d’être Majeur, ensuite de s’intriguer dans les Affaires, d’amasser du Bien, de parvenir aux Honeurs, & de se retirer. Ainsi quoi que chacun reconnoisse que la Vie est courte en elle-même, ses differens Périodes nous paroissent longs & ennuïeux. Nous voudrions alonger notre Mesure en gros, & la racourcir en détail. L’Usurier seroit bien aise que tout le tems, qui doit s’écouler entre cet instant & l’écheance de ses Dettes actives, fût anéanti. Le Politique donneroit volontiers trois années de sa Vie, s’il pouvoit mettre les affaires dans la posture ou il s’imagine qu’elles seront à la fin de ce terme. L’Amoureux retrancheroit avec plaisir de son éxistance tous les momens qui doivent s’écouler jusques à l’heure de son Rendez-vous. Avec quelque rapidité donc que le Temps s’envole, nous serions charmez, dans presque tous les états de la Vie, qu’il passât beaucoup plus vîte qu’il ne fait. Il y a bien des heures dans le Jour qui nous embarassent, & nous souhaiterions même quelquefois avoir déjà passé des années entieres: Nous envisageons l’Avenir comme un Païs rempli de vastes Déserts, que nous voudrions traverser à la hâte, pour arriver à ces préten-dus Etablissemens fixes & à ces Points imaginaires de Repos, qui s’y trouvent dispersez d’un côté & d’autre. Si l’on divise la vie de la plûpart des Hommes en vingt parties égales, on trouvera qu’il y en a pour le moins dix-neuf, qui ne sont que comme de grands vuides, où ils ne s’occupent ni au Plaisir ni aux Affaires. Je ne mets pas de ce nombre ceux qui vivent dans une action continuelle, mais ceux-là seuls qui se donnent du relâche ; & je me flate de leur rendre un bon office, si je leur donne les moïens de remplir ces vuides qui les embarassent. Le premier de ces moïens est l’exercice de la vertu, à prendre ce mot dans son idée la plus genérale. Les seules Vertus qui regardent la Societé peuvent donner de l’occupation aux Personnes les plus industrieuses, & leur fournir autant d’ouvrage, que la Vie du monde la plus active. Il ne se passe guére de jours, qu’on ne puisse pratiquer les Devoirs qui nous obligent d’instruire les Ignorans, de secourir les Pauvres, & de consoler les Affligez. On a souvent occasion de moderer la violence d’un Parti ; de rendre justice à un Homme de mérite ; d’adoucir les Envieux ; de calmer les Emportez, & de raméner ceux qui sont prévenus. Tous ces Devoirs se trouvent si conformes à la Nature Humaine, qu’ils ne peuvent que procurer un plaisir extrême aux Personnes qui s’en aquitent avec quelque discretion. Il y a une autre espèce de Vertu, qui peut remplir le vuide où l’on se trouve lors qu’on est seul dans son Cabinet, loin du tumulte & de l’embarras des affaires ; je veux dire celle qui engage toute Créature raisonnable à se communiquer avec l’Auteur de son Etre. L’Homme, qui se croit toujours en la présence de Dieu, jouït d’une satisfaction continuelle ; sa bonne humeur ne le quitte jamais, & il est ravi dans la pensée qu’il est avec le meilleur & le plus cher de ses Amis. Le tems ne lui paroît jamais trop long, & il lui est impossible de se trouver seul. Aux heures que les autres agissent le moins, c’est alors que son Esprit est le plus occupé : Il n’a pas plûtôt quité la compagnie des Hommes, que son cœur tressaillit de joie, son Zèle s’enflame, son Esperance redouble ; il triomphe de sentir que Dieu l’environne par tout de sa protection, & il verse toutes ses amertumes dans le sein de ce tendre Pere de l’Univers. La pratique de la Vertu ne se borne pas à occuper les Hommes durant cette vie ; elle porte ses influences au delà du tombeau ; & l’Ame se ressentira, dans toute l’Eternité, des bonnes ou des mauvaises habitudes qu’elle aura contractées ici bas : ce qui nous fournit un autre motif bien puissant pour nous engager à ce Devoir. Si un Homme n’a qu’un petit Capital à faire valoir, & qu’il ait occasion de l’emploïer tout à son avantage, que dirons-nous de lui s’il en retranche tout d’un coup dix-neuf parties, & que peut-être même il ne dispose de la vingtiéme qu’à son préjudice. Mais parce que l’Esprit ne sauroit toûjours s’apliquer à l’exercice de la Vertu ni continuer dans la ferveur de la Dévotion, il a besoin de quelque relâche, & de s’amuser d’une maniere qui lui soit convenable. Ainsi le sécond moïen que je voudrois mettre en usage, pour nous desennuïer, seroit de nous prêter à quelques Plaisirs utiles & innocens. J’avouë qu’il me paroît indigne d’une Créature raisonnable de se divertir à certaines occupations, dont tout le bien consiste en ce qu’il n’y a point de mal. Je ne sai pas même si l’on en peut dire autant pour aucun Jeu de Cartes ; mais il me semble fort étrange de voir que des Personnes, qui ont de l’esprit, passent douze heures de suite à battre & à couper un Jeu de Cartes, sans avoir d’autre conversation que celle qui naît d’un petit nombre de termes de l’Art emploïez à propos, ni d’autres idées que celles qui viennent des taches rouges ou noires différemment placées sur les Cartes. N’auroit-on pas sujet de se moquer d’un Homme de cette espèce qui se plaindroit de la briéveté de la vie ? Le Théatre pourroit devenir une source continuelle des Amusemens les plus nobles & les plus utiles, s’il étoit bien ordonné, & réduit à ses justes bornes. Mais l’Esprit ne se délasse jamais si agréablement que dans l’Entretien d’un fidèle Ami. Il n’y a pas de Bonheur dans la vie qui approche de la jouissance d’un Ami vertueux & discret. Sa conversation éclaire & soulage l’Esprit, fait naître de nouvelles pensées, anime à la Vertu, excite à former de beaux Desseins, calme les Passions, & met à profit les momens de la vie, où l’on se trouve le plus de loisir. Après cette union intime avec une seule Personne, on devroit tâcher d’avoir un commerce plus générale avec ceux qui peuvent nous instruire & nous entretenir ; deux qualitez, qui vont presque toujours ensemble. Il y a divers autres Amusemens utiles, qu’il faudroit multiplier, s’il étoit possible, afin d’y avoir recours en cas de besoin, plûtôt que d’abandonner l’Esprit à l’oisiveté, ou à la premiere Passion que le hazard y éleve. Un Homme, qui a du goût pour la Musique, la Peinture, ou l’Architecture, paroît avoir un autre sens, lorsqu’on le compare avec ceux qui n’ont pas le même génie. L’art de cultiver les Fleurs, & de planter les Arbres, le Jardinage & l’Agriculture, lorsque ces connoissances ne servent que d’accessoire à un Homme riche, sont d’un grand secours à la campagne, & tres utiles a ceux qui les possedent. Enfin de toutes les Récréations de la vie, il n’y en a point qui soit aussi digne de remplir les heures de notre loisir, que la lecture des bons Livres. Mais parce que cet Article empiéte en quelque manie-re sur le troisiéme Moïen, que j’ai résolu de proposer dans un autre Discours, pour employer nos heures perdues, je me bornerai à dire ici en général qu’il regarde l’avancement de nos connoissances. L.