L. Discours Justus Van Effen Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Katharina Jechsmayr Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 24.11.2014 o:mws.3014 Justus Van Effen: Le Misantrope. Amsterdam: Herman Uytwerf 1742, 65-74, Le Misantrope 2 009 1711-1712 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Liebe Amore Love Amor Amour France 2.0,46.0 Morne Pompée -72.1427,19.48002

L. Discours

Je reviens encore à vous, Mesdames ; je sai que vous avez goûté les conseils que j’ai pris la liberté de vous donner, & c’est votre aprobation qui m’engage à vous les continuer. J’aurois certes grand tort de prétendre écrire pour le Public, si je ne m’adressois pas de tems en tems à la moitié du Public la plus aimable.

Vous vous souvenez bien aparemment que je vous ai donnéDans le XLV. Discours quelques avis pour prévenir le chagrin que vous cause la perte de vos Amans. Mes réflexions là-dessus ne sont pas entiérement épuisées ; en voici encore quelques-unes dont je vous prie de profiter.

Dès-que vous vous croyez sures du cœur d’un Amant, vous ne manquez presque jamais d’exiger de lui une soumission qui tient de l’esclavage ; & vous n’aplaudissez jamais davantage à votre mérite, que quand vous faites sentir à un pauvre homme votre empire & sa dépendance : vous voulez avec hauteur que votre volonté soit absolument la régle de la sienne ; &, selon vous, c’est commettre un crime de léze-tendresse, que de ne pas prendre vos fantaisies pour autant de loix. Excusez-moi, Mesdames, si j’ose attribuer à cet empire trop absolu & trop rude, la révolte d’un grand nombre de cœurs. On hait naturellement la dépendance, & il n’est pas plus naturel à l’esprit de penser, que de vouloir être libre. Dès-que vous voulez heurter de front cet amour de la liberté qui est essentiel aux hommes, vous mettez leur cœur dans une situation gênée & contrainte, & bientôt ils sortent d’un état violent pour rentrer dans la liberté qui leur est naturelle.

Cette conduite que vous tenez avec vos Amans, a sa source dans l’idée du respect & de l’hommage que votre Sexe croit avoir droit d’exiger généralement du nôtre. On ne sauroit vous desabaser de ce préjugé, sans vous mortifier un peu. Mais d’ordinaire l’utilité qu’on retire de la Raison, est accompagnée d’un peu de chagrin ; & ce n’est que par un peu de mortification, qu’on parvient au bonheur de dissiper des opinions malfondées qui offusquent le jugement.

De grace, Mesdames, en vertu de quoi prétendez-vous qu’un homme doive avoir plus de respect pour vôtre sexe que pour le sien ? Je ne connois que quatre sortes de respects. On apelle respect la soumission due à ceux qui sont au-dessus de nous par le rang. On donne ce nom à la vénération qu’on accorde à un mérite supérieur. On le donne encore à la condescendance qu’on a pour les personnes d’un âge avancé. Enfin on nomme respect, d’une maniére assez impropre, certains égards qu’on a pour la foiblesse d’esprit de ceux qu’on fréquente ; & c’est de cette maniére qu’on respecte les Enfants & les Imbéciles.

Vous pourrez prétendre aux deux premières sortes de respect, j’en conviens. Mais ce n’est pas en qualité de Femmes, c’est en qualité de Personnes distinguées par le rang & par le mérite. Pour les égards qu’on a pour l’âge & l’imbécilité, je crois que vous y renoncez de bon cœur ; vous achetteriez le respect un peu trop cher, s’il devoit vous coûter votre jeunesse ou votre esprit.

Je vous rens assez de justice, Mesdames, pour croire, que l’erreur où vous êtes sur les hommages que vous exigez de nous, vous vient moins d’un travers d’esprit que de la conduite de vos Amans. Faute de pouvoir gagner votre cœur par leur mérite, ils ont tâché d’y parvenir par la route de la flaterie ; & ne pouvant pas vous donner une tendresse délicate & digne d’un honnête-homme, ils ont voulu vous en dédommager par une lâche soumission.

Je m’imagine encore que la lecture des Romans vous rend de mauvais services sur ce chapitre. Les Héros avec qui votre imagination s’est familiarisée, ont d’ordinaire un vrai caractére d’imbécilité ; leurs égarde pour le Beau Sexe poussés jusqu’à l’extravagance, vous ont mis dans l’esprit que tous hommes doivent se régler sur ces modéles.

Mon raisonnement ne tend point à détourner vos Amans des hommages qu’ils sont accoutumés de vous rendre, je sai bien que j’y tâcherois en-vain ; la Raison ne trou-ve jamais accessible à sa force, un cœur pris de vos charmes. Je veux seulement vous persuader de ménager mieux l’ascendant qu’un Amant ne sauroit s’empêcher de vous donner sur lui. L’Homme hait naturellement la servitude, je le répéte : mais rarement a-t-il l’esprit assez fort pour répondre par sa conduite à son amour pour la liberté. Par paresse, & faute d’une force d’esprit suffisante, il se lasse bientôt d’être son propre maître : mais d’être esclave volontairement, & d’obéir sans y être forcé, lui tient lieu en quelque sorte de liberté & d’indépendance.

Il est donc de votre intérêt de manier le cœur de vos Amans avec une dextérité si délicate, que leur joug leur soit caché, & qu’en conformant leurs actions à votre volonté, ils ne croient suivre que les mouvemens de leur propre cœur. De cette maniére votre empire sera doux & durable ; au-lieu qu’il seroit de peu de durée, s’il étoit absolu & violent.

Voilà pour la conduite que vous devriez tenir, ce me semble, avec les Amans qui vous plaîsent. A l’égard de ceux qui n’ont pas le même bonheur, je vous avoue que je suis souvent indigné des maniéres que vous avez avec eux. D’ordinaire vous vous faites un plaisir de nourrir leur tendresse par un accueil favorable, & par des espérances trop fortes ; & ce manége adroit vous procure souvent une cour nombreuse, qui flatte agréablement votre vanité.

Mais comment voulez-vous que cette ma-niére d’agir puisse accommoder un Amant délicat, qui vous accorde toute sa tendresse, & qui naturellement doit prétendre aussi toute la vôtre ? Vos protestations lui seront toujours suspectes, & jamais il ne saura faire fond sur les marques les plus touchantes de votre estime pour lui. Une jalousie médiocre entretient l’amour, & le rend plus vif : mais une jalousie trop forte, qui doit être nécessairement l’effet de la coquetterie, fait succéder tôt ou tard un profond mépris à la plus tendre passion.

Quelques autres d’entre vous se font un plaisir de maltraiter des Amans qui sont assez misérables par leur tendresse infortunée. J’ai entendu des Dames avouer sans façon, que rien ne leur procurait un plaisir plus sensible que les chagrins d’une foule d’Adorateurs malheureux. Ce sentiment n’est point du tout généreux ; la bonté est la plus aimable de toutes les vertus ; & si je crois qu’une Dame est obligée d’ôter l’espérance à ceux qu’elle ne sauroit aimer, je crois aussi que jamais elle ne doit leur marquer ni colére ni mépris. Ne vous imaginez pas, Mesdames, que ces rigueurs mal entendues puissent obliger votre Amant favori, s’il est honnête homme ; elles sont plus propres à vous faire perdre son estime ; il ne la sauroit accorder aux plus belles qualités du monde, si elles ne sont pas accompagnées d’un cœur humain & généreux.

J’ai bien lieu de craindre que les réflexions que je viens de faire, ne soient d’une nature à ne vous être pas agréables. On dit qu’un don-neur d’avis est rarement bien venu chez vous ; changeons de matiére. Le Libraire m’a communiqué une Lettre qu’il a reçue de Mr. C. . . . . reconnu pour un homme d’un esprit supérieur, & d’un goût exquis : elle m’a fait un plaisir sensible, & je souhaite fort qu’elle fasse le même effet sur le Lecteur. La voici.

A. . . . le 15. de Février 1712.

Monsieur,

J’ai vu avec un extrême plaisir le XLV. Misantrope & le XLVII. J’ai été fort aise aussi de voir le texte pris de la Tragédie de la mort de Pompée ; & il n’y a pas une ligne dans cette petite Piéce qui ne mérite un éloge. Vous pouvez vous souvenir de ce que je vous dis sur celui qu’il a sait sur les Bons-mots, lorsque je l’ai lu chez vous la première fois : c’est qu’il auroit pu y raporter cet endroit de Mr. de la Fontaine.

« On cherche les Rieurs, pour moi je les évite ; Cet Art veut sur tout autre un suprême mérite ;Dieu ne créa que pour les Sots,Les méchants Diseurs de bons-mots. »

Lorsque je lus l’Histoire qu’il raporte de le vieille Cour, sur la bonne mine de Bussi d’Amboise, j’aurois bien souhaité qu’il eût appuyé ce qu’il dit aux Dames là-dessus, d’un Madrigal que Marot fit pour Isabeau Princesse de Navarre, qui je trouve fait dans le même esprit que toute la Piéce de votre Auteur, ainsi que vous l’allez voir.

« Qui cuideroit déguiser Isabeau, D’un simple habit, ce serait grand simplesse ;Car au visage a ne sai quoi de beau,Qui fait juger toujours qu’elle est Princesse,Soit en habit de Chambriére ou Maitresse,Soit son gent corps de toile enveloppé,Toujours sera sa beauté maintenue.Mais il me semble, ou je suis bien trompé,Qu’elle seroit plus belle toute nue. »

Voilà, ce me semble, qui auroit pu être enchassé avec grâce dans cette jolie Piéce ; je vous en dirai davantage une autre fois &c.

Le dernier vers de ce joli Madrigal paraîtra peut-être un peu gaillard, mais le Siécle de Marot n’étoit pas si sage que le nôtre, pour l’expression s’entend. Je crois qu’à cela près le Public recevra le présent de Mr. C. . . . . avec reconnoissance. Pour moi je lui en rens de très humbles graces, & je le prie de vouloir bien continuer à enrichir mon Ouvrage de quelques-unes de ses réflexions ; elles vaudront bien les miennes, & le Lecteur ne perdra rien au change. Ce que j’en dis est entiérement conforme à ma pensée : on voit bien que si je me piquois d’une fausse modestie, je n’insérerois pas ici une Lettre qui m’est si avantageuse. Je veux bien avouer la dette, je fais parade des louanges qu’elle contient. Celui qui me les donne ne me connoit point, & il fait donner de l’encens avec discernement. Mon orgueil ne doit point surprendre les personnes qui connoissent le cœur humain. On fait assez qu’on n’écrit que par vanité, & dans la vue de s’attirer de la réputation. Vouloir persuader qu’on se fait imprimer par un autre principe, c’est se rendre coupable d’une dissimulation dont personne n’est la dupe. Autrefois tous les Auteurs exposoient leurs productions aux yeux du Public, en dépit d’eux. Ils avoient toujours quelque Ami de commande, qui leur jouoit le tour de mettre leurs Ouvrages sous la presse sans leur aveu.

Cette modestie affectée faisoit la matiére de toutes les Préfaces, & le dégoût du Public força enfin les Auteurs à changer de stile. Alors on commença à convenir de son orgueil, moins par amour pour la franchise, que pour dire quelque chose de nouveau. Ce tour est devenu usé comme l’autre ; & pour varier, les Ecrivains commencent à chanter pouille dans leurs Préfaces, à tous ceux qui ne goûtent pas leur maniére d’écrire. Ce sujet est d’ordinaire assez fertile, & peut fournir sans peine quelques centaines de pages.

Peut-être y aura-t-il des Lecteurs qui me pardonneront de communiquer au Public les éloges qu’on me donne, lorsqu’ils considéreront que je n’ai point fait scrupule aussi d’insérer dans mon Ouvrage les critiques du Poёte sans Fard. Mais je les dispense de m’excuser par-là. La modestie n’a point eu de part dans cette action ; j’ai fait part au Public des censures de cet Auteur, par le même principe qui m’excite à présent à lui communiquer l’aprobation de Mr. C. . . .

Oui ce grand Poète irrité Me donnoit autant de fierté,En me déchirant par sa rime,Que C. . . en m’accordant l’honneur de son estime. Addition du Libraire.

Après avoir remis à l’Imprimeur l’Original de ce Misantrope, j’ai reçu une autre Lettre du même Mr. C. . . . en voici un extrait.

Le No. 49. n’est point inférieur aux deux précédens ; & Mr. D. B. . . . & moi avons pris beaucoup de plaisir à la lecture qui nous en a été faite. Elle n’a pas été plutôt achevée, que j’ai encore trouvé dans ma mémoire quelques Vers de Mr. de la Fontaine, par où l’Auteur auroit pu finir fort agréablement ; les voici.

« Se croire un Personnage, est fort commun en France ; On y fait l’homme d’importance,Et l’on n’est souvent qu’un Bourgeois.C’est proprement le mal François.La sotte vanité nous est héréditaire.Les Espagnols sont vains, mais d’une autre maniére :Leur orgueil me semble, en un mot,Beaucoup plus fou, mais pas si sot.

Au reste, Monsieur, je commence à me persuader que Monsieur votre Misantrope aura grand’ peine à demeurer longtems caché ; mais ce sera toujours un grand avantage pour lui, de pouvoir lever le masque avec bonneur, &c.

L. Discours Je reviens encore à vous, Mesdames ; je sai que vous avez goûté les conseils que j’ai pris la liberté de vous donner, & c’est votre aprobation qui m’engage à vous les continuer. J’aurois certes grand tort de prétendre écrire pour le Public, si je ne m’adressois pas de tems en tems à la moitié du Public la plus aimable. Vous vous souvenez bien aparemment que je vous ai donnéDans le XLV. Discoursquelques avis pour prévenir le chagrin que vous cause la perte de vos Amans. Mes réflexions là-dessus ne sont pas entiérement épuisées ; en voici encore quelques-unes dont je vous prie de profiter. Dès-que vous vous croyez sures du cœur d’un Amant, vous ne manquez presque jamais d’exiger de lui une soumission qui tient de l’esclavage ; & vous n’aplaudissez jamais davantage à votre mérite, que quand vous faites sentir à un pauvre homme votre empire & sa dépendance : vous voulez avec hauteur que votre volonté soit absolument la régle de la sienne ; &, selon vous, c’est commettre un crime de léze-tendresse, que de ne pas prendre vos fantaisies pour autant de loix. Excusez-moi, Mesdames, si j’ose attribuer à cet empire trop absolu & trop rude, la révolte d’un grand nombre de cœurs. On hait naturellement la dépendance, & il n’est pas plus naturel à l’esprit de penser, que de vouloir être libre. Dès-que vous voulez heurter de front cet amour de la liberté qui est essentiel aux hommes, vous mettez leur cœur dans une situation gênée & contrainte, & bientôt ils sortent d’un état violent pour rentrer dans la liberté qui leur est naturelle. Cette conduite que vous tenez avec vos Amans, a sa source dans l’idée du respect & de l’hommage que votre Sexe croit avoir droit d’exiger généralement du nôtre. On ne sauroit vous desabaser de ce préjugé, sans vous mortifier un peu. Mais d’ordinaire l’utilité qu’on retire de la Raison, est accompagnée d’un peu de chagrin ; & ce n’est que par un peu de mortification, qu’on parvient au bonheur de dissiper des opinions malfondées qui offusquent le jugement. De grace, Mesdames, en vertu de quoi prétendez-vous qu’un homme doive avoir plus de respect pour vôtre sexe que pour le sien ? Je ne connois que quatre sortes de respects. On apelle respect la soumission due à ceux qui sont au-dessus de nous par le rang. On donne ce nom à la vénération qu’on accorde à un mérite supérieur. On le donne encore à la condescendance qu’on a pour les personnes d’un âge avancé. Enfin on nomme respect, d’une maniére assez impropre, certains égards qu’on a pour la foiblesse d’esprit de ceux qu’on fréquente ; & c’est de cette maniére qu’on respecte les Enfants & les Imbéciles. Vous pourrez prétendre aux deux premières sortes de respect, j’en conviens. Mais ce n’est pas en qualité de Femmes, c’est en qualité de Personnes distinguées par le rang & par le mérite. Pour les égards qu’on a pour l’âge & l’imbécilité, je crois que vous y renoncez de bon cœur ; vous achetteriez le respect un peu trop cher, s’il devoit vous coûter votre jeunesse ou votre esprit. Je vous rens assez de justice, Mesdames, pour croire, que l’erreur où vous êtes sur les hommages que vous exigez de nous, vous vient moins d’un travers d’esprit que de la conduite de vos Amans. Faute de pouvoir gagner votre cœur par leur mérite, ils ont tâché d’y parvenir par la route de la flaterie ; & ne pouvant pas vous donner une tendresse délicate & digne d’un honnête-homme, ils ont voulu vous en dédommager par une lâche soumission. Je m’imagine encore que la lecture des Romans vous rend de mauvais services sur ce chapitre. Les Héros avec qui votre imagination s’est familiarisée, ont d’ordinaire un vrai caractére d’imbécilité ; leurs égarde pour le Beau Sexe poussés jusqu’à l’extravagance, vous ont mis dans l’esprit que tous hommes doivent se régler sur ces modéles. Mon raisonnement ne tend point à détourner vos Amans des hommages qu’ils sont accoutumés de vous rendre, je sai bien que j’y tâcherois en-vain ; la Raison ne trou-ve jamais accessible à sa force, un cœur pris de vos charmes. Je veux seulement vous persuader de ménager mieux l’ascendant qu’un Amant ne sauroit s’empêcher de vous donner sur lui. L’Homme hait naturellement la servitude, je le répéte : mais rarement a-t-il l’esprit assez fort pour répondre par sa conduite à son amour pour la liberté. Par paresse, & faute d’une force d’esprit suffisante, il se lasse bientôt d’être son propre maître : mais d’être esclave volontairement, & d’obéir sans y être forcé, lui tient lieu en quelque sorte de liberté & d’indépendance. Il est donc de votre intérêt de manier le cœur de vos Amans avec une dextérité si délicate, que leur joug leur soit caché, & qu’en conformant leurs actions à votre volonté, ils ne croient suivre que les mouvemens de leur propre cœur. De cette maniére votre empire sera doux & durable ; au-lieu qu’il seroit de peu de durée, s’il étoit absolu & violent. Voilà pour la conduite que vous devriez tenir, ce me semble, avec les Amans qui vous plaîsent. A l’égard de ceux qui n’ont pas le même bonheur, je vous avoue que je suis souvent indigné des maniéres que vous avez avec eux. D’ordinaire vous vous faites un plaisir de nourrir leur tendresse par un accueil favorable, & par des espérances trop fortes ; & ce manége adroit vous procure souvent une cour nombreuse, qui flatte agréablement votre vanité. Mais comment voulez-vous que cette ma-niére d’agir puisse accommoder un Amant délicat, qui vous accorde toute sa tendresse, & qui naturellement doit prétendre aussi toute la vôtre ? Vos protestations lui seront toujours suspectes, & jamais il ne saura faire fond sur les marques les plus touchantes de votre estime pour lui. Une jalousie médiocre entretient l’amour, & le rend plus vif : mais une jalousie trop forte, qui doit être nécessairement l’effet de la coquetterie, fait succéder tôt ou tard un profond mépris à la plus tendre passion. Quelques autres d’entre vous se font un plaisir de maltraiter des Amans qui sont assez misérables par leur tendresse infortunée. J’ai entendu des Dames avouer sans façon, que rien ne leur procurait un plaisir plus sensible que les chagrins d’une foule d’Adorateurs malheureux. Ce sentiment n’est point du tout généreux ; la bonté est la plus aimable de toutes les vertus ; & si je crois qu’une Dame est obligée d’ôter l’espérance à ceux qu’elle ne sauroit aimer, je crois aussi que jamais elle ne doit leur marquer ni colére ni mépris. Ne vous imaginez pas, Mesdames, que ces rigueurs mal entendues puissent obliger votre Amant favori, s’il est honnête homme ; elles sont plus propres à vous faire perdre son estime ; il ne la sauroit accorder aux plus belles qualités du monde, si elles ne sont pas accompagnées d’un cœur humain & généreux. J’ai bien lieu de craindre que les réflexions que je viens de faire, ne soient d’une nature à ne vous être pas agréables. On dit qu’un don-neur d’avis est rarement bien venu chez vous ; changeons de matiére. Le Libraire m’a communiqué une Lettre qu’il a reçue de Mr. C. . . . . reconnu pour un homme d’un esprit supérieur, & d’un goût exquis : elle m’a fait un plaisir sensible, & je souhaite fort qu’elle fasse le même effet sur le Lecteur. La voici. A. . . . le 15. de Février 1712. Monsieur, J’ai vu avec un extrême plaisir le XLV. Misantrope & le XLVII. J’ai été fort aise aussi de voir le texte pris de la Tragédie de la mort de Pompée ; & il n’y a pas une ligne dans cette petite Piéce qui ne mérite un éloge. Vous pouvez vous souvenir de ce que je vous dis sur celui qu’il a sait sur les Bons-mots, lorsque je l’ai lu chez vous la première fois : c’est qu’il auroit pu y raporter cet endroit de Mr. de la Fontaine. « On cherche les Rieurs, pour moi je les évite ; Cet Art veut sur tout autre un suprême mérite ;Dieu ne créa que pour les Sots,Les méchants Diseurs de bons-mots. » Lorsque je lus l’Histoire qu’il raporte de le vieille Cour, sur la bonne mine de Bussi d’Amboise, j’aurois bien souhaité qu’il eût appuyé ce qu’il dit aux Dames là-dessus, d’un Madrigal que Marot fit pour Isabeau Princesse de Navarre, qui je trouve fait dans le même esprit que toute la Piéce de votre Auteur, ainsi que vous l’allez voir. « Qui cuideroit déguiser Isabeau, D’un simple habit, ce serait grand simplesse ;Car au visage a ne sai quoi de beau,Qui fait juger toujours qu’elle est Princesse,Soit en habit de Chambriére ou Maitresse,Soit son gent corps de toile enveloppé,Toujours sera sa beauté maintenue.Mais il me semble, ou je suis bien trompé,Qu’elle seroit plus belle toute nue. » Voilà, ce me semble, qui auroit pu être enchassé avec grâce dans cette jolie Piéce ; je vous en dirai davantage une autre fois &c. Le dernier vers de ce joli Madrigal paraîtra peut-être un peu gaillard, mais le Siécle de Marot n’étoit pas si sage que le nôtre, pour l’expression s’entend. Je crois qu’à cela près le Public recevra le présent de Mr. C. . . . . avec reconnoissance. Pour moi je lui en rens de très humbles graces, & je le prie de vouloir bien continuer à enrichir mon Ouvrage de quelques-unes de ses réflexions ; elles vaudront bien les miennes, & le Lecteur ne perdra rien au change. Ce que j’en dis est entiérement conforme à ma pensée : on voit bien que si je me piquois d’une fausse modestie, je n’insérerois pas ici une Lettre qui m’est si avantageuse. Je veux bien avouer la dette, je fais parade des louanges qu’elle contient. Celui qui me les donne ne me connoit point, & il fait donner de l’encens avec discernement. Mon orgueil ne doit point surprendre les personnes qui connoissent le cœur humain. On fait assez qu’on n’écrit que par vanité, & dans la vue de s’attirer de la réputation. Vouloir persuader qu’on se fait imprimer par un autre principe, c’est se rendre coupable d’une dissimulation dont personne n’est la dupe. Autrefois tous les Auteurs exposoient leurs productions aux yeux du Public, en dépit d’eux. Ils avoient toujours quelque Ami de commande, qui leur jouoit le tour de mettre leurs Ouvrages sous la presse sans leur aveu. Cette modestie affectée faisoit la matiére de toutes les Préfaces, & le dégoût du Public força enfin les Auteurs à changer de stile. Alors on commença à convenir de son orgueil, moins par amour pour la franchise, que pour dire quelque chose de nouveau. Ce tour est devenu usé comme l’autre ; & pour varier, les Ecrivains commencent à chanter pouille dans leurs Préfaces, à tous ceux qui ne goûtent pas leur maniére d’écrire. Ce sujet est d’ordinaire assez fertile, & peut fournir sans peine quelques centaines de pages. Peut-être y aura-t-il des Lecteurs qui me pardonneront de communiquer au Public les éloges qu’on me donne, lorsqu’ils considéreront que je n’ai point fait scrupule aussi d’insérer dans mon Ouvrage les critiques du Poёte sans Fard. Mais je les dispense de m’excuser par-là. La modestie n’a point eu de part dans cette action ; j’ai fait part au Public des censures de cet Auteur, par le même principe qui m’excite à présent à lui communiquer l’aprobation de Mr. C. . . . Oui ce grand Poète irrité Me donnoit autant de fierté,En me déchirant par sa rime,Que C. . . en m’accordant l’honneur de son estime. Addition du Libraire. Après avoir remis à l’Imprimeur l’Original de ce Misantrope, j’ai reçu une autre Lettre du même Mr. C. . . . en voici un extrait. Le No. 49. n’est point inférieur aux deux précédens ; & Mr. D. B. . . . & moi avons pris beaucoup de plaisir à la lecture qui nous en a été faite. Elle n’a pas été plutôt achevée, que j’ai encore trouvé dans ma mémoire quelques Vers de Mr. de la Fontaine, par où l’Auteur auroit pu finir fort agréablement ; les voici. « Se croire un Personnage, est fort commun en France ; On y fait l’homme d’importance,Et l’on n’est souvent qu’un Bourgeois.C’est proprement le mal François.La sotte vanité nous est héréditaire.Les Espagnols sont vains, mais d’une autre maniére :Leur orgueil me semble, en un mot,Beaucoup plus fou, mais pas si sot. Au reste, Monsieur, je commence à me persuader que Monsieur votre Misantrope aura grand’ peine à demeurer longtems caché ; mais ce sera toujours un grand avantage pour lui, de pouvoir lever le masque avec bonneur, &c.