Les Poëtes & les autres Beaux-Esprits n’ont pas été toujours
également brouillés avec le Destin ; & il y a eu des tems, où un
beau Génie étoit le moyen le plus sûr de
Le meilleur argument qu’on puisse alléguer en faveur des Anciens contre les Modernes, c’est que l’estime & les graces qu’on prodiguoit autrefois aux Esprits supérieurs, les tiroient de l’inaction, & leur faisoient faire tous les efforts imaginables pour se signaler par leurs Ouvrages.
Parmi les Anciens, non seulement des personnes sans naissance s’élevoient
aux plus hautes Dignités par leur seule
valeur ; mais aussi le plus haut degré d’autorité dans le plus grand
Empire du Monde, a été quelquefois le prix de l’Eloquence d’un homme
Il n’est pas étonnant qu’il y ait eu alors d’excellens Orateurs, & que dès la jeunesse on se soit apliqué à l’étude du cœur humain, & des moyens les plus propres à s’en rendre le maître.
On ne sauroit être surpris non plus, qu’on ait vu d’illustres Poëtes dans
un Siécle où
Cette faveur singuliére qu’on accordoit anciennement aux esprits du
prémier ordre, me paroit la seule raison pourquoi nous cé-Grecs & aux Romains en certains genres de Poësies, & pourquoi nos
Piéces d’Eloquence ne méritent pas seulement d’entrer en comparaison
avec les leurs.
Après ces Nations fameuses de l’Antiquité, je ne connois point de Peuple
où le Bel-Esprit ait été toujours considéré autant que chez les François. Dans ces Siécles mêmes où le bon-goût
étoit enséveli sous une ignorance profonde, on avoit une estime
particuliére par toute la Provençaux, qui s’occupoient à composer des
Historiettes & des Chansons. Les plus grands Seigneurs se faisoient
un plaisir de les recevoir à leurs tables, & ravis de les entendre
chanter ou réciter leurs Fableaux, ils se
dépouilloient souvent de leurs plus précieux habits, pour en faire
présent à cette espéce de Beaux-Esprits.
Chacun sait combien les Poëtes étoient heureux sous le régne de
Voilà ce que
Excepté
,
Si nihil attuleris ibis foras.
Si du fils de
Des neuf
Sœurs, dans ces lieux venoit accompagné,
Fermant la porte à cet
infortuné,
On lui diroit Dieu vous assiste.
La Nature donne ici le mérite de bien écrire, comme ailleurs, mais la
Fortune ne le met point en œuvre ; & il n’est pas étonnant que peu
de personnes daignent essayer leur naturel, puisque les plus belles
productions ne sauroient leur attirer ni estime, ni récompense. Si notre
Patrie avoit été celle de
On parle tant de cet Auteur, qu’on me permettra bien de faire une
digression pour dire un mot de ses Ouvrages, imprimés depuis Ceci a été écrit en 1711, mais en
1724
peu. Ses ennemis mêmes, pourvu qu’ils ne soient pas les plus sottes gens
de la terre, ne sauroient lui refuser les titres d’Esprit supérieur,
& d’excellent Poëte. D’un
Il y a plus de vivacité que de bon-sens dans cette excuse, & l’on y trouve un sophisme grossier, pour peu qu’on ne se laisse pas éblouir par un faux-brillant. Il est vrai que mille expériences prouvent assez qu’on peut, sans être dévot, faire des Ouvrages remplis de dévotion ; mais c’est être réellement infame, que d’écrire des infamies.
Il se peut, qu’avec un cœur bien placé on parle de l’amour d’une maniére
un peu libre ; & je ne voudrois pas juger par les Contes
de
Il n’en est pas de-même d’un Ecrivain, qui non seulement expose aux yeux
du Lecteur, par des expressions d’une grossiéreté recherchée, tout ce
que les Débauchés ont pensé d’abominable ; mais qui emploie encore toute
la finesse de son esprit à saper la Religion par ses fondemens. Si un
tel Auteur ne sent pas ce qu’il dit, quel crime ne fait-il pas de
démentir ses lumiéres, pour empoisonner la raison de son Prochain ? Et
s’il ne fait que copier son propre cœur, comment peut-il justifier
l’horreur de ses sentimens ? Je ne dirai rien ici de l’Anti-Rousseau, sinon qu’il fait le troisiéme volume de ce
nouvel Ouvrage, & qu’on y trouve le secret de dire en cent Rondeaux,
que
Si on ne suit pas une erreur populaire, en croyant que les grands Génies ont la plupart du tems dans leurs vices le contrepoids de leurs lumiéres, on ne fait pas trop mal dans ce Pays de faire peu de cas du Bel-Esprit.
D’ailleurs, il faut avouer naturellement que ce n’est pas une qualité
fort nécessaire au bien du Genre-humain, que de savoir bien tourner un
Vers : la seule grace qu’on peut raisonnablement demander pour le
Bel-Esprit, c’est que le mérite de bien écrire
D’y réussir il avoit quelque espoir.
Un Financier vouloit le
voir ;
Mais de Sire
Habit antique & veste déchirée :
pour comble de
chagrin, le malheureux Savant
Avoit la barbe longue, &
n’avoit point d’argent.
Sa barbe, sa maigreur, & sa mince
parure,
Le rendoient chevalier de la triste figure.
Comment
se présenter en pareille posture !
Il prend courage enfin,
heurte chez un Barbier,
Qui Gascon de naissance, & Gascon de
métier,
Hola, garçons, vite un bonnet,
Çà, de
l’eau chaude, un linge net.
De tout cet appareil notre Savant
s’effraye,
Et dit qu’il espéroit qu’on voudroit en ce
lieu
Le razer pour l’amour de Ho, pour l’amour de
, la chienne de
pratique !Remarque bien cette Boutique,L’Ami, pour n’y
rentrer de tes jours à ce prix ;Pour ce coup
assis-toi. Du pauvre cancre assis