LXVIII. Discours Justus Van Effen Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Katharina Jechsmayr Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 26.11.2014 o:mws.3054 Justus Van Effen: Le Misantrope. Amsterdam: Herman Uytwerf 1742, 218-225, Le Misantrope 2 027 1711-1712 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité France 2.0,46.0

LXVIII. Discours

Les hommes sont d’ordinaire les victimes de leurs propres caprices, & à juger de leur intention par leur conduite, on croiroit qu’il font <sic> tous leurs efforts pour se rendre malheureux. Il seroit pardonnable de renoncer à la Raison, en faveur de certaines chiméres utiles pour le repos du cœur : mais de se dérégler l’esprit pour se plonger dans l’inquiétude & dans le chagrin, voilà ce qui passe l’imagination.

Tous les hommes pourtant en sont presque logés-là. Plutôt que de raisonner mal pour trouver dans leur sort des agrémens imaginaires, & pour se tranquiliser par cette erreur avantageuse, ils renversent les maximes les plus sures, pour se persuader que tout autre état est plus heureux que le leur.

Quand contre l’Océan l’Aquilon se déchaîne,

Le Marchand qui pâlit sur la liquide plaine,Déteste son métier, il se trouveroit mieuxDe l’inhumain emploi du Soldat furieux. Dès-qu’au combat, dit-il, la trompette l’apelle,Plein d’une ardeur guerriére, on se choque, on se mêle,Une victoire heureuse, ou bien un promt trépas,Dans un moment de tems le tire d’embaras.Le Soldat à vil prix prodigue de sa vie,Du destin du Marchand sent son ame ravie ;Il bénit un emploi qui par d’heureux efforts,Au travers du péril sait conduire aux trésors.Le Bourgeois ennuyé du séjour de la Ville,Est charmé du bonheur d’un Villageois tranquille :Un Bôcage, un Ruisseau, des Prez, un Antre frais,Offrent à son esprit mille rians objets.Pour Lucas, qu’un procès tire de la charrue,La Ville a mille apas offerts à chaque rue ;Tout lui plaît, tout lui rit, ces Palais, ce Concours,Ces Carosses dorés qui se suivent aux Cours.Ces vêtemens pompeux qui recellent le vice,Et ces discours polis qui fardent l’injustice.Il condamne sa hute, & croit chéris des Dieux,Ceux qu’un sort favorable a fixé dans ces lieux.Quand l’Artisan dupé d’une vaine aparence,Voit du pâle Usurier la superbe opulence, Il croit qu’en ses trésors séjournent les plaisirs,Et son cœur se remplit de frivoles desirs.Des Financiers du bien honorables esclaves,Qui de l’or amassé se forgent des entraves,Les yeux en-vain fermés reclament le sommeil,Dans un lit orgueilleux interdit au Soleil.Mais en-vain une Alcove est du jour retirée,Si le cruel chagrin en sait forcer l’entrée,Et si sur le duvet un Crésus agitéBénit en soupirant l’heureuse pauvreté.De l’Artisan, dit-il, la vie est fortunée,Il sait par ses chansons accourcir la journée,L’officieuse nuit le trouve encor chantant,Il soupe, & sur son lit le doux sommeil l’attend.A peine du grand jour la plus vive lumiéreDissipe les pavots versés sur sa paupiére :Eh ! comment pourroit-il ne pas chérir son sort,Il chante tout le jour, toute la nuit il dort.Et toi, Guillaume, & toi, qui supléant aux pluyes,Cours apaiser la soif de mes Plantes flétries :Quand tu me vois oisif rêver dans mon Jardin,Peut-être es-tu jaloux de mon heureux destin.Que fait mon Maître, il lit, se proméne, grimasseIl s’arrête, il avance, il écrit, il efface. Que son repos est doux ! mais penserois-tu bienQu’ennuyé de mon sort, je suis jaloux du tien ?N’en doute point, Guillaume, à ton devoir fidéle,Tu reprendrois bientôt l’arrosoir, ou la pêle,Charmé de ton travail, idiot fortuné,Si par ton amour-propre à rimer condamné,Tu tâchois comme moi, dont le bonheur t’enchante,A donner à ces Vers une chute brillante.

Voilà comme d’ordinaire on se trouve malheureux, en comparant ce qu’il y a de triste dans sa destinée, à ce qu’il y a de doux dans le sort des autres. Mais si nous examinions avec quelque réflexion les états différens où nous nous trouvons, & qui sont tous nécessaires à former ce grand Corps de la Societé humaine, nous serions bien éloignés de nous plaindre. Nous verrions que l’Auteur de l’Univers, par une justice admirable, a distribué à tous ces divers états à peu près la même doze de plaisirs & de peines : un examen assez facile peut nous convaincre de cette vérité.

Je considérerai les différentes conditions des hommes en elles-mêmes, indépendamment des chagrins que nous peuvent causer notre tempérament, la violence des autres hommes, & des châtimens particuliers du Ciel ; & je réduirai nos destinées à ces trois états différens : l’état le plus brillant, la médiocrité, & l’état le plus bas. Je ne parlerai point de l’indigence, comme en quelque sorte étrangére aux hommes. Ils y tombent d’ordinaire par leur faute, & leur diligence jointe aux secours du prochain peut facilement les en délivrer. J’entre à présent en matiére.

Les bonheurs & les malheurs que nous trouvons dans les objets qui sont hors de nous ne sont tels, qu’autant que leur opposition mutuelle nous les rend sensibles. Rien n’est plus sûr que ce principe, & une médiocre expérience ne souffre point qu’on le révoque en doute.

Quand on se trouve dans la fortune la plus parfaite, quand nos richesses suffisent à tous nos desirs, & qu’ils s’accomplissent sans la moindre résistance, ce bonheur si familier & si aisé perd toute sa pointe par l’habitude. A force d’être heureux on ne sent plus sa félicité. Mais trouve-t-on quelques traverses dans la vie, quelque peu importantes qu’elles puissent être, elles font de fortes impressions sur une ame novice dans le malheur, elles y causent des troubles qui l’ébranlent & qui accablent. Dans cet état les plaisirs sont ordinaires & peu vifs, les malheurs rares & très sensibles.

Au contraire, celui qui se trouve dans la condition la plus infortunée, qui n’acquiert que le nécessaire par un travail assidu, se familiarise peu à peu avec sa misére, & la sensibilité de son ame aussi-bien que celle de son corps est enfin émoussée. Mais quand par hasard il sort de son malheur ordinaire pour goûter quelque plaisir, quoiqu’il soit d’une nature à ne pas émouvoir seulement un homme plus fortuné, il sent vivement cette nouveauté agréable ; la joie s’empare entiérement de ses sens ; il paroit enivré de son bonheur ; au défaut de la réalité, l’idée en chatouille encore longtems son imagination. Dans cet état les plaisirs sont rares & touchans, & les peines ordinaires & peu sensibles.

Celui qui se trouve dans l’état médiocre goûte les plaisirs plus vivement que l’homme entiérement fortuné, mais il les goûte moins souvent, & en récompense il est moins sensible que lui aux chagrins qui dans la situation dont il s’agit ici sont plus ordinaires. Dans la même proportion il sent moins les plaisirs que le Pauvre, & ils lui sont plus ordinaires ; il est plus sensible que lui aux peines, & il y est moins souvent exposé. On voit facilement que dans ces différens états, il y a une compensation de la vivacité des plaisirs & des peines avec leur rareté, & que cette compensation est tout-à-fait exacte. On trouve une infinité d’états encore, en descendant du bonheur le plus grand vers la médiocrité, & en montant à cette même médiocrité de l’état le moins heureux. Mais il est clair que les chagrins & les plaisirs sont toujours plus sensibles à mésure qu’ils sont moins fréquens, & qu’ils gagnent justement d’un côté ce qu’ils perdent de l’autre.

Je serois ravi d’avoir exprimé cette vérité aussi clairement que je la conçois, pour que le Lecteur en eût une idée distincte. Elle seroit propre à dégager son esprit de ces chiméres de fortune, qui lui ôtent la jouissance d’un bonheur solide & présent, pour le faire courir vers une félicité éloignée & imaginaire.

J’avouérai pourtant, que s’il est permis de former quelques vœux pour un autre état que celui où l’on se trouve, c’est à la médiocrité qu’on peut aspirer le plus raisonnablement.

J’ai prouvé qu’à la considérer en elle-même, il y a précisément la même proportion de plaisirs & de peines que dans les autres états. Mais constamment c’est l’état le plus tranquile & le plus propre à nous procurer les plaisirs intérieurs & essentiels qui dépendent du bon usage qu’on fait de la raison.

Les gens extrêmement fortunés, bientôt ennuyés des plaisirs ordinaires, rafinent sur les agrémens de la vie, & la facilité qu’ils ont à se procurer des plaisirs illicites, les y engage naturellement. D’ailleurs l’orgueil, l’oubli de soi-même, & l’insensibilité pour le Prochain, sont des vices familiers à ceux qui n’ont pas apris par leur propre expérience ce que c’est que la misére, & qui toujours occupés à réveiller leur goût pour les plaisirs, n’ont pas le tems de réfléchir sérieusement sur leurs devoirs.

Ceux au contraire qui sont dans l’état le plus malheureux, portés naturellement à destiner aux plaisirs le peu de tems que leur travail leur laisse, ne sauroient cultiver leur raison, ni l’enrichir de ces connoissances qui contribuent tant à la vertu & au bonheur de la Créature raisonnable.

La médiocrité est exemte de l’un & de l’autre de ces inconvéniens : le luxe, & la dépense excessive pour des plaisirs rafinés & criminels, ne sauroient subsister avec elle. Ceux qui se trouvent dans cet état, ont tout le loisir de se procurer le bonheur, qui peut avoir sa source dans un esprit cultivé par l’étude, & par le commerce des personnes vertueuses & raisonnables.

LXVIII. Discours Les hommes sont d’ordinaire les victimes de leurs propres caprices, & à juger de leur intention par leur conduite, on croiroit qu’il font <sic> tous leurs efforts pour se rendre malheureux. Il seroit pardonnable de renoncer à la Raison, en faveur de certaines chiméres utiles pour le repos du cœur : mais de se dérégler l’esprit pour se plonger dans l’inquiétude & dans le chagrin, voilà ce qui passe l’imagination. Tous les hommes pourtant en sont presque logés-là. Plutôt que de raisonner mal pour trouver dans leur sort des agrémens imaginaires, & pour se tranquiliser par cette erreur avantageuse, ils renversent les maximes les plus sures, pour se persuader que tout autre état est plus heureux que le leur. Quand contre l’Océan l’Aquilon se déchaîne, Le Marchand qui pâlit sur la liquide plaine,Déteste son métier, il se trouveroit mieuxDe l’inhumain emploi du Soldat furieux.Dès-qu’au combat, dit-il, la trompette l’apelle,Plein d’une ardeur guerriére, on se choque, on se mêle,Une victoire heureuse, ou bien un promt trépas,Dans un moment de tems le tire d’embaras.Le Soldat à vil prix prodigue de sa vie,Du destin du Marchand sent son ame ravie ;Il bénit un emploi qui par d’heureux efforts,Au travers du péril sait conduire aux trésors.Le Bourgeois ennuyé du séjour de la Ville,Est charmé du bonheur d’un Villageois tranquille :Un Bôcage, un Ruisseau, des Prez, un Antre frais,Offrent à son esprit mille rians objets.Pour Lucas, qu’un procès tire de la charrue,La Ville a mille apas offerts à chaque rue ;Tout lui plaît, tout lui rit, ces Palais, ce Concours,Ces Carosses dorés qui se suivent aux Cours.Ces vêtemens pompeux qui recellent le vice,Et ces discours polis qui fardent l’injustice.Il condamne sa hute, & croit chéris des Dieux,Ceux qu’un sort favorable a fixé dans ces lieux.Quand l’Artisan dupé d’une vaine aparence,Voit du pâle Usurier la superbe opulence,Il croit qu’en ses trésors séjournent les plaisirs,Et son cœur se remplit de frivoles desirs.Des Financiers du bien honorables esclaves,Qui de l’or amassé se forgent des entraves,Les yeux en-vain fermés reclament le sommeil,Dans un lit orgueilleux interdit au Soleil.Mais en-vain une Alcove est du jour retirée,Si le cruel chagrin en sait forcer l’entrée,Et si sur le duvet un Crésus agitéBénit en soupirant l’heureuse pauvreté.De l’Artisan, dit-il, la vie est fortunée,Il sait par ses chansons accourcir la journée,L’officieuse nuit le trouve encor chantant,Il soupe, & sur son lit le doux sommeil l’attend.A peine du grand jour la plus vive lumiéreDissipe les pavots versés sur sa paupiére :Eh ! comment pourroit-il ne pas chérir son sort,Il chante tout le jour, toute la nuit il dort.Et toi, Guillaume, & toi, qui supléant aux pluyes,Cours apaiser la soif de mes Plantes flétries :Quand tu me vois oisif rêver dans mon Jardin,Peut-être es-tu jaloux de mon heureux destin.Que fait mon Maître, il lit, se proméne, grimasseIl s’arrête, il avance, il écrit, il efface.Que son repos est doux ! mais penserois-tu bienQu’ennuyé de mon sort, je suis jaloux du tien ?N’en doute point, Guillaume, à ton devoir fidéle,Tu reprendrois bientôt l’arrosoir, ou la pêle,Charmé de ton travail, idiot fortuné,Si par ton amour-propre à rimer condamné,Tu tâchois comme moi, dont le bonheur t’enchante,A donner à ces Vers une chute brillante. Voilà comme d’ordinaire on se trouve malheureux, en comparant ce qu’il y a de triste dans sa destinée, à ce qu’il y a de doux dans le sort des autres. Mais si nous examinions avec quelque réflexion les états différens où nous nous trouvons, & qui sont tous nécessaires à former ce grand Corps de la Societé humaine, nous serions bien éloignés de nous plaindre. Nous verrions que l’Auteur de l’Univers, par une justice admirable, a distribué à tous ces divers états à peu près la même doze de plaisirs & de peines : un examen assez facile peut nous convaincre de cette vérité. Je considérerai les différentes conditions des hommes en elles-mêmes, indépendamment des chagrins que nous peuvent causer notre tempérament, la violence des autres hommes, & des châtimens particuliers du Ciel ; & je réduirai nos destinées à ces trois états différens : l’état le plus brillant, la médiocrité, & l’état le plus bas. Je ne parlerai point de l’indigence, comme en quelque sorte étrangére aux hommes. Ils y tombent d’ordinaire par leur faute, & leur diligence jointe aux secours du prochain peut facilement les en délivrer. J’entre à présent en matiére. Les bonheurs & les malheurs que nous trouvons dans les objets qui sont hors de nous ne sont tels, qu’autant que leur opposition mutuelle nous les rend sensibles. Rien n’est plus sûr que ce principe, & une médiocre expérience ne souffre point qu’on le révoque en doute. Quand on se trouve dans la fortune la plus parfaite, quand nos richesses suffisent à tous nos desirs, & qu’ils s’accomplissent sans la moindre résistance, ce bonheur si familier & si aisé perd toute sa pointe par l’habitude. A force d’être heureux on ne sent plus sa félicité. Mais trouve-t-on quelques traverses dans la vie, quelque peu importantes qu’elles puissent être, elles font de fortes impressions sur une ame novice dans le malheur, elles y causent des troubles qui l’ébranlent & qui accablent. Dans cet état les plaisirs sont ordinaires & peu vifs, les malheurs rares & très sensibles. Au contraire, celui qui se trouve dans la condition la plus infortunée, qui n’acquiert que le nécessaire par un travail assidu, se familiarise peu à peu avec sa misére, & la sensibilité de son ame aussi-bien que celle de son corps est enfin émoussée. Mais quand par hasard il sort de son malheur ordinaire pour goûter quelque plaisir, quoiqu’il soit d’une nature à ne pas émouvoir seulement un homme plus fortuné, il sent vivement cette nouveauté agréable ; la joie s’empare entiérement de ses sens ; il paroit enivré de son bonheur ; au défaut de la réalité, l’idée en chatouille encore longtems son imagination. Dans cet état les plaisirs sont rares & touchans, & les peines ordinaires & peu sensibles. Celui qui se trouve dans l’état médiocre goûte les plaisirs plus vivement que l’homme entiérement fortuné, mais il les goûte moins souvent, & en récompense il est moins sensible que lui aux chagrins qui dans la situation dont il s’agit ici sont plus ordinaires. Dans la même proportion il sent moins les plaisirs que le Pauvre, & ils lui sont plus ordinaires ; il est plus sensible que lui aux peines, & il y est moins souvent exposé. On voit facilement que dans ces différens états, il y a une compensation de la vivacité des plaisirs & des peines avec leur rareté, & que cette compensation est tout-à-fait exacte. On trouve une infinité d’états encore, en descendant du bonheur le plus grand vers la médiocrité, & en montant à cette même médiocrité de l’état le moins heureux. Mais il est clair que les chagrins & les plaisirs sont toujours plus sensibles à mésure qu’ils sont moins fréquens, & qu’ils gagnent justement d’un côté ce qu’ils perdent de l’autre. Je serois ravi d’avoir exprimé cette vérité aussi clairement que je la conçois, pour que le Lecteur en eût une idée distincte. Elle seroit propre à dégager son esprit de ces chiméres de fortune, qui lui ôtent la jouissance d’un bonheur solide & présent, pour le faire courir vers une félicité éloignée & imaginaire. J’avouérai pourtant, que s’il est permis de former quelques vœux pour un autre état que celui où l’on se trouve, c’est à la médiocrité qu’on peut aspirer le plus raisonnablement. J’ai prouvé qu’à la considérer en elle-même, il y a précisément la même proportion de plaisirs & de peines que dans les autres états. Mais constamment c’est l’état le plus tranquile & le plus propre à nous procurer les plaisirs intérieurs & essentiels qui dépendent du bon usage qu’on fait de la raison. Les gens extrêmement fortunés, bientôt ennuyés des plaisirs ordinaires, rafinent sur les agrémens de la vie, & la facilité qu’ils ont à se procurer des plaisirs illicites, les y engage naturellement. D’ailleurs l’orgueil, l’oubli de soi-même, & l’insensibilité pour le Prochain, sont des vices familiers à ceux qui n’ont pas apris par leur propre expérience ce que c’est que la misére, & qui toujours occupés à réveiller leur goût pour les plaisirs, n’ont pas le tems de réfléchir sérieusement sur leurs devoirs. Ceux au contraire qui sont dans l’état le plus malheureux, portés naturellement à destiner aux plaisirs le peu de tems que leur travail leur laisse, ne sauroient cultiver leur raison, ni l’enrichir de ces connoissances qui contribuent tant à la vertu & au bonheur de la Créature raisonnable. La médiocrité est exemte de l’un & de l’autre de ces inconvéniens : le luxe, & la dépense excessive pour des plaisirs rafinés & criminels, ne sauroient subsister avec elle. Ceux qui se trouvent dans cet état, ont tout le loisir de se procurer le bonheur, qui peut avoir sa source dans un esprit cultivé par l’étude, & par le commerce des personnes vertueuses & raisonnables.