Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 12", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.1\012 (1723-1725), S. 177-192, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1766 [aufgerufen am: ].


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No. 12

Zitat/Motto► Odi profanum vulgus, & arceo.

Hor.

Je hais la profane populace & je l’écarte de nos assemblés. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Lettre traduite de l’Anglois

Monsieur

« On a vu dans notre Capitale un grand nombre de Coteries, qui ont été depeintes par les Spectateurs, par les Jazeurs, & par les Gardiens. Mais je prétens [178] bien que ce ne sont là que des Societés basses & rampantes, au prix de celle dont j’ai la gloire d’être membre & même Sécrétaire. Je parle de la Coterie des Nobles, que nous avons érigée depuis peu, que nous avons fondée sur la baze la plus solide, &, enrichie des statuts les plus brillants. Tous ceux qui forment cet auguste corps sont nobles aussi absolument, qu’il est possible de se l’imaginer. Nous ne sommes ni gens de guerre, ni politiques, ni jurisconsultes. Nous sommes nobles, nobles de naissance, nobles de caractère, nobles de profession. Nous considérons avec justice que tout ce que nous pouvons faire, de plus avantageux pour nous, c’est d’étendre notre noblesse aussi loin qu’elle peut aller. En effet Esprit, erudition, habileté, valeur, sagesse, toutes ces minuties ne sauroient nous distinguer des roturiers. Ce sont de petites qualités, qu’on possède comme simples hommes, & qui en grande partie peuvent être le partage du plus chetif bourgeois, pourvu qu’il le veuille un peu fortement. Mais la vraye, l’antique noblesse est un don de la naissance ; les plus grands efforts ne le sauroient obtenir, & ceux qui ont l’honneur de naitre gens de qualité sont parez par consequent d’une [179] distinction, qui vaut mieux que tous les talens & que toutes les vertus. Un de nos plus illustres membres trouve ce sentiment confirme par un vers d’Horace. Il a un peu étudié dans sa jeunesse, mais il se fait une gloire d’avoir tout oublié, excepté ce seul passage qui a fait sur lui les plus profondes impressions, dans l’age le plus tendre. Selon lui, Nobilitas sola est atque unica virtus, ne veut point du tout dire, comme le prétendent un tas de Commentateurs roturiers, que la vertu est la seule noblesse ; il soutient que le sens le plus net de ce vers est que la Noblesse est la seule & unique vertu.

Nous serions encore charmés d’étaler l’antiquité de notre Noblesse par nos ajustements, & de nous habiller comme les vieux Paladins ; mais nous craindrions que l’on ne nous prit pour des personnages qui se fussent dérobés de quelque tapisserie. Nous avons pourtant trouvé un arrangement là-dessus, qui selon toutes les apparences sera de votre gout. Nous nous habillons à la moderne : mais nous ne manquons pas de nous distinguer des hommes ordinaires, l’un par une vieille bague, où les Diamants sont presque ensevelis sous l’or ; l’autre par d’anciennes boucles d’or massives & mal-[180]faites, & un troisiéme par un epée d’une magnificence gothique, & qui a l’air d’avoir été portée par quelque Chevalier de la table ronde. De cette manière nous ne représentons pas mal ces vieux chateaux, qu’on releve de leurs ruines, & qui rebatis à la moderne conservent pourtant leurs tours, monumens respectables de leur Antiquité.

Nous nous sommes ramassés ainsi dans un corps, pour nous dérober à l’infection de l’air bourgeois, & pour nous payer mutuellement & avec usure des égards & des respects, que la multitude refuse à notre illustre naissance, dont elle a le front de n’être pas seulement informée. Le moyen pour des personnes de notre grandeur d’ame, de rester confonduës parmi une populace méprisable, où un tas de vils marchands nous insultent par de brillans équipages, & où un tas de vils marchands nous insultent par de brillans équipages, & où de petits nobles de deux jours ont l’insolence d’étaler à nos yeux l’ordre de la jarretiere, & les titres de Duc & de Marquis ? Pourrions nous soutenir l’orgueil de ces petits compagnons qui se mettent sottement dans l’esprit qu’un noble, de la façon de George ou de Guillaume est de la même étoffe qu’un noble de la Crèation d’un Roi Saxon, Danois, ou Normand ? Vous sentés [181] bien ; Monsieur, si quelque petit ruisseau de sang noble coule dans vos veines, qu’il y en a là dequoi crever de dépit ; mais par bonheur, l’expédient que nous avons trouvé, nous garantit d’un trépas si tragique. Nous mettons tous nos soins à nous dédomager des affronts que nous avons à essuyer dans le grand monde. Le Cérémonial est aussi réglé parmi nous, que si nous étions Plenipotentiaires dans un Congrès. Pour éviter toute dispute sur le rang, la table à laquelle nous tenons nos conferences est ronde, & nous n’entrons dans la salle qu’un à un, & qu’en laissant quelque intervalle entre deux, s’il est possible. Mais si par hasard quelqu’un de nous sent qu’on le suit de près, il entre sans faire semblant de s’en appercevoir, tandis que l’autre s’arrête & s’amuse à raccommoder sa perruque sans nécessité. A mesure que chacun se trouve dans la salle, il prend sa place sans le moindre délai, ce qui coupe court à toute animosité, & à tout embaras. Ce n’est pas que nous nous croyons également nobles, chacun sait bien ce qu’il pense là-dessus à son avantage. Mais nous faisons semblant de nous croire tous egaux, afin d’éviter par là les divisions, & de jouïr paisiblement de notre noblesse, du moins [182] pendant quelques heures de la semaine.

Nous nous voyons jusques à quatre fois en huit jours. Pouvons nous nous assembler trop souvent ? Nos assemblées sont proprement notre vie noble. Ce n’est gueres que là que nous existons d’une manière digne de nos Ancêtres. Nous languirions le reste du tems, si nous ne l’employions à préparer chez nous les matières de nos utiles conférences. Je vous ai dit que nous nous piquons tous d’une noble ignorance ; mais cette verité admet quelque restricition. Nous n’ignorons que ce que le vulgaire croit le plus digne d’être sû, Philosophie, Morale, Politique, Droit naturel, & tout le reste de ce fatras pedantesque. Mais nous ne laissons pas d’être des prodiges d’erudition dans les sciences que les ames roturieres meprisant ; personne ne sait mieux que nous l’ancienne Histoire de notre patire, les Généalogies, le Blazon, & le Point d’honneur sur lequel plusieurs virtuosi Italiens ont écrit tant de gros & importans volumes. Nous avons tous lu avec exactitude ces merveilleux ouvrages, & sans trop nous vanter, nous sommes d’excellens casuistes sur toutes ces matières délicates, qu’on ne sauroit démêler sans la plus profonde pénétration & sans le discernement le plus exquis.

[183] Quoique j’aye dit que notre seule profession est d’être nobles, il ne faut pas conclure de là qu’aucun de nous n’ait jamais eu quelque profession plus particulière. Il y en a plusieurs d’entre nous qui dans leur première jeunesse ont porté les armes & qui sont même parvenus à des emplois militaires assés distingués. Mais dès que leur esprit s’est meuri, ils se sont degoutés d’un metier si ingrat & si desagréable sur tout pour les cens de qualité, que la discipline militaire expose tous les jours aux plus cruels outrages. En effet il n’y a point de profession où l’on perde plus de vuë le respect & les hommages qui sont incontestablement dûs à la naissance. Un soldat de fortune élevé d’un seul degré au dessus d’un noble de vingt races lui commande à baguette, & un conseil de guerre a le front de condamner ce noble aux arrêts s’il ne rend aux ordres de ses supérieurs roturiers une obéissance aussi promte qu’exacte. Ajoutons que rien au monde n’est plus insupportable à un homme de certaine qualité, que de voir des belles actions qui ne viennent que d’eclore, récompensées préférablement aux grands faits d’armes de ses Ancêtres qui embellissent les Histoires dans lesquelles ils sont immortalisés. C’est là à mon avis une injustice criante, qui bannira peu à peu [184] toute la noblesse de nos armées.

Pour les autres membres de notre illustre corps, ils ont pris le parti le plus sage de bonne heure. Dès leur jeunesse, leur occupation sérieuse a été de méditer profondement sur la gloire de leurs ayeux ; & ils ont trouvé l’amusement le plus doux dans la chasse & dans la pêche. Quelques uns d’entre eux ont enrichi ces deux arts des découvertes les plus utiles & les plus importantes. Le Chevalier de la Truite par exemple est le plus beau génie du siecle pour ce qui regarde la guerre qu’on fait á toutes sortes de poissons. Il met en œuvre des ruses & des stratagemes, qui ont été absolument inconnus aux siecles passés, & qui étonneront les races futures, s’ils parviennent à leur connoissance. J’ai mille fois conseillé à ce grand homme de ne pas mourir avec tant de rares secrèts, & de les renfermer dans un livre destiné à l’usage de la noblesse future ; je croi qu’il l’auroit deja fait s’il avoit su l’ortographe. Il a trouvé des hameçons particuliers pour tromper chaque différente espece de poissons, & l’on peut dire que son habileté, pour mettre ses lumières à profit, va jusques au sortilege. Il lui arrive souvent d’aller à la pêche avec cinq ou six de ses Amis, qu’il est au beau milieu d’eux, & que les autres ne prennent rien pendant qu’il [185] rafle tout, carpe, truite, perche, brochet. On diroit que ces pauvres animaux le conoissent, & qu’ils viennent mordre á son appas par préférence.

Le Baron des Landes notre respèctable Doyen n’est pas moins expert dans la chasse, sur tout dans celle du Renard de laquelle il a fait toûjours ses délices. Rien au monde n’est plus fécond, plus curieux, plus intéressant que la conversation de ce vieux Gentilhomme. Aussi faut il avouer que c’est l’esprit du monde le plus net & le plus methodique. Il a retenu plus de mille parties de chasse avec toutes leurs différentes circonstances. Quand il en fait le recit, il vous suit un renard depuis le matin jusqu’au soir, sans oublier le moindre tertre, la moindre haye, aucune ruse de la bête, aucune action prudente & vigoreuse de quelque chien. Dans tous ces différens tableaux, il y a une varieté qui ravit, qui enleve l’ame ; à peine soufle t’on dans une compagnie où notre Baron entre dans tous ces détails admirables. Vous voila instruit de notre caractère. Si vous goûtés, comme je n’en doute point, ce que je vous ai communiqué, je vous informerai l’ordinaire prochain de nos statuts, & des sujèts de nos conferences. »

Je suis, &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

[186] Metatextualität► J’ai promis dans ma première feuille de donner quelquefois des extraits de certain livres, qui ne contiennent rien d’abstrait, & qui devroient naturellement être à la portée de la plûpart des Lecteurs. Je sai bien que la masse du public n’aime ni les raisonnemens, ni les dissertation. Elle veut du burlesque, ou tout au moins quelque chose de légérement écrit, quelque chose de superficiel, moitié conjecture, moitié décision. Ce tour d’esprit s’accomode à sa paresse naturelle ; en lisant elle veut être simplement passive, & recevoir nonchalament quelques images amusantes, sans se donner la peine d’y réfléchir, & d’en examiner les liaisons. C’est là le gout du public, dit-on ; tant pis pour lui ; les dégouts de ce public malade ne doivent pas empecher pourtant de vrais Philosophes de lui donner quelquefois des dissertations & des raisonnemens suivis, pourvu que ces pieces tendent à former le gout & à épurer les mœurs. Si quelques gens éclairés les approuvent, & si quelques personnes dociles & dévouées au vrai, en profitent, en voila plus qu’il n’en faut à un auteur, homme de bien. ◀Metatextualität

Le premier ouvrage dont je m efforcerai à tracer un tableau ressemblant, est le poème Epique de Mr. Arouet de Voltaire. Il à pour titre la Henriade ou la Ligue, & il traite une des matieres du monde les plus intéressantes. On sait, que le premier essay [187] de ce jeune poëte à presque égalé tout d’un coup sa réputation à celle des Corneilles & des Racines. Heureux s’il s’en fut tenu là ; ce seroit en vérité une politique sènsée à un Auteur, sur tout à un Auteur qui a affaire au public François de cesser d’écrire, dès qu’il auroit une fois fait un ouvrage universellement applaudi. On le traiteroit peut être de bisarre, & de capritieux ; mais du moins resteroit-il tranquille possesseur de l’estime du public. Mais écrit-il sur nouveaux frais, fait il une nouvelle piece, qui manque le goût général, non seulement cette piece tombe, mais elle enveloppe encore dans sa ruïne toute la gloire que l’Auteur s’étoit acquise auparavant. Qu’on ne s’imagine pas que cette chute soit toûjours l’effet de quelques défauts essentiels, ou même de quelques fautes réelles. Point du tout il suffit d’une Phrase un peu déplacée, d’un terme fort & pathétique, mais qui commence à vieillir, d’une équivoque dont il a été impossible à l’Auteur de s’apperçevoir dans la chaleur de la composition. Il faut moins encore pour faire tomber une piece de theatre à ne s’en relever jamais. Il faut simplement qu’un rat s’empare du cerveau d’un petit-maitre, & y fasse naître une saillie badine, qui réjouit le parterre. C’en est fait de l’ouvrage. Dés qu’on le remet sur la scene, & que la cause innocente de cette fade raillerie se reproduit, cette image grotesque vient de [188] nouveau dominer tous les esprits & d’insultans éclats de rire tarissent toute la passion, que les incidens les plus propres à toucher devroient exciter dans tous les cœurs sensibles. Monsieur de Voltaire a fait une triste experience de ce concours fortuit d’images qui peut décider du succès de la meilleure piece.

Pour une raison qui m’est inconnue, mais qui pourroit bien être bonne, il a fait mourir sa Mariamne de poison, au lieu de la faire perir par le fer, conformément à l’Histoire, dans l’endroit de la Tragedie le plus propre à emouvoir lorsqu’elle avale cette liqueur meurtriere, un petit maitre s’avise de crier à haute voix, la Reine Boir. Ce ton trouve un nombre infini de cerveaux montés à l’unisson ; voilà tout le parterre qui se met à étourdir la pauvre Mariamne du même cri impertinent, & qui condamne la piece à ne plus paroitre, sous peine de s’attirer les mêmes huées dans le même endroit. Ne voila t’il pas un Auteur bien payé de la peine qu’il a prise pour divertir ses compatriotes ? N’est-il pas bien malheureux d’avoir affaire à des Juges, dont le gout est si mal appuyé, & dont les censures & les éloges peuvent avoir des bazes également foibles ? En vérité je suis fort tenté de croire qu’un écrivain François ne peut trouver le véritable prix de ses ouvrages que chés les étrangers, chés qui la connoissance de la langue Françoise [189] s’étend de plus en plus, & qui peu asservis à des cabales tyranniques, & à des caprices fougueux, ne tirent leurs jugements que d’une raison qui est dans un parfait équilibre. Je sai bien que les François feront les fiers touchant la sureté de leur gout ; Mais le gout n’est qu’une sottise, quand il change de jour, & quand il est incapable de deriver sa bonté des premiers principes du raisonnement.

J’espere que la Henriade rehabilitera le beau genie de [Voltaire#H:Mr. Arouet] dans toute sa gloire. J’en ai vu quelques morceaux, où la grandeur des sentimens, le beauté des pensées, la force de l’expression, & la noblesse de la poësie se prètent des secours mutuels pour frapper & pour enlever les ames. J’ai cru voir dans ces mêmes morceaux magnifiques des fautes assés considérables ; mais ces fautes ne sont pas selon moi d’une nature à balancer des beautés si touchantes. Ce qui m’a charmé le plus dans ce beau Poëme, c’est que chés l’Auteur le vray merite n’a ni secte ni patrie. Cette noble impartialité qui détache la véritable vertu de certains dogmes, & de certaines coutumes, me paroit infiniment plus estimable que tout se feu poëtique ramassé & concentré dans un même genie. Avec une disposition si belle & si rare, on peut faire de mauvais vers ; mais en récompense on est en état de s’ouvrir une route seure à la vertu & à la verité. Quelle gloire d’unir [190] cette sublime indifference avec les talents d’un poëte du premier ordre, & d’être dans la poësie ce que l’admirable M. de Thou a été dans l’Histoire. Au premier jour je donnerai un extrait détaillé de la Henriade, & dans quelque tems d’ici je pourrois bien hazarder quelque essay sur le tour d’esprit & sur les ouvrages du celebre M. de la Motte, que certaines gens elevent jusques aux nuës & mettent hors de toute comparaison, tandis que d’autre lui refusent jusqu’au titre de Poëte.

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Espagnol
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Du Mardy huitiéme Fevrier.

1 Les Amans à belle chevelure auront été charmans aujourd’hui, car il a fait le plus beau tems du monde, & le plus calme. Il est huit heures du soir, j’arrive de chez ce Seigneur dont je dois tirer les appointemens que m’a promis la Cour de Madrid pour mes voyages, je vous ai déja dit que c’étoit un glorieux, d’une humeur hautaine, qui abuse du besoin qu’on a de lui, & devant qui il faut ramper pour l’avoir favorable : chacun à son caractere, il y a des gens qui ne sont pas dans le goût d’être aimez, une reconnoissance vive & respectueuse ne les pique point, si l’on ne les craint pas, si la haine qu’on a pour eux ne desavoüe pas les soûmissions qu’on est [191] obligé de leur faire, & ne les rend pas douloureuses, ils ne sont point contents, ils ne priment point sur vous, ils ne jouïssent point de leur autorité, ils préferent en vous une inimitié qu’ils forcent á se taire, à des sentimens d’estime & d’amitié, qui les honoreroient.

La premiere fois que j’ai vû celui dont je vous parle, c’étoit à Bayonne, il me traita si cavalierement que je me revoltai, & suivant les principes de l’orgueil humain, je ne crus pas qu’un homme d’honneur, & né quelque chose pût se laisser brusquer sans s’en ressentir ; vous jugez bien que je ne le disposai pas à me rendre service. Pour me punir, il a tâché depuis de faire réduire mes appointemens à la moitié, & il a réüssi ; je ne l’ai sçû que ce matin : d’abord j’en ai été au desespoir, il m’est venu cent fois dans l’esprit de tout abandonner, mais comme il s’agit d’un interêt de consequence, puisque j’ai compté sur la somme considerable qu’il ne tient qu’à lui de me faire toucher ici, & qu’étant étranger dans le païs, je ne trouverois point de ressource ; la raison m’a donné de plus sages avis, je me suis résolu d’aller trouver mon homme, vous allez croire que pour cela j’ai sacrifié ma fierté, point du tout, je n’aurois jamais pû faire ce sacrifice-là, mais j’ai trouvé moyen de tout ajuster : mon amour propre s’est secouru, & vous allez voir son expedient, il est curieux : il faut que je vous en instruise, il pourra même vous servir dans le besoin.

Je me suis donc dit, qu’est-ce que c’est, de quoi s’agit-il, je ne veux point aller voir cet homme parce qu’il est superbe, qu’il veut qu’on soit bas & rempant avec lui, & que moi je ne veux pas l’être ; eh, pourquoi ne le veux-je [192] pas, puisque c’est le moyen de captiver les bonnes grâces qui me sont nécessaires ? quel inconvenient y aura-t-il à appaiser ? Fi, la petitesse des hommes mérite-t-elle qu’on lui fasse l’honneur de s’en picquer ? n’est-ce pas l’estimer ce qu’elle vaut que d’en avoir compassion ? je veux être fier, eh la véritable fierté n’est-elle pas d’être raisonnable ! Allons, partons, mes dégouts étoient ridicules.

Cette exhortation faite, j’ai pris ma secousse, & suis arrivé chez celui dont il s’agissoit. Il m’a regardé d’un œil brusque ; mais fidèle aux principes d’orgueil, dont je venois de me munir, j’ai caressé l’enfant, je lui ai donné du sucre & des bonbons ; je triomphois de me trouver si supérieur à lui, & l’enfant s’est appaisé. Il faut l’avoüer dans le fonds, les orgueilleux quand on le veut sont les meilleurs gens qu’il y ait, les créatures du monde les plus faciles : que vous dirai-je ? demain je recevrai tout mon argent, mes appointements seront augmentez, mon homme m’offre un appartement chez lui, il m’a embrassé, je le haissois, je l’aime, & nous nous aimons : oh parbleu qu’il me vienne à present des orgueilleux, je les attends avec ma fierté. ◀Ebene 4 ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Ceci est du Spectat. de Paris.