Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XLVII. Discours", in: Le Misantrope, Vol.2\006 (1711-1712), S. 39-48, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1705 [aufgerufen am: ].


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XLVII. Discours

Ebene 2► Je sai, Mesdames, que vous ne me voulez pas trop de bien, & qu’une des raisons de votre ressentiment est tirée de la Requête que j’ai présentée à l’Académie Françoise, pour lui demander des féminins pour Fat & Petit-Maître. Sérieusement vous n’y pensez pas : songez, s’il vous plaît, que je n’ai point attaqué le Beau Sexe en général : mon but n’a été que de le préserver d’un ridicu-[40]le qui fait l’infamie des Hommes, & qui est entiérement éloigné de votre caractére naturel. S’il y en a parmi vous, Mesdames, qui justifient ma critique par leur conduite peu raisonnable, bien loin de se fâcher contre moi, qu’elles montrent que les Hommes leur cédent en docilité, qu’elles rentrent dans l’aimable modestie qui fait le plus grand agrément de votre Sexe. Vous, au contraire, qui par vos maniéres sages & polies vous mettez à l’abri de mes reproches, aplaudissez à votre raison qui n’a pas besoin de mes avis, pour vous garder de l’imitation de nos extravagances & de nos vices.

Metatextualität► Je reviens au sujet dont je vous ai entretenues il y a quinze jours. ◀Metatextualität

J’ai fait voir que l’Ajustement excessif n’est point avantageux aux personnes destituées des grâces d’une beauté naturelle. Cependant on peut dire que nous leur avons obligation, d’offrir à nos yeux quelque chose de moins desagréable qu’elles-mêmes. Pour vous qui êtes aimables, vous ne sauriez nous taire plus de plaisir, qu’en débarassant vos charmes d’une beauté étrangére qui ne fait que l’offusquer.

Ne consultez que votre amour-propre sur mon sentiment. Y a-t-il une vanité délicate à vouloir partager avec vos ajustemens, nos regards & notre admiration ? & croyez-vous préjudicier à votre gloire, en n’ayant rien de si beau sur vous que vous-même ?

L’Ajustement ne doit point faire un agré-[41]ment à part qu’on puisse opposer aux graces qui vous sont propres ; il ne doit faire qu’un seul tout avec votre beauté. Ce n’est que vous que nous devons voir dans vos habits : ils ne doivent qu’aider vos appas, relever votre air, développer vos graces ; & s’il se peut, ils doivent fixer toute notre attention sur vos charmes, sans nous donner le loisir de songer à ce qui leur prête un nouvel éclat.

S’il faut justifier par quelque autorité d’importance mon sentiment sur la maniére de s’ajuster, je ne vous alléguerai que le tendre, le galant, l’ingénieux Ovide. Il avoit bien étudie le Sexe, & savoit mieux qu’homme au monde ce qui est avantageux aux Dames. Voici à peu près comme il parle aux Femmes trop parées.

Zitat/Motto► La grâce qu’à vos corps le Ciel a départie,

Est sous vos beaux habits souvent ensévelie ;
Vos soins mal entendus excitent mon cour roux,
Et votre vanité par eux est démentie.
De tout ce que l’on voit en vous,
La Femme d’ordinaire est la moindre partie. ◀Zitat/Motto

Peut-être croyez-vous, Mesdames, que votre qualité vous force quelquefois à vous distinguer du Vulgaire par une parure magnifique. Mais, de grace, pénétrez par un peu de réflexion dans le fond de votre cœur, vous sentirez bien qu’il s’intéresse plus tendrement pour vos charmes que pour [42] votre naissance. Le respect, souvent forcé, qu’on donne à votre rang, ne sauroit vous toucher d’une maniére si délicate, que l’hommage qu’on accorde avec plaisir à votre beauté. Nous pardonnons fort facilement à une aimable Femme l’obscurité de sa naissance, & rien ne nous paroit plus noble que les grâces d’un beau visage, relevé par un ajustement bien entendu.

Zitat/Motto► Ne vous entêtez pas de vos ayeux altiers ;

La laideur chez le Sexe est la seule roture ;
Et les charmes qu’étale une aimable figure,
Valent mieux que seize quartiers. ◀Zitat/Motto

Je suis sûr, Mesdames, que vous êtes de mon opinion, & que vous préféreriez toujours l’empire que le mérite exerce sur les cœurs, à la puissance absolue qu’un Monarque exerce sur la volonté de ses Sujets.

Zitat/Motto► Une Reine mal satisfaite

Du peu d’éclat de sa beauté,
Au mépris de Sa Majesté,
Changeroit son Sceptre en Houlette,
pour devenir jeune & bien faite. ◀Zitat/Motto

Mais il me semble que je ne combats ici qu’une chimére. Piquez-vous de qualité, Mesdames, tant que vous voudrez, mais ne prétendez pas en donner des marques par la magnificence de vos habits. On [43] ne distingue plus par-là la Noblesse d’avec la Roture, à peine met-elle quelque différence entre la Richesse & la Pauvreté. Vous avez de tout autres moyens pour caractériser le beau sang dont vous êtes sorties. Il y a un certain air grand & noble, que les sentimens du cœur répandent sur le visage ; il y a des maniéres de qualité, qui sont l’effet d’une éducation bien entendue ; sur-tout il y a une certaine honnêteté insinuante, une aimable affabilité, une fierté raisonnable : ce sont-là les véritables caractéres d’une illustre origine. Au contraire, un air farouche, une rudesse impertinente, un orgueil mal entendu, font voir la bassesse du cœur & l’obscurité de la naissance au travers de la plus éclatante parure, qui n’en impose qu’aux esprits vulgaires.

Permettez-moi, Mesdames, de vous raporter ici un trait d’Histoire. Je crois qu’il viendra à propos, & j’ai résolu de l’exprimer d’une maniére concise.

Entre les Galans de la vieille Cour, se distinguoit Bussi d’Amboisepar son esprit & par son bon goût. Il savoit que pour célébrer certaine Fête, tous les Courtisans avoient fait des dépenses prodigieuses afin de paroître avec éclat:

Pour lui, il fit faire à ses Domestiques des habits de la derniére richesse, & le jour de la Fête il parut à la Cour dans un habit fort uni, au milieu de cette troupe de Valets magnifiquement déguisés. La Nature avoit fait tous les fraix de son ajustement, & [44] paré seulement de sa bonne mine, il se fit reconnoître sans peine pour le Maître de ceux qui l’accompagnoient. Ce n’est pas tout : quand il se fut mêlé parmi les autres Seigneurs de la Cour, on les prit tous pour des Laquais, & lui seul parut Homme de distinction.

La vanité de ce Courtisan étoit fine & bien raisonnée, & je serois fort d’avis, Mesdames, que vous vous réglassiez sur un si bon modéle.

Zitat/Motto► Habillez vos Filles suivantes

De vos parures éclatantes ;
Parez-vous seulement d’un air de Qualité,
D’une aimable douceur, d’une noble fierté,
Vous montrerez ce que vous êtes.
Et dupes de leur vanité,
Les Dames les plus satisfaites
Du faux brillant d’un-éclat emprunté,
Ne paroîtront que des Soubrettes. ◀Zitat/Motto

Le conseil que je viens de vous donner est d’autant meilleur, que toutes les Femmes qui ont de l’argent & du crédit, peuvent se donner nombre de Valets, un Equipage brillant, & des Habits superbes ; mais on n’achette pas le bon air. La richesse peut donner tout à ceux qui la possédent ; l’estime du Monde même est souvent un présent de la Fortune ; mais l’air noble est une faveur de la Nature, ou l’effet d’une habitude formée par une éducation [45] heureuse : cet air est charmant, & dès-qu’on veut le copier, on donne à coup sûr dans le ridicule.

La Mode influe trop sur la maniére de s’ajuster, pour n’en pas dire un mot ici. L’empire qu’elle exerce sur les Hommes est extravagant, j’en conviens : mais c’est une extravagance privilégiée, tout le monde en est coupable, & l’on ne se peut distinguer des autres là-dessus, sans affectation & sans bisarrerie. Dans le fond il est indifférent de quelle maniére on s’habille, puisque rien ne détermine la parure que la pudeur & l’agrément. Je crois donc, Mesdames, que vous faites bien de suivre la Mode autant qu’elle convient à ces deux régles. Vous feriez plus mal encore d’outrer la Mode, que de vous en écarter : il est bon même que vous ne vous y attachiez pas si scrupuleusement qu’elle préjudicie à votre beauté : vous feriez bien de l’assujettir, autant qu’il se peut, aux agrémens qui vous sont naturels. Toutes les Femmes ne sont pas bien avec une coёffure qui les allonge d’un pié ; toutes n’ont pas bon air avec un bonnet qu’on ne voit qu’à peine ; & sur-tout il y en a peu dont les épaules ayent bonne grace à s’exposer au grand jour. Celle qui secoue entiérement le joug de la Mode, passe pour capricieuse & particuliére ; celle qui l’outre, pour une Provinciale qui copie les airs de Cour. Mais celle qui peut trouver une heureuse harmonie entre la Mode & sa beauté, répand en quelque sorte son esprit sur son ajustement ; elle seule posséde l’art de se mettre de bon goût.

[46] Ce que je vous ai dit, Mesdames, touchant l’effet qu’opére sur le cœur des Hommes la variété de vos maniéres, peut être apliqué aussi à votre ajustement : rien ne touche plus notre amour pour la nouveauté, que votre industrie à diversifier votre parure.

Ce goût pour la variété ne fait pas notre éloge, il est vrai:

Zitat/Motto► Nous avons tort je le confesse,
Ce défaut est bisarre autant qu’il est commun.
Mais enfin pour plaîre à quelqu’un,
La sure route est sa foiblesse. ◀Zitat/Motto

J’ai parlé des avantages de la beauté dans des termes un peu forts, & l’on pourroit croire que c’est-là le mérite que je considére le plus dans le Beau Sexe ; cependant on se tromperoit fort. Les grandes Beautés ne sont pas les plus touchantes ; elles frappent, on les admire, mais souvent on en reste à l’admiration. Ce qui gagne le cœur c’est l’agrément, & l’agrément résulte d’ordinaire de quelques traits irréguliers, qui forment sur le visage une touchante bisarrerie. Je vais encore plus loin : je crois qu’une Femme, sans avoir rien de beau, entreprend rarement de plaîre sans y réussir, pourvu qu’elle ait l’esprit adroit, le cœur bien placé, & l’humeur agréable. Elle peut tirer de ces qualités une espéce de beauté qui ne fait pas des impressions si vives que l’agrément du visage, mais qui en fait de plus [47] fortes & de plus durables. Soit que la Nature se plaîse à partager ses faveurs, soit qu’une belle Femme se fie assez sur ses charmes pour négliger son esprit, la sottise est assez souvent compagne de la beauté. Frappé des attraits d’une jolie Femme qu’on trouve dans une compagnie, on la préfére naturellement aux autres pour lier conversation avec elle, & souvent on est la dupe de la prémiére sottise qu’elle dit :

Zitat/Motto► Quelquefois on l’entend sans qu’on s’en effaronche,

L’éclat de sa Beauté rend notre esprit capot
Ce que la Belle dit de sot,
Passant par son aimable bouche,
Se rectifie & devient un bon-mot. ◀Zitat/Motto

Mais si elle entasse fadaise sur fadaise, nous sentons un dépit secret de voir si peu d’esprit avec tant de beauté ; & ce que la sottise a d’odieux, paroit se communiquer à l’extérieur de cette belle niaise.

Zitat/Motto► Le cœur devient bientôt rebelle

A l’empire de ses appas.
La bouche peut-elle être belle,
Par où passe tant de fatras ? ◀Zitat/Motto

Rebuté enfin d’un entretien si mal soutenu, on cherche les grâces de l’esprit ailleurs, & souvent on les trouve enveloppées dans un dehors peu revenant. A mesure [48] que la conversation s’anime, il semble que nos yeux se deffillent peu à peu, ou qu’un nuage qui environnoit les attraits de cette personne se dissipe insensiblement. Nous remarquons avec plaisir, qu’elle goûte les jolies choses que nous prétendons dire, & notre vanité s’accommode de ses lumiéres. Bientôt nous ne pourrons plus nous passer de sa conversation ; & une Dame qui fait se rendre nécessaire à l’amour-propre d’un homme, n’est pas longtems sans en être aimée. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1