Je sai bien qu’il y a une fausse Honte, qui assujettie à un mauvais
raisonnement, ne sert qu’à rendre les hommes ridicules, & bien
souvent criminels. Mais je parle ici
Rien ne paroissoit autrefois si beau que cette Crainte généreuse de
déplaîre à ses semblables ; on l’exigeoit sur-tout des jeunes-gens,
& on la considéroit comme un augure certain de toutes les grandes
qualités qui rendent les hommes estimables. Malheureusement il y a
longtems que cette Vertu n’est plus de mise, & que la noble Pudeur,
compagne du vrai mérite, passe pour rusticité. Il ne faut pas s’étonner
pourtant que l’Impudence ait pris de cette maniére le dessus sur la
Modestie, puisqu’on voit par expérience, que rien ne conduit à la
Fortune par une route plus abrégée, que cette qualité vicieuse. La
véritable cause en est dans la conduite de ceux que la Fortune a rendus
dépositaires de ses faveurs. Bien loin
On ne fait, la plupart du tems, des graces que pour l’amour du repos. Si un Faquin sollicite un Emploi, & qu’on lui marque aujourd’hui tout le mépris dont il est digne, il reviendra demain à la charge ; c’est la régle. Un Grand-Seigneur ne sauroit plus entrer dans sa maison, ni en sortir impunément. Le prémier visage qui le frappe en montant en carosse, c’est celui du Supliant. Dès-que le Cocher touche, mon Faquin se glisse par un petite chemin détourné, le voilà à la Cour qui se présente encore à la portiére. On diroit qu’il a le secret d’être en divers lieux en même tems ; & la maniére dont il se montre par-tout à celui dont il brigue la faveur, ressemble le mieux du monde aux apparitions d’un Esprit. Non content de faire cinquante fois la même priére, ses révérences supliantes présentent en tous lieux requête pour lui.
Le Grand-Seigneur a beau se fâcher à la fin, & le maltraiter de paroles ; tout cela ne fait que blanchir contre cet impudent, ce sont les vagues de la mer qui se brisent contre un rocher. Que faire de cet homme ? On n’en peut plus, on en est accablé, & on le favorise pour se débarasser de ce visage odieux.
L’Homme-de-bien au contraire, après a-
Mais cette espéce d’impudence est vieille ; on renchérit à présent sur un vice si bas ; on se pique d’être effronté, on s’en vante ; & la seule chose qu’on trouve honteuse, c’est d’être capable d’avoir de la honte.
Pour eux ils paroissent très sérieusement persuadés qu’il n’y en avoit pas une seule dans l’Univers. Ils déchiroient entr’autres la réputation d’une personne dont tout le monde vante la sagesse ; & le plus étourdi de la troupe dit ouvertement, que cette prétendue Vestale n’étoit nullement propre à garder le Feu Sacré. Mr…. est parfaitement bien avec elle, continua-t-il ; & il en est amplement récompensé en particulier, des rigueurs dont elle affecte de l’accabler en public.
Un jeune-homme habillé plus modestement que les autres, après avoir écouté ce discours d’un air assez indifférent, demanda à ce Panégiriste du Beau Sexe, comment il pouvoit être si bien instruit de la bonne fortune de cet Amant ? Mon Fat le regardant par dessus l’épaule, lui repliqua brusquement que personne ne le savoit mieux que lui, puisqu’il étoit ami intime de Mr…., qui lui avoit dit en confidence toutes les particularités de son amour. Celui qui avoit commencé à questionner notre Petit-Maître, le poussa si loin par d’autres questions, qu’il le réduisit enfin à faire le portrait du Galant trait pour trait, pour justifier qu’il lui étoit connu, & qu’il n’en parloit pas en l’air.
Vous vous imaginez facilement quelle doit être la confusion d’un homme attrapé sur des mensonges si téméraires, mais vous êtes fort loin de deviner la conduite que tint cet homme.
Après avoir d’abord regardé fixement celui qui venoit de lui donner un démenti, il fit un grand éclat de rire, & embrassant d’une maniére brusque un de ses compagnons : Qui diable, lui dit-il, se seroit jamais avisé que je parlasse à l’homme en question lui-même ! cela est trop drolle ; & je meure, si jamais avanture plus plaisante est arrivée à qui ce soit. Après avoir continué pendant quelque tems ses extravagans discours & ses éclats de rire, il demanda des cartes, & commença à jouer fort tranquilement une reprise d’Hombre.
En effet, il n’est pas concevable que la corruption de l’homme
aille, d’elle-même, jusqu’à l’abominable effronterie dont je viens de
parler : il faut bien qu’ébloui par un faux honneur, on fasse un effort
sur son naturel, pour parvenir à un aussi haut degré de crime &
d’extravagance.
Convenons ici que tous ceux qu’on comprend sous le titre de Petit-Maître, ne sont pas vicieux dans un pareil
excès ; ils ne mettent pas tous leur gloire dans l’infamie ; tous ne
font pas profession ouverte de ne rien valoir ; en un mot, tous n’ont
pas abjuré la honte, comme une hérésie en matiére de bel-air. C’est-là
l’espéce la plus odieuse des Petits-Maîtres, & j’en trouve encore
deux
On donne souvent ce nom à ceux qui, sans regarder la Vertu comme une qualité qui deshonore, se font un mérite de choquer la bienséance, de ne garder des mesures avec personne, de dire librement les vérités les plus choquantes ; en un mot, de rendre leur conduite aussi contraire qu’ils peuvent, à celle des personnes prudentes & posées. Ils sont plutôt étourdis que vicieux, & ils ont plus d’impolitesse que de mauvais naturel.
Il y a encore une autre espéce de Petits-Maîtres, à qui on donne ce titre
improprement & par une espéce d’abus. Ceux-ci ne se piquent point de
rompre en visiére à tout le monde, ils ne dédaignent pas de passer pour
des gens supportables dans la Société, & ne renoncent pas à l’estime
des honnêtes-gens. Seulement trop esclaves de la mode, ils imitent la
maniére de s’habiller, la démarche, le ton de voix, & la
gesticulation de cette engeance maudite qu’ils détestent dans le fond du
cœur. J’aurois tort de les confondre avec les autres ; mais j’aurois
tort aussi de ne pas les censurer d’une imitation aussi ridicule que la
leur. Peut-on plus mal répondre à ses lumiéres & plus mal entendre
ses intérêts, que de se faire la copie d’un original qu’on méprise
autant qu’il est méprisable ? C’est vouloir être pris pour ce qu’on
n’est pas, & qu’on seroit au desespoir d’être ; & c’est
s’exposer de gayeté de cœur à l’aversion des honnêtes-gens, qui
On dira que je reviens bien souvent aux Petits-Maîtres. Mais le moyen de
n’y pas revenir ? Ce sont eux qui m’ont les prémiers échauffé la bile,
& qui m’ont mis la plume à la main pour attaquer la sottise du
Siécle. Plût au Ciel que mon esprit pût satisfaire aux mouvemens de mon
cœur, & que mon stile égalât en vivacité mon aversion pour ces
impudens ennemis de la Vertu & du Bon-sens ! Je les dépeindrois par
des couleurs si ressemblantes, qu’on montreroit un homme au doigt,
dès-qu’on lui verroit un petit chapeau plutôt caché qu’orné d’un galon
d’or, un habit assez étroit pour le gêner sans être assez long pour le
couvrir, la poitrine nue en plein hiver, & tout le reste de
l’attirail caractérisant d’un Petit-Maître.