Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XVI. Discours", in: Le Misantrope, Vol.1\018 (1711-1712), S. 139-150, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1669 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XVI. Discours.

Ebene 2► Metatextualität► Monsieur du Fresni, dans son Mercure de Juin, 1 propose cette question-ci : Que conseillerez-vous à un mari qui aime trop sa femme pour s’en séparer ; mais qui ne l’aime pas assez pour souffrir toutes ses impertinences ? On me mande de la Haye, qu’un homme d’esprit y a répondu de la maniere qui suit. ◀Metatextualität

[140] Zitat/Motto► « Pour éviter le fracas & le bruit

De votre femme impertinente & belle,
Passez avec elle la nuit,
Et passez tout le jour sans elle. » ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Cette réponse est assez ingénieuse ; mais elle ne satisfait pas trop bien à la demande, & il seroit à craindre que l’épouse en question, peu satisfaite de la compagnie de son mari pendant la nuit, n’en cherchât quelque autre pour la desennuyer pendant le jour. Ce n’est pas tout ; il y a de l’apparence qu’elle seroit de bonne humeur pendant la journée, & qu’elle garderoit ses impertinences pour la nuit. Voici encore une autre solution du même problême. ◀Metatextualität

Zitat/Motto► Je conseille à ce mari de cacher avec soin à sa femme qu’il l’aime trop pour s’en séparer, & qu’il lui fasse sentir fortement qu’il ne l’aime pas assez pour souffrir ses impertinences. ◀Zitat/Motto

Ce dernier conseil me satisfait davantage que les deux qu’on trouve dans le Mercure de Juillet. Celui d’être encore plus impertinent qu’une femme impertinente, est très-mal raisonné ; il seroit assez difficile à un Epoux impertinent par raison, de gagner le dessus sur une femme impertinente par naturel ; & c’est-là tout-au-plus le moyen de faire naître en conflict d’impertinences, dans lequel, vainqueur ou vaincu, le pauvre époux sera toujours fort à plaindre.

[141] Une Femme qui redouble sa patience & sa douceur à proportion qu’un Epoux redouble sa brutalité, n’a pas mieux trouvé à mon sens, le nœud d’une question, qui avec justice regarde autant les emportemens déraisonnables d’un mari, que la mauvaise humeur d’une femme ; & pour me servir d’un premier Proverbe qu’on aura trouvé dans le Misantrope, c’est se faire brebis pour être mangée du loup.

Une femme qui se trouve dans cette fâcheuse conjoncture, est bien plus à plaindre qu’un homme affligé du même malheur, qui n’est d’ordinaire qu’une juste punition de son avarice ou de son imprudence. Méritez-vous ma compassion, Epoux mercenaire, qui les yeux fermez sur les mauvaises qualitez d’une fille, ne les avez eu ouverts que sur son Or ? N’avez vous pas ce que vous avez toujours cherché ? L’Or est la source de l’agrément de la vie, du repos de l’esprit, d’un bonheur parfait & sans mélange ; vous avez de cet Or à foison, & rien ne sçauroit troubler votre félicité. Plût au Ciel, dites-vous, j’ai beau m’entourer d’un retranchement de pistoles, je ne me trouve point en sûreté contre les cris d’une femme en furie.

Permettez moi de vous féliciter des défauts de votre épouse, qui vous corrigent des vôtres, & qui rectifient vos idées sur le véritable bonheur. Le remede est violent ; mais l’avarice est une maladie qui en de-[142]mande de très-rudes. Faites un bon usage de vos découvertes, & si le Ciel accorde à votre repentir un veuvage bienheureux, n’enfermez pas votre bon sens dans un coffrefort, on en a besoin quand on veut faire un mariage fortuné.

Et vous, Monsieur le Damoiseau, qui après avoir filé le parfait amour avec votre Climene, en avez fait enfin votre coquette & impérieuse moitié, vous plaindrai-je ? Vous êtes la victime des vices de votre Epouse, qui devroit s’attirer votre respect comme votre propre ouvrage ? Vous prétendez que contente de votre tendresse, tout le reste de la terre lui soit indifférent ; de quel droit, s’il vous plaît ? Combien de fois ne lui avez vous pas juré, quand vous étiez son Amant, que l’amour est un hommage que tous les cœurs doivent à ses charmes ? Ses yeux font-ils mal de se prévaloir de leurs droits, & d’exiger un tribut que vous-même vous leur avez ajugé ? Si elle veut faire fléchir votre raison sous ses décisions ridicules, prenez-vous-en à vous qui lui avez mille fois prôné l’infaillibilité de son jugement ; & ne pensez pas lui persuader que le mariage ait affoibli les lumieres de son esprit. Elle exige de vous une obéissance que le sens commun ne sçauroit limiter ; a-t-elle tort ? Autrefois respectée de vous comme une Divinité, elle a exercé un empire souverain sur vos penchans & sur votre raison même ; ses [143] fantaisies étoient vos Loix : Voulez-vous qu’à présent elle apprenne à vous obéir, & quelle sacrifie à ses devoirs la douce habitude de régner ?

Je suis convaincu que le meilleur moyen de s’assurer une hymenée tranquille, c’est de faire l’amour d’une maniere un peu misantropique : point de lâche flaterie, point de complaisance déraisonnable, point de soumissions extravagantes. Qu’on étale à sa Maîtresse un amour délicat, je le veux ; mais en même tems qu’on lui montre dans toutes ses actions la noble droiture d’une franchise inaltérable. Cette conduite, il est vrai, choquera la plûpart des femmes ; mais celles-là n’ont pas le vrai goût du mérite, & il vaut mieux déplaire Amant que de déplaire Epoux. Si au contraire vous rencontrez une personne d’un esprit assez fort, pour soutenir la rigidité de votre candeur, & pour trouver même quelque chose de grand dans votre intégrité, vous pouvez être sûr d’épouser une femme raisonnable ; l’égalité de votre conduite en qualité d’amant & de mari, vous peut répondre en quelque sorte de l’égalité de la tendresse qu’aura pour vous votre Epouse, sous ces titres différens.

A cette précaution contre la mauvaise humeur & contre la coquetterie d’une femme, il faut ajouter encore pour être heureux Epoux, une grande confiance sur sa vertu, se bien mettre dans l’esprit que rien n’est [144] plus équivoque que la fidélité d’une Epouse. La femme la plus innocente peut quelquefois paroître criminelle, & une femme criminelle trouve souvent le secret de tirer de ses infidélitez même, dequoi les colorer, & dequoi paroître innocente.

Zitat/Motto► Que n’ai-je, cher Lecteur, du naïf la Fontaine

L’élégant badinage & la facile veine !
J’irois Boccace dépouiller,
Et d’un conte vous régaler,
Qui ne seroit un conte à la douzaine.
Mais que sçait-on ? peut-être la fontaine
Où ce Rimeur a bû de l’Hypocrene,
Sera-t-elle pour moi d’assez facile accès ;
Et j’y pourrai boire à longs traits,
De la liqueur qui fait que l’on rime sans peine,
Et que les termes faits exprès,
Se viennent offrir par douzaine,
Partout où le sujet nous mene.
Hazardons ; aussi bien, sans une ame un peu vaine.
Jamais Auteur n’écrit avec succès.
Dans une Ville d’Italie,
Où malgré les jaloux on fait mainte folie,
Où la jalousie & l’amour
Toujours se combattant, triomphent tour-à-tour,
Fut une Dame très-jolie,
Dont le corsage fait au tour,
Et l’œil plus vif que l’œil du jour,
Donnoient aux femmes de l’envie,
[145] Donnoient aux hommes de l’amour.
Certain Seigneur de conséquence,
Qui par son rang, par sa naissance,
Se croyoit propre a tout charmer,
La vit, l’aima, s’en voulut faire aimer.
Mais pour les Dames enflâmer,
Ces qualitez souvent sont de peu d’importance ;
De peu d’importance surtout
Si pour un autre Amant une Belle a pris gout,
En vain le Sire employa tout
Pour toucher cette Beauté fiere ;
Tendres efforts, présens, priere,
Ses vœux ne furent exaucez,
Ses présens furent refuses,
Ses tendres efforts répoussez
Pour excuser cette rudesse.
La Belle allégua sa sagesse,
Ses devoirs envers son Epoux,
Qui tendre, quoiqu’un peu jaloux,
Méritoit toute sa tendresse :
En un mot Thérese allégua
Ce qu’on allegue en ce cas-là
Aux Amans qui ne plaisent guére,
Et dont jamais on ne parla
Aux Amans qui sçavent plaire.
Thérese n’en parla jamais
A Leandre, qui jeune & frais,
Couvroit sa naissance obscure
Sous sa blonde chevelure
Et sous sa belle encoulure ;
[146] Et dont grace à la Nature,
L’air, la démarche, les traits,
Etoient de fort bon augure.
Thérese depuis long-tems
Passoit de fort doux momens
Avec ce Blondin aimable
Et sçavoit à son époux,
Jaloux,
Dérober des rendez-vous,
Dont l’air mystérieux rendoit plus agréable
Ce que l’amour a de plus doux.
Un jour l’Epoux, pour quelque affaire,
Avoit quité la maison,
Et d’abord le beau garçon,
Y vint à son ordinaire.
Mais tôt après la soubrette Alison,
Troubla l’amoureux mystere ;
C’est qu’à sa Dame elle annonçoit,
Que Messire Jean montoit.
C’étoit l’Amant qu’on rebutoit.
Dans ce danger comment faire ?
L’Amant effrayé se tapit,
Sous un lit,
Pendant que son Rival à la Maîtresse fit
Cette Harangue cavaliere :
Madame je suis averti
Que votre Epoux pour sa terre est parti.
Vous sçavez bien que je vous aime,
Et sans répondre à mon amour extrême,
Vous me faites languir, mon martire vous plaît :
[147] A présent avec intérêt
Je prétens me payer de mes peines passées.
Ne me lenternez pas de vos phrases usées,
De vertu, de devoir, d’autres billevesées ;
Si vous ne contentez ici ma passion,
Je vous perdrai de réputation :
Et si vous voulez au contraire,
Me satisfaire,
Assurez-vous de mon discrétion.
Choisissez. Sur tel choix une Dame avisée
N’est pas long-tems embarrassée :
D’abord celle-ci choisit,
Et son pauvre Amant entendit,
Sous le lit,
Tous ces discours : entendit davantage.
Mais bien-tôt un nouvel orage,
Suspendit de nouveaux desirs,
Et troubla de nouveaux plaisirs.
Alison toûjours attentive,
Vient dire, que Monsieur arrive,
Qu’il va descendre de cheval,
Et que s’il vient tout ira mal.
C’est dans un cas si difficile,
Que l’esprit est un meuble utile ;
L’amour & la nécessité
Toûjours au sexe en ont prêté.
Notre Belle en avoit, & par un coup de Maître,
Le fit paroître.
Allons, dit-elle, à son Amant,
Mets-moi vîte flambage au vent,
[148] Enfonce le chapeau, fais voir sur ton visage
La colere & la rage ;
Frappe du pied, & sans répondre rien,
Dis seulement, je l’attraperai bien.
Ainsi dit, ainsi fait, il descend en furie,
Frape du pied, tempête, crie,
Passe devant Sire Emmeri,
(C’étoit-là le nom du mari,
Que plûtôt j’aurois dû vous dire)
Et sans répondre aux questions du Sire
Jattraperai bien ce Maraut,
Et l’étrillerai comme il faut,
Dit-il, & ne dit autre chose.
Sire Emmeri ne sçachant pas la cause
De ces tons furieux, de cet emportement,
Et concluant de sa voix rauque
Et de sa rougeur équivoque
Qu’il étoit agité d’un couroux véhément.
Il s’en va trouver promptement,
Thérese, qui feignoit être à demi-pâmée.
Que veut dire tout ce bruit-ci ?
Dit-il. Helas mon cher Mari,
J’en suis morte à moitié, tant j’en suis allarmée.
Un jeune-homme dans ce moment,
Vient se jetter dans mon apartement ;
Messire Jean tout bouillant de colere,
L’a suivi l’épée à la main,
Et sans mon sexe qu’il révere,
Je ne sçai bonnement quel étoit son dessein.
Pour le jeune-homme où l’a fourré sa crainte,
[149] Je n’en sçai rien, L’Epoux dans cette feinte
Donna dabord. Qui n’y donneroit pas ?
Hola ! qui que tu puisses être,
Sors de là, ne crains rien.
Le Blondin de paroître,
Tout en tremblant. D’où vient cet embaras ?
Pourquoi
Messire Jean veut-il donc ton trépas ?
Contre toi quelle offense excite cette colere ?
A cela le Godelureau,
Aussi rusé qu’il étoit beau,
Entrant dans les desseins de la fine comere,
Répond ainsi. Qu’aurois-je pû lui faire ?
Onc ne le vis, & plût à tous les Saints,
Qu’onques ne l’eusse vû : je passe, il m’envisage ;
Il pâlit, hérisse les crins,
Prend sa rapiere en écumant de rage,
Et me poursuit d’un pas précipité.
Lors moi, pour éviter ma perte,
Voyant ici la porte ouverte,
Dans cet endroit me suis jetté ;
Et, grace à cette bonne Dame,
Je vis encor : que puisse en Paradis son ame
En recevoir le loyer mérité.
Tout ce discours du Fourbe habile,
Du bon Epoux fut cru comme Evangile :
Il tâche de calmer sa peur,
Et tout surpris de ce malheur,
Dit qu’on doit l’avoir pris, à coup sûr, pour un autre ;
Auquel avis se rangea notre Apôtre :
Thérese encor fut de ce sentiment ;
Et son Cocu, tant il a l’ame humaine,
[150] Jusques chez lui le Damoiseau ramene,
De-peur d’un second accident.
Epoux, après cela, trouble-toi la cervelle,
Pour t’assurer d’une femme fidelle,
En faisant ce qu’on peut pour conserver son cœur ;
Le croire bonnement c’est toûjours le meilleur.
Voyez Thérese, en faut-il davantage ?
Son Epoux eût été sûr de son Cocuage,
S’il l’eût surpris avec un Amoureux ;
Et l’ayant surprise avec deux,
Son Epoux la crut toûjours sage. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

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